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Date : 20200324


Dossier : IMM-4837-19

Référence : 2020 CF 412

Ottawa, Ontario, le 24 mars 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

MIGUEL JOSEPH

Demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Notre Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire dirigée contre une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR], concluant que le demandeur est visé par l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention], puisqu’il possédait véritablement le statut de résident permanent au Brésil au moment de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés [SPR]. Le demandeur n’a donc pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger selon la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  En l’espèce, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur de fait puisqu’il ne possédait plus véritablement le statut de résident permanent au moment de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés [SPR].

[3]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Faits et procédures

[4]  Le demandeur allègue craindre pour sa vie advenant son retour en Haïti. Selon le demandeur, le politicien Jules Lionel Anelus et ses acolytes veulent s’en prendre à lui en raison de son appui à un autre parti politique (INITE).

[5]  Le demandeur a alors décidé de quitter Haïti pour le Brésil en mars 2013. Il obtient le statut de résident permanent en novembre 2014. Ce statut est assorti de certaines conditions. Selon le droit brésilien, le statut de résident permanent octroyé par le Brésil est généralement perdu lorsque l’intéressé s’absente du pays pour une période excédant deux ans.

[6]  En 2016, le demandeur a décidé de quitter le Brésil pour se rendre aux États-Unis en raison de l’insécurité politique qui régnait au Brésil.

[7]  La date précise de son départ du Brésil est controversée et constitue la question centrale de la présente affaire.

[8]  Le 11 août 2016, le demandeur est entré aux États-Unis par le port d’entrée de San Ysidro, un important poste frontalier terrestre entre San Diego et Tijuana, au Mexique, sans visa américain. Après avoir passé quelques jours en détention, il a été libéré et est resté aux États-Unis.

[9]  Le 21 mai 2017, le demandeur a franchi la frontière canadienne et a déposé une demande d’asile. Dans ses formulaires d’immigration, il est signalé qu’il a occupé un emploi et a habité au Brésil jusqu’en août 2016, avant de quitter le Brésil pour les États-Unis.

[10]  Plus précisément, dans son formulaire Annexe A — Antécédents/Déclarations (le formulaire IMM5669), il est indiqué que le demandeur a travaillé à Sao Paolo de « 2013-03 » (le troisième mois de l’an 2013) à « 2016-08 » (le huitième mois de l’an 2016). Les initiales du demandeur (« MJ ») se trouvent à quelques pouces de ces dates sur la même page de ce formulaire. À la page suivante du même formulaire, il est indiqué que le demandeur est vécu à une adresse à Sao Paolo de « 2013-03 » (le troisième mois de l’an 2013) à « 2016-08 » (le huitième mois de l’an 2016). Encore une fois, on y trouve les initiales du demandeur sur cette page.

[11]  Le formulaire a été signé par le demandeur. De plus, le demandeur avait demandé et obtenu les services d’un interprète au moment où les documents d’immigration ont été remplis.

[12]  Son formulaire de Fondement de demande d’asile [FDA] ne mentionne pas de date précise à laquelle le demandeur a quitté le Brésil, ni son trajet pour se rendre aux États-Unis. Ce qui est clair, cependant, c’est qu’il est entré aux États-Unis le 11 août 2016, et non pas le 16 août tel qu’indiqué dans la décision de la SPR.

[13]  Le 6 juin 2018, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté est intervenu et a indiqué, dans ses observations, que le demandeur doit être exclu de la protection accordée par le Canada aux réfugiés en raison de son statut de résident permanente au Brésil.

[14]  Son audition devant le SPR aura lieu le 18 juin 2018.

[15]  Lors de cette audience, le demandeur a témoigné qu’il avait quitté le Brésil le 19 mars 2016, plus de 2 ans avant cette audience, si bien qu’il aurait perdu son statut de résident permanent dans ce pays à la date de l’audition, le 18 juin 2018. Le demandeur n’a pas présenté de formulaires corrigés lors de l’audience SPR.

