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Date : 20200312


Dossier : IMM-566-19

Référence : 2020 CF 372

Ottawa, Ontario, le 12 mars 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

GHADIE EL RAHY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La partie demanderesse attaque la décision datée du 2 novembre 2018 refusant sa demande de permis de séjour temporaire.

[2]  La demanderesse soutient que la décision de l’agent est entachée par une multitude d’erreurs dont il ressort que l’agent de l’immigration a mal compris les faits de l’affaire. De plus, l’agent n’aurait pas pris en compte un certain nombre de facteurs énumérés, ou il est impossible de comprendre le poids qui leur a été accordé. Selon la demanderesse, ces erreurs ont donné lieu à une conclusion erronée.

[3]  Je rejette cette thèse. La simple lecture de la décision de l’agent révèle qu’il a examiné les faits au dossier et n’a pas commis d’erreurs de fait. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Faits

[4]  La demanderesse est citoyenne libanaise, arrivée au Québec en décembre 2006 avec un visa étudiant et un permis d’études valide. Ce visa et ce permis d’études l’ont autorisée à poursuivre des études en vue d’obtenir un baccalauréat en science à l’Université Bishop à Sherbrooke (Québec). Elle a commencé ses études en janvier 2007.

[5]  À la fin de la session d’hiver 2009, elle a été placée en probation académique. Ses notes avaient baissé et elle n’a pas complété ses cours pour des raisons qui n’ont pas été discutées dans les actes de procédure.

[6]  En 2010, son frère, qui habitait à Sherbrooke depuis 2009, a été atteint d’un cancer lymphatique. La demanderesse n’a pas pu poursuivre ses études, car elle était préoccupée par la prise en charge de son frère. Pendant la session d’hiver 2010, elle a dû se retirer de l’Université.

[7]  En 2010, elle est retournée au Liban pour renouveler son permis, pour ensuite revenir au Canada et poursuivre ses études.

[8]  En mai 2010, la demanderesse a obtenu la prolongation et le renouvellement de son permis d’étude et de son certificat d’acceptation du Québec [CAQ] jusqu’au 31 août 2013. Elle a été réadmise à l’Université sous probation académique pour la session d’automne 2010 jusqu’à ce que sa probation soit satisfaite après la session d’hiver 2012.

[9]  Elle n’a pas pu s’inscrire au semestre d’automne 2013 parce qu’elle n’a reçu son permis d’études que tard dans le semestre, soit le 18 décembre 2013 avec une date d’expiration au 31 août 2014. Elle s’est donc inscrite à des cours au semestre d’hiver 2014, mais n’a pas suivi de cours au semestre de printemps.

[10]  C’est alors que ses études ont pris fin.

[11]  Son permis d’étude pour l’année universitaire 2014/2015 n’a été reçu que le 23 février 2015, expirant un mois plus tard, soit le 30 mars 2015, il était donc trop tard pour s’inscrire aux sessions d’automne 2014 ou d’hiver 2015.

[12]  En juin 2015, la demanderesse a présenté une demande de permis d’études qui a été refusée le 4 août 2015, cependant, la lettre de refus n’a été émise que le 21 janvier 2016.

[13]  Sa demande de réinscription dans son programme initial à l’université a été refusée. Elle aurait présenté une nouvelle demande pour changer de programme, ce qui aurait également été refusé.

[14]  Toujours au Canada sans statut, en été 2017, la demanderesse a déposé une demande en vue d’obtenir un permis de séjour temporaire (conformément au paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]).

[15]  Cette demande a été refusée le 18 janvier 2018. Dans sa décision, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer l’existence de raisons impérieuses permettant d’écarter son interdiction de séjour, notant que la raison principale de la présence de la demanderesse au Canada était la poursuite de ses études, ce qu’elle, selon lui, n’a jamais fait. L’agent a également conclu que l’interdiction de territoire était le résultat de l’inaction de la demanderesse.

[16]  Le 5 février 2018, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire à notre Cour.

[17]  Le 22 octobre 2018, la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire et annulé la décision de l’agent du 18 janvier 2018 et l’affaire a été renvoyée pour réexamen par un autre agent. Notre Cour a accueilli la demande au motif que les conclusions de l’agent selon lesquelles la demanderesse n’avait jamais poursuivi ses études et qu’elle n’avait pas fait de démarches afin de sécuriser son statut d’immigration étaient contredites par la preuve (El Rahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1058 aux paras 15, 16 et 19).

