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Date : 20021109

Dossier : IMM-5603-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1272

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 DÉCEMBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                                  BUTA SINGH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision datée du 15 novembre 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a déclaré que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, d'après la définition donnée à cette expression à l'article 2 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

[2]                Le demandeur est un citoyen de l'Inde (de l'État du Penjab) qui est âgé de trente-huit ans. Il a revendiqué le statut de réfugié en raison de ses opinions politiques, réelles et imputées, du fait de son appartenance à la fédération des étudiants sikhs de l'Inde (All India Sikh Student Federation) (AISSF) et du fait que la police le soupçonne d'avoir aidé des militants.

[3]                Ayant conclu que le demandeur n'était pas crédible, la Commission a rejeté sa revendication.

[4]                La décision relative à la crédibilité du demandeur est au coeur même de la compétence de la Commission et notre Cour a statué que celle-ci a un savoir-faire bien établi pour ce qui est de trancher les questions de fait, particulièrement lorsqu'il s'agit d'évaluer la crédibilité et la crainte subjective d'un demandeur d'être persécuté (voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 1800 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 38; Rajaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1991), N.R. 300, à la page 306 (C.A.F.); et Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, à la page 40 (C.F. 1re inst.)).


[5]                Il a en outre été reconnu et confirmé qu'eu égard à la crédibilité et à l'appréciation de la preuve, notre Cour ne peut substituer sa décision à celle de la Commission, faute pour le demandeur d'avoir prouvé que la décision de celle-ci se fondait sur une conclusion de fait erronée, tirée de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 296, au paragraphe 14; et Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1124, au paragraphe 9; ainsi qu'aux motifs de contrôle judiciaire prévus à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale).

[6]                La Commission est normalement en droit de conclure qu'un demandeur n'est pas crédible en raison d'invraisemblances dans son témoignage, dans la mesure où la conclusion n'est pas déraisonnable et que les motifs en sont énoncés en « termes clairs et explicites » (voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 1087 (C.A.F.); et Kanyai, précitée, au paragraphe 10).

[7]                La Commission peut, en outre, tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité (voir Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 415, au paragraphe 2 (C.A.F.); et Aguebor, précitée, au paragraphe 4). La Commission peut rejeter un témoignage irréfuté s'il renferme des contradictions internes ou s'il est incompatible avec les probabilités entourant l'ensemble de la cause (voir Akinlolu, précitée, au paragraphe 13; et Kanyai, précitée, au paragraphe 11).

[8]                L'avocate du demandeur a soulevé plusieurs questions relativement à la conclusion générale de la Commission selon laquelle le demandeur n'était pas crédible et son comportement ne dénotait pas une crainte subjective d'être persécuté. J'analyserai plus loin ses arguments, de même que les motifs énoncés par la Commission pour rejeter le témoignage du demandeur, mais je commencerai par faire état des principales allégations de ce dernier relativement à sa crainte d'être persécuté dans son pays.


[9]                Le demandeur prétend qu'il a adhéré à l'AISSF en janvier 1983 et qu'en octobre 1983, soit après qu'il fut devenu membre de l'AISSF, il a été arrêté par la police au Penjab et placé en détention pendant un mois, au cours duquel il a été torturé à deux reprises. Il a dû recevoir des soins médicaux après avoir été relâché. Le demandeur a ensuite quitté le Penjab en novembre 1983 et est allé vivre chez des parents à Ambala. Le demandeur soutient que, pendant qu'il vivait là-bas, sa famille a versé de l'argent pour faire rayer son nom de la liste de la police. Il est resté à Ambala en toute tranquillité jusqu'en juin 1995, alors qu'il est retourné au Penjab. Il a été arrêté en septembre 1995 et a été placé en détention pendant cinq jours, durant lesquels il a été torturé. Il a été interrogé relativement à ses allées et venues au cours des dix années antérieures et relativement à l'assassinat de Berut Singh. Le demandeur a de nouveau été arrêté ou détenu en 1997, 1998 et 1999. Sa dernière arrestation est survenue le 18 octobre 1999. On a alors dit au demandeur que son cousin, soupçonné d'être un « militant de haut rang » , avait participé la veille au vol d'une arme appartenant à la police (la prétendue arrestation du demandeur en 1998 était également liée au fait que ce même cousin l'aurait visité chez lui). Le demandeur a été détenu jusqu'au 27 octobre 1999 et encore une fois torturé. Il a été relâché après avoir versé de l'argent à condition de se présenter au poste de police. Le 25 novembre 1999, toutefois, il est parti à Delhi avec sa femme et son fils s'installer chez l'oncle de cette dernière. En juillet 2000, le demandeur a quitté l'Inde et est arrivé au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié. Il est venu au Canada avec le passeport qui lui a été délivré en juin 2000 et avec un faux passeport allemand. L'agent a prétendument gardé les deux passeports. La femme et le fils du demandeur se trouveraient toujours à Delhi.