[16]  La SPR a alors observé que cette affirmation contredisait les informations contenues dans ses documents d’immigrations où il est mentionné qu’il avait résidé au Brésil jusqu’en août 2016. Face à cette incohérence, le demandeur a expliqué que les agents d’immigration avaient mal compris ses réponses et qu’ils ne lui avaient pas donné la chance de relire les formulaires avant de le signer. En fait, à plusieurs reprises, le demandeur a répété qu’il aurait rempli ses formulaires d’immigration lui-même s’il avait pu le faire en créole.

[17]  Afin de tenter de corroborer sa date de départ du Brésil en mars 2016, le demandeur a présenté pendant l’audience la copie d’un courriel qui semblait contenir le billet d’avion qu’il a utilisé pour quitter le Brésil. Selon le demandeur, ce document démontre qu’il a quitté le Brésil en mars 2016.

[18]  Pour des raisons inconnues, l’avocat du demandeur n’a pas versé ce courriel en preuve devant la SPR. Néanmoins, le tribunal a procédé à l’examen de ce courriel afin de rechercher si ce document était recevable.

[19]  Le tribunal a reconnu que le courriel était daté de mars 2016, mais toutefois a refusé de recevoir ce document en preuve. Les raisons du refus ne sont pas pertinentes, car devant moi, le demandeur confirme qu’il n’attaque pas la décision de la SPR ou de la SAR d’exclusion de ce courriel comme preuve.

[20]  Par conséquent, la seule preuve à l’appui de la thèse selon laquelle le demandeur a quitté le Brésil en mars 2016 est son témoignage lors de l’audience.

[21]  Le demandeur a aussi indiqué qu’il n’avait pas fait de suivi concernant son statut d’immigration au Brésil auprès des autorités brésiliennes, puisqu’il croyait que son statut de résident permanent était périmé.

[22]  La SPR n’a pas retenu les explications du demandeur parce que le demandeur avait « témoigné à l’effet qu’il maitrisait suffisamment la langue française pour comprendre et répondre aux questions de son FDA » — même s’il a été assisté par un interprète — et avait apposé ses initiales sur chacune des pages de ses formulaires d’immigration. Dans ce cas, la SPR a estimé qu’il y avait lieu de présumer du professionnalisme et de la bonne foi des agents d’immigration canadienne dans l’exécution de leurs fonctions.

[23]  Le SPR a donc retenu la preuve figurant dans les formulaires d’immigration, la date de mois d’août 2016 comme date où le demandeur a quitté le Brésil.

[24]  Cependant, en outre, la SPR a aussi noté qu’il était peu probable que le demandeur ait pris plus de 59 jours (depuis le 18 juin 2016) pour se rendre aux États-Unis, considérant qu’il avait admis avoir notamment utilisé l’avion comme moyen de transport.

[25]  Pour ces raisons, la SPR a conclu que, selon toute probabilité, lors de l’audience, à savoir le 18 juin 2018, le demandeur ne s’était pas absenté du Brésil pendant plus de deux ans et avait donc le statut de résident permanent au Brésil.

[26]  Après cette constatation, la SPR a également discuté la crainte du demandeur concernant le Brésil et a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption portant que l’État brésilien pouvait le protéger. La SPR a donc conclu que le demandeur était exclu de l’application de la Convention aux termes de l'article 1E, puisque, le jour de l’audience, le demandeur détenait le statut de résident permanent au Brésil.

[27]  La SPR a également conclu, à juste titre, que l'appréciation des risques relatifs au pays de citoyenneté du demandeur, Haïti, n’était pas nécessaire.

III.  La décision de la SAR

[28]  La décision de la SPR a été portée en appel devant la SAR. Le demandeur a soulevé trois questions :

  1. la conclusion de la SPR concernant son statut de résidence permanente au Brésil était-elle fondée sur une interprétation fautive de la preuve? Plus précisément, la SPR a-t-elle commis une erreur en rejetant le témoignage du demandeur selon lequel il avait quitté le Brésil en mars 2016, et en concluant que la date figurant dans les formulaires d’immigration était erronée?

  2. la SPR a-t-elle commis une erreur en procédant pas à l'analyse de risque concernant son pays de citoyenneté, Haïti?

  3. quel est le risque potentiel auquel serait exposé le demandeur s’il devait être renvoyé au Brésil?

