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Date : 20060214

Dossier : T‑1402‑05

Référence : 2006 CF 137

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 14 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

ENTRE :

TELEWIZJA POLSAT S.A. et

TELEWIZJA POLSKA CANADA INC.

demanderesses

 

et

 

RADIOPOL INC. et

JAROSLAW BUCHOLC

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

concernant la question de l’outrage au tribunal

 

[1]               Le 15 décembre 2005, la Cour a rendu, en vertu de l’article 467 des Règles des Cours fédérales, une ordonnance enjoignant aux défendeurs, Jaroslaw Bucholc et un représentant de Radiopol Inc., société constituée en vertu des lois du Québec, de comparaître devant un juge de la Cour fédérale à Toronto, le lundi 30 janvier 2006 à 9 h 30, pour entendre la preuve des actes qui leur sont reprochés en tant qu’outrage au tribunal, et d’être prêts à présenter une défense.

 

[2]               Les faits pour lesquels les défendeurs sont accusés d’outrage au tribunal découlent de l’injonction provisoire du 29 août 2005 par laquelle le juge Kelen de la Cour fédérale a interdit à Jaroslaw Bucholc et Radiopol Inc. de décoder sans autorisation les signaux d’abonnement des demanderesses et de continuer de porter atteinte à leur droit d’auteur et de contrefaire leurs marques de commerce. Le juge Kelen a en outre ordonné aux défendeurs de remettre aux demanderesses la totalité des oeuvres des demanderesses qui sont protégées par le droit d’auteur ou une marque de commerce et qu’ils ont en leur possession, sous leur garde ou sous leur contrôle, ou, subsidiairement, de détruire la totalité de ces oeuvres, sous serment et sous la surveillance de la Cour.

 

[3]               L’ordonnance de justification rendue par la Cour le 15 décembre 2005 précisait les faits pour lesquels les défendeurs étaient accusés d’outrage au tribunal :

[traduction]

a) Après avoir reçu avis de l’ordonnance du juge Kelen, les défendeurs ont continué de décoder sans autorisation les signaux des demanderesses en captant le signal transmis par le satellite POLSAT 2 International.

 

b) Après avoir reçu avis de l’ordonnance du juge Kelen, les défendeurs ont continué de porter atteinte au droit d’auteur des demanderesses et de contrefaire leurs marques de commerce :

 

·          en reproduisant sans autorisation le signal du satellite POLSAT 2 International;

·         en effectuant sans autorisation des montages à partir du signal de POLSAT 2 International;

·          en mettant des émissions des demanderesses protégées par le droit d’auteur à la disposition du public sur leur site Web www.tvpol.com;

·         en utilisant le nom de domaine www.tvpol.com;

·          en utilisant les marques de commerce TV POLONIA, POLSAT, POLSAT 2 et leurs logos sur le site Web www.tvpol.com.

 

c) Les défendeurs n’ont pas remis aux demanderesses ni détruit, sous serment ou sous la surveillance de la Cour, les éléments suivant qu’ils ont en leur possession, sous leur garde ou sous leur contrôle :

·          les versions électroniques ou imprimées des oeuvres des demanderesses protégées par le droit d’auteur, soit les émissions de télévision décodées par les défendeurs, leurs représentants, mandataires ou ayants droit, reproduites, montées ou mises à la disposition du public sur le site Web www.tvpol.com;

·         la totalité des versions électroniques ou imprimées des logos des demanderesses, de leurs oeuvres protégées par le droit d’auteur ou de leurs marques de commerce.

 

 

[4]               La Cour a de plus précisé comment les demanderesses devaient notifier l’ordonnance de justification aux défendeurs. Les demanderesses devaient envoyer par la poste une copie de l’ordonnance au 2221, avenue Wakley, Montréal (Québec), c’est‑à‑dire l’adresse qui, suivant les statuts de Radiopol Inc., est celle du siège social de l’entreprise. Les demanderesses devaient en outre transmettre par courrier une copie de l’ordonnance à la boîte postale 3223, Station Main, Airdrie (Alberta), lieu où, d’après les indications données par la GRC aux demanderesses, avait déménagé le défendeur individuel. Enfin, les demanderesses devaient notifier l’ordonnance aux défendeurs en envoyant une copie de celle‑ci par courriel à radio@radiopol.com et à jarek@radiopol.com.

