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Date : 20200323


Dossier : T-522-19

Référence : 2020 CF 401

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2020

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

KONSTANTINOS XANTHOPOULOS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le procureur général, défendeur en l’espèce, sollicite par la voie d’une requête à être jugée sur dossier la radiation de la demande de contrôle judiciaire de la décision du 21 mars 2019 par laquelle le Comité de déontologie [le Comité de déontologie] de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] a ordonné le congédiement du demandeur, Konstantinos Xanthopoulos. Le défendeur invoque, au soutien de sa requête, le caractère prématuré de la demande de contrôle judiciaire étant donné que le demandeur n’a pas épuisé tous les recours dont il dispose sous le régime de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10 [la Loi sur la GRC].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la requête du défendeur sera accueillie.

I.  Le contexte

[3]  Les faits exposés ci-dessous ne sont pas contestés.

[4]  De 2014 à 2019, le demandeur a travaillé pour la GRC comme gendarme au détachement de Surrey. À ce titre, il était tenu de se conduire conformément au code de déontologie de la GRC figurant à l’annexe du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281 [le code de déontologie].

[5]  Le défendeur s’est fait reprocher d’avoir contrevenu au code de déontologie à trois occasions distinctes entre 2016 et 2017.

[6]  En mars 2019, après la tenue d’une enquête, le demandeur a comparu à une audience devant le comité de déontologie.

[7]  Le 21 mars 2019, après avoir conclu que le demandeur avait commis deux des trois contraventions alléguées, le comité de déontologie lui a donné l’ordre de démissionner; il a subsidiairement ordonné qu’il soit congédié s’il ne remettait pas sa démission dans les 14 jours. Conformément au paragraphe 25(2) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291, la décision rendue de vive voix a pris effet immédiatement. Par la suite, le Comité de déontologie a rédigé des motifs supplémentaires qui ont été publiés le 25 avril 2019.

[8]  Selon l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et la partie 2 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289, le demandeur avait le droit de faire appel de la décision du Comité de déontologie prononcée de vive voix à l’audience. Or, rien n’indique qu’il se soit prévalu de ce droit.

[9]  Le 25 mars 2019, le demandeur a produit la demande sous-jacente. Il invoque dans son avis de demande plusieurs moyens, alléguant notamment qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale lors du déroulement de l’enquête et dans le processus décisionnel de la GRC, que des erreurs ont été commises dans l’appréciation des faits et que le processus d’appel prévu par la procédure administrative interne de la GRC présentait des lacunes.

II.  La requête en radiation présentée par le défendeur

[10]  Le 19 novembre 2019, moins d’un mois avant l’instruction de la demande, le défendeur a déposé la présente requête en radiation.

[11]  Au lieu de répondre à la requête, le demandeur lui a opposé sa propre requête dans laquelle il a sollicité une ordonnance enjoignant à la GRC de produire certains documents (la requête en communication de documents). Selon le demandeur, ces documents lui étaient « essentiels », d’abord pour prouver que la lenteur du déroulement de la procédure interne qui lui confère un droit d’appel fait en sorte que ce n’est pas un recours juste et utile, et ensuite pour répondre à la requête du défendeur. La requête du demandeur a été reçue par le greffe, mais elle n’a pas été formellement produite au dossier puisque les parties devaient produire leurs observations à l’ouverture de l’instruction de la demande de contrôle judiciaire.

[12]  Lors de l’audience tenue le 11 décembre 2019, les parties ont convenu que la requête en communication de documents devait être instruite avant la requête en radiation et qu’elle devait être jugée sur dossier conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. La Cour a ordonné au demandeur de répondre à la requête en radiation du défendeur dans les 14 jours suivant, selon le cas, la réception de tout document dont elle aura ordonné la communication ou le rejet de la requête en communication de documents.

[13]  Le 25 février 2020, le juge Robert Barnes a rejeté la requête en communication présentée par le demandeur (Xanthopoulos c Canada (Procureur général), 2020 CF 297 [Xanthopoulos]).

[14]  Le 9 mars 2020, en réponse à la requête en radiation, le demandeur a déposé un dossier de requête contenant plus de 1 500 pages. Puis, le 12 mars 2020, le défendeur a produit de brèves observations écrites en réplique.

III.  L’analyse

[15]  La seule question en litige que soulève la présente requête est celle de savoir s’il y a lieu de radier la demande de contrôle judiciaire parce qu’elle est prématurée.

[16]  Le défendeur soutient que la demande de M. Xanthopoulos va à l’encontre du principe bien établi selon lequel, sauf circonstances exceptionnelles, une partie se doit d’épuiser toutes les voies de recours administratifs utiles avant d’exercer un recours judiciaire (voir Forner c Institut professionnel de la Fonction publique du Canada, 2016 CAF 35, par. 13 [Forner]; voir aussi Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 [CB Powell], par. 30 et 31).

[17]  Le demandeur reconnaît qu’il existe des recours internes à la GRC. Toutefois, il est d’avis que la lenteur et la lourdeur excessives du processus font en sorte qu’il [traduction] « ne fonctionne pas dans les faits ».

[18]  En outre, il soutient que les faits allégués dans la demande de contrôle judiciaire – en particulier l’allégation figurant à l’alinéa 8a) de l’avis de demande, à savoir que [traduction] « la procédure d’appel à laquelle peut recourir le demandeur sous le régime des Consignes du commissaire (griefs et appels) ne constitue pas une solution de rechange valable par rapport à la procédure de contrôle judiciaire » doivent être tenus pour avérés pour les besoins de la requête en radiation. Selon lui, il incombe au défendeur de démontrer que ces « faits » sont à première vue inexacts. Je ne suis pas de cet avis.

