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Date : 20060509

Dossier : IMM-1548-05

Référence : 2006 CF 582

Toronto (Ontario), le 9 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

ABBEY OKANLAWON BENJAMIN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, Abbey Okanlawon Benjamin, est arrivé au Canada en décembre 1999 et a déposé une demande d’asile à son arrivée. Cette demande a été rejetée le 18 juillet 2001.

 

[2]               Le demandeur a fait la connaissance de son épouse actuelle, Teresa Michelle Benjamin, en avril 2001. Ils se sont mariés le 2 septembre 2001. Le demandeur a alors déposé une demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire et revendiquant une exemption (demande CH) des exigences prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), pour qu’il puisse rester au Canada pendant le traitement de sa demande de résidence permanente.

 

[3]               Le 17 février 2005, sa demande a été rejetée et le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

 

I. La norme de contrôle

[4]               La décision rendue relativement à une demande CH présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi est une décision discrétionnaire. Il ressort clairement de la jurisprudence que la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter (Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 28 Imm. L.R. (3d) 24, 2003 CFPI 436; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358, 2002 CAF 125).

 

II. La question en litige

[5]               L’agent d’immigration (l’agent) a-t-il commis une erreur susceptible de révision lorsqu’il a rejeté la demande CH?

 

III. Arguments et analyse

[6]               Le demandeur présente essentiellement trois arguments :

a) l’agent avait déjà formé son opinion au sujet de la demande;

b) l’agent a omis d’effectuer une évaluation des risques en fonction d’une nouvelle preuve;

c) l’agent a omis de tenir compte de l’intérêt supérieur des deux belles-filles du demandeur.

 

[7]               À mon avis, aucun de ces arguments ne peut être retenu, pour les motifs suivants.

 

[8]               Le demandeur allègue que l’agent n’a pas tenu compte de son degré d’établissement au Canada. Dans son mémoire, il déclare :

[TRADUCTION]

16.       En ce qui a trait à l’évaluation du degré d’établissement d’un demandeur, l’article 11.2 du chapitre IP 5 prévoit que « [l]e degré d’établissement du demandeur au Canada peut supposer certaines questions, par exemple : 1) Le demandeur a-t-il des antécédents d’emploi stable? 2) Y a-t-il une constante de saine gestion financière? 3) Le demandeur s’est-il intégré à la collectivité par une participation aux organisations communautaires, le bénévolat ou d’autres activités? 4) Le demandeur a-t-il amorcé des études professionnelles, linguistiques ou autres pour témoigner de son intégration à la société canadienne? 5) le demandeur et les membres de sa famille ont-ils un bon dossier civil au Canada (p. ex. aucune intervention de la police ou d’autres autorités pour abus de conjoint ou d’enfants, condamnation criminelle)? »

 

17.       Il est allégué qu’un examen attentif des notes de l’agent et de la demande du demandeur montre clairement qu’il est possible de répondre par l’affirmative à la plupart de ces questions, dans le cas du demandeur. Il est difficile de voir pourquoi l’agent a utilisé le niveau d’intégration du demandeur et d’autres contributions et réalisations positives pour conclure que le demandeur pouvait facilement se réintégrer dans la société nigériane plutôt que d’appliquer ces mêmes critères à son établissement au Canada.

 

[9]               Pourtant, l’agent a noté :

[TRADUCTION]

Le demandeur a un degré d’établissement normal pour une personne qui habite et travaille au Canada depuis six ans. On s’attend à ce que les demandeurs d’asile se trouvent un travail et subviennent à leurs besoins en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de leur demande. Pour prendre une décision au sujet d’une demande CH, il faut examiner le facteur du degré d’établissement conjointement avec d’autres facteurs.

