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Date : 20050922

Dossier : T-1049-95

Référence : 2005 CF 1301

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

TREVOR NICHOLAS CONSTRUCTION CO. LIMITED

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE REPRÉSENTÉE PAR LE

MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Le présent litige a commencé comme un différend contractuel concernant des contrats de dragage. Dans une ordonnance datée du 3 mai 2000, le juge en chef adjoint Lufty (maintenant juge en chef) a statué qu'un règlement intervenu le 24 février 2000 dans une affaire connexe portant le numéro de dossier T-926-93 (le règlement de 2000) était sans conséquence sur les questions en litige.

[2]         Dans une ordonnance datée du 16 mai 2001, le juge MacKay a ordonné que l'affaire soit renvoyée à procès pour qu'il soit statué uniquement sur la question de l'équité du processus d'appel d'offres utilisé par la défenderesse.

[3]         Au cours de procédures interlocutoires ultérieures, la demanderesse a tenté d'invoquer le règlement de 2000, mais la protonotaire Mylczinski a rendu une décision défavorable à la demanderesse le 19 décembre 2003. La décision de la protonotaire a été confirmée en appel par le juge Gibson le 16 février 2004, et cette dernière décision a été confirmée à son tour par la Cour d'appel fédérale le 21 octobre 2004.

[4]         Le 5 janvier 2005, la défenderesse a déposé une requête en jugement sommaire.

[5]         Le 3 février 2005, le juge Hugessen a ordonné, en sa qualité de juge responsable de la gestion de l'instance, que les affidavits soient signifiés au plus tard le 15 avril 2005, que les contre-interrogatoires soient terminés au plus tard le 24 mai 2005 et que la requête soit entendue le 24 août 2005.

[6]         À la suite de l'ordonnance du juge Hugessen, la défenderesse a déposé l'affidavit de John Susin, souscrit le 13 avril 2005, dans lequel le règlement de 2000 était de nouveau mentionné.

[7]         La tenue des contre-interrogatoires a donné lieu à des problèmes d'horaire et la défenderesse a demandé une conférence de gestion de l'instance.

[8]         La demanderesse a alors demandé au protonotaire Lafrenière de radier les paragraphes 12, 33 et 34 de l'affidavit qui faisaient état du règlement de 2000.

[9]         En réponse, la demanderesse a déposé un certificat de non-comparution de Joseph Grossi et a présenté une requête en vue d'obtenir la radiation de la défense de la défenderesse ou, subsidiairement, la radiation de l'affidavit et de la requête en jugement sommaire de la défenderesse.

[10]       Le 18 juillet 2005, le protonotaire Lafrenière a entendu ces deux requêtes en même temps et :

a)          il a radié assignation à comparaître ainsi que le certificat de non-comparution de Joseph Grossi;

b)          il a radié les paragraphes 12, 33 et 34 de l'affidavit de John Susin;

c)          il a ordonné aux parties de s'entendre sur un échéancier pour la tenue contre-interrogatoires;

d)          il a condamné la défenderesse aux dépens.

[11]       La demanderesse interjette appel de cette décision. Il est bien établi que les règles de droit applicables aux appels des décisions des protonotaires ont été énoncées dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 C.F. 425, et reformulées dans Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459 :

on ne doit pas toucher à l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire à moins

a) qu'elle ne porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal ou

b) qu'elle ne soit manifestement erronée parce qu'elle est fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.

Si l'un ou l'autre de ces critères est présent, le tribunal qui siège en révision exercera son pouvoir discrétionnaire de novo.

[12]       En l'espèce, il n'y a pas de questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Par conséquent, il s'agit uniquement de déterminer si la décision est manifestement erronée parce qu'elle est fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.

[13]       La demanderesse soutient que le protonotaire Lafrenière :

i)           a commis une erreur en décidant que les modalités du règlement de 2000 étaient protégées par le secret professionnel;

ii)          a commis une erreur en n'examinant pas le préjudice causé à la demanderesse;

iii)          n'était pas habilité à radier l'assignation à comparaître ainsi que le certificat de non-comparution concernant Joseph Grossi, étant donné que ce redressement n'avait pas été demandé.

[14]       Au soutien de son premier argument, la demanderesse invoque Bauer Nike Hockey Inc. c. Tour Hockey, 2003 CFPI 451. Toutefois, cette décision permet simplement d'affirmer que, lorsque l'existence d'un règlement est contestée, la Cour doit avoir accès aux documents afin de régler le litige. En l'espèce, il n'y a aucun doute qu'un règlement a été obtenu et signé par les deux parties. Le juge O'Keefe a dit dans son ordonnance antérieure dans Trevor Nicholas Construction Co c. Canada (Ministre des Travaux publics), [2003] A.C.F. no 357, au paragraphe 17 :

Le juge Lutfy (tel était alors son titre) s'est déjà prononcé sur la question des « conditions de la divulgation » ou du règlement d'une autre action entre les mêmes parties. Le 3 mai 2001, il a ordonné ce qui suit :


[traduction]

1. Le paragraphe 7 de la réponse de la demanderesse, présentée le 23 avril 2001, est radié.

2. La pièce 2 de l'interrogatoire de Joseph Grossi est radiée.

Le paragraphe 7 de la réponse de la demanderesse fait référence au règlement de l'autre action et la pièce 2 constitue le procès-verbal de ce règlement. D'abord, je ne vois pas à quel endroit le protonotaire Lafrenière a fait référence au procès-verbal de ce règlement. Toutefois, le juge Lutfy a déjà tranché la question du procès-verbal du règlement. J'ajouterais que John Sopinka, Sidney M. Lederman et Alan W. Bryant indiquent à la page 817 de The Law of Evidence in Canada, 2d ed. (Toronto et Vancouver : Butterworths, 1999) :

