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Date : 20010518

Dossier : IMM-3363-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 MAI 2001

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE W. P. McKEOWN

ENTRE :

ATTILA CSABA VARGA et GABOR BUSI

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                              ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                          « W.P. McKeown »

                                                                                                                                                  JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010518

Dossier : IMM-3363-00

Référence neutre : 2001 CFPI 508

ENTRE :

ATTILA CSABA VARGA et GABOR BUSI

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision du 3 mai 2000 de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission avait jugé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]                 Les questions sont les suivantes :


          1)         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse cohérente de la question de savoir si le traitement subi par les demandeurs constituait une discrimination ou une persécution et en ne définissant pas ce qu'est la persécution par opposition à la discrimination?

         

           2)         La Commission a-t-elle commis une erreur en méconnaissant ou en interprétant mal la preuve pour savoir si une protection d'État était offerte aux demandeurs?

[3]                 Les demandeurs, tous deux citoyens hongrois, fondent leurs revendications sur leur appartenance à un groupe social, celui qui est caractérisé par l'orientation sexuelle. La Commission a jugé que les demandeurs étaient crédibles. Elle a jugé que les demandeurs avaient subi une discrimination sociétale qui ne pouvait être considérée comme une persécution. La Commission a examiné plusieurs incidents et agressions subis par les demandeurs. Elle n'a pas fait mention de deux menaces à leurs vies. Elle n'a pas non plus tenté de comparer les incidents ni de savoir s'ils répondaient à la définition de « persécution » donnée dans l'arrêt Rajudeen c. Canada (M.E.I.), [1984] A.C.J. no 601 (C.A.), dans lequel le juge Heald reproduisait les définitions de ce mot apparaissant dans le Living Webster Encyclopedic Dictionary et le Shorter Oxford English Dictionary. Le juge Heald s'est exprimé ainsi, à la page 6 :


D'après la preuve soumise en l'espèce, il ne fait pas de doute, selon moi, que le requérant a été persécuté pendant longtemps au Sri Lanka, aussi bien pour ses croyances religieuses que pour sa race. La présente Cour, ainsi que la Cour suprême du Canada, a indiqué dans un certain nombre d'arrêts quelles étaient les composantes subjective et objective nécessaires pour satisfaire à la définition de réfugié au sens de la Convention. L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée. D'après le dossier en l'espèce, la preuve ne permet qu'une seule conclusion, c'est-à-dire que le requérant craint d'être persécuté et que cette crainte est manifestement fondée.

[4]                 La Commission aurait dû analyser la preuve à la lumière de la définition du mot « persécution » , et en particulier se demander si un châtiment avait été au cours d'une période infligé d'une manière persistante et systématique. Cependant, la Commission n'a pas fondé sa décision sur la persécution, mais plutôt sur le fait que les demandeurs pouvaient se prévaloir d'une protection d'État. Par conséquent, l'erreur commise par la Commission lorsqu'elle s'est demandé s'il y avait persécution n'est pas une erreur sujette à révision puisque la protection d'État n'a de pertinence que dans les cas où les demandeurs ont été persécutés. La Commission a donc conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[5]                 La Commission s'est exprimée ainsi, à la page 6 de sa décision :

... il existait des mécanismes de recours à qui les deux revendicateurs auraient pu s'adresser pour demander de l'aide.

À la page 7 de sa décision, la Commission a alors conclu ainsi :

Plus important encore, après avoir revu la présente affaire, le tribunal observe que l'État en tant que tel n'a pas été complice en ce qui a trait aux actes de discrimination dont ont été victimes les revendicateurs. Aucun élément de preuve convaincant n'a été présenté au tribunal qui montrent que le gouvernement de la Hongrie est incapable ou refuse de leur offrir la protection dont ils ont besoin. Les revendicateurs n'ont pas été en mesure de contrer la présomption que la protection de l'État est offerte aux homosexuels en Hongrie.

La section du statut de réfugié détermine que les revendicateurs n'ont pas demandé la protection de l'État dans leur pays d'origine afin de s'attaquer aux problèmes discriminatoires dont ils prétendent avoir été victimes en Hongrie.


[6]                 La preuve relative aux mécanismes de recours n'est pas très forte. Le témoin qui avait déposé au nom des demandeurs avait dit qu'il existait des organismes auprès desquels les demandeurs auraient pu demander une aide. Cependant, il a déclaré ensuite qu'il n'existait aucun organisme gouvernemental auquel les demandeurs auraient pu s'adresser pour obtenir protection. La Commission s'est référée à la pièce R-2, qui mentionnait trois organismes en Hongrie (l'Association arc-en-ciel pour les droits des homosexuels, l'Association des amis Lambda de Budapest et l'Association Homerosz) qui avaient déposé une requête conjointe à la Cour constitutionnelle pour faire déclarer inconstitutionnelle la discrimination injustifiée envers les homosexuels dont faisait état le Code pénal hongrois.