[10]            La Commission a estimé que le demandeur n'était pas crédible et qu'il n'avait pas prouvé de manière crédible qu'il risquait d'être persécuté dans l'éventualité de son retour en Inde, sur le fondement des principales conclusions suivantes :

-           le retour du demandeur au Penjab en 1995, après un séjour dans un État voisin, ne concorde pas avec le comportement de quelqu'un qui craint avec raison d'être persécuté;

-           le nom du demandeur ne figurait pas sur une liste de police en Inde;

-           le demandeur n'a pas été torturé;

-           le demandeur n'aurait pu quitter l'Inde muni de son propre passeport.


                                                         Retour au Penjab en 1995

[11]            La Commission a conclu que, quelle qu'en soit la raison, le retour du demandeur au Penjab ne concordait pas avec le comportement de quelqu'un qui craint avec raison d'être persécuté. L'avocate du demandeur a soutenu que, puisque le demandeur était retourné au Penjab en 1995, la Commission avait commis une erreur de droit, la question en litige étant celle de savoir si le demandeur avait une crainte subjective et objective lorsqu'il a quitté son pays en 2000. Cet argument n'est pas persuasif. Les difficultés du demandeur, et sa crainte des policiers qui en est résultée, ont débuté au Penjab en 1983, année où il aurait été arrêté et torturé. C'est là le seul motif invoqué par le demandeur pour expliquer son départ du Penjab et son séjour à Ambala pendant plus de dix ans. La crainte subjective a un caractère continu. Il était raisonnable dans les circonstances pour la Commission de conclure que le retour du demandeur au Penjab en 1995 ne concordait pas avec le comportement de quelqu'un qui craint avec raison d'être persécuté. Cela étant dit, la crainte subjective ne peut être dissociée de l'importance accordée par la Commission aux divers incidents invoqués par le demandeur (voir Pan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 1116 (C.A.F.)). À cet égard, les conclusions générales relatives à la crédibilité, tirées ailleurs dans la décision de la Commission, me convainquent que l'analyse de celle-ci n'était pas limitée dans le temps.


                                                                  Liste de police

[12]            Sur ce point, la Commission ne croyait pas que le nom du demandeur figurait sur une liste de police pour deux motifs principaux. Premier motif : il y avait incohérence entre le FRP et le témoignage du demandeur quant à savoir si sa famille avait ou non versé de l'argent pour que son nom soit rayé de la liste de la police. La Commission a écrit plus spécifiquement : « De plus, le demandeur n'a pas répondu de façon cohérente aux questions qui lui ont été posées relativement à l'allégation selon laquelle sa famille aurait versé de l'argent pour que son nom soit rayé de la liste de la police. Dans son témoignage de vive voix, le demandeur a dit ignorer si sa famille a ou non versé de l'argent, alors que, dans sa déposition écrite, il soutient que sa famille a bel et bien versé de l'argent à cette fin. »

[13]            J'estime, après lecture de la transcription du témoignage de vive voix du demandeur, que la Commission a manifestement interprété erronément ce témoignage. Le passage suivant (tiré de la page 256 du dossier certifié du tribunal) fait voir le contexte dans lequel est survenue la soi-disant incohérence :

[traduction]

Q. Savez-vous combien d'argent les membres de votre famille ont versé à la police pour que votre nom soit rayé de la liste?

R. Ils ne me l'ont pas dit. À ce moment-là j'étais (inaudible).

Q. Et qui a aidé votre famille à faire rayer votre nom?

R. C'était un policier à la retraite.


Q. Connaissez-vous son nom?

R. Ils ne m'ont pas dit son nom.

[14]            Il ressort clairement de ce passage que ce que le demandeur ne savait pas c'était le montant qui avait été versé et le nom du policier à qui il l'avait été. Cela ne contredit pas la déposition écrite. Le demandeur n'a pas dit qu'il ne savait pas si de l'argent avait bien été versé. Quoi qu'il en soit, comme je juge qu'il était raisonnable pour la Commission de tirer les autres conclusions qui ont été les siennes, je conclus que cette erreur n'était pas fatale.

