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Date : 20200325


Dossier : IMM-2669-19

Référence : 2020 CF 419

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2020

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

KANTHARUBAN THEIVENDRAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du 30 mars 2019 par laquelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue d’être dispensé de l’application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule. En 1995 et 1996, alors qu’il était adolescent, il a participé aux activités de l’Organisation étudiante des Tigres de libération [OETL], la section étudiante des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET]. Les TLET sont une entité terroriste aux fins de l’application de la partie II.1 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 [Code criminel].

[3]  En février 1999, le demandeur a quitté le Sri Lanka pour le Royaume-Uni. Il a présenté une demande d’asile dans ce pays, qui a été rejetée. En septembre 2003, il a quitté le Royaume-Uni pour le Canada et est arrivé à Montréal (Québec) avec un passeport néo-zélandais frauduleux. Sa demande d’asile fondée sur sa crainte de l’armée sri-lankaise et des TLET a été accueillie le 16 juin 2005. Il a ensuite présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention.

[4]  Le demandeur a été interrogé pour la première fois au sujet de sa participation aux activités de l’OETL en septembre 2006 par la Section de la lutte antiterroriste de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. Il a de nouveau été interrogé le 16 mars 2010 et le 8 février 2011. Au cours de l’entrevue du 8 février 2011, le demandeur a sollicité une dispense ministérielle.

[5]  Le 25 mars 2011, il a été conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR en raison de sa participation à l’OETL.

[6]  La demande de dispense ministérielle du demandeur est restée en suspens pendant plusieurs années. Après que le demandeur a sollicité un bref de mandamus auprès de la Cour le 16 avril 2018, les parties ont convenu d’un échéancier pour évaluer la demande de dispense ministérielle.

[7]  Le 27 juillet 2018, le demandeur a déposé des observations et des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de sa demande. En réponse au projet de recommandation de l’ASFC qu’il a reçu le 31 octobre 2018, il a déposé des observations et des éléments de preuve supplémentaires le 30 novembre 2018.

[8]  Le demandeur ne risque pas d’être renvoyé. En l’espèce, la question est de savoir s’il peut être dispensé de certaines restrictions qui limitent la jouissance de son statut actuel au Canada, y compris la possibilité d’être réuni avec son épouse, qui réside au Sri Lanka.

II.  La décision du ministre

[9]  Après avoir examiné les observations et les éléments de preuve présentés par le demandeur, l’ASFC a présenté une note d’information au ministre, dans laquelle elle lui a recommandé de rejeter la demande de dispense du demandeur. Le ministre a accepté cette recommandation le 30 mars 2019.

[10]  La note d’information de l’ASFC constitue les motifs du ministre : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Khalil, 2014 CAF 213, au par. 29; Hameed c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1353, au par. 25 [Hameed].

[11]  Selon la note d’information, le fardeau de la preuve incombe au demandeur, qui doit convaincre le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national et que la dispense demandée est justifiée, malgré son interdiction de territoire. Selon la note d’information, qui renvoie à l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [Agraira], le critère de l’intérêt national prévu au paragraphe 34(2) de la LIPR (dans sa version en vigueur à l’époque de la présentation de la demande) se rapporte à la sécurité nationale et à la sécurité publique. L’intérêt national doit être interprété dans le contexte canadien en tant que démocratie parlementaire qui s’engage à protéger les valeurs fondamentales de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), c 11, et à respecter les obligations internationales du Canada.

[12]  La note d’information concluait que les incohérences et les explications incomplètes contenues dans les déclarations du demandeur nuisaient à sa crédibilité, ou empêchaient le ministre de conclure que la présence du demandeur au Canada n’est nullement préjudiciable à l’intérêt national. Voici un résumé des incohérences relevées :

[traduction]

(i)  Le demandeur a affirmé que sa participation dans l’OETL était involontaire, qu’il avait été contraint d’adhérer à l’OETL dans un environnement de coercition et de sanction, et qu’il avait choisi d’adhérer à l’OETL pour ne pas attirer l’attention des TLET ou pour éviter d’être ostracisé par sa famille et ses amis comme étant la seule personne n’aidant pas l’organisation.

