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Date : 20050511

Dossier : IMM-8970-04

Référence : 2005 CF 672

Toronto (Ontario), le 11 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON               

ENTRE :

JORGE ERNESTO VELASQUEZ CRESPO,

ARACELIS COROMOTO NAVA GARCIA,

JORGE DANIEL VELASQUEZ NAVA et

DANIEL EDUARDO VELASQUEZ NAVA

                                                                                                                                    demandeurs

                                                                            et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Les demandeurs sont des membres d'une famille originaire du Venezuela. Mme Garcia est la demanderesse principale. Son mari, un anesthésiste, et leurs deux enfants sont également des demandeurs. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision. J'ai décidé que leur demande devrait être accueillie.


[2]                Mme Garcia a un diplôme de secrétaire de direction. Pendant vingt ans environ, elle a travaillé pour la Venezuelan Petroleum Company (PDVSA). Elle prétend avoir été licenciée en janvier 2003 après qu'elle eut appuyé une grève nationale et signé une pétition en faveur de la destitution du président Chavez. En conséquence, son nom a été publié à l'échelle nationale et les membres de sa famille ont été étiquetés de « traîtres » ; elle et sa famille n'avaient plus droit aux soins de santé et aux services sociaux de base, et ses enfants ont été victimes de discrimination à l'école. Des représentants du gouvernement vénézuélien, des organisations (les Cercles bolivariens) ainsi que des groupes liés aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont menacé ou intimidé la famille de Mme Garcia.

[3]                Mme Garcia allègue plus particulièrement avoir reçu des appels téléphoniques anonymes où son interlocuteur lui demandait des renseignements confidentiels sur le personnel de la PDVSA. Elle affirme avoir été enlevée par quatre hommes (deux portaient l'uniforme de la police d'État rattachée à la Direction sectorielle des services secrets et de la prévention (DISIP) et deux étaient en tenue civile) qui lui ont demandé des renseignements confidentiels au sujet de son ancien employeur. Ils ont menacé de la tuer et de tuer les membres de sa famille si elle ne leur fournissait pas ces renseignements. Ses ravisseurs lui ont également dit qu'il ne servirait à rien d'alerter la police et qu'elle ne devait pas le faire parce qu'ils étaient des membres de la police. La demanderesse affirme qu'après avoir été relâchée à l'extérieur de la ville, elle a cherché de l'aide et qu'elle a abordé un passant qui l'a emmenée à une clinique.


[4]                Après l'enlèvement, la famille a quitté son domicile et a trouvé refuge tout d'abord chez la belle-soeur de Mme Garcia. Mme Garcia et son mari sont restés deux semaines à cet endroit où ils ont essayé de trouver d'autres endroits où se cacher. Mme Garcia affirme notamment avoir reçu en août un appel téléphonique l'informant qu'elle avait trois jours pour fournir les renseignements demandés, sinon elle devrait verser une somme mensuelle de 1,5 million de bolivares. La famillea fui le Venezuela le 8 septembre.

LA DÉCISION

[5]                La SPR a fait un examen exhaustif de la preuve documentaire sur la situation au Venezuela. S'appuyant sur cet examen, elle a formulé plusieurs observations. La Commission a conclu que, même si des anciens employés de la PDVSA se sont vu refuser le droit de gagner leur vie au Venezuela ou risquaient de subir de graves préjudices, la situation de Mme Garcia ne correspondait pas à cette description.   

[6]                Elle n'exerçait pas des fonctions de gestion au sein de la PDVSA, elle ne remplissait pas de fonctions officielles au sein du syndicat et elle n'était pas membre d'un parti politique. Il est peu vraisemblable que les 3,2 millions de Vénézuéliens qui ont signé la pétition visant à obtenir la destitution du président Chavez aient eu d'aussi grandes difficultés pour décrocher un emploi. La SPR a souligné que la preuve documentaire ne démontrait aucunement l'existence de cas de discrimination aussi répandus.