 

[5]               Les défendeurs n’ont pas comparu à l’audience fixée par l’ordonnance de justification. La Cour a été informée que les deux copies de l’ordonnance envoyées aux adresses de Montréal (Québec) et de Airdrie (Alberta) ont été renvoyées aux avocats des demanderesses par Postes Canada qui n’avait pas pu les remettre à leurs destinataires.

 

[6]               Après examen de l’affidavit de Tutiiu Roosimagi, secrétaire juridique au cabinet des avocats des demanderesses, et vu les réponses de Mme Roosimagi et de M. Gladkowski aux questions que leur a posées la Cour à propos de la signification par courriel, j’estime que l’ordonnance de justification a été signifiée par courriel aux défendeurs et que ceux‑ci ont été avisés de l’ordonnance.

 

[7]               Deux sources ont confirmé qu’il a été pris connaissance de l’ordonnance de justification aux deux adresses radio@radiopol.com et jarek@radiopol.com auxquelles elle a été transmise.

 

[8]               Premièrement, les avocats des demanderesses qui avaient communiqué l’ordonnance de justification par courriel ont reçu une confirmation de la transmission qui indiquait que le message concernant l’ordonnance de justification avait effectivement été transmis aux deux adresses électroniques. On m’a expliqué que le logiciel de pistage employé par les avocats des demanderesses permet automatiquement de savoir ce qu’il est advenu du message envoyé.

 

[9]               Deuxièmement, les avocats des demanderesses ont reçu un accusé de réception de Jarek [jarek@radiopol.com] indiquant que le message contenant l’ordonnance de justification avait effectivement été reçu et lu au moins à deux reprises, soit le 21 décembre 2005 à 14 h 09 et le 11 janvier 2006, à 17 h 34.

 

[10]           Pour ce qui est du dossier de la requête en injonction provisoire présentée par les demanderesses, le juge Kelen estime que la signification par courriel aux défendeurs constituait une signification indirecte valide. Au paragraphe 9 de ses motifs d’ordonnance (2005 CF 1179), le juge Kelen a précisé que Radiopol avait confirmé que l’adresse électronique jarek@radiopol.com était celle de M. Bucholc. Il a ajouté que l’adresse électronique radio@radiopol.com était donnée sur le site Web de Radiopol comme adresse pour communiquer avec celle-ci.

 

[11]           Suivant l’alinéa 466b) des Règles, est coupable d’outrage au tribunal quiconque désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour. L’article 469 précise que la déclaration de culpabilité dans le cas d’outrage au tribunal est fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[12]           Boguslaw Pisarek et Tomasz Gladkowski ont témoigné pour les demanderesses. M. Pisarek est président de Telewizja Polska Canada Inc. et M. Gladkowski est un consultant en télécommunications dont les services ont été retenus par Telewizja Polska Canada Inc. Leurs témoignages ont permis d’établir les faits suivants.

 

[13]           Telewizja Polska Canada, Inc. (Polska Canada) est titulaire d’une licence exclusive au Canada qui lui a été accordée par deux producteurs d’émissions de télévision exerçant leurs activités en Pologne : Telewizja Polonia (Polonia) et Telewizja Polsat S.A. (Polsat).

 

[14]           La distribution au Canada des émissions de télévision en polonais de Polska Canada a commencé en 1997 à la suite de l’inscription de Polonia par le CRTC sur la liste de services par satellite admissibles.

 

[15]           Polsat est le principal service de télévision commercial en Pologne et les émissions de Polsat 2 sont diffusées 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Polsat produit notamment Polsat 2 (Polsat 2), une émission de télévision s’adressant aux communautés de langue polonaise vivant hors Pologne. La programmation de Polsat 2 comprend notamment des émissions de téléréalité, des feuilletons télévisés, des émissions policières, des miniséries, des infovariétés, des documentaires, des bulletins de nouvelles, des émissions de sports et des émissions musicales. La licence exclusive accordée à Polska Canada par Polsat porte sur les émissions de Polsat 2 diffusées au Canada. Cette licence a été accordée en vertu d’une entente conclue par les deux parties le 23 juin 2005. Les émissions télévisées de Polsat 2 produites par Polsat sont transmises par satellite par Polsat sous forme de signal encodé. Polsat est en même temps productrice et propriétaire du signal Polsat 2.