[29]  La SAR a confirmé la décision de la SPR dans une décision datée du 15 juillet 2019.

[30]  Dans son dossier d’appel, le demandeur avait aussi inclus la copie du même courriel qui avait été refusée par la SPR, mais cette fois-ci accompagnée d'une traduction française. La SAR a refusé le dépôt de ce document. Encore une fois, les raisons de ce refus ne sont pas pertinentes, car devant moi, le demandeur confirme qu’il n’attaque pas la décision d'exclusion de ce courriel de la SAR.

[31]  Puisque cette preuve a été rejetée, la SAR n’était pas tenue d’accorder une nouvelle audience.

[32]  La SAR a noté que le demandeur semble comprendre le français et qu’il n’a pas fait d’efforts afin de corriger les erreurs alléguées. Tout comme la SPR, la SAR a trouvé les explications du demandeur insatisfaisantes.

[33]  La SAR a conclu que la présomption de véracité du témoignage du demandeur a été réfutée en raison de l’incohérence entre son témoignage et les informations contenues dans ses formulaires d’immigration (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA)).

[34]  De plus, la SAR a conclu que, vu l’incohérence entre le témoignage du demandeur et ses formulaires d’immigration quant à sa date de départ du Brésil, elle pouvait conclure en l’absence de crédibilité quant à son témoignage.

[35]  Au final, la SAR a confirmé la décision de la SPR d’exclure le courriel présenté par le demandeur.

[36]  Pour ces raisons, la SAR a conclu que la SPR n’a commis aucune erreur en constatant que le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la présomption de prime abord portant qu'il était résident permanent au Brésil.

[37]  Après avoir confirmé le raisonnement de la SPR sur ces deux points, la SAR a approuvé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur avait le statut de résident permanent au Brésil au moment de l’audience devant la SPR.

IV.  Question en litige

[38]  Le demandeur n'attaque aucun aspect de la décision de la SAR autre que la conclusion qu’il est visé par l’exclusion prévue par l’article 1E. Par conséquent, et comme cela a été confirmé par les parties, la seule question en litige est la suivante :

Était-il raisonnable pour la SAR de retenir la preuve confirmant que le demandeur a quitté le Brésil en août 2016 plutôt qu’en mars 2016?

V.  Norme de contrôle

[39]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême a consacré une grille d’analyse remaniée permettant de déterminer la norme de contrôle applicable aux décisions administratives. Selon cette grille, le point de départ est la forte présomption d’application de la norme de la décision raisonnable (Vavilov au para 23). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de cas : lorsqu’il existe un mécanisme d’appel prévu par la loi ou lorsque la primauté du droit appelle un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov au para 17). En l’espèce, nous ne sommes dans aucun de ces cas de figure. Je conclus donc que la décision de l’agent d’immigration doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux paras 73-142).

VI.  Discussion

[40]  Tout d’abord, je reconnais que le formulaire d’immigration indique de façon erronée que le demandeur est arrivé aux États-Unis le 16 août 2016 alors que le document obtenu des autorités douanières américaines confirme que le demandeur est entré aux États-Unis au poste frontière de San Ysidro le 11 août 2016. Le SPR et le SAR se sont toutes deux fondées, à tort, sur la date indiquée sur le formulaire d’immigration.

[41]  Cependant, ce qui figure sur le formulaire d’immigration découle de ce que l’agent a compris du demandeur, et, au moment où il a été rempli, je ne sais pas si les documents provenant des États-Unis peuvent ne pas avoir été en possession de l’agent, ni du demandeur. En tout état de cause, cette erreur de date n’a aucune incidence en l'espèce.

[42]  Le demandeur fait également valoir que l’agent n’a pas rempli correctement le formulaire d’immigration dans la mesure où il n’a pas indiqué de manière complète, comme il était requis, l’historique complet du trajet du demandeur, ni tous les détails du trajet (l’itinéraire détaillé) suivi par le demandeur pour arriver au Canada.