[7]                La Commission a fait remarquer que le niveau de scolarité de Mme Garcia, sa longue expérience professionnelle, sa participation au mouvement de grève et ses activités syndicales ainsi que la discrétion qu'elle affichait sur le plan politique permettaient de conclure qu'elle serait en mesure de trouver un emploi au Venezuela.

[8]                De même, la Commission a conclu que, exception faite de la mention de quelques incidents survenus aux campements pétroliers, il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve qui appuyaient l'allégation selon laquelle d'anciens employés de la PDVSA étaient la cible d'actes de violence. La SPR a conclu qu'il était peu vraisemblable que de tels incidents soient survenus sans qu'on les ait signalés.

[9]                La Commission a exprimé des réserves quant à la crédibilité de la crainte alléguée de Mme Garcia d'être persécutée par la DISIP. Selon la Commission, les notes prises par l'agent d'immigration dans le cadre d'une entrevue qu'il a eue avec Mme Garcia donnaient à entendre qu'elle craignait les Cercles bolivariens (une organisation civile) et les FARC (un groupe de guérilleros), mais elle n'a pas mentionné la DISIP (la section renseignement de la police nationale). Elle n'a pas non plus mentionné son soi-disant enlèvement, le 22 juillet 2003, par des membres de la DISIP et des FARC. Comme l'enlèvement était un élément important de la demande, la Commission a conclu que l'omission de cet incident lors de l'entrevue remettait en question la crédibilité de la demanderesse.


[10]            La capitale, Caracas, a été considérée comme une possibilité de refuge intérieur (PRI). La SPR a pris note des extorsions, des enlèvements et des assassinats commis par des groupes de guérilleros colombiens, comme les FARC, et de la gravité de ces actes dans les régions situées le long de la frontière du Venezuela et de la Colombie. Elle a cependant fait remarquer qu'aucun rapport ne faisait état d'opérations auxquelles auraient participé les FARC à Caracas et elle a conclu qu'il n'y avait aucune possibilité sérieuse que les FARC pourchassent les demandeurs s'ils devaient s'installer à cet endroit.

[11]            La Commission a reconnu que les enlèvements pour un motif criminel, savoir obtenir une rançon, constituaient un problème grave au Venezuela et que les Vénézuéliens habitant dans les centres urbains, comme Caracas, risquaient d'être victimes de ce genre d'actes criminels. Elle a conclu que, au mieux, les demandeurs s'exposeraient au même risque que toute autre personne vivant à Caracas et ne seraient pas pris personnellement pour cible.

[12]            Enfin, la SPR a tenu compte de l'âge, de l'état de santé, de la longue expérience professionnelle et du niveau de scolarité des demandeurs adultes et a conclu qu'il n'existait aucun obstacle social ou économique sérieux à leur établissement à Caracas.

QUESTIONS EN LITIGE


[13]            Les demandeurs ont soulevé dans les observations écrites plusieurs questions dont un bon nombre n'ont pas été examinées à l'audience. Les plaidoiries ont précisé jusqu'à un certain point les arguments présentés plus tôt. Je suis convaincue qu'on peut résumer de la manière suivante les grandes lignes de l'argumentation des demandeurs. La SPR n'a pas tenu compte d'éléments de preuve importants, ce qui a donné lieu à deux erreurs bien distinctes, savoir une mauvaise interprétation du fondement de la demande et la conclusion voulant qu'une personne ayant le profil de Mme Garcia ne serait pas prise pour cible.

ANALYSE

[14]            Les demandeurs prétendent que la SPR s'est laissée distraire par la question de l'emploi et a examiné les demandes en considérant à tort qu'elles concernaient le licenciement de Mme Garcia par la PDVSA et la déclaration qu'elle ne pouvait obtenir d'emploi au Venezuela. Ils soutiennent plutôt que ce sont l'enlèvement et les menaces découlant du fait qu'elle possédait des renseignements confidentiels qui constituaient le fondement de leurs demandes. Ils invoquent pour appuyer leur argument divers documents et extraits de la preuve dont la Commission n'aurait pas tenu compte.