(ii)  En juin 2011, le demandeur a déclaré qu’il avait creusé des bunkers à plusieurs endroits (« dans des aires communes comme des temples et des écoles »). En juillet 2018, il a déclaré qu’il avait aidé à creuser des bunkers « une fois » et, en novembre 2018, il a déclaré qu’il avait « aidé à creuser des bunkers dans la communauté quelques fois ».

(iii)  En février 2011, le demandeur a raconté avoir passé deux jours à aider « les blessés » dans un hôpital. Dans une déclaration subséquente, il a affirmé qu’il l’avait fait « deux ou trois fois » ou « quelques fois ». 

(iv)  Dans ses déclarations de septembre 2006 et de février 2011, il a discuté de l’organisation des réunions de l’OETL à son école, mais il a ensuite déclaré que ces activités se limitaient à des tâches serviles comme placer des chaises et des tables pour la réunion. Il avait affirmé qu’il organisait des enterrements pour les membres des TLET et d’autres membres locaux de haut rang, mais, en novembre 2018, il a nié l’avoir fait.

(v)  Le demandeur a déclaré qu’il n’avait assumé aucun rôle de leadership au sein de l’OETL, mais dans une déclaration de février 2011, il a affirmé avoir assumé un rôle de leadership au sein d’un groupe d’étudiants auquel on l’avait nommé « par la force » (forcefully). (Il a depuis déclaré que cette incohérence découlait d’un problème de maîtrise de l’anglais, bien qu’il ait déclaré en mai 2011 qu’il parle « assez bien l’anglais » et n’a pas prétendu que d’autres déclarations étaient liées à problèmes de maîtrise de l’anglais.)

(vi)  Il a déclaré que sa participation à l’OETL avait pris fin en avril 1996. Plus tard, il a déclaré que celle-ci avait pris fin en février 1996.

(vii)  Le demandeur a déclaré que ses parents et sa sœur étaient favorables à la cause des TLET, que ses parents n’appuyaient pas l’armée sri-lankaise et qu’ils priaient pour les TLET. Par la suite, le demandeur a déclaré que ses parents priaient uniquement pour la sécurité de son frère, qui était membre des TLET, plutôt que pour l’organisation. 

(viii)  Le demandeur a affirmé que son frère avait adhéré aux TLET pour « éviter la [Force indienne de maintien de la paix] », ou parce qu’il craignait que l’armée sri-lankaise ne « prenne pour cible les jeunes Tamouls », ou qu’il était impliqué contre son gré, parce qu’il était « trop effrayé pour refuser » ou qu’il avait été « pris de force par les TLET ».

(ix)  Le demandeur a déclaré que sa conjointe soutenait les TLET et aussi qu’elle ne les a jamais soutenus.

(x)  Le demandeur a parfois affirmé à Citoyenneté et Immigration Canada qu’il s’était rendu de Dubaï à Londres par avion après avoir quitté le Sri Lanka, et qu’il avait voyagé en avion et en bateau, en s’arrêtant à Dubaï, en Russie, en Pologne et en France. Il a déclaré avoir voulu dire l’Ukraine plutôt que la Russie, et que son voyage de l’Ukraine à la Pologne vers la France s’était déroulé dans un conteneur pour camions. Il a déclaré avoir pris un vol du Sri Lanka à Dubaï, puis jusqu’en Russie, puis qu’il avait voyagé de la Russie à la France dans un conteneur pour camions.

(xi)  Bien que le demandeur affirme craindre l’armée sri-lankaise et les TLET, il n’explique pas pourquoi ses déclarations initiales au point d’entrée ne mentionnaient que sa crainte de l’armée, et non pas celle des TLET.

(xii)  Le demandeur a déclaré être une personne respectueuse des lois qui n’est pas portée à prendre part à des actes illicites, mais il a fait l’objet de plusieurs accusations criminelles, plaidant coupable à la prise d’un véhicule à moteur sans consentement en juin 2008. 