[43]  Je ne vois pas en quoi cela est pertinent. Bien que j’admets qu’il vaut mieux avoir plus d’informations que pas assez, il n’en reste pas moins que le demandeur a eu la possibilité de faire état de ces informations dans son récit, et de modifier ce récit jusqu’à la date de l’audience. Aucune modification de ce type n’a eu lieu. Je ne peux donc guère reprocher à l’agent de ne pas avoir produit tous les détails demandés dans le formulaire d’immigration, au cas où ces informations auraient pu aider à déterminer la date exacte à laquelle le demandeur a quitté le Brésil.

[44]  Je me pencherai maintenant sur le cœur de l'affaire.

[45]  Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118, [2011] 4 RCF 3 [Zeng], la Cour d’appel fédérale a consacré le critère qui sert de point de départ à la discussion relevant de l’article 1E :

[28] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[46]  Il n'est pas controversé entre les parties que l’analyse de la SAR quant à la date de départ du demandeur du Brésil est la question centrale en l’espèce. Cette question fait jouer le premier volet de la grille d’analyse fondée sur le critère consacré par la jurisprudence Zeng.

[47]  Comme je l’ai expliqué à l'occasion de l’affaire Celestin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 97 [Celestin], le premier volet du critère consacré par la jurisprudence Zeng porte sur la question de savoir si le demandeur d’asile a un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants du pays tiers :

[34] […] Au premier volet, il faut se demander si le demandeur a un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants du pays en question. C’est ici qu’il faut examiner si le demandeur bénéficie essentiellement des mêmes droits qu’un ressortissant du pays visé par l’article 1E de la Convention. Cette analyse concerne les droits et protections fournis par l’État visé par l’article 1E de la Convention.

[35] Dans la décision Shamlou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1537, 103 FTR 241 au paragraphe 35 [Shamlou]), voir aussi Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Choovak, 2002 CFPI 573 (CanLII) aux paras 31-34), notre Cour a reconnu quatre de ces droits :

a) le droit de retourner dans le pays de résidence;

b) le droit de travailler librement sans restrictions;

c) le droit de poursuivre ses études;

d) le plein accès aux services sociaux dans le pays de résidence.

[36] Le décideur a l’obligation de déterminer si le demandeur a unstatut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays et s’il bénéficie de chacun de ces quatre droits (Vifansi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 ACF no 397, 2003 CFPI 284 au para 27; Mahdi c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1691, (1994), 86 FTR 307).

[37] Si la réponse est affirmative, l’exclusion codifiée à l’article 1E s’applique (Zeng au para 28). L’analyse s’arrête là.

[38] Si la réponse est négative, le décideur doit poursuivre son analyse, sinon il commet une erreur révisable (Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 639 au para 44 [Xu]).

[48]  Selon une jurisprudence bien fixée, le statut du demandeur doit être examiné en fonction du dernier jour de l’audience devant la SPR (Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 au para 7 [Majebi]; Zeng au para 16; Lorne Waldman, The Definition of Convention Refugee, 2e éd (Toronto : LexisNexis Canada, 2019) aux pp 545 et 546; Celestin au para 46). Cette analyse est également effectuée selon la prépondérance des probabilités (Mikelaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 902 aux paras 26-27; Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 241 aux paras 22-24). Si la réponse à la première étape du critère de la jurisprudence Zeng est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, l’analyse se poursuit (Zeng au para 28).

[49]  Le ministre avait le fardeau de démontrer que le demandeur a, de prime abord, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants du pays visé par l’article 1E de la Convention (Celestin au para 48). En l’espèce, le demandeur a même admis qu’il avait le statut de résidence permanent au Brésil à partir du mois de novembre 2014 et que ce statut lui donnait les mêmes droits et obligations que les ressortissants brésiliens. Par sa propre admission et d’autres éléments de preuve au dossier, il est raisonnable de conclure que le ministre s’est acquitté du fardeau qui lui incombait.

[50]  En raison de cette preuve de prime abord, le fardeau de la preuve passe au demandeur (Celestin aux paras 49-51; Andreus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 131 au para 1 [Andreus]; Jean-Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1612 au para 52; Shahpari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7678 (CF) au para 12; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tajdini, 2007 CF 227 aux paras 36, 63; Mai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 192 au para 34; Hussein Ramadan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1093 au para 18). Il revient alors au demandeur de démontrer qu’il n’avait pas le statut résident permanent au Brésil au moment de l’audience SPR (Majebi au para 7; Zeng au para 16; Celestin au para 46).