 

Dossier du demandeur, page 9; motifs, page 2

 

[10]           Bien qu’une évaluation plus détaillée eût été plus appropriée, je ne relève rien de déraisonnable dans les motifs de l’agent. La Cour doit respecter la caractérisation du processus des demandes CH décrit dans l’affaire Nazim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 159, 2005 CF 125, au paragraphe 15 :

La possibilité de présenter une demande fondée sur des considérations humanitaires a pour but de prévoir un recours en cas de difficultés inhabituelles, injustes ou excessives. Il ne s'agit pas de savoir si le demandeur apporterait ou apporte vraiment une contribution positive à la collectivité canadienne. En examinant s'il existe des considérations humanitaires, les agents d'immigration doivent déterminer s'il existe une situation particulière dans le pays d'origine de la personne et si un renvoi peut causer des difficultés indues. C'est au demandeur qu'il appartient de prouver à l'agent qu'il existe une situation particulière dans son pays et que sa situation personnelle eu égard à cette situation particulière justifie l'exercice favorable de son pouvoir discrétionnaire.

 

 

[11]           Le demandeur allègue aussi que l’agent n’a pas effectué une évaluation convenable des risques parce qu’il n’a pas tenu compte de la situation actuelle en Afrique, que la mère du demandeur a décrite dans une lettre.

 

[12]           Pourtant, une lecture attentive de l’évaluation des risques montre que l’agent a tenu compte de la menace décrite dans la lettre de la mère du demandeur. C’est suffisant. Comme la Cour l’a déclaré dans l’affaire Rodriguez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 664, 2001 CFPI  414, au paragraphe 16 :

 

L'agente d'immigration n'est pas tenue d'effectuer sa propre évaluation des risques lorsqu'elle examine une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, car il ne s'agit pas là d'une demande de statut de réfugié. Il suffit qu'elle ait examiné la revendication du demandeur sur cet aspect pour arriver à sa décision.

 

[13]           Finalement, le demandeur soutient que l’agent n’a pas suffisamment accordé d’attention à  la question de ses deux belles-filles, qui sont à sa charge. La question des enfants dans le cadre d’une demande CH a été bien résumée dans la décision Dias Fonseca c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 709, au paragraphe 17 :

Dans l'arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), la Cour d'appel a clairement indiqué que l'intérêt supérieur des enfants constitue un facteur important, quoique non déterminant, dans le cas d'une décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Dans l'arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.), la Cour d'appel a également confirmé que, dans l'examen d'une telle demande, il convient d'apprécier avec soin et compassion l'intérêt supérieur de l'enfant, et qu'il ne suffit pas de simplement mentionner cet intérêt ou la relation avec les enfants concernés. Par la décision qu'elle a rendue dans l'arrêt Owusu [c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 2 F.C.R. 635 (C.A.)], précité, la Cour d'appel a reconnu que, dans l'examen d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, l'agent concerné doit être réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur des enfants lorsqu'il est clair que le demandeur se fonde sur ce facteur. Il incombe au demandeur d'établir qu'il se fonde sur ce facteur et que l'intérêt des enfants en souffrirait si la décision ne lui était pas favorable.

 

[14]           En l’espèce, l’agent a déclaré :

[TRADUCTION]

J’ai tenu compte du mariage du demandeur à une citoyenne canadienne. Le demandeur peut profiter de la procédure de parrainage à l’étranger (catégorie du regroupement familial) et c’est à lui de s’en prévaloir. Il est bien connu que de nombreuses personnes se déplacent non seulement vers d’autres villages, mais aussi vers d’autres pays et qu’elles doivent débourser de grosses sommes en vue de faciliter leur immigration. Le ministère est conscient des inconvénients que ceci peut causer, et il n’en est pas moins vrai que, dans la mesure du  possible, le traitement des demandes est facilité par une évaluation du dossier et l’utilisation de la poste.  Il est possible qu’une demande soit traitée sans que le demandeur n’ait à se présenter devant un agent des visas. De plus, les cas courants d’immigration (parrainage entre époux) sont traités en l’espace de six à neuf mois.