 

[16]           Polska Canada s’est engagée à distribuer le signal des émissions de Polsat 2 aussi bien par satellite que par câble et Internet. Elle s’est également engagée à assurer la protection juridique des émissions de Polsat 2 au Canada en prenant les mesures nécessaires, y compris des actions en justice, contre toute personne qui porte atteinte au droit d’auteur et aux autres droits connexes de Polsat, en particulier contre les entités qui transmettent illégalement les émissions de Polsat sur Internet, par câble ou par l’intermédiaire des réseaux de télécommunication.

 

[17]           Pour faire en sorte que les signaux de télévision en langue polonaise puissent être licitement captés par les abonnés canadiens d’entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR), Polska Canada, présente à cette fin des demandes devant le CRTC et conclut des accords de distribution avec les EDR. Elle assure également la distribution directe par Internet aux abonnés de signaux pour lesquels elle a une licence au Canada. Polska Canada n’a pas encore reçu du CRTC l’autorisation de diffuser le signal Polsat 2 au Canada. Elle a déposé une demande en ce sens aux environs du 28 juillet 2005. Comme nous l’avons indiqué, elle a conclu des accords de distribution avec diverses EDR.

 

[18]           Polska Canada a engagé des négociations avec des EDR canadiennes en vue de la distribution des émissions de Polsat 2 dès que ce signal sera inscrit sur la liste d’admissibilité du CRTC. En outre, Polska Canada monte actuellement un site Web devant permettre aux abonnés canadiens de capter en mode continu le signal Polsat 2 sur Internet et elle a déjà fait enregistrer un nom de domaine, www.polsat.ca. Elle exploite d’ores et déjà un site Web qui, à l’adresse www.tvpolonia.com, donne accès au signal de Polonia.

 

[19]           M. Bucholc habitait Montréal et est maintenant installé en Alberta. Il est l’administrateur et l’âme dirigeante de Radiopol Inc. qui, comme nous l’avons indiqué, est une entreprise qui a été constituée en 2004 en vertu des lois du Québec et dont le siège social se trouve à Montréal (Québec). Au cours de la période 1998‑1999, M. Bucholc a fourni, dans le cadre d’un contrat conclu avec Telewizja Polska USA, Inc., une entreprise liée à Polska Canada, des services techniques en matière de distribution de signaux de télévision par Internet.

 

[20]           Les défendeurs, M. Bucholc et Radiopol Inc., exploitent un site Web, www.tvpol.com (le site Radiopol), qui s’adresse lui aussi aux téléspectateurs de langue polonaise hors Pologne. Par l’intermédiaire de ce site, les défendeurs vendent des abonnements mensuels permettant de télécharger des émissions de télévision ainsi que des films. Tomasz Gladkowski s’est abonné au site Radiopol, ce qui lui permettait de capter les émissions diffusées sur ce site. Il communique par courriel avec les diverses composantes de Radiopol aux quatre différentes adresses électroniques de Radiopol Inc.

 

[21]           Selon M. Gladkowski, les émissions offertes sur le site Radiopol sont presque intégralement retransmises à partir du signal Polsat 2. Sans autorisation de Polsat ou de Polska Canada, les défendeurs décodent les signaux d’abonnement de Polsat 2, les reproduisent sans autorisation, effectuent des montages et mettent à la disposition du public des épisodes individuels offerts en vidéo à la demande.

 

[22]           En septembre 1999, M. Bucholc a procédé de même pour le signal de Polonia, signal qui, comme nous l’avons indiqué, fait l’objet d’une licence exclusive accordée à Polska Canada pour le Canada. Le 23 septembre 1999, Polska Canada a écrit à M. Bucholc pour le sommer de mettre fin à cette diffusion non autorisée sur Internet des émissions couvertes par une licence d’exploitation. On m’a dit qu’après avoir reçu cette mise en demeure, M. Bucholc a cessé de décoder le signal de TV Polonia.