[51]  Il y a controverse entre les parties sur l'existence d'éléments de preuve suffisants pour justifier la conclusion selon laquelle le demandeur avait le statut de résident au Brésil au moment de l’audience devant la SPR (Majebi au para 7; Zeng au para 16; Celestin au para 46; Jean-Pierre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 136 au para 23).

[52]  Selon le demandeur, il a quitté le Brésil en mars 2016. Suivant cette hypothèse, le demandeur a perdu son statut de résident permanent en mars 2018, soit quelques mois avant l’audience devant la SPR. Dans un tel cas, quant à l’analyse relevant de l’article 1E, on passe au deuxième volet du critère de la jurisprudence Zeng.

[53]  Selon le défendeur, il est raisonnable de conclure que le demandeur a quitté le Brésil en août 2016. Suivant cette hypothèse, le demandeur avait le statut de résident permanent au moment de l’audience devant SPR et est exclu de la protection garantie par l’article 1E.

[54]  Le récit du demandeur signé lors de la préparation de son fondement d’asile indique ce qui suit :

Mais à cause de la crise politique et l’insécurité qui règne au brésil je pas voulu reste parce que j’ai étais en insécurité et je préféré passer de certain pays illégalement pour arriver aux Etats-Unis [sic]

[Je souligne.]

[55]  Dans son récit, le demandeur indique clairement qu’il est passé par plusieurs pays d’Amérique latine avant d’arriver aux États-Unis. Il ressort également des documents que le demandeur est arrivé du Mexique à la frontière américaine sans visa pour entrer aux États-Unis, ce qui contredit l’affirmation de la SAR selon laquelle le demandeur s'est rendu en avion du Brésil aux États-Unis directement.

[56]  Le demandeur affirme que la SAR ne s’est pas penchée sur le trajet qu’il a effectué pour se rendre aux États-Unis, alors qu’elle aurait dû le faire, et aurait dû demander au demandeur de décrire son trajet jusqu’au États-Unis lors de l’audition.

[57]  Selon le défendeur, il s’agit d'un nouvel argument, jamais présenté devant la SPR ni la SAR, et qui ne doit donc pas être examiné par notre Cour. Je reconnais qu’il s’agit d'un nouvel argument qui n’a pas été présenté devant la SAR, mais je pense pouvoir en disposer très rapidement.

[58]  Tout d’abord, rien dans les documents produits par le demandeur ne démontre qu’il a quitté le Brésil en mars 2016, et que, dans leurs décisions, ni le SPR ni la SAR ne concluent que le demandeur est arrivé aux États-Unis par avion. Il faut rappeler que le demandeur n'attaque pas l’exclusion du courriel qui prétendait établir que le demandeur avait acheté un billet d’avion en mars 2016.

[59]  Il n’appartient pas à la SPR de rechercher des preuves non produites par le demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de faire valoir ses arguments. De plus, la SAR a discuté les questions soulevées par le demandeur dans son appel sur le fondement des preuves produites devant la SPR.

[60]  D’après moi, il n’était pas déraisonnable de la part de la SAR de plutôt retenir les éléments de preuve du demandeur tel qu’ils figurent dans son formulaire d’immigration plutôt que ses déclarations à l’audience étant donné le peu d’éléments de preuve invoqués par le demandeur quant à la manière dont il a entrepris le voyage du Brésil aux États-Unis. Nous devons garder à l’esprit que le demandeur était représenté par un avocat à l’audience devant la SPR et devant la SAR.

[61]  Le demandeur soutient que la SAR n’a pas cherché à découvrir la vérité sur sa date de départ du Brésil, mais a plutôt choisi de retenir l’erreur ou le malentendu figurant dans les formulaires d’immigration pour appliquer l’exclusion de l’article 1E de la Convention. Selon le demandeur, il était déraisonnable de rejeter ses explications concernant le malentendu dans ses formulaires, surtout qu’il y avait d’autres preuves remettant en question la date d’août 2016 dans le formulaire d’immigration.