III.  Décision

[18]  Le 27 novembre 2018, un autre agent a refusé la demande de réexamen de la demande de permis de séjour temporaire et a refusé de délivrer le permis de séjour. En bref, l’agent a conclu :

[traduction]

La cliente ne dit pas que la raison pour laquelle elle veut rester au Canada est de compléter son programme d’études; en fait, il s’agit de gérer son restaurant [. . .] Sinon, la cliente n’a pas indiqué que son retour dans son pays d'origine lui causerait des problèmes. La cliente a montré avec son historique que, depuis 2006, elle a été capable de maintenir son statut en utilisant les mécanismes réguliers en vigueur en faisant une demande de visa et en obtenant des documents de l’étranger afin de régulariser son statut sans PST [permis de séjour temporaire]. Selon le par. 24(1), un PST peut être délivré aux personnes qui n'ont pas respecté la loi (LIPR) si elles sont dans une situation unique doublée de raisons impérieuse. Il incombe au client de convaincre l’agent qu'il se trouve dans une situation unique doublée de raisons impérieuse permettant d’outrepasser le fait de son interdiction de séjour. J’ai examiné la demande de permis de séjour temporaire et toutes les observations à l’appui, et je ne suis pas convaincu que la cliente a prouvé qu’elle se trouve dans une situation unique doublée de raisons impérieuse permettant d’outrepasser le fait de son interdiction de séjour par la délivrance d'un PST.

[Je souligne.]

IV.  Questions en litige

[19]  Il n’est pas controversé entre les parties que la présente affaire soulève deux questions :

  1. La décision rendue par l’agent d’immigration est-elle raisonnable?

  2. Si la décision est annulée, est-ce que notre Cour peut obliger un nouvel agent d’immigration à délivrer un permis de séjour à la demanderesse ou permettre à la demanderesse de transmettre de nouvelles observations à l’agent qui réexaminera la demande?

[20]  Cependant, en raison de ma conclusion quant à la première question, il n’est pas nécessaire de discuter la seconde.

V.  Norme de contrôle

[21]  Il n’est pas controversé entre les parties que, en l'espèce, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême a consacré une grille d’analyse remaniée permettant de déterminer la norme de contrôle applicable en matière de décisions administratives. Selon cette grille, le point de départ est la présomption que joue la norme de la décision raisonnable (Vavilov au para 23). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de cas : il existe un mécanisme d’appel prévu par la loi, ou la primauté du droit appelle un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov au para 17). En l’espèce, nous ne sommes en présence de ni l’un ni l’autre de ces cas de figure. C'est donc la norme de la décision raisonnable qui joue (Vavilov aux paras 73-142).

VI.  Discussion

A.  La décision rendue par l’agent d’immigration est-elle raisonnable?

[22]  L’article 24 de la LIPR dispose :

Permis de séjour temporaire

 

Temporary resident permit

24(1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

24(1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

 

Cas particulier

 

Exception

 

(2) L’étranger visé au paragraphe (1) à qui l’agent délivre hors du Canada un permis de séjour temporaire ne devient résident temporaire qu’après s’être soumis au contrôle à son arrivée au Canada.

2) A foreign national referred to in subsection (1) to whom an officer issues a temporary resident permit outside Canada does not become a temporary resident until they have been examined upon arrival in Canada.

 

Instructions

Instructions of Minister

(3) L’agent est tenu de se conformer aux instructions que le ministre peut donner pour l’application du paragraphe (1).

(3) In applying subsection (1), the officer shall act in accordance with any instructions that the Minister may make.

Réserve : demande de protection pendante

 

Restriction — pending application for protection

 

(3.1) L’étranger dont la demande d’asile a fait l’objet d’un constat d’irrecevabilité ne peut demander un permis de séjour temporaire si sa demande de protection au ministre est toujours pendante.

 

(3.1) A foreign national whose claim for refugee protection has been determined to be ineligible to be referred to the Refugee Protection Division may not request a temporary resident permit if they have made an application for protection to the Minister that is pending.