[15]            L'autre motif mentionné par la Commission pour conclure que le nom du demandeur ne figurait pas sur la liste de la police, c'était que s'il y avait figuré, le demandeur aurait été arrêté à Ambala bien avant son retour au Penjab. Je suis d'avis que cette déduction est raisonnable, compte tenu de la preuve documentaire au dossier et malgré quelques divergences d'opinion sur ce point. La Commission a également fait remarquer ce qui suit : « [...] de jeunes Sikhs auraient été arrêtés dans la région d'Ambala entre 1994 et le départ du demandeur en juin 1995. Le tribunal ne croit donc pas que le nom du demandeur a figuré sur une liste de la police en Inde » .


[16]            Selon la preuve documentaire, les policiers inspectent régulièrement le foyer des parents de suspects et dépistent ces derniers en différentes parties de l'Inde et « [traduction] il y eu des cas renommés où la police du Penjab a dépisté, arrêté et parfois même tué des suspects à l'extérieur de l'État du Penjab » (pièce A-13, Réponse à la demande d'information, le 7 novembre 1997, numéro IND 28217, extrait du dossier certifié du tribunal, à la page 225). Je souligne également qu'un autre document faisait état de la réserve suivante :

[traduction]

Les sources ne concordent pas au sujet de la possibilité que des policiers du Penjab poursuivent dans une autre partie de l'Inde une personne qu'ils recherchent. Certains disent que cela est peu probable, à moins qu'on ait affaire à une personne très en vue ou que la police du Penjab ait pu mettre à contribution le bureau central des enquêtes (Central Bureau of Investigation) ou le service de police de la réserve centrale (Central Reserve Police Force). Dans certains cas, des policiers du Penjab ont agi de leur propre chef, comme lorsqu'ils ont poursuivi et arrêté en mai 1993 et en juin 1994 d'anciens résidants du Penjab qui avaient déménagé au Bengale-Occidental ou au Népal.

[India Assessment, British Home Office, avril 2001, dossier certifié du tribunal, au paragraphe 5.6.74]

[17]            Il est de jurisprudence constante, comme on l'a déjà mentionné, que la Commission peut également fonder ses conclusions quant à l'invraisemblance sur des critères extrinsèques tels que la rationalité, le bon sens et la connaissance d'office, et que la Cour, quoiqu'elle aurait pu tirer une déduction différente ou conclure en la vraisemblance du témoignage, ne substituera pas son opinion à la décision de la Commission (voir Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.)).


[18]            Cela étant dit et même si la Commission a interprété erronément la preuve documentaire, comme sa conclusion quant à la crédibilité ne se fonde par uniquement sur l'inscription sur la liste de police mais aussi sur d'autres conclusions valides, je conclus que pareille erreur ne suffirait pas pour infirmer la décision de la Commission et renvoyer l'affaire pour nouvelle décision. Malgré la preuve documentaire contradictoire, en outre, il semble clair que la police poursuit bel et bien les personnes qui sont bien en vue, ce qui comprend environ 300 militants (voir Report on fact-finding mission to Punjab (India), The position of the Sikhs, 21 mars au 5 avril 2000, articles 6.1 et 8.4.2, à l'onglet 3 du dossier du défendeur). Aucune preuve ne laisse croire toutefois, en l'espèce, que le demandeur est ou était considéré comme une personne bien en vue qu'on aurait dépistée peu importe son lieu de résidence. Étant donné que le fardeau de preuve incombe au demandeur, il était raisonnable pour la Commission de déduire que ce dernier n'avait pas une crainte raisonnable d'être persécuté dans l'éventualité de son retour en Inde.

                                                Torture


[19]            Pour ce qui est de la torture, le demandeur a prétendu en avoir fait l'objet en 1995, 1998 et 1999. Selon ce que prétend le demandeur, on lui a asséné des coups de pied et des gifles, on l'a poussé, on l'a frappé avec des ceintures en cuir et des bâtons de bois, on l'a suspendu la tête en bas, on lui a infligé le supplice du rouleau sur les cuisses et celui de l'écartement des jambes et on lui a infligé des décharges électriques sur les organes génitaux et les tempes. Je crois qu'il était plus que raisonnable pour la Commission de conclure que de tels actes de torture auraient dû laisser des séquelles. Cela est d'autant plus vrai, comme dans le document cité par la Commission et intitulé Lives under threat: A Study of Sikhs coming to the UK from the Punjab, juillet 1999, à la page 21, on mentionne que : [traduction] des indices physiques, comme des cicatrices ou des lésions aux articulations et aux muscles, venaient étayer les allégations de chacun de ces hommes sauf un » . Or, selon le rapport médical produit par le demandeur, « [l]'examen des systèmes [du demandeur] indique que tout est normal et ne révèle aucune anomalie apparente » . La conclusion de la Commission sur ce point est donc justifiée et bien raisonnable, et le fardeau de la preuve à cet égard incombait au demandeur.