 

Le demandeur soutient que pendant son absence du Canada, son épouse se retrouvera sans soutien financier et il est possible qu’elle ait à se tourner vers l’aide sociale. Les observations permettent de noter que l’épouse du demandeur n’a pas travaillé de façon constante depuis de nombreuses années. Cependant, il faut aussi noter qu’elle s’est trouvé un emploi en février 2003 comme « empaqueteuse de fruits ». Je déduis donc de cette observation que l’épouse du demandeur est en mesure de se trouver un emploi. Je souhaite aussi ajouter que, si elle choisissait de recourir à l’aide sociale, il s’agirait d’une décision qu’elle seule puisse prendre. Je n’ai devant moi aucun renseignement attestant qu’elle est incapable de travailler ou qu’elle souffre d’une incapacité l’empêchant de travailler.

 

[…]

 

Le rôle que joue le demandeur dans la vie de ses deux belles-filles est inconnu. Je ne sais pas s’il subvient à leurs besoins ou si leur soutien est assuré d’une autre façon.

 

[15]           Même si cet examen semble superficiel, il reflète le peu de renseignements qui se trouvaient dans la demande. Le demandeur a soutenu dans sa demande :

[TRADUCTION]

De plus, j’ai épousé une citoyenne canadienne et nous comptons l’un sur l’autre sur le plan affectif. Je subirais un préjudice émotionnel immense si je devais présenter ma demande de l’extérieur du Canada (voir les observations supplémentaires de mon avocat).

 

[16]           Les observations de son avocat n’étaient pas plus utiles. Il a déclaré :

[TRADUCTION]

M. Benjamin est marié à une citoyenne canadienne, Teresa Michelle Benjamin (née Jacobs). Ils sont mariés depuis le 2 septembre 2001. Ils habitent ensemble avec les deux filles de Mme Benjamin et M. Benjamin sert de père aux enfants. Les filles et leur beau-père entretiennent une bonne relation. M. Benjamin est le soutien principal de la famille. Lui demander de quitter le Canada signifierait que son épouse et les deux enfants n’auraient d’autre choix que de recourir à l’aide sociale. Sa présence au Canada garantirait que son épouse ne deviendrait pas un poids de plus pour les fonds publics, qui sont déjà lourdement sollicités.

 

[17]           Comment l’agent aurait-il pu être attentif à l’intérêt supérieur des enfants si le demandeur n’a pas présenté la moindre preuve à ce sujet? Compte tenu de la preuve dont l’agent était saisi, sa décision n’était pas déraisonnable. Par conséquent, la demande doit être rejetée.

 

IV. Addenda

[18]           L’affaire a été reportée deux fois pour permettre au demandeur de déposer une demande en vertu de la « Politique d’intérêt public établie en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR pour faciliter le traitement selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada », datée du 26 août 2005. Le demandeur a déposé cette demande le 31 décembre 2005 et elle est en cours de traitement. On s’attend à ce que le défendeur accorde une suspension administrative du renvoi du demandeur aux termes de l’article « E » de la politique. La Cour ne voit aucun avantage à renvoyer le demandeur au Nigeria, pendant que sa demande (parrainée par son épouse) est en cours de traitement, pour ensuite le ramener au Canada à toute vitesse si sa demande était accueillie, ce que laisse entendre le défendeur. Une telle façon de procéder ne tient absolument pas compte de la douleur, du bouleversement et des difficultés émotionnelles que cause un renvoi. Le défendeur devrait tenir compte de ces facteurs avant d’ordonner le renvoi du demandeur pendant que le traitement de sa demande dans la catégorie des époux au Canada est en cours.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

 

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1548-05

 

INTITULÉ :                                       ABBEY OKANLAWON BENJAMIN c. LE MINISTRE

                                                            LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 mai 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 mai 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yiadom A. Atuobi-Danso

 

POUR LE DEMANDEUR

Vanita Goela

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yiadom A. Atuobi-Danso

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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