 

Réserve

 

Restriction

 

(4) L’étranger dont la demande d’asile n’a pas été acceptée ne peut demander de permis de séjour temporaire avant que douze mois ne se soient écoulés depuis, selon le cas :

 

(4) A foreign national whose claim for refugee protection has not been allowed may not request a temporary resident permit if less than 12 months have passed since

a) le rejet de la demande ou le prononcé de son désistement ou de son retrait par la Section de la protection des réfugiés, en l’absence d’appel et de demande d’autorisation de contrôle judiciaire;

 

(a) the day on which their claim was rejected or determined to be withdrawn or abandoned by the Refugee Protection Division, in the case where no appeal was made and no application was made to the Federal Court for leave to commence an application for judicial review; or

 

b) dans tout autre cas, la dernière des éventualités ci-après à survenir :

 

(b) in any other case, the latest of

(i) le rejet de la demande ou le prononcé de son désistement ou de son retrait par la Section de la protection des réfugiés ou, en cas de pluralité de rejets ou de prononcés, le plus récent à survenir,

 

(i) the day on which their claim was rejected or determined to be withdrawn or abandoned by the Refugee Protection Division or, if there was more than one such rejection or determination, the day on which the last one occurred,

 

(ii) son rejet ou le prononcé de son désistement ou de son retrait par la Section d’appel des réfugiés ou, en cas de pluralité de rejets ou de prononcés, le plus récent à survenir,

 

(ii) the day on which their claim was rejected or determined to be withdrawn or abandoned by the Refugee Appeal Division or, if there was more than one such rejection or determination, the day on which the last one occurred, and

 

(iii) le refus de l’autorisation de contrôle judiciaire ou le rejet de la demande de contrôle judiciaire par la Cour fédérale à l’égard de la demande d’asile.

 

(iii) the day on which the Federal Court refused their application for leave to commence an application for judicial review, or denied their application for judicial review, with respect to their claim.

 

Réserve — étranger désigné

Restriction — designated foreign national

 

(5) L’étranger désigné ne peut demander de permis de séjour temporaire que si cinq années se sont écoulées depuis l’un ou l’autre des jours suivants :

 

(5) A designated foreign national may not request a temporary resident permit

a) s’il a fait une demande d’asile sans avoir fait de demande de protection, le jour où il a été statué en dernier ressort sur la demande d’asile;

 

(a) if they have made a claim for refugee protection but have not made an application for protection, until five years after the day on which a final determination in respect of the claim is made;

 

b) s’il a fait une demande de protection, le jour où il a été statué en dernier ressort sur cette demande;

 

(b) if they have made an application for protection, until five years after the day on which a final determination in respect of the application is made; or

 

c) dans les autres cas, le jour où il devient un étranger désigné.

 

(c) in any other case, until five years after the day on which the foreign national becomes a designated foreign national.

 

Suspension de la demande

 

Suspension of request

(6) La procédure d’examen de la demande de permis de séjour temporaire de l’étranger qui devient, à la suite de cette demande, un étranger désigné est suspendue jusqu’à ce que cinq années se soient écoulées depuis l’un ou l’autre des jours suivants :

 

(6) The processing of a request for a temporary resident permit of a foreign national who, after the request is made, becomes a designated foreign national is suspended

a) si l’étranger a fait une demande d’asile sans avoir fait de demande de protection, le jour où il a été statué en dernier ressort sur la demande d’asile;

 

(a) if the foreign national has made a claim for refugee protection but has not made an application for protection, until five years after the day on which a final determination in respect of the claim is made;

 

b) s’il a fait une demande de protection, le jour où il a été statué en dernier ressort sur cette demande;

 

(b) if the foreign national has made an application for protection, until five years after the day on which a final determination in respect of the application is made; or

 

c) dans les autres cas, le jour où il devient un étranger désigné.

 

(c) in any other case, until five years after the day on which the foreign national becomes a designated foreign national.

 

Refus d’examiner la demande

 

Refusal to consider request

(7) L’agent peut refuser d’examiner la demande de permis de séjour temporaire présentée par l’étranger désigné si :

 

(7) The officer may refuse to consider a request for a temporary resident permit if

a) d’une part, celui-ci a omis de se conformer, sans excuse valable, à toute condition qui lui a été imposée en vertu du paragraphe 58(4) ou de l’article 58.1 ou à toute obligation qui lui a été imposée en vertu de l’article 98.1;

 

(a) the designated foreign national fails, without reasonable excuse, to comply with any condition imposed on them under subsection 58(4) or section 58.1 or any requirement imposed on them under section 98.1; and

b) d’autre part, moins d’une année s’est écoulée depuis la fin de la période applicable visée aux paragraphes (5) ou (6).