[19]  L’allégation du demandeur selon laquelle la procédure d’appel est déficiente n’est rien de plus qu’une simple affirmation. L’avis de demande n’expose aucun fait quant à l’efficacité ou à l’utilité de la procédure d’appel. En fait, le demandeur limite ses allégations à l’instance devant le Comité de déontologie.

[20]  Le demandeur s’appuie sur les affidavits du caporal Ryan Letnes et du gendarme Andy Yung pour s’opposer à la requête en radiation du défendeur. Dans ces affidavits, les deux affiants font état de la frustration qu’ils ont éprouvée en essayant d’obtenir la communication de documents en temps utile et en entier, et ils déplorent le déroulement trop long de la procédure de grief qu’ils ont eux-mêmes dû supporter. Cependant, ils ne font aucune allusion à la situation du demandeur.

[21]  Certes, il est fort possible que le temps moyen nécessaire pour le règlement d’un appel soit long, voire excessif dans certains cas, mais le demandeur n’a produit aucun élément de preuve pour établir que son appel connaîtrait le même sort. Pour reprendre les propos du juge Barnes, au paragraphe 4 de la décision Xanthopoulos : « On ne devrait pas demander à la Cour de présumer qu’un appel aurait été vicié ou que M. Xanthopoulos n’aurait pas pu faire quoi que ce soit pour faire progresser son dossier et obtenir une décision en temps opportun. »

[22]  Ce n’est pas pour rien que la règle générale énoncée dans Forner et CB Powell exige que les demandes de contrôle judiciaire ne soient présentées qu’une fois que le décideur administratif a rendu sa décision définitive. En court-circuitant le processus décisionnel au niveau administratif, les tribunaux de révision risqueraient de se priver d’un dossier complet sur la question en litige, de nuire à l’efficacité des recours par la multiplication des procédures et de compromettre un régime législatif complet (voir Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10 [Halifax], par. 36; voir Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 [JP Morgan], par. 85 et 86).

[23]  Au paragraphe 33 de l’arrêt CB Powell, la Cour d’appel fédérale a reconnu qu’il pouvait exister des circonstances exceptionnelles où la Cour acceptera d’examiner le contrôle judiciaire d’une décision administrative rendue au début d’une procédure administrative ou au cours de celle‑ci. Elle précise toutefois, au paragraphe 101 de l’arrêt JP Morgan :

C’est une voie de dernier recours, ouverte uniquement lorsqu’une action recevable en droit administratif existe, lorsque toutes les autres voies de recours actuelles ou éventuelles sont épuisées, inefficaces ou inappropriées, et lorsque la Cour fédérale est habilitée à accorder la réparation demandée.

[24]  La loi reconnaît au demandeur le droit d’interjeter appel de la décision du Comité de déontologie. Après avoir renvoyé le dossier d’appel au Comité externe d’examen de la GRC en application de l’article 45.15 de la Loi sur la GRC, le commissaire de la GRC [le commissaire] est autorisé, en vertu de l’article 45.16, à rendre une décision relativement à un appel interjeté contre les conclusions du Comité de déontologie ou la mesure disciplinaire imposée. Le commissaire dispose de vastes pouvoirs en matière d’appels et ses décisions en appel sont définitives. Il n’y a absolument rien au dossier qui démontre que le demandeur ne pouvait se prévaloir de son droit d’appel à la date où il a présenté la demande sous-jacente ou que son droit serait caduc ou inutile s’il l’exerçait.

[25]  Vu ces faits, je suis d’avis que l’objection fondée sur le caractère prématuré est établie et qu’il n’existe aucune circonstance exceptionnelle justifiant l’instruction de la demande de contrôle judiciaire à ce stade-ci.

[26]  Souscrivant essentiellement aux observations du défendeur, je conclus que la demande de contrôle judiciaire devrait être radiée au motif qu’elle est manifestement prématurée.

IV.  Les dépens

[27]  Le défendeur sollicite les dépens, établis à 4 000 $, qui se rapportent à sa requête en radiation, à la requête du demandeur en vue d’obtenir l’autorisation de se faire représenter par le caporal Letnes (laquelle a été rejetée à l’audience) et enfin, à la demande sous-jacente de contrôle judiciaire.

[28]  On pourrait certes reprocher au défendeur d’avoir tardé à déposer sa requête en radiation, mais il n’en demeure pas moins que le demandeur a choisi de s’y opposer, ce qui a obligé le défendeur à engager d’autres frais pour répliquer au volumineux dossier de requête produit en réponse par le demandeur. En règle générale, la partie qui a gain de cause a droit aux dépens afférents à une requête. En l’espèce, le défendeur a obtenu gain de cause sur toute la ligne : sur sa requête en radiation et dans sa contestation de la requête du demandeur visant à obtenir l’autorisation d’être représenté par un non-juriste.

[29]  Étant donné la quantité de travail exigée et l’issue de ces requêtes, je conclus que la somme demandée par le défendeur est justifiée.

V.  Conclusion

[30]  Pour ces motifs, la requête du défendeur est accueillie, avec dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T-522-19

LA COUR ORDONNE :

  1. L’avis de demande du 21 mars 2019 est radié, sans autorisation de le modifier.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Le demandeur versera au défendeur des dépens dont le montant est fixé à 4 000 $, taxes et débours compris.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour d’avril 2020.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-522-19

 

 

INTITULÉ :

KONSTANTINOS XANTHOPOULOS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 23 mars 2020

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Konstantinos Xanthopoulos

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Susanne Pereira

Courtenay Landseidel

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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