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Date : 20200305


Dossier : IMM-5415-18

Référence : 2020 CF 335

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2020

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

HONGMEI LI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés de vive voix à l’audience à Toronto (Ontario), le 12 décembre 2019)

I.  Instance

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 12 octobre 2018 par laquelle la commissaire de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la demanderesse au motif que cette dernière manquait de crédibilité et n’a pas établi qu’elle était lesbienne. La présente demande est fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II.  Contexte

[2]  La demanderesse, âgée de 40 ans, est citoyenne de la Chine. Elle s’est mariée à un homme en Chine le 6 mars 2008 et a donné naissance à son fils en juillet 2010. Le couple a divorcé en 2012.

[3]  La demanderesse a initialement demandé l’asile sur le fondement de son expérience personnelle avec les autorités de planification familiale en Chine. Toutefois, elle a modifié son formulaire de renseignements personnels [FRP] pour y alléguer qu’elle serait également exposée à un risque en tant que lesbienne. Puisque les questions soulevées dans la présente demande portent toutes sur cette allégation, je n’examinerai pas les faits et les conclusions défavorables quant à la crédibilité se rapportant à l’allégation relative à la planification familiale.

[4]  Dans son FRP modifié, la demanderesse a ajouté une allégation de risque en raison de son homosexualité. Elle affirme qu’en tant que jeune femme en Chine, elle n’était pas intéressée par les hommes qui l’abordaient et se sentait plus à l’aise en compagnie de son amie Dan. Cette dernière et la demanderesse étaient attirées l’une envers l’autre, mais croyaient ne pas pouvoir exprimer leurs sentiments librement par crainte de perdre la face devant leurs familles.

[5]  La demanderesse est arrivée au Canada en novembre 2012 et, peu après, elle a rencontré une femme plus âgée dénommée Yinghui Zhu [Mme Zhu]. Elles ont eu des rapports intimes.

[6]  Mme Zhu et la demanderesse se sont mariées le 17 août 2013. Toutefois, le mariage a été un échec et leur divorce a été prononcé en octobre 2017.

[7]  La demanderesse a téléphoné à son amie Dan, en Chine, pour lui raconter ses problèmes. Elle n’avait pas pris conscience que Dan désapprouverait son orientation sexuelle. La demanderesse a affirmé ce qui suit : [traduction] « Mes parents étaient au courant de mon mariage, mais ils ne voulaient pas que d’autres personnes en Chine en soient informées. » Toutefois, Dan l’a dit à plusieurs parents et amis et, rapidement, tout le monde était au courant.

III.  Décision

[8]  La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse au motif qu’elle n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir qu’elle était lesbienne et que son mariage avec Mme Zhu était authentique.

[9]  La SPR a souligné que la demanderesse n’avait cité aucun témoin pour étayer qu’elle était lesbienne. En particulier, Mme Zhu n’a pas témoigné même si la demanderesse a affirmé qu’elles se parlaient toujours au téléphone. La demanderesse a déclaré que Mme Zhu était au courant de l’audience devant la SPR, mais qu’elle avait quitté le pays pour visiter des membres de sa famille en Chine qui avaient des problèmes de santé. La SPR a trouvé très étrange que la demanderesse n’ait pas demandé à Mme Zhu de retarder son voyage de quelques jours puisque celui‑ci n’était pas urgent.

[10]  La SPR a également souligné que la demanderesse n’avait appelé à témoigner aucun des enfants adultes de Mme Zhu pour établir que leur mère et elle avaient cohabité. La SPR a indiqué que la demanderesse a déclaré que son cercle d’amis savait qu’elle était lesbienne, mais qu’aucun de ces amis n’a été appelé à témoigner. En outre, la demanderesse n’a fourni aucune lettre ni aucun affidavit à l’appui.

[11]  La SPR a conclu que le défaut de la demanderesse de citer des témoins ou de fournir une preuve documentaire pour corroborer son orientation sexuelle nuisait à sa crédibilité.

IV.  Les questions en litige

[12]  La question déterminante en l’espèce consiste à savoir si la SPR était tenue d’examiner si le mariage légal de la demanderesse avec une femme au Canada fera en sorte qu’elle sera perçue comme une lesbienne et risquera d’être persécutée à son retour en Chine.

[13]  Il apparaît clairement que, même si la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était lesbienne, son mariage avec une femme, que la SPR a reconnu, crée cette perception. Selon le témoignage d’expert de M. Burton, auquel la SPR n’a pas du tout fait référence, bien que l’homosexualité soit légale en Chine, elle n’est pas acceptée et comporte un risque élevé de stigmatisation. Selon lui, il est bien connu que l’orientation sexuelle de la demanderesse lui causera un grave préjudice dans les domaines de l’emploi, de l’éducation des enfants et dans d’autres aspects de sa vie qui concernent le gouvernement, lesquels sont très nombreux en Chine. Son orientation sera particulièrement problématique lorsque le nouveau système de crédit social entrera en vigueur en 2020.

V.  Conclusion

[14]  À mon sens, comme M. Burton a démontré que la discrimination dont pourrait être victime la demanderesse équivaut à de la persécution, il incombait à la SPR d’aborder cette question et d’examiner le témoignage de M. Burton.

VI.  Certification

[15]  Aucune question à certifier n’a été soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5415-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la question du profil de risque résiduel de la demanderesse est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour d’avril 2020.

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5415-18

INTITULÉ :

HONGMEI LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 DÉCEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Lisa Winter-Card

POUR La demanderesse

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Czuma Ritter

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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