 

[23]           Pour faciliter le témoignage de MM. Pizarek et Gladkowski, les avocats des demanderesses ont préparé un recueil de documents. M. Gladkowski a pu ainsi consulter trois listes des émissions offertes à diverses époques par www.tvpol.com en 2005 et 2006. Il a confirmé qu’après l’injonction provisoire du juge Kelen, le site Web de Radiopol, à l’adresse www.tvpol.com, continuait d’offrir deux menus élargis de programmes. Un de ces menus télévisuels a été proposé aux environs de Noël 2005 et il constitue la pièce K du mémoire des demanderesses. Le second menu élargi de programmes a été présenté au début du mois de janvier de l’année en cours et il constitue la pièce Q du mémoire des demanderesses.

 

[24]           En ce qui concerne la pièce K, M. Gladkowski a pu me confirmer que Polsat était productrice et titulaire du droit d’auteur visant tous les programmes proposés sur la liste en question, à l’exception des programmes des films et des émissions destinées aux enfants.

 

[25]           Le menu proposé par www.tvpol.com, produit à titre de pièce Q, fait état d’une émission de téléréalité et affiche ouvertement le logo de Polsat, indiquant que les programmes en question proviennent du signal de Polsat 2 qui a été décodé. La pièce Q permet de constater qu’il en va de même pour une émission de sports ainsi que pour une autre émission de téléréalité.

 

[26]           Dans la pièce S du mémoire des demanderesses, M. Gladkowski a pu démontrer que les défendeurs offraient sur le site www.tvpol.com des programmes qu’ils avaient décodés à partir du signal Polsat 2, ce qui leur permettait d’offrir 2 009 extraits d’épisodes ou d’émissions de télévision auxquels pouvaient avoir accès les abonnés du site Radiopol.

 

[27]           Enfin, M. Gladkowski a pu confirmer, par un autre moyen, la source des programmes offerts sur le site www.tvpol.com. Il a pu obtenir accès au code de source de www.tvpol.com. D’après ce code de source, les programmes étaient offerts par Radiopol en tant que « détentrice du droit d’auteur », l’auteur étant, selon Radiopol, M. Bucholc.

 

[28]           Compte tenu de ces éléments de preuve, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que les défendeurs ont commis un outrage au tribunal en contrevenant à l’injonction provisoire datée du 29 août 2005 par laquelle le juge Kelen a interdit aux défendeurs de décoder sans autorisation les signaux d’abonnement des demanderesses et de continuer de porter atteinte au droit d’auteur des demanderesses et de contrefaire leurs marques de commerce.

 

[29]           L’article 472 des Règles de la Cour précise les mesures qui pouvent être prises en cas d’outrage au tribunal. Cet article prévoit ce qui suit :

  472.  Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

 

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

 

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

 

c) qu’elle paie une amende;

 

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

 

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

 

f) qu’elle soit condamnée aux dépens. [non souligné dans l’original]

 

  472.  Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

 

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

 

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

 

(c) the person pay a fine;

 

(d) the person do or refrain from doing any act;

 

 

(e) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

 

(f) the person pay costs. [emphasis mine]

 

[30]           Dans la décision Lyons Partnership, L.P. c. MacGregor, [2000] A.C.F. no 341, la Cour a résumé les facteurs dont il convient de tenir compte pour décider de la sanction à infliger en cas d’outrage au tribunal. La Cour doit tenir compte de la gravité de l’outrage, de la valeur dissuasive à l’égard des comportements analogues, de tout bénéfice tiré des faits ayant causé l’outrage, de la question de savoir si l’infraction d’outrage constitue une première infraction, de la conduite antérieure de l’auteur de l’outrage ainsi que des circonstances atténuantes telles que la bonne foi ou des excuses.

 

[31]           Selon les demanderesses, la sanction appropriée dans le cas des défendeurs est :

a)                  une ordonnance portant que le site Web en cause doit être fermé parce qu’il porte atteinte au droit d’auteur des demanderesses et contrefait leurs marques de commerce;

b)                  une amende infligée à chacune des parties défenderesses;

c)                  une peine d’emprisonnement pour M. Bucholc;

d)                  une ordonnance portant que les dépens des demanderesses doivent être payés sur la base avocat‑client.