 

(b) less than 12 months have passed since the end of the applicable period referred to in subsection (5) or (6).

[Je souligne.]

 

[Emphasis added.]

[23]  La demanderesse soutient que la décision de l’agent est entachée de plusieurs erreurs de fait, lesquelles ont donné lieu à une conclusion erronée.

[24]  Je discuterai chaque allégation successivement; cependant, même si l’on peut constater de menues erreurs de dates, cette question n’a aucune pertinence. Bien que l’avocat de la demanderesse se soit longuement étendu dans ses écritures et à l’audience sur l’historique du permis d’études de la demanderesse, il n’en reste pas moins que ses études sont terminées.

[25]  Je ne suis pas appelé à contrôler une décision antérieure concernant la prolongation de son permis d’études. Je dois me prononcer sur la décision refusant à la demanderesse un permis de séjour temporaire [PST].

[26]  La raison pour laquelle elle a demandé un PST n’avait rien à voir avec ses études; elle se rapportait plutôt à l’ouverture et l’exploitation d’un restaurant par elle et son frère. La demanderesse explique :

Pourquoi je souhaite rester au Canada :

Le 22 septembre 2014, mon frère a ouvert un restaurant situé au 2128, rue Galt Ouest, à Sherbrooke. En décembre 2014, je lui ai prête environ 20,000.00$ a afin qu’il puisse le faire fonctionner. Vous trouverez joints des relevés bancaires démontrant que j’avais les sommes a investir.

Ensuite, en septembre 2015, j’ai ouvert une succursale au 127 rue Queen, a Lennoxville (Sherbrooke). Vous trouverez joint en annexe le certificat démontrant que je détiens 50% des actions, et donc, que je suis propriétaires a 50%.

Mon frère et moi avons l’intention d’ouvrir un troisième restaurant à Sherbrooke, près du CEGEP.

Nous sommes aussi à faire les démarches pour ouvrir une boucherie. Mon restaurant a déjà acheté la boucherie, mais le projet reste encore à être implante. [sic] Vous trouverez ci-joint l’évaluation des actifs de la boucherie.

[27]  Elle sollicite maintenant un PST afin de pouvoir rester au Canada et exploiter son entreprise. Il me semble que même s’il y avait des incohérences ou des erreurs mineures dans la manière dont l’agent a présenté les antécédents d’études de la demanderesse (ce qui n’est pas le cas), cela n’a absolument aucun rapport avec la question de savoir si la demanderesse a convaincu l’agent qu’elle avait droit à un PST.

(1)  Les dates du permis d’étude (décembre 2013 à août 2014)

[28]  Dans sa décision, l’agent avait noté les tentatives de la demanderesse de prolongation de son statut d’immigration au Canada :

[traduction]

La cliente a réussi à prolonger son statut d'étudiante avec plusieurs documents. Premièrement, du 19 mai 2010 jusqu'au 31 août 2013, et encore avec un documents d'étude du 18 décmbre 2013 valide jusqu'au 31 août 2014. [. . .]

[29]  La demanderesse soutient que l’agent a fait erreur en indiquant qu’elle avait un document valide lui permettant d’étudier entre le 18 décembre 2013 et le 31 août 2014.

[30]  Je rejette la thèse de la demanderesse. Le dossier certifié du tribunal contient la copie du permis d’études qui a été délivré le « 2013/12/18 » et qui indique cette date d’expiration : « 2014/08/31 ».

(2)  La date du permis d’étude (février à mars 2015)

[31]  Dans sa décision, l’agent poursuit en exposant les tentatives de prolongation de son statut d’immigration :

[traduction]

Un cinquième, et final, document d'étude à court terme a été émis à la cliente le 23 février 2015, valide jusqu'au 31 mars, notait que ce document était émis à la date demandée par la cliente dans sa demande.

[32]  La demanderesse soutient que cette constatation est erronée parce que les sessions académiques commencent en janvier ou en septembre et durent environ quatre mois.

[33]  Encore une fois, la constatation de l’agent correspond à la documentation au dossier. En effet, le dossier certifié du tribunal contient la copie du permis d’études qui a été délivré le « 2015/02/23 » et qui indique cette d’expiration : « 2015/03/31 ».

(3)  L’agent n’a pas tenu compte de la lettre de refus émise le 21 janvier 2016

[34]  La demanderesse allègue que l’agent n’a pas tenu compte des effets et des conséquences de la transmission de la lettre de refus le 21 janvier 2016, alors que le refus est intervenu le 4 août 2015.