[13]  Bien que l’accent ait été mis principalement sur les considérations de sécurité nationale et de sécurité publique, la note d’information indique que tous les facteurs personnels présentés par le demandeur ont été pris en compte, y compris ceux décrits comme étant des motifs d’ordre humanitaire. Il s’agissait notamment du souhait du demandeur d’être réuni avec son épouse au Canada et du fardeau émotionnel que représente pour lui leur séparation prolongée. Les diagnostics de trouble affectif bipolaire et de trouble anxieux du demandeur ont également été pris en compte.

[14]  Par conséquent, le ministre n’était pas convaincu que les facteurs positifs l’emportaient sur les facteurs négatifs, et il a rejeté la demande de dispense.

III.  Les questions en litige

[15]  Le demandeur demande si le ministre a rendu une décision déraisonnable :

a) en effectuant une évaluation déraisonnable de la crédibilité et des éléments de preuve du demandeur;

b) en s’appuyant indûment sur des accusations criminelles qui ont été retirées;

c) en omettant d’évaluer de façon raisonnable pourquoi il serait contraire à l’intérêt national d’accorder la dispense.

[16]  Ayant examiné les observations du défendeur, je me contenterai de me fonder sur l’énoncé des questions en litige du demandeur.

IV.  Les dispositions législatives pertinentes

[17]  Au moment où le demandeur a sollicité une dispense ministérielle, les dispositions pertinentes de la LIPR étaient ainsi libellées :

Interprétation

Rules of interpretation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

Sécurité

Security

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

(a) engaging in an act of espionage that is against Canada or that is contrary to Canada’s interests;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

(b.1) engaging in an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

[…]

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

Exception

Exception

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

[18]  Le paragraphe 34(1) a été modifié et le paragraphe 34(2) a été abrogé par les articles 13 et 18 de la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16. Cette loi a également créé le paragraphe 42.1(1), qui autorise le ministre à dispenser un demandeur de l’application du paragraphe 34(1).

V.  La norme de contrôle

[19]  Citant l’arrêt Agraira, au par. 49, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Leurs observations sont antérieures à l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[20]  Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a formulé une nouvelle approche pour déterminer la norme de contrôle applicable. Les décisions administratives sont susceptibles de contrôle selon la norme de caractère raisonnable, à moins que l’intention du législateur ou la primauté du droit ne commande le contraire. Ces exceptions ne s’appliquent pas en l’espèce.

[21]  Afin d’évaluer le caractère raisonnable d’une décision administrative, la Cour doit tenir compte « à la fois [du] résultat et [du] processus » : Vavilov, au par. 87. En ce qui concerne le processus, la Cour doit chercher à comprendre le raisonnement suivi et déterminer si la décision du décideur est fondée sur une « analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » : Vavilov, aux par. 84 et 85. En ce qui concerne le résultat, la Cour doit également déterminer « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » : Vavilov, au par. 99, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c North Cowichan (District), 2012 CSC 2, au par. 13.

VI.  Analyse

[22]  Dans l’arrêt Agraira, la Cour suprême du Canada a examiné le critère que le ministre doit appliquer pour trancher une demande de dispense ministérielle. Au paragraphe 87, la Cour a conclu « qu’un large éventail de facteurs peuvent s’avérer pertinents à l’égard de la détermination du contenu de l’“intérêt national” pour les besoins de la mise en œuvre du par. 34(2) ». Le ministre devrait être guidé par les facteurs suivants (tirés de l’annexe D du guide opérationnel Traitement des demandes au Canada : « Refus des cas de sécurité nationale/Traitement des demandes en vertu de l’intérêt national ») :

La présence du demandeur au Canada est‑elle inconvenante pour le public canadien?

Les liens du demandeur avec l’organisation/le régime sont‑ils complètement rompus?

Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait bénéficier d’actifs obtenus lorsqu’il était membre de l’organisation?

Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait bénéficier de son appartenance passée à l’organisation/au régime?

Le demandeur a‑t‑il adopté les valeurs démocratiques de la société canadienne?