[20]            Je crois qu'était appropriée par ailleurs la conclusion de la Commission relative à la valeur probante du diagnostic de « syndrome de stress post-traumatique » . Il était raisonnable pour la Commission de n'accorder aucune valeur probante à ce diagnostic, comme le médecin qui l'a fait n'est pas un psychologue et qu'il n'a pas précisé les « outils » employés pour y arriver.

                                              Passeport

[21]            Finalement, le demandeur soutient aussi qu'est erronée la conclusion de la Commission selon laquelle il n'aurait pu quitter l'Inde muni de son propre passeport s'il avait bel et bien été recherché par la police. La Commission a rejeté le témoignage du demandeur, après avoir déclaré qu'il n'aurait pas été possible pour ce dernier de quitter le pays avec son propre passeport sans verser de l'argent. La Commission a déclaré ce qui suit, à la page 2 de sa décision :


Le demandeur a dit avoir fui l'Inde parce qu'il n'a pas rempli la condition qui lui a été imposée au moment de sa mise en liberté, le 27 octobre 1999. Mais il a également déclaré qu'on n'a pas lancé de mandat d'arrestation contre lui et qu'il a quitté l'Inde avec son propre passeport, qui lui a été délivré en juin 2000. La documentation révèle que [traduction] « les personnes recherchées peuvent aussi quitter l'Inde soit avec un faux passeport, soit avec un passeport authentique, parfois en versant de l'argent » , mais le demandeur n'a pas fait allusion à cette dernière possibilité. De plus, Ravi Nair, directeur du centre de documentation sur les droits de la personne en Asie du Sud (South Asia Human Rights Documentation Centre - SAHRDC), rapporte que les personnes recherchées ne parviennent pas à se faire délivrer de passeport. Les opinions varient sur ce point, mais, compte tenu du manque de crédibilité du demandeur, le tribunal estime que les autorités indiennes ne sont pas à la recherche de ce dernier, quoi qu'il en ait dit au point d'entrée et quoi qu'il ait écrit à ce sujet dans le formulaire sur les renseignements personnels.

[22]            Le demandeur déclare que la Commission aurait dû lui demander s'il avait versé de l'argent avant de conclure qu'il n'était pas crédible. Le défendeur soutient au contraire qu'il incombait au demandeur de prouver tous les éléments de sa cause, ce qu'il n'a pas fait en l'occurrence. Selon le demandeur, notre Cour a statué qu'il fallait donner l'occasion à un revendicateur du statut de réfugié, pendant l'audience, de clarifier les apparentes contradictions, incohérences ou omissions dans son témoignage ou dans son FRP, particulièrement lorsque la Commission compte s'appuyer sur leur existence dans ses motifs. Le demandeur fait valoir Gracielome c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 237, où la Cour d'appel a déclaré qu' « [i]l est à noter que dans aucun des trois cas n'a-t-on confronté les requérants avec leurs prétendues contradictions ni demandé qu'ils s'expliquent à ce sujet. Au contraire, il est évident que chaque exemple a été relevé par la majorité après coup et suite à un examen minutieux des transcriptions de la preuve. Dans ces circonstances, la position de la Commission pour apprécier les contradictions n'est pas plus privilégiée que la nôtre » .

[23]            Dans Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 1833 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17, la Cour a analysé comme suit la portée de la décision Gracielome, précitée :


[...] annuler la décision de la SSR en raison de son omission de signaler ses contradictions à un requérant représenté par un avocat irait bien au-delà de ce que j'estime être la position énoncée dans l'arrêt Gracielome et placerait, selon moi, un fardeau injustifié sur les épaules des membres de la SSR. Je répète que le requérant était représenté par un avocat qui, vraisemblablement, était attentif à son témoignage. Il était loisible à l'avocat d'interroger ou de réinterroger son client au sujet de toute contradiction qu'il percevait sans que les membres de la SSR aient à lui dire quoi faire.

[voir aussi Kahandani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1769 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 11 à 13; et Matarage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 460 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 8]

[24]            De plus, il a été décidé ce qui suit dans Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 2002 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 26 à 28 :

Le demandeur reconnaît qu'il a été interrogé, du moins par son avocat, au sujet des questions factuelles sur le fondement desquelles le tribunal a tiré ses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité. Il est de jurisprudence constante que c'est à celui qui revendique le statut de réfugié qu'il incombe de démontrer que sa revendication est bien fondée selon les principes juridiques applicables. Le demandeur ne conteste pas que la crédibilité était une question qui était soumise au tribunal.