 

[32]           À mon avis, les éléments de preuve dont j’ai été saisi démontrent hors de tout doute raisonnable les faits suivants :

a)      Les défendeurs ont porté sciemment atteinte au droit d’auteur des demanderesses et ont contrefait leurs marques de commerce en s’appropriant illicitement le signal Polsat 2 qui transmet les émissions de télévision de Polsat qui en détient les droits, en décodant ce signal, en effectuant des montages avec les émissions ainsi captées et en offrant aux abonnés acquittant des frais périodiques des épisodes individuels des programmes de Polsat.

b)      C’est principalement par l’exploitation du site Web www.tvpol.com que les défendeurs violent les droits de propriété intellectuelle des demanderesses et contreviennent à l’alinéa 9c) de la Loi sur la radiocommunication. Le site Web exploité par les défendeurs doit être considéré comme une entreprise illicite, car les programmes offerts sur ce site ont presque tous été dérobés aux demanderesses.

c)      Il n’y a pas le moindre regret, pas un début d’excuse. Les défendeurs ne se sont présentés devant la Cour à aucune étape de l’affaire. Ils ont eu de nombreuses occasions de modifier leur conduite. Le 21 mars 2005, notamment, les avocats des demanderesses ont écrit à M. Bucholc pour lui signaler l’atteinte portée aux droits de leurs clientes par l’exploitation du site www.tvpol.com. Les défendeurs pouvaient éviter les poursuites en s’engageant, avant le 24 mars 2005, à cesser toute diffusion et distribution illicites sur ce site. Or, les défendeurs n’ont pas répondu à l’offre qui leur était ainsi faite. Cette offre leur a été renouvelée le 13 juillet 2005 mais, encore une fois, ils n’y ont pas répondu.

d)      Au contraire, ainsi que les avocats des demanderesses le font remarquer, non seulement les défendeurs n’ont pas mis fin aux activités de leur site Web après l’injonction interlocutoire du juge Kelen, mais ils en ont même élargi les opérations.

 

[33]           Compte tenu de l’ensemble de ces faits, je considère que les sanctions que les demanderesses sollicitent sont pleinement justifiées. Le site Web www.tvpol.com, par l’intermédiaire duquel il est porté atteinte aux droits des demanderesses, devrait être fermé, la preuve démontrant que son unique raison d’être est le captage des oeuvres des demanderesses pour que les défendeurs, après avoir décodé les émissions de télévision en langue polonaise de Polsat, puissent les vendre à leurs abonnés canadiens.

 

[34]           Je n’hésite pas à accorder aux demanderesses le remboursement d’une somme raisonnable au titre de leurs frais avocat‑client. Dans l’affaire CHUM Ltd. c. Stempowicz (faisant affaire sous la raison sociale de Lizard King’s Playhouse), 2004 CF 611, le juge Blais a endossé un commentaire de la juge Dawson dans l’affaire Louis Vuitton Malletier, S.A. c. Bags O’Fun Inc., [2003] A.C.F. no 1686, selon lequel en ce qui concerne les dépens, lorsqu’une demande d’ordonnance déclarant une personne coupable d’outrage au tribunal est accueillie, la pratique habituelle consiste à adjuger des dépens avocat‑client raisonnables à la partie qui cherche à faire exécuter l’ordonnance. Cette adjudication des dépens vaut pour l’ensemble des requêtes et demandes présentées jusqu’ici.

 

[35]           Les demanderesses demandent en outre qu’une amende soit infligée à chacune des parties défenderesses. Elles invoquent à cet égard l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Cutter (Canada) Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et al. (1987), 14 C.P.R. (3d) 449, en faisant valoir que l’amende devrait refléter « la sévérité de la loi et [être] suffisamment modérée pour démontrer la clémence de la justice ». Selon les demanderesses, le montant de ces amendes devrait tenir compte à la fois de la gravité de l’outrage et des moyens financiers de son auteur.