[23]  La dispense ministérielle n’est pas une formule de rechange à l’examen pour des raisons d’ordre humanitaire : Agraira, au par. 84. Toutefois, cela « n’exclut pas nécessairement la prise en compte de facteurs personnels qui peuvent être pertinents dans le cadre de ce type particulier d’examen » : Agraira, au par. 84.

[24]  Comme je l’ai déjà mentionné, il incombe au demandeur de convaincre le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national : Hameed, au par. 24; Yamani c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 381, au par. 69 [Yamani].

A.  Le ministre a-t-il évalué la crédibilité et les éléments de preuve du demandeur de façon déraisonnable?

[25]  Le demandeur a relevé plusieurs erreurs ou déclarations non étayées dans la note d’information. Il n’y a aucun élément de preuve au dossier établissant qu’il aurait omis de se présenter comme il était tenu de le faire, comme il est indiqué à la page 17 des motifs. De plus, en 2005, il n’était plus tenu de se présenter. À son arrivée au Canada, il a divulgué sa véritable identité et son utilisation d’un faux passeport à l’aéroport, contrairement à ce qui est indiqué à la page 36 de la note. Quoi qu’il en soit, dans le contexte d’une demande d’asile, le fait de se rendre au Canada avec un faux passeport n’a guère d’importance aux fins de l’évaluation de la crédibilité : Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au par. 11. En ce qui concerne la criminalité, des accusations ont été portées contre lui, mais elles ont été retirées en raison de ses problèmes de santé mentale. Elles n’auraient pas dû se voir accorder le poids qui leur a été accordé par l’auteur de la note.

[26]  Le demandeur soutient qu’il a été [traduction] « en grande partie cohérent » au sujet de sa participation à l’OETL. Le ministre n’a relevé aucune contradiction importante dans ses éléments de preuve selon lesquels il n’avait jamais commis d’acte de violence et qu’il n’avait eu aucun lien avec l’OETL après 1996. Ses déclarations ont été enregistrées sur une période d’environ quinze ans à compter de la présentation de son Formulaire de renseignements personnels avec sa demande d’asile.

[27]  Selon le demandeur, le ministre a fait une évaluation microscopique de sa crédibilité. À plusieurs reprises, il a décrit ce qu’il a fait ou ce que les adolescents plus âgés ont fait, ainsi que la façon dont il a creusé des bunkers et aidé les blessés. Le fait qu’il a creusé un bunker une ou plusieurs fois ou qu’il a cessé de participer aux événements de l’OETL en février ou en avril 1996 n’est pas important au point que cela empêche le ministre de déterminer la nature ou l’ampleur de la participation du demandeur.

[28]  Il était loisible au ministre d’examiner l’ensemble des déclarations du demandeur, comme l’indique la note d’information aux pages 33 et 34, ainsi que d’accorder le poids qu’il juge approprié aux divers facteurs pris en compte dans l’évaluation de l’intérêt national. Même si certaines incohérences peuvent sembler mineures et sans importance, il était également loisible au ministre de conclure que, dans l’ensemble, les incohérences, ainsi que l’absence d’explications du demandeur ou l’inexactitude de celles-ci, remettaient en question la fiabilité de certaines parties de son récit.

[29]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, même si la façon dont le demandeur est arrivé au Canada a peu d’importance pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile, elle peut être prise en compte par le ministre pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une dispense. Toutefois, on ne peut pas en dire autant en l’espèce de la violation présumée des conditions de mise en liberté du demandeur, qui aurait omis de comparaître à certaines dates précises, étant donné que l’auteur de la note d’information n’a fourni aucune explication quant à la source de ces renseignements. En l’absence d’indication selon laquelle les renseignements ont été vérifiés, il était déraisonnable pour l’auteur de lui accorder un quelconque poids.

[30]  Le ministre était au courant des arguments du demandeur au sujet de ses problèmes de santé mentale. Toutefois, la décision n’établit aucun lien entre ces questions et les incohérences ou les explications incomplètes du demandeur, sauf pour souligner que son psychiatre et son gestionnaire de cas n’ont relevé aucun problème de mémoire ou difficulté d’expression.