[35]  Je rejette cet argument. Cette question a peut-être été pertinente dans le cadre du renouvellement de son permis d’études, mais je ne vois pas en quoi elle le serait en ce qui concerne la demande de PST.

[36]   De plus, dans sa décision, l’agent a noté que la demanderesse a été informée du refus de sa demande de prolongation : [traduction] « La cliente a été informée le 21 janvier 2016 par une lettre de refus que l’on ne pouvait remédier à sa situation et qu’elle devait quitter le Canada ». À moins d’indication contraire, je conclus que l’agent a tenu compte de cette lettre et de ses effets dans son analyse. Dans un contexte comme celui-ci, l’agent n’est pas tenu de recenser de manière exhaustive les effets et circonstances de la documentation au dossier, comme le soutient la demanderesse (Lorenzo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 37 aux paras 23, 29-30 [Lorenzo]).

(4)  L’agent n’a pas tenu compte des difficultés relatives aux démarches concernant les permis d’études

[37]  La demanderesse soutient que cette constatation est erronée parce qu’il ressort plutôt de la documentation au dossier que l’université a refusé qu’elle poursuive ses études vu tous les délais relatifs à ses démarches pour les permis d’études. La demanderesse n’a pas produit de références précises à ces documents.

[38]  On retrouve deux éléments dans le dossier certifié du tribunal dont il ressort que les démarches de la demanderesse pour obtenir un permis d’études ont eu des effets sur ses résultats scolaires. Dans une lettre, la demanderesse explique qu’elle n’a pas pu s’inscrire à la session d’automne 2013 en raison d’un permis d’études tardif. Dans une lettre en date du 5 août 2014, un membre du département de physique indique que la demanderesse a manqué deux sessions académiques en raison de problèmes de permis d’études.

[39]  Dans sa décision, l’agent a noté que la demanderesse avait éprouvé de nombreuses difficultés à poursuivre ses études :

[traduction]

L’interdiction de territoire de la cliente résulte d’un séjour indûment prolongé aux termes de l’al. 41a). Selon l’argument de la cliente, elle a eu des problèmes à réunir les différents documents de IRCC, CAQ et lettre d’acceptation nécessaires pour la poursuite de ses études à Bishop. Elle admet que, en 2010, elle a été incapable de poursuivre ses études parce qu’elle était préoccupée par les soins que recevait son frère, qui avait des traitements anticancéreux. Par conséquent, elle a été mise en probation à Bishop, et elle a dû prolonger la durée de ses études; complication supplémentaire, certains des cours requis pour l’obtention du diplôme n’étaient dispensé que tous les deux ans. Vu ces délais persistants, au final, Bishop n’a pas autorisé la cliente à se réinscrire.

[Je souligne.]

[40]  Selon la lecture de la demanderesse de la décision de l’agent, il aurait dit qu’elle a cessé ses études en 2010. Telle n’est pas ma lecture. Je suis d’avis qu'il constate que la demanderesse n’a pas pu poursuivre (« unable to maintain ») ses études en 2010 en raison de la maladie de son frère, et donc, comme le confirme son relevé de notes, elle n’a suivi qu’un seul cours lors de la session d’hiver 2010, avec une difficulté rencontrée lors de la session d’automne 2010.

[41]  Selon ma lecture de ce passage, il est clair que l’agent avait considéré plusieurs obstacles auxquels avait face la demanderesse, dont ses difficultés à obtenir des documents pour poursuivre ses études, les traitements anticancéreux de son frère et l’offre de cours de l’université. Vu ce passage, en plus de ceux cités plus hauts, je conclus que l’agent a pris en compte les difficultés relatives aux démarches de la demanderesse en vue d’obtenir ses permis d’études.

(5)  L’intention de terminer son programme d’études

[42]  La demanderesse reproche à l’agent de ne pas avoir signalé que l’université refuse qu’elle poursuive ses études et qu’elle n’a pas pu obtenir de CAQ pour le programme en informatique qu’elle voulait suivre.

[43]  Or, l’agent avait signalé les difficultés relatives à l’obtention de son CAQ et le fait que l’université lui refuse de poursuivre ses études.

[44]  De plus, la demanderesse a clairement indiqué dans ses observations à l’appui de la présente demande qu'elle souhaite rester au Canada parce qu’elle veut exploiter son entreprise et a l’intention d’ouvrir une boucherie.