 

[36]           Je m’inspire largement en l’occurrence de la décision rendue par le juge Teitelbaum dans l’affaire Télé‑Direct (Publications) Inc. c. Canadian Business Online Inc., [1998] A.C.F. no 1833. Le dossier dont je suis saisi en l’espèce ressemble à plusieurs égard à l’affaire Télé‑direct, précitée : l’exploitation, par les parties défenderesses, d’un site Web, la reproduction, sur ce site, de certaines oeuvres et marques de commerce des demanderesses, l’omission des défendeurs de comparaître devant la Cour pour s’expliquer sur leurs activités, le manque d’éléments de preuve concernant la situation financière des sociétés défenderesses. Le juge a écrit :

¶ 8      Je suis persuadé que la somme de 25 000 $ constitue une amende juste et raisonnable pour chacune des deux personnes morales défenderesses.

                                             

¶ 9      Je dis 25 000 $ parce que je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant si ces personnes morales sont pleines de fric, pour employer une expression courante, ou si elles sont pratiquement en faillite. Je ne dispose d’aucun élément de preuve sur la situation financière de ces deux personnes morales défenderesses mais, en me fondant sur la moyenne de diverses affaires où des amendes ont été imposées à des personnes morales défenderesses, j’estime qu’une amende de 25 000 $ pour chacune d’elles est plus que raisonnable.

 

¶ 10      Pour ce qui est de M. Sheldon Klimchuk, je ne dispose d’absolument aucun élément de preuve sur sa situation financière, mais les éléments dont je dispose indiquent que ce dernier a délibérément et intentionnellement tenté de contourner les ordonnances de la présente Cour. Je vais donc condamner M. Sheldon Klimchuk à une amende de 10 000 $, comme l’a suggéré la demanderesse. Je lui accorde un délai de 90 jours à compter d’aujourd’hui pour payer cette somme, à défaut de quoi et s’il ne me présente pas d’éléments de preuve qui me convainquent qu’il n’est pas en mesure d’acquitter cette amende ‑ ce qu’il doit faire dans le délai imparti ‑ une peine d’emprisonnement de 30 jours lui sera imposée.

 

 

[37]           Dans l’affaire Chum Ltd., précitée, le juge Blais a lui aussi fixé à 25 000 $ l’amende infligée dans un cas où il n’y avait aucun moyen de déterminer, d’après les éléments de preuve produits, le nombre de clients ayant eu recours aux services satellites illicitement offerts.

 

[38]           Je suis porté à suivre ces deux décisions et à infliger à l’entreprise défenderesse une amende de 25 000 $, payable sans délai, et, à M. Bucholc, une amende de 10 000 $, payable dans les cinq jours suivant la signification des motifs de l’ordonnance.

 

[39]           Les demanderesses sollicitent en outre l’emprisonnement de M. Bucholc. Elles invoquent la décision Merck & Co. c. Apotex Inc., 2001 CFPI 589, dans laquelle le juge MacKay a estimé qu’une entreprise défenderesse et un défendeur individuel étaient coupables d’outrage au tribunal. Au paragraphe 17 de ses motifs d’ordonnance, le juge MacKay a expliqué que les circonstances de l’affaire ne justifiaient pas l’emprisonnement, « une peine qui ne doit être infligée que dans les cas les plus flagrants et en dernier recours, particulièrement pour s’assurer que l’intéressé obtempère à l’avenir aux ordonnances et aux jugements de la Cour ».

 

[40]           Les demanderesses soutiennent qu’il s’agit en l’espèce d’un cas des plus flagrants parce que :

a)      les défendeurs étaient manifestement au courant de l’injonction provisoire rendue par le juge Kelen;

b)      les défendeurs ont à l’évidence fait fi de l’injonction du juge Kelen;

c)      depuis l’injonction provisoire rendue par le juge Kelen, les défendeurs ont réorganisé, rénové et agrandi le site Web en cause;

d)      les défendeurs n’ont répondu à aucune des nombreuses propositions que leur ont faites les demanderesses afin de parvenir à une solution et ils n’ont tenu aucun compte de l’autorité de la Cour et des mesures imposées par celle‑ci.