[traduction] Toutefois, il vaut mieux considérer que le privilège ne s'applique pas qu'aux négociations qui ont échoué, mais également au contenu des négociations qui ont mené à une entente, pour autant que l'existence ou l'interprétation de l'entente même ne soit pas en cause dans l'instance ultérieure et qu'aucune des exceptions ne s'applique. La raison d'être d'un tel privilège appuie cette position. Si les parties à des négociations en vue d'une entente estimaient que leurs déclarations pouvaient être utilisées par des tiers dans le cadre de procédures ultérieures, qu'elles en arrivent ou non à un règlement, elles pourraient être moins franches au cours de ces discussions.

Par conséquent, la question du procès-verbal a été tranchée par la Cour.

[15]       Je pourrais ajouter que John Sopinka, Sidney M. Lederman et Alan W. Bryant indiquent à la page 817 de leur ouvrage intitulé The Law of Evidence in Canada, 2d ed. (Toronto et Vancouver : Butterworths, 1999) :

[traduction] Toutefois, il vaut mieux considérer que le privilège ne s'applique pas qu'aux négociations qui ont échouées, mais également au contenu des négociations qui ont menées à une entente, pour autant que l'existence ou l'interprétation de l'entente même ne soit pas en cause dans l'instance ultérieure et qu'aucune des exceptions ne s'applique. La raison d'être d'un tel privilège appuie cette position. Si les parties à des négociations en vue d'une entente estimaient que leurs déclarations pouvaient être utilisées par des tiers dans le cadre de procédures ultérieures, qu'elles en arrivent ou non à un règlement, elles pourraient être moins franches au cours de ces discussions.

[16]       En ce qui concerne son deuxième argument, la demanderesse renvoie à la décision Bande de Sawbridge c. Canada, [2000] A.C.F. no 192, où le juge Hugessen a dit au paragraphe 6 :

Selon moi, dans une procédure moderne saine, les irrégularités dans les actes de procédure ne doivent pas faire l'objet d'une requête et ne doivent pas commander que la Cour prononce des ordonnances radiant ou corrigeant de telles irrégularités à moins que la partie qui soulève l'irrégularité puisse démontrer qu'elle lui cause un préjudice quelconque.

[17]       En l'espèce, la pertinence du règlement de 2000 a fait l'objet de pas moins de six décisions judiciaires. Pourtant, la demanderesse a tenté de soulever encore une fois cette question dans l'affidavit de John Susin. Le protonotaire Lafrenière a conclu que cette manoeuvre était incorrecte, abusive et non pertinente. Il a de toute évidence considéré que le fait de soulever de nouveau cette question portait préjudice à la défenderesse. Je suis entièrement d'accord avec cette conclusion et je suis tout à fait convaincu que la demanderesse doit être empêchée de soulever encore une fois cette question.

[18]       Enfin, la demanderesse soutient que la défenderesse n'a jamais demandé la radiation de l'assignation à comparaître et du certificat de non-comparution de Joseph Grossi. En l'absence d'une requête à cet effet, le protonotaire Lafrenière a commis une erreur en rendant une ordonnance de radiation.

[19]       Le protonotaire Lafrenière était chargé de la gestion de l'instance en ce qui concerne cette question. Il avait été saisi de deux requêtes contradictoires. Il devait comprendre l'affaire, concilier les résultats des requêtes et mettre en oeuvre, dans toute la mesure du possible en tenant compte des circonstances, l'ordonnance établissant l'échéancier qu'a rendue le juge Hugessen le 3 février 2005. Ce faisant, il a appliqué les articles 385 et 53 des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106. En vertu de l'effet combiné de ces deux articles, le protonotaire avait toute l'autorité nécessaire pour rendre l'ordonnance. Je me rapport plus particulièrement à l'alinéa 385(1)a) des Règles qui habilite le protonotaire à « donner toute directive nécessaire pour permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » . La Cour limiterait inutilement la marge de manoeuvre du protonotaire en statuant qu'il ne peut accorder que les redressements qui lui sont expressément demandés. Dans les circonstances, le protonotaire a agi d'une manière raisonnable et conforme aux pouvoirs qui lui sont conférés par ces dispositions.

[20]       Par conséquent, je conclus que la demanderesse ne satisfait pas au critère énoncé dans Canada c. Aqua-Gem Investment Ltd, précitée, et la présente demande ne peut donc pas être accueillie.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Le présent appel est rejeté avec dépens en faveur de la défenderesse.

2.          Il est interdit à la demanderesse d'invoquer dans toute procédure à venir, sans l'autorisation préalable de la Cour, les modalités du règlement conclu dans le dossier T-926-93.

« Konrad W. von Finckenstein »

_________________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1049-95

INTITULÉ :                                       TREVOR NICHOLAS CONSTRUCTION CO. LIMITED

et

SA MAJESTÉ LA REINE REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

LIEU DE L=AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L=AUDIENCE :              LE 12 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L=ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                       LE 21 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

John Susin                                             POUR LA DEMANDERESSE

Dena Varah                                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John Susin                                             POUR LA DEMANDERESSE

Niagara Falls (Ontario)

Dena Varah                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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