[15]            Il existe une présomption selon laquelle la SPR a tenu compte de toute la preuve qui lui a été soumise et qu'elle n'est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve qu'elle a reçus : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.). Cette présomption peut toutefois être réfutée et comme l'a dit le juge Evans, alors juge à la Section de première instance telle qu'elle était alors constituée, dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), « plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de la [Commission] est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que la [Commission] a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont [elle] disposait" » .

[16]            Ayant soigneusement examiné la transcription de l'audience ainsi que la documentation contenue dans le dossier du tribunal, je suis convaincue que les demandeurs ont raison. L'exposé circonstancié dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de Mme Garcia comporte six paragraphes. Les trois premiers établissent la chronologie des événements qui fournit le contexte historique. Les paragraphes qui suivent indiquent que c'est à cause de son enlèvement que Mme Garcia craignait pour sa vie et pour celle de ses enfants, et que c'est cet événement qui a persuadé les demandeurs de quitter leur maison.

[17]            D'après les notes prises au point d'entrée, Mme Garcia et sa famille ont été menacées parce qu'elle avait « une foule de renseignements confidentiels - des codes, des clés, des renseignements personnels. Certains groupes voulaient de l'information et je refusais de la fournir. J'ai été constamment menacée à cause de cela. La situation a commencé en juillet 2003 » .

[18]            En réponse aux questions du président de l'audience concernant les efforts qu'elle avait faits en vue d'obtenir un emploi, l'échange suivant a eu lieu :

[traduction]

Q.          Madame, après avoir été licenciée de la PDVSA, avez-vous essayé de trouver un autre emploi au Venezuela?


R.          Oui, j'ai essayé d'obtenir un emploi auprès de différentes entreprises également établies à Sidel Hida (transcription phonétique), mais la nouvelle direction de la PDVSA a envoyé une lettre indiquant qu'on ne devait pas embaucher les anciens employés de la PDVSA.

J'ai vu la lettre et je suis allée dans différentes entreprises, des entreprises de services, qui m'ont montré la lettre que la PDVSA avait fait circuler, j'ai tout simplement arrêté, je ne me suis plus souciée de chercher du travail. Je n'avais pas besoin de travailler. Mon époux continuait - travaillait encore.

En réponse aux questions de l'avocat, Mme Garcia a dit ce qui suit :

[traduction]

Q.          Si, tout à coup, on vous répondait, Oui, Aracelis, vous pouvez revenir et reprendre votre travail, accepteriez-vous?

R.          Non, monsieur, je n'accepterais pas. Je ne suis pas venue ici au Canada parce que j'ai été renvoyée de la PDVSA.

Je ne suis pas ici parce que mes enfants n'avaient plus le droit de fréquenter lcole. Je ne suis pas ici parce que - ou pour obtenir une aide médicale. Je ne suis pas ici pour ces raisons. Je suis ici parce qu'au Venezuela, on essaie de me tuer et de tuer mes enfants.

Je n'ai pas fourni à ces groupes l'information qu'ils m'ont demandée. Je suis sûre que si je retournais au Venezuela, au moment où je mettrais le pied à l'aéroport, n'importe quel aéroport, ils me tueraient. Ils me repéreraient - ils me trouveraient et me tueraient.

Q.          Comment pourraient-ils vous repérer à l'aéroport?

R.          Mon nom, mon identité, le poste que j'occupais à la PDVSA, comme je l'ai mentionné plus tôt, ont été publiés - ont été publiés dans deux journaux régionaux. Ils ont été saisis dans un système informatique. Pour ces groupes, je suis un objectif militaire qui est local.. - qui peut être repéré n'importe où au pays. Si j'entre des données m'identifiant dans le système informatique à l'aéroport, ils pourront me repérer.

Q.          Vous avez déclaré qu'ils vous ont enlevée parce qu'ils voulaient vous soutirer certains renseignements, est-ce exact?

R.          Oui, monsieur

Q.          Vous croyez qu'ils seraient encore intéressés à obtenir ces renseignements?

R.          Oui, je le crois. Ils ont encore besoin de ces renseignements. La PDVSA ne fonctionne plus à la même capacité qu'avant la grève.