B.  Le ministre s’est-il appuyé indûment sur des accusations criminelles qui ont été retirées?

[31]  Il ressort clairement de la décision que les accusations criminelles du demandeur ont milité grandement contre l’octroi de la dispense. Le demandeur estime que cela n’est pas approprié puisqu’il a été absous sous conditions à l’égard d’une des accusations auxquelles il avait plaidé coupable, que six accusations ont été retirées et que deux accusations ont été suspendues pendant un an à des fins de déjudiciarisation pour des motifs de santé mentale. En l’espèce, le demandeur soutient que les faits sous-jacents de ses accusations criminelles ne sont pas consignés au dossier et que les accusations n’auraient pas dû être invoquées.

[32]  Les arrestations et les accusations ne constituent pas, en soi, des éléments de preuve d’une conduite criminelle : voir Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1040, au par. 22; Hutchinson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 441, au par. 24. Les rapports de police sur les incidents ne sont pas des faits avérés et ne sont pas nécessairement fiables : Rajagopal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 523, au par. 43.

[33]  Le défendeur soutient que le demandeur ne peut pas prétendre qu’il est une personne [traduction] « respectueuse des lois », puis s’opposer à une évaluation de ses démêlés avec le système de justice pénale. Ceux-ci sont pertinents dans le contexte de l’évaluation de la présence du demandeur au Canada en fonction de motifs de sécurité publique.

[34]  En juin 2008, le demandeur a plaidé coupable à l’accusation de prise d’un véhicule à moteur sans consentement, portée en juillet 2007, à l’égard de laquelle il a été absous sous conditions. Les accusations de profération de menaces portées en juin 2018 aux termes du paragraphe 264.1(1) du Code criminel ont été suspendues dans le cadre d’un programme de déjudiciarisation pour des motifs de santé mentale. La note d’information indique que ces accusations [traduction] « ont soulevé des préoccupations relatives à la sécurité publique dont il est impossible de faire abstraction ». Comme l’indique la note d’information, les accusations pourraient être rétablies suivant la suspension d’un an. Elle indique également que le rapport de police et les explications du demandeur concernant les accusations portées en juin 2018 ont été pris en compte.

[35]  Dans les circonstances, notamment le fait que le demandeur s’est fondé sur les 23 années où il a été présent au Canada et où il a respecté la loi, il était raisonnable pour le ministre de tenir compte de ces accusations.

C.  Le ministre a-t-il omis d’évaluer de façon raisonnable pourquoi il serait contraire à l’intérêt national d’accorder la dispense?

[36]  Le demandeur soutient que le ministre n’a pas expliqué pourquoi sa présence au Canada est préjudiciable à la sécurité nationale et à la sécurité publique. Tirant les conclusions les plus défavorables, le ministre n’a pas expliqué en quoi, malgré l’interdiction de territoire du demandeur, sa présence au Canada est préjudiciable à l’intérêt national.

[37]  Comme l’a expliqué la juge Mactavish dans la décision Yamani, au par. 12 :

Ce que doit examiner le ministre en vertu du paragraphe 34(2) n’est pas le bien‑fondé de la conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire qu’un demandeur est membre d’une organisation terroriste – cette conclusion aura déjà été tirée. Le ministre doit plutôt se demander si, nonobstant l’appartenance du demandeur à une organisation terroriste, il serait préjudiciable à l’intérêt national que le demandeur soit autorisé à rester au Canada.

[38]  De plus, le demandeur soutient que le ministre a omis de tenir compte des facteurs énoncés dans l’arrêt Agraira. Plus précisément, le demandeur affirme que le ministre a omis de tenir compte du fait qu’il a rompu ses liens avec l’OETL en 1996, du fait que le demandeur n’a obtenu aucun actif pendant sa participation à l’OETL et qu’il ne possède actuellement aucun actif ainsi obtenu, et du fait qu’il ne bénéficie aujourd’hui pas de ses liens antérieurs avec l’OETL. Le ministre a conclu que les facteurs favorables au demandeur ne suffisaient pas [traduction] « en soi » pour accorder la dispense demandée. Le ministre a omis de tenir compte de ces facteurs positifs dans leur ensemble.