[45]  Je rejette donc l’argument de la demanderesse.

(6)  L’historique du dossier

[46]  La demanderesse soutient que l’agent a omis d’analyser l’historique du dossier et surtout les démarches et difficultés d’obtention des permis d’études et de CAQ. La demanderesse ne précise pas quels éléments ont été ignorés par l’agent.

[47]  Je rejette cet argument, car la décision fait état de nombreux éléments dont il ressort que l’agent a bel et bien considéré l’historique d’immigration de la demanderesse. La partie introductive de la décision expose la chronologie de ses demandes de permis d’études de décembre 2006 jusqu’en août 2017. Puis, l’agent note les explications de la demanderesse concernant ses démarches et difficultés d’obtention des permis d’études et du CAQ. L’agent note également la demande de permis de travail présentée par la demanderesse, ainsi que les documents présentés à l’appui de cette demande.

[48]  L’agent a donc conclu que la demanderesse ne l'avait convaincu qu’elle est en mesure de maintenir son statut d’immigration au Canada par les moyens réguliers. Bref, je ne crois pas que l’agent ait omis de considérer l’historique du dossier, vu que la plus grande partie de sa décision y est précisément consacrée.

(7)  Élément incomplet

[49]  La demanderesse fait valoir que l’agent a conclu à tort qu’elle serait en mesure de régulariser son statut à partir de son pays d’origine, car, depuis 2006, la demanderesse a montré qu’elle pouvait suivre la procédure de visa et obtenir les documents nécessaires de l’étranger. En fait, selon la demanderesse, la preuve porte que, depuis 2013, elle est incapable d’obtenir les documents nécessaires pour étudier.

[50]  Je rejette la thèse de la demanderesse. Ce qu’elle n’a pas pu obtenir depuis 2013, ce ne sont pas les documents nécessaires; plutôt, elle n’a pas pu se réinscrire car elle n’était pas en mesure de convaincre les autorités de lui fournir les documents nécessaires sans tenir compte de son historique d’études au Canada.

[51]  Ce sont deux choses différentes.

(8)  Aucune circonstance ne justifie l’octroi d’un permis de séjour

[52]  La demanderesse conteste la conclusion de l’agent selon laquelle aucune circonstance au dossier ne justifie l’octroi d’un permis de séjour. La demanderesse soutient que l’agent aurait dû tenir compte du fait qu’elle a vécu au Canada pendant 11 ans et qu’elle est propriétaire d’un restaurant.

[53]  L’agent a noté que la demanderesse est arrivée au Canada en 2006, soit près de 12 ans avant la reddition de sa décision. L’agent a également noté que la demanderesse participe à la gestion de trois restaurants :

[traduction]

La cliente ne dit pas que la raison pour laquelle elle veut rester au Canada est de compléter son programme d'études; en fait, il s'agit de gérer son restaurant. Elle a d'abord investi dans le restaurant de son frère en décembre 2014, puis, a ouvert son propre restaurant à Lennoxville en septembre 2015. La cliente a aussi révélé que son intention était d'ouvrir un troisième restaurant, ainsi qu'une boucherie. Avec ces restaurants, la cliente dit qu'elle contribue activement à l'économie canadienne en employant des personnes, surtout des réfugiés syriens refugiés, et en payant des impôts. La cliente dit que si elle devait quitter la Canada, elle devrait fermer son restaurant de Lennoxville qui ne pourrait être opéré en son absence car plusieurs de ses associés ne parlent pas français, et très peu anglais.

[54]  Nous ne sommes pas ici dans un cas où l’agent n’a pas pris en considération les explications du demandeur (Villagonzalo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1127). À ma lecture de la décision, il est clair que l’agent a considéré les facteurs portés à son attention. Je rejette donc cet argument.

(9)  Aspect de la part économique dans la société

[55]  La demanderesse soulève le fait que l’agent aurait dû tenir compte du fait qu’elle travaille dur et apporte une contribution positive à la société canadienne. Elle est actionnaire à 50% de ce restaurant (l’autre moitié des parts sont détenues par un investisseur syrien) et que si elle est obligée de quitter le Canada, le restaurant pourrait bien fermer et un certain nombre de personnes pourraient perdre leur emploi.