Q.          Et lorsque vous B vous avez déclaré que votre mari a travaillé jusqu'en août, c'est cela, n'est-ce pas?

R.          Après le 22 juillet, date de mon enlèvement, mon mari a demandé un congé autorisé à la clinique où il travaillait. Il était chef de service dans cette clinique. Il a dû demander ce congé pour que nous puissions nous déplacer et nous protéger autant que possible avant de prendre une autre décision.

Q.          L'emploi de votre mari était-il très rémunérateur?

R.          Oui, monsieur. Mon mari gagnait beaucoup d'argent.

[19]            La transcription révèle que, malgré sa participation à diverses manifestations, Mme Garcia a décidé, à la suite des événements qui se sont produits lors de la manifestation du 8 juillet, de ne plus prendre part à des manifestations. La transcription indique également que, lorsqu'elle a reçu les premiers appels téléphoniques en juillet, Mme Garcia n'en a pas fait de cas. Elle ne les a pas pris au sérieux. Ce n'est qu'après l'enlèvement qu'elle a commencé à craindre pour sa vie et pour celle des membres de sa famille. La SPR ne semble pas du tout avoir tenu compte de cet élément de preuve. Si elle l'a fait, elle ne le mentionne pas. J'ai donc la nette impression que les demandeurs ont raison quand ils affirment que la Commission a sans doute mal interprété le fondement de la demande.

[20]            La Commission s'est intéressée principalement à la question de savoir si Mme Garcia pouvait obtenir un emploi au Venezuela. Pour les motifs susmentionnés, je conclus que ses efforts à cet égard étaient injustifiés. Cependant, la SPR a également dit, de façon accessoire :


... j'ai examiné ce qu'il en était du profil de la demandeure à la PDVSA avant qu'elle soit congédiée par son employeur et j'ai notamment examiné ce qu'il en était des activités syndicales de la demandeure pendant et après la grève de décembre 2002 [...] j'estime que le profil professionnel, syndical et politique de la demandeure est différent de celui d'anciens employés de la PDVSA qui risqueraient de se voir refuser le droit de gagner leur vie au Venezuela ou de se voir porter gravement préjudice par des membres des Cercles bolivariens ou par les autorités de l'État vénézuélien. (non souligné dans l'original)

[21]            Les demandeurs ne contestent pas les conclusions de la Commission en ce qui a trait aux profils « politique » et « syndical » . Ils affirment que, compte tenu de la preuve, la conclusion formulée à l'égard du « profil d'emploi » ne peut pas être maintenue.

[22]            De nouveau, je renvoie à la transcription et à la documentation contenues dans le dossier du tribunal. En réponse à la question du commissaire, l'échange suivant a eu lieu :

[traduction]

Q.          Madame, d'après votre Formulaire de renseignements personnels, vous avez travaillé comme secrétaire de direction dans le service de la paye de la PDVSA. Quelles étaient vos responsabilités à titre de secrétaire de direction dans ce service?

R.          Secrétaire de direction de la gestion générale du district de Tijuana, Division de l'exploration et de la production, [...] Division Ouest ou Division de l'Ouest, État de Zulia. Jtais le bras droit du directeur général de ce district. Je m'occupais du système de gestion de lquipe de direction. Jtais responsable de la paye, de la gestion budgétaire, des dossiers du personnel et de la paye. Je m'occupais de toutes les clés et mots de passe relatifs aux comptes bancaires affectés à lquipe de direction. Jtais responsable des codes d'accès pour le transfert des fonds à différents comptes après avoir obtenu l'autorisation du directeur.

Le directeur général de ce district avait la responsabilité, il avait pour responsabilité d'assurer une production de 450 000 barils de pétrole

[...]

Cela se montait à 600 milliards ou à 4 milliards de dollars annuellement [...] Ensuite, il approuvait 5 millions [...] quotidiennement.