[39]  Le défendeur soutient que la note d’information abordait tous les facteurs au cœur de la demande du demandeur. Dans la note d’information, il était reconnu qu’une longue période s’était écoulée depuis la participation du demandeur à l’OETL, que ce dernier n’avait pas bénéficié de son appartenance antérieure à l’OETL et que les autorités sri-lankaises avaient confirmé qu’il n’était pas impliqué dans des [traduction] « activités antigouvernementales ».

[40]  Le ministre n’a pas discuté des raisons pour lesquelles la présence du demandeur au Canada est préjudiciable à l’intérêt national et il est difficile pour la Cour de comprendre pourquoi cela pourrait être le cas. Toutefois, la Cour suprême du Canada a conclu que, dans le cadre d’un contrôle du caractère raisonnable de l’exercice ministériel d’un pouvoir discrétionnaire, les tribunaux ne sont pas autorisés à réexaminer la preuve : Agraira, au par. 91.

[41]  L’ASFC était d’avis que le demandeur [traduction] « ne s’est pas acquitté de façon satisfaisante de son fardeau de démontrer que la dispense ministérielle est justifiée dans son cas », et elle a expliqué pourquoi :

[traduction]

Selon l’évaluation ci-dessus, le fait que, selon le récit de M. Theivendram, il était mineur pendant toute la durée de son appartenance à la section étudiante du groupe, malgré la probabilité raisonnable qu’il ait été conscient de l’engagement des TLET dans le terrorisme, joue en sa faveur. Le fait qu’il a pu se sentir contraint, voire forcé, de rejoindre l’organisation et que, du point de vue du rétablissement de sa santé mentale, il existe une opinion professionnelle selon laquelle il pourrait bénéficier d’éventuelles retrouvailles avec son épouse, qui vit actuellement à l’étranger, joue également en la faveur de M. Theivendram.

En même temps, [...] certains éléments évalués pèsent contre l’octroi d’une dispense en l’espèce. M. Theivendram a démontré qu’il n’avait pas, à plusieurs reprises, respecté les lois canadiennes en matière d’immigration et qu’une série d’activités l’ont amené à maintes reprises à avoir des démêlés avec le système de justice pénale au fil des années. Au total, il a été inculpé d’au moins neuf chefs d’accusation au criminel au Canada. M. Theivendram a plaidé coupable à un chef d’accusation (« prise d’un véhicule à moteur sans consentement »), et deux autres chefs d’accusation (« menacer de causer des lésions corporelles » et « menacer de causer la mort ») sont actuellement en suspens. De plus, certains facteurs décrits ci-dessus influent sur la fiabilité de certaines parties du récit de M. Theivendram. Par exemple, pendant plusieurs années, M. Theivendram a fait certaines déclarations incohérentes à des agents canadiens, y compris au sujet de questions pertinentes, notamment certains aspects de son appartenance à l’OETL. En outre, il n’a fourni aucune explication satisfaisante au sujet de certains aspects de son récit, bien qu’il ait eu l’occasion de le faire, ce qui a rendu difficile la détermination de l’ampleur de sa participation à la section étudiante des TLET. Selon l’ASFC, ces facteurs négatifs l’emportent sur les facteurs susmentionnés, qui jouent en faveur de M. Theivendram.

[42]  La Cour serait peut-être parvenue à une conclusion différente en se fondant sur les mêmes éléments de preuve, mais là n’est pas son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle; elle est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes : Vavilov, au par. 99.

VII.  Conclusion

[43]  La demande est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2669-19

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de mai 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2669-19

INTITULÉ :

KANTHARUBAN THEIVENDRAM C LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 février 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 25 mars 2020

COMPARUTIONS :

Andrew Brouwer

POUR LE DEMANDEUR

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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