Le tribunal n'a pas laissé entendre que ses inférences ou ses conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance reposaient sur des contradictions entre les déclarations que le demandeur avait faites dans son formulaire de renseignements personnels et au cours du témoignage qu'il a donné lors de l'audience sur son statut de réfugié. Le tribunal n'a pas non plus laissé entendre qu'il y avait de sérieuses contradictions entre les deux déclarations différentes que le demandeur a faites au cours de son témoignage ou entre son témoignage et un document personnel. Autrement dit, le tribunal n'a pas cru le témoignage du demandeur.

Dans ces conditions, le tribunal n'était pas tenu d'interroger davantage le demandeur. Il était loisible au tribunal, sur le fondement du formulaire de renseignements personnels du demandeur et de son témoignage, de tirer ses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité et de la vraisemblance (Matarage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7], Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8] et Sarker, précité, note 6). Le demandeur n'a pas établi que les conclusions du tribunal étaient manifestement déraisonnables. [notes omises]

[25]            Je conclus en l'espèce, par conséquent, que la Commission n'avait pas l'obligation de poser des questions spécifiques relativement au versement d'argent. La Commission pouvait apprécier la crédibilité du témoignage du demandeur au sujet de son entrée au Canada (il n'a jamais mentionné que de l'argent avait dû être versé) au moyen de la preuve documentaire au dossier. Je conclus également, en outre, qu'il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur n'était pas recherché par les autorités, tel qu'il l'avait mentionné au point d'entrée et dans son FRP, comme il avait pu obtenir un passeport authentique et quitter l'Inde muni de celui-ci. Dans ce contexte, il était raisonnable pour la Commission de conclure que ce témoignage ne concordait pas avec le comportement de quelqu'un qui a une crainte subjective d'être persécuté (voir Choque c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 1017 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 5; et Murga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 110 F.T.R. 231).

                                             Conclusion


[26]            Il ne fait pas de doute que l'analyse de la Commission aurait gagné à être plus étoffée et ses motifs à être exprimés plus clairement. Les éléments essentiels pour confirmer son raisonnement sont toutefois présents. Lorsque la Commission a des motifs de douter de la vraisemblance d'éléments centraux d'une revendication, en outre, elle peut ne prêter aucune foi au reste du témoignage du demandeur. C'est ce qui s'est produit en l'espèce. Par conséquent et bien que certains points soulevés par la Commission puissent sembler douteux du point de vue du demandeur, il n'en reste pas moins que la conclusion de la Commission se justifie cumulativement (voir Sylla c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 793, au paragraphe 2 (C.A.F.)). Le juge Sharlow (tel était alors son titre) a ainsi déclaré dans Adeli et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 349 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 18 :

L'avocat des demandeurs a soutenu que si je conclus que les conclusions d'invraisemblance sont déraisonnables, je devrais infirmer la décision. [...] Il me semble que je dois tenir compte de la décision dans son ensemble par rapport à toute la preuve dont la formation disposait. Cette approche est conforme à l'obligation qui incombe aux demandeurs.

[voir également Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 92 F.T.R. 131 (C.F. 1re inst.)]

[27]            En outre, bien que la Commission ait pu commettre certaines erreurs de fait ou interpréter erronément certains éléments de la preuve documentaire, je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse là d'erreurs importantes et prêtant à conséquence qui justifient d'infirmer sa décision (voir Schaaf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1984] 2 C.F. 334 (C.A.F.); Khorasani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1219, aux paragraphes 38 à 40 (C.F. 1re inst.); et Mbabazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1623, au paragraphe 22 (C.F. 1re inst.)).

[28]            Je conclus finalement, après avoir tenu compte de toutes les déductions raisonnables et appuyées sur des documents, que la conclusion générale au sujet de la crédibilité tirée par la Commission n'est pas manifestement déraisonnable et qu'elle doit être confirmée. La présente demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.


[29]            Ni l'une ni l'autre avocate n'a recommandé qu'une question soit certifiée.

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 15 novembre 2001 de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              IMM-5603-01

INTITULÉ :                                             BUTA SINGH c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE : Le 14 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              Le 6 décembre 2002

COMPARUTIONS :

Mme Diane Doray                                                         POUR LE DEMANDEUR

Mme Michèle Joubert                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Diane Doray                                                         POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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