Q.          Madame, à titre de secrétaire de direction dans le service de la paye, qui était votre supérieur immédiat?

R.          Je relevais du directeur général du district de Tijuana (transcription phonétique), Tijuana.


Q.          Madame, combien de personnes environ travaillaient dans votre service, le service de la paye?

R.          2 000 employés. La direction du district employait 2 000 personnes.

[23]            Le témoignage de Mme Garcia à cet égard est corroboré par un document (dossier du tribunal, p. 177) qui aurait été préparé par la [traduction] « direction générale du district de Tia Juana » et transmis à la [traduction] « direction des ressources humaines de la PDVSA » . Le document confirme que Mme Garcia connaissait les [traduction] « dossiers de tout le personnel de supervision, les codes d'accès, les clés codées de tous les bureaux et y avait accès, et avait également accès aux voitures et aux maisons des gestionnaires sur le site du champ pétrolifère [...] qui relèvent de la direction générale de la division de l'Ouest du Venezuela, S.A. » . Un autre document, en date du 11 septembre 1998, informe Mme Garcia qu'elle a été promue au [traduction] « personnel de gestion, de la catégorie professionnelle et technique de l'entreprise » (dossier du tribunal, p. 189).

[24]            Il m'apparaît que cette preuve indique, à tout le moins, que le rôle de Mme Garcia au sein de la PDVSA allait bien au-delà de celui d'une [traduction] « secrétaire de direction du service de la paye » . La SPR a peut-être simplement écarté cet élément de preuve. Si c'est le cas, elle ne l'a pas dit. Il était certainement loisible à la Commission d'examiner la preuve et de la rejeter - mais, à mon avis, il n'était pas loisible à la SPR d'en faire abstraction. Ses motifs ne disent absolument rien à cet égard. Il ne me revient pas d'émettre des hypothèses quant à ce qu'aurait été sa décision concernant le profil d'emploi de Mme Garcia si elle avait tenu compte de cet élément de preuve.


[25]            Le ministre défendeur, soutient que, nonobstant les erreurs alléguées, étant donné que la SPR avait de sérieuses réserves à l'égard de la crédibilité de Mme Garcia quant à sa crainte et à la crainte de sa famille d'être persécutées par les membres de la DISIP et des FARC, la conclusion relative à la PRI est déterminante. Ce n'est pas mon avis.

[26]            Le défendeur a raison de dire que la SPR a tiré une conclusion défavorable en ce qui concerne la crédibilité. Elle l'a fait en tenant compte d'une contradiction entre les notes prises au point d'entrée et l'information figurant dans le FRP. Plus précisément, elle s'est formalisée du fait que le prétendu enlèvement n'avait pas été mentionné au point d'entrée. Mme Garcia a assuré qu'elle avait communiqué cette information à l'agent d'immigration. Elle a affirmé qu'elle avait été interrogée pendant 30 minutes et que son époux l'avait été pendant 50 minutes. Elle était sûre d'avoir fait mention de l'enlèvement pendant l'entrevue. Elle ignorait pourquoi les notes n'en faisaient pas état. Elle a fait remarquer que l'entrevue s'était déroulée en présence d'un interprète. La Commission a conclu que l'explication était insatisfaisante. La raison invoquée par cette dernière était que l'avocat avait posé une question qui « était de nature tendancieuse et avait été formulée de manière à obtenir la réponse souhaitée » . C'est pourquoi la SPR n'a accordé « aucun poids à ce témoignage de la demanderesse » . Je suis consciente qu'il incombe à la SPR de déterminer le poids à accorder à la preuve et que la Cour n'a pas à intervenir et à substituer son opinion à celle de la SPR à cet égard. Toutefois, dans les présentes circonstances, la position adoptée par la Commission me gêne énormément pour deux motifs. Premièrement, je fais allusion à la question contestée de l'avocat et à la réponse de Mme Garcia.

[traduction]


Q.            Lorsqu'elle vous a expliqué ce qu'elle faisait, l'agente à la frontière à laquelle vous avez parlé de cela a-t-elle dit quelque chose au sujet du fait que, quelle que soit l'information qu'elle consignait à ce moment-là, il se pouvait qu'à l'audience on compare cette information à celle que vous avez inscrite dans votre exposé circonstancié afin de vérifier si des éléments ont été oubliés? A-t-elle dit quelque chose du genre?           