[7]                 Les demandeurs affirment que, à leur connaissance, il n'existait aucun organisme auquel ils pouvaient s'adresser, mais ils ne semblaient pas avoir examiné la question. La décision de la Commission mentionnait aussi l'organisation Habeas Corpus, qui offre une aide juridique à diverses personnes, notamment aux homosexuels.


[8]                 Les demandeurs invoquent deux incidents qui, affirme leur avocat, montrent qu'ils n'avaient pas accès à une protection d'État. Dans le premier incident, qui n'est pas mentionné par la Commission, les demandeurs sont allés voir la police pour se plaindre des corrections et des menaces qu'ils avaient subies. La police leur aurait répondu qu'elle ne pouvait pas les surveiller en permanence. On peut comprendre que la Commission n'ait pas examiné cet incident dans ses motifs, puisque les gens qui vivent au Canada ne sont pas eux non plus protégés en permanence par un « garde du corps » .

[9]                 Le deuxième incident est mentionné par la Commission dans son examen des faits. Les demandeurs avaient arrêté une voiture de police qui passait après avoir subi quelques instants auparavant une attaque brutale aux mains de cinq ou six hommes. La police s'est moquée d'eux, leur a dit qu'ils avaient « eu ce qu'ils méritaient » et avait continué son chemin.

[10]            La Commission a examiné les modifications législatives apportées par la Hongrie afin d'éviter la discrimination envers les homosexuels, et elle a également analysé la déposition du témoin des demandeurs selon laquelle ces changements n'étaient « que pure façade » .

[11]            L'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (CSC) énonce le critère à remplir pour démontrer l'absence d'une protection d'État. Le juge La Forest a décrit une situation où l'État n'a pas reconnu qu'il ne protège pas ses ressortissants. Puis il s'est exprimé ainsi, à la page 69 :


Toutefois, en l'absence de pareils aveux, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

[12]            Les demandeurs affirment que leur témoignage concernant l'absence d'une aide de la police répond à la règle ci-dessus. À mon avis, un seul incident de cette nature ne prouve pas d'une manière claire et convaincante qu'il y a absence de protection de l'État. Le juge Rothstein a examiné la norme de preuve dans l'affaire Xue c. Canada (M.C.I.) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 301 (C.F. 1re inst.) aux paragraphes 5 à 12. Dans cette affaire, la Commission s'était exprimée ainsi :

En d'autres termes, pour conclure que l'État ne pouvait protéger le demandeur, je dois être convaincu et non seulement persuadé au vu de la prépondérance des probabilités.

Le juge Rothstein tire la conclusion suivante, au paragraphe 12 :

Compte tenu du point de vue exprimé par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Oakes, savoir que dans certaines circonstances il faut un degré plus élevé de probabilité, ainsi que de la règle énoncée dans l'arrêt Ward, qu'il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection, je suis d'avis qu'on ne peut dire que la Commission a commis une erreur en déterminant la norme de preuve applicable en l'instance.

...

Bien que la Commission ne renvoie aucunement aux arrêts Oakes et Bater, et même si elle aurait pu être plus précise et indiquer qu'elle devait être convaincue selon la prépondérance des probabilités, il semble clair que ce qu'elle a voulu faire c'est imposer au demandeur, aux fins de réfuter la présomption de la protection de l'État, le fardeau d'un plus grand degré de probabilité aligné sur l'exigence de clarté et de conviction énoncée dans l'arrêt Ward. Ce faisant, je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur.


Je ne partage pas la proposition des demandeurs selon laquelle la Commission a méconnu ou mal interprété la preuve se rapportant à l'absence d'intérêt de la police, et il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion eu égard au dossier dont elle disposait. Les demandeurs n'ont pas apporté un fondement clair et convaincant à l'appui de leur affirmation selon laquelle la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a jugé que les demandeurs pouvaient se prévaloir d'une protection d'État.

[13]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                  « W. P. McKeown »

                                                                                                           JUGE

Ottawa (Ontario)

le 18 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-3363-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Attila Csaba Varga et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 8 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. le juge McKeown

EN DATE DU                                       18 mai 2001

ONT COMPARU :

Ronald Poulton                                                                  pour les demandeurs

Représentant de Mme Lisa R.G. Winter-Card

Greg G. George                                                                              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lisa R.G. Winter-Card

North York (Ontario)                                                                     pour les demandeurs

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                               pour le défendeur

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