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Date : 20050112

Dossier : IMM-2093-04

Référence : 2005 CF 27

                       

ENTRE :

                                                      ESTIFANOS HAGOS TEKIE

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

Aperçu

[1]                Dans la décision qu'elle a rendue à l'issue d'un examen des risques avant renvoi (ERAR) visant un citoyen de l'Érythrée âgé de 62 ans, l'agente a tiré trois conclusions clés : 1) que la conscription, y compris la conscription d'enfants, en Érythrée a pris fin en 2000; 2) que certaines des lettres qui ont été soumises n'avaient pas de valeur probante dans la mesure où elles corroboraient le récit du demandeur mais qu'elles étaient dignes de foi dans la mesure où elles réfutaient la position du demandeur; 3) que le demandeur n'avait pas droit à une audience en vertu de l'article 167 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés.


Les faits

[2]                Le demandeur, qui est originaire de l'Érythrée, a vécu presque toute sa vie en Éthiopie. Il a été expulsé de l'Éthiopie en Érythrée après que les combats ont éclaté en 1998. La demande d'asile présentée par le demandeur a été rejetée avant l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Après avoir épuisé les divers recours à sa disposition, le demandeur a fait l'objet d'un ERAR qui a débouché sur une décision défavorable.

[3]                L'agente a affirmé qu'elle n'allait pas examiner les conclusions antérieures mais qu'elle allait toutefois prendre en considération les nouveaux éléments de preuve concernant les risques soumis par le demandeur. Ces éléments de preuve ne comprenaient pas deux (2) lettres écrites en 2002. La première lettre était un échange entre deux enfants du demandeur, et son auteur mentionnait que la famille qui se trouvait en Érythrée allait bien, mais que le gouvernement procédait à l'enrôlement de gens dans l'armée. La deuxième lettre émanait d'un expéditeur inconnu, mais était adressée au _ père _. Son auteur écrivait que les autorités gouvernementales entraient de force dans les maisons (y compris la leur) et enrôlaient les jeunes filles et les jeunes garçons tous les jours.


[4]                Dans son analyse de la preuve reproduite sous la rubrique [traduction] _ questions relatives à l'article 96 de la LIPR _, l'agente a rejeté la première lettre pour le motif qu'elle était incompatible avec la preuve documentaire selon laquelle l'enrôlement forcé avait cessé d'être pratiqué en 2000. Elle lui a donc accordé peu d'importance. L'agente a accordé peu de poids à la deuxième lettre parce qu'elle émanait d'une source inconnue et était incompatible avec la preuve documentaire.

[5]                Malgré le fait qu'elle ait rejeté la première lettre dans son analyse de l'article 96 de la LIPR, l'agente s'est appuyée, dans son analyse de l'article 97 de la LIPR, sur les même lettres et sur le commentaire selon lequel [traduction] _ la famille va bien _ pour rejeter l'allégation du demandeur voulant qu'il craigne d'être exposé à un risque et ait besoin de protection.

Analyse

[6]                La norme de contrôle applicable aux conclusions touchant la crédibilité, qui est au coeur de la décision relative à l'ERAR en cause, est la norme de la décision manifestement déraisonnable. En ce qui concerne les conclusions ayant trait à des faits particuliers, l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales établit la norme de la _ conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose _.

[7]                La question de la conscription est d'une grande pertinence pour le demandeur, non pas parce qu'un homme âgé de 62 ans pourrait être enrôlé, mais parce qu'il existe des éléments de preuve selon lesquels les parents d'enfants qui se soustraient à la conscription peuvent être victimes de violence et de mauvais traitements.


[8]                Selon deux rapports établis par Amnistie Internationale concernant la situation en 2002, la conscription a continué en 2002; un des rapports fait état des risques physiques auxquels sont exposés les parents des conscrits réfractaires. La Cour n'a relevé aucun élément de preuve documentaire contradictoire pouvant mettre en doute ces rapports, et aucun élément de ce genre n'a été porté à son attention.

[9]                Bien qu'il soit loisible à la Cour de préférer certains éléments de preuve à d'autres, il n'y a pas de preuve contradictoire sur ce point.

[10]            Les deux lettres présentées à titre de nouvelle preuve ne sont pas incompatibles avec les rapports d'Amnistie Internationale - elles sont tout à fait compatibles avec cette preuve. L'agente ne leur a accordé que peu ou pas d'importance pour le motif qu'elles n'étaient pas compatibles avec la preuve documentaire sans préciser quelle preuve documentaire elle avait à l'esprit.

[11]            Dans les circonstances, il est également manifestement déraisonnable et abusif d'accorder aux lettres en cause une importance minime ou nulle lorsqu'il s'agit de corroborer l'allégation du demandeur selon laquelle il est exposé à un risque, pour ensuite invoquer un passage isolé d'une des lettres afin de mettre en doute l'existence du risque en question. Soit les lettres n'ont aucune valeur probante et doivent être écartées, soit elles sont pertinentes et doivent être considérées comme faisant foi de leur teneur à tous les égards.


[12]            Le demandeur a demandé la tenue d'une audience conformément aux facteurs énumérés à l'article 167 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui édicte :


167. Pour l'application de l'alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d'une audience est requise :

a) l'existence d'éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l'importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu'ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.


167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.


[13]            Le défendeur fait valoir que la tenue d'une audience n'est pas requise parce que les nouveaux éléments de preuve n'ont pas débouché, et ne déboucheraient donc pas, sur une décision favorable à l'issue de l'ERAR.

[14]            En toute déférence, je suis d'avis qu'il s'agit là d'une conclusion de droit erronée. L'interprétation proposée par le défendeur présuppose la faculté de connaître à l'avance le résultat de l'ERAR.

[15]            L'article 167 est gauchement libellé. En lisant l'alinéa a), on a l'impression qu'il traite de la preuve remettant en question la présomption relative à la crédibilité du demandeur. Cependant, selon l'alinéa c), il s'agirait de la preuve qui est favorable à un demandeur.


[16]            Je suis d'avis que l'article 167 devient opérant lorsque la crédibilité est remise en question d'une façon qui peut donner lieu à une décision défavorable à l'issue de l'ERAR. Il a pour objet de permettre à un demandeur de répondre aux réserves formulées au sujet de sa crédibilité.

[17]            Le dossier de la présente affaire révèle que l'agente avait des réserves quant à la crédibilité du demandeur. Même si c'est la _ crainte objective _ qui constitue le principal fondement de la décision, si les affirmations du demandeur avaient été acceptées, le résultat de l'ERAR lui aurait été favorable. Le fait que la décision relative à l'ERAR soit, au bout du compte, fondée sur un facteur autre que la crédibilité du demandeur ne porte pas atteinte au droit de celui-ci à une audience.

[18]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l'affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

                                                                                                                           _ Michael L. Phelan _       

                                                                                                                                                     Juge                  

Calgary (Alberta)

Le 12 janvier 2005

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-2093-04

INTITULÉ :                                           ESTIFANOS HAGOS TEKIE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                     CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 11 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                          LE 12 JANVIER 2005

COMPARUTIONS:

D. Jean Munn                                           POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Caron & associés s.r.l.                              POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

John H. Sims, c.r.                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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