R.             Elle m'a demandé d'expliquer brièvement les problèmes que nous avons eus au Venezuela, que nous aurions l'occasion d'expliquer ces problèmes en détail plus tard avec nos preuves.

[27]     La question n'a pas été suivie de la réponse suggérée par la question. Je suis loin d'être convaincue que, dans ces circonstances, il est permis à la Commission de rejeter une explication en se fondant uniquement sur le fait que la question était de nature tendancieuse. Le deuxième motif est, cependant, plus déterminant. La SPR n'a pas parlé du certificat médical émis par la clinique Nardulli I.C.A. et signé par le docteur Mahatma Pocaterra, psychiatre (dossier du tribunal, p. 230), qui contient ce qui suit :

[traduction]

La présente lettre atteste que la citoyenne Aracelis Coromoto Nava de Velasquez, détentrice de la carte d'identité no 7.664.953, a été évaluée à la clinique, le 22 juillet 2003. La patiente présentait des signes d'anxiété, était agitée de tremblements, pleurait constamment et était en état d'excitation psychométrique, un état qui a été provoqué par l'agression psychologique commise à son endroit par des individus qui l'ont gardée en captivité pendant plusieurs heures.

Un traitement médical est recommandé ainsi qu'une psychothérapie comportementale, du repos et un suivi constant.

Un certificat est émis pour les soins médicaux nécessaires, dans la ville de Ojeda, État de Zulia, le 22 juillet 2003.


[28]            Encore une fois, il n'est aucunement fait référence à cet élément de preuve. Le problème, tel que je le perçois, est que la Commission ne prend pas en considération ce document ou, d'ailleurs, la plupart des documents présentés par les demandeurs qui appuyaient les allégations de persécution dont ils ont été victimes. Je répète qu'il appartient à la Commission de déterminer le poids à accorder à la preuve. Toutefois, à cette fin, elle doit tenir compte de la preuve.

[29]            Il n'y a aucun doute que les motifs de la Commission constituent un exposé magistral du contenu de la preuve documentaire. La SPR n'a toutefois pas examiné celle-ci par rapport à la demande présentée par les demandeurs. En outre, étant donné les lacunes que j'ai relevées, je ne peux pas accepter sa décision quant à l'existence d'une PRI. Les problèmes observés, en ce qui concerne le bien-fondé de la crainte des demandeurs d'être persécutés, ont une incidence sur la question de l'existence d'une PRI à Caracas. Voir Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Sharbdeen (1994), 167 N.R. 158 (C.A.F.), paragraphe 5.

[30]            Les demandeurs affirment avoir été persécutés par des membres des FARC et de la DISIP. Cette dernière exerce ses activités partout au Venezuela. La décision de la Commission à l'égard de la persécution dont auraient été victimes les demandeurs dans l'État de Zulia est viciée pour les motifs indiqués. Par conséquent, étant donné les opérations menées à l'échelle du pays par la DISIP, on ne peut pas, à ce stade-ci, établir s'il est raisonnable que les demandeurs se réfugient à Caracas.

[31]            L'avocat n'a pas suggéré de question à certifier et aucune question n'est soulevée dans la présente affaire, qui dépend de ses faits particuliers.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

      « Carolyn Layden-Stevenson »      

               Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-8970-04

INTITULÉ :                                                     JORGE ERNESTO VELASQUEZ CRESPO,

ARACELIS COROMOTO NAVA GARCIA,

JORGE DANIEL VELASQUEZ NAVA et

DANIEL EDUARDO VELASQUEZ NAVA

                                                                                                                                     demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 9 MAI 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 MAI 2005

COMPARUTIONS:

Waikwa Wanyoike

(mandataire de Ryan Persad)                                  POUR LES DEMANDEURS

A. Leena Jaakkimainen                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Persad, Patel LLP

Toronto (Ontario)                                            POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                         POUR LE DÉFENDEUR

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