 

[41]           Les demanderesses font valoir que, compte tenu des circonstances, une peine d’emprisonnement est le seul moyen de faire respecter, à l’avenir, les ordonnances de la Cour. Elles affirment que, dans la mesure où le défendeur Jaroslow Bucholc a esquivé les tentatives de signification, et compte tenu de ses liens avec l’étranger, il risque de se soustraire à la justice si on lui accorde un délai de grâce pour régler l’amende ou obtempérer à l’ordonnance d’outrage au tribunal.

 

[42]           J’estime que le comportement de M. Bucholc appelle une peine d’emprisonnement. Il est l’âme dirigeante de Radiopol Inc. qui exploite le site Web www.tvpol.com. En qualité d’âme dirigeante de Radiopol, il a sciemment contrevenu à l’injonction provisoire du juge Kelen, il n’a pas manifesté le moindre remords et il persiste dans un comportement constituant un outrage au tribunal. L’ayant jugé coupable d’outrage, je le condamne à six mois d’emprisonnement. Toutefois, l’exécution de cette peine sera suspendue si, dans les cinq jours suivant la date de signification de la présente ordonnance, les défendeurs ferment le site Web en cause car, d’après les éléments de preuve dont j’ai été saisi, c’est la seule mesure qui permettra d’obtenir le respect de l’injonction du juge Kelen.

 

[43]           J’ai tenu compte de la jurisprudence suivante : De L’Isle et autres c. La Reine et autres (1994), 56 C.P.R. (3d) 371; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Heritage Front, [1994] A.C.F. no 2010; et Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Taylor, [1980] A.C.F. no 119.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         Jaroslaw Bucholc et Radiopol Inc. sont coupables d’outrage au tribunal parce qu’ils n’ont pas obtempéré à l’ordonnance du juge Kelen en date du 29 août 2005.

2.         La défenderesse, Radiopol Inc., paiera une amende de 25 000 $ et le défendeur, Jaroslaw Bucholc, une amende de 10 000 $, dans les cinq (5) jours suivant la signification des présents motifs d’ordonnance.

3.         Les défendeurs sont solidairement tenus de verser aux demanderesses un montant raisonnable au titre des dépens avocat‑client, qui seront taxés sans délai par un officier taxateur et incluront les débours et la TPS; les dépens devront être payés immédiatement après leur taxation.

4.         Je condamne Jaroslow Bucholc à une peine d’emprisonnement de six mois, laquelle sera suspendue si :

a)         dans les cinq jours suivant la signification des présents motifs d’ordonnance, les défendeurs ferment le site Web www.tvpol.com;

b)         les défendeurs obtempèrent à l’injonction permanente prononcée par la Cour le 29 août 2005.

5.         Au cas où elles souhaiteraient prouver que les défendeurs n’ont pas respecté l’une ou plusieurs des conditions de la présente ordonnance, les demanderesses pourront solliciter, ex parte ou autrement, de tout juge de la Cour fédérale et conformément aux instructions qu’elles pourront en recevoir, un mandat d’incarcération, et, sur constatation par la Cour de la violation d’une ou de plusieurs des conditions de la présente ordonnance, le défendeur Jaroslow Bucholc sera incarcéré pour une période de six mois.

6.         Compte tenu de l’article 429 des Règles et sauf disposition contraire de la Cour, les présents motifs d’ordonnance seront signifiés par les demanderesses au défendeur individuel en personne, et cette signification vaudra signification à l’entreprise défenderesse.

 

 

« F. Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1402‑05

 

INTITULÉ :                                                   TELEWIZJA POLSAT S.A. et

                                                                        TELEWIZJA POLSKA CANADA INC.

                                                                        c.

                                                                        RADIOPOL INC. et

                                                                        JAROSLAW BUCHOLC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 30 janvier 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 FÉVRIER 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julie Thorburn

Emily Larose                                                    POUR LES DEMANDERESSES

 

Aucune comparution                                         POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cassels Brock & Blackwell LLP

Toronto (Ontario)                                             POUR LES DEMANDERESSES

 

Jaroslaw Bucholc

Airdrie (Alberta)                                               POUR LES DÉFENDEURS

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