[62]  D'après ce que je peux constater, la SAR faisait face à deux hypothèses concernant la date de départ du demandeur. La première hypothèse (la date de départ du 19 mars 2016) n’était appuyée par rien d’autre que le témoignage du demandeur. En revanche, la seconde hypothèse (la date de départ en août 2016) est appuyée par les formulaires qui ont été signés ou parafés par le demandeur. Face à ces deux hypothèses incohérentes, la SAR a examiné les explications du demandeur et a conclu que la seconde hypothèse était plus convaincante. La SAR a expliqué pourquoi elle a opté pour la seconde hypothèse au lieu de la première. Cette démarche démontre que la SAR avait à l'esprit la preuve et a expliqué les raisons pour lesquelles elle a conclu que le demandeur n’a pas pu s'acquitter de son fardeau de preuve.

[63]  S’il y avait eu d’autres preuves crédibles et dignes de foi sur lesquelles la SPR ou la SAR auraient pu se fonder pour faire pencher la balance du côté du demandeur sur la question de savoir à quel moment il avait effectivement quitté le Brésil, les choses auraient pu être différentes. Cependant, dans la présente affaire, il semble qu’il n’y ait rien eu de tel.

[64]  Le demandeur affirme qu’il lui était impossible d’avoir transité de son pays vers les États-Unis en seulement 11 jours, en avançant l’hypothèse que le demandeur a effectivement quitté le Brésil en août 2016 pour arriver à la frontière mexicano-américaine le 11 août 2016. Toutefois, il n’est pas nécessaire que cette hypothèse soit correcte pour confirmer le caractère raisonnable de la décision du SPR.

[65]  En gardant à l’esprit la déclaration dans le récit du demandeur selon laquelle il a transité par de nombreux pays pour arriver aux États-Unis, la SPR a déclaré :

Ensuite, le tribunal est conscient que la route entre le Brésil et les États-Unis d’Amérique peut être longue et ardue. Néanmoins, considérant que le demandeur a dit à l’audience qu’il avait notamment utilisé l’avion comme moyen de transport, il estime qu’il est peu probable que celui-ci ait nécessité plus de 59 jours pour se rendre aux États-Unis d’Amérique, ou il est arrivé le 16 aout 2016.

[Je souligne.]

[66]  La SPR ou la SAR n’ont pas tiré de conclusions définitives quant à la date exacte à laquelle le demandeur a quitté le Brésil. Sur cette question, la SPR conclut en disant :

En conséquence, le tribunal estime qu’il est plus probable que non, qu’en date de l’audience (18 juin 2018), le demandeur ne s’était pas absenté du Brésil pendant plus de deux ans.

[67]  La pertinence des 59 jours est qu’il y a 59 jours du 18 juin 2016 au 16 août 2016, la date indiquée sur les formulaires d'immigration du demandeur comme celle de son entrée aux États-Unis. Il n’est pas nécessaire de trouver de façon définitive quand le demandeur a effectivement quitté le Brésil. Tant que les preuves établissent, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a quitté le Brésil après le 18 juin 2016, son statut de résident permanent n’était pas perdu au moment de l’audience.

[68]  La SAR a simplement confirmé cette constatation de la part de la SPR.

[69]  Je ne vois rien de déraisonnable dans l’analyse de la SAR. Je ne vois pas non plus comment 5 jours (la différence entre le 11 et le 16 août), auraient fait une différence.

[70]  Pour cette raison, il était raisonnable de conclure que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de prime abord de résidence permanente.

[71]  Par ailleurs, je répète que le fardeau de renverser la présomption de prime abord incombe au demandeur (Celestin au para 50; Andreus au para 1). Le demandeur n’a pas réussi à me démontrer que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il ne s'est pas acquitté de ce fardeau.

VII.  Conclusion

[72]  Par conséquence, l’intervention de notre Cour n’est pas nécessaire. La présente demande en contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-4837-19

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4837-19

INTITULÉ :

MIGUEL JOSEPH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 mars 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Jean-François Seguy

Pour le demandeur

Me Philippe Proulx

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean François Séguy Cabinet D'Avocats-Law Firm

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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