[56]  Le défendeur affirme qu’il ne s’agit pas ici d’une demande pour motifs d’ordre humanitaires. J'abonde dans son sens dans une certaine mesure. En effet, les facteurs prévus par l’article 24 de la LIPR ne doivent être justifiés uniquement eu égard aux circonstances, et il ne s’agit pas d’étude approfondie des circonstances d’ordre humanitaire tel que prévu par l’article 25 de la LIPR (Rodgers c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1093 au para 10). Cependant, comme l’a déclaré le juge Harrington à l’occasion de l’affaire Palmero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1128 au paragraphe 13 « il y a des similitudes ».

[57]  Comme le juge Shore l’observe au paragraphe 22 du jugement Farhat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275 :

On vise avec l’article 24 de la LIPR à rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des « raisons impérieuses » pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la LIPR. Fondamentalement, le permis de séjour temporaire permet aux agents d’intervenir dans des circonstances exceptionnelles tout en remplissant les engagements sociaux, humanitaires et économiques du Canada. (Guide de l’immigration, ch. OP 20, section 2; pièce B de l’affidavit d’Alexander Lukie; Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) c. Hardayal, 1977 CanLII 162 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 470 (QL).)

[58]  Cela dit, la réponse courte à la préoccupation de la demanderesse est que l’agent a effectivement soulevé et discuté ces faits et les aspects économiques de l’affaire dans sa décision.

[59]  La question de la délivrance d’un PST est de nature hautement discrétionnaire et impose une charge très lourde au demandeur (Lorenzo au para 23). Il est clair que ma lecture de la décision ne correspond pas à celle de la demanderesse. Cependant, à supposer même que sa lecture soit correcte, l’issue de la présente affaire aurait été la même.

[60]  La demanderesse n’avait rien fait pour régulariser son statut entre janvier 2016, date à laquelle elle a reçu son refus final, et le 3 août 2017, date à laquelle elle a demandé son PST. Elle a plutôt ouvert son restaurant en 2017 alors qu’elle n’avait pas de statut au Canada.

[61]  La demanderesse explique qu’elle avait fait une demande de CAQ pour étudier en informatique, qui a été acceptée pour la période du 12 septembre 2016 au 8 décembre 2017. Toutefois, le ministre a demandé des informations supplémentaires par lettre à sa conseillère en immigration, qui ne lui a jamais été transmise.

[62]  Je ne vois pas en quoi le simple fait de demander un CAQ équivaut à la régularisation de son statut au Canada. Cependant, le but même du PST est de permettre aux personnes qui n’ont pas respecté la LIPR de régulariser leur statut.

[63]  La décision Palmero concernait une décision (qui a été annulée par notre Cour) d’un agent de visas qui avait déclaré dans sa décision (comme c’est le cas en l’occurrence) que le demandeur pouvait retourner dans son pays de citoyenneté afin de demander un PST pour entrer au Canada.

[64]  Toutefois, dans cette affaire, il s’agissait d’un demandeur qui avait dû rester au Canada pour subvenir aux besoins de sa famille dans son pays de citoyenneté, mais qui, pendant qu’elle était ici, a respecté le droit canadien en ne travaillant pas en attendant sa demande de PST en raison de l’expiration de son permis de travail. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[65]  En fin de compte, l’agent a déclaré qu’il incombait à la demanderesse de le convaincre qu’elle se trouvait dans une situation unique et qu’elle avait des raisons impérieuses d’être dispensée de l’interdiction de territoire. Il n’a tout simplement pas été convaincu que la demanderesse avait établi qu’elle se trouvait dans une situation unique et que des raisons impérieuses (selon le Guide sur le traitement des demandes à l’étranger – Permis de séjour temporaire, OP 20) appelaient une dispense d'interdiction de territoire par la délivrance d’un PST.

[66]  Même si je devais retenir l’idée que l’exigence d’avoir des raisons impérieuses ne constitue pas, aux termes de la loi une condition de délivrance d’un PST (voir Palmaro), la décision de délivrer ou non un PST doit néanmoins être raisonnable vu les circonstances de l’affaire (Krasniqi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 743).

[67]  En l'espèce, je ne puis conclure que la décision de l’agent n’était pas raisonnable.

VII.  Conclusion

[68]  Pour ces motifs, je conclus que la décision de l’agent était raisonnable et la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas présenté de question à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-566-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-566-19

 

INTITULÉ :

GHADIE EL RAHY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Juliana Rodriguez-Anido

 

Pour la demanderesse

Me Andréa Shahin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gagnon, Rodriguez Avocats

Sherbrooke (Québec)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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