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Date : 20200324

Dossier : T-1358-18

Référence : 2020 CF 404

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2020

En présence de monsieur le juge Southcott

RECOURS COLLECTIF CERTIFIÉ

ENTRE :

SIMON LOGAN

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente décision concerne une requête déposée par le demandeur le 28 juin 2019, aux termes de l’article 220 des Règles des Cours fédérales, avec le consentement de la défenderesse, dans laquelle il demande à la Cour de trancher une question de droit qui représente la seule question commune de ce recours collectif. Le différend dans la présente action concerne l’interprétation de la section 2 de la partie III(B) de la police du Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) numéro 901102 (la police) des Forces armées canadiennes (FAC), qui régit les prestations d’assurance invalidité prolongée (AIP) pour certaines catégories de membres des FAC.

[2]  Le demandeur, M. Simon Logan, a intenté la présente action en son nom et au nom de certains autres anciens membres des FAC qui reçoivent des prestations en application de la section 2, partie III(B) de la police. M. Logan prétend que la défenderesse, Sa Majesté la Reine, a enfreint les dispositions de la police en calculant ses prestations de revenu mensuelles uniquement en fonction de son traitement, en omettant certaines indemnités du calcul. Dans son cas, les indemnités sont présentées comme une indemnité de combattant de la force d’intervention spéciale, une indemnité différentielle de vie chère et une indemnité de tenue civile.

[3]  Le présent recours collectif a été certifié par ordonnance datée du 1er mars 2019, dans laquelle le groupe comme suit (le groupe) :

Tous les anciens membres des Forces armées canadiennes qui, le ou après 17 juillet 2012 ont reçu, des prestations d’invalidité prolongée et/ou des prestations de mutilation en vertu de la section 2 de la partie III (B) de la police du RARM No 901102, et qui ont eu un indemnité des Forces armées canadiennes en vigueur à la date de leur libération des Forces armées canadiennes ou, dans le cas d’un membre en service de réserve de classe « C », au moment où la blessure est survenue ou que la maladie a été contractée.

All former members of the Canadian Armed Forces who on or after July 17, 2012 received, long term disability benefits and/or dismemberment benefits under Division 2, Part III(B) of SISIP Policy 901102, and had an allowance from the Canadian Armed Forces in effect on the date of their release from the Canadian Armed Forces or, in the case of a Class “C” member, when the injury was incurred or the illness was contracted.

[4]  La question à trancher par la Cour à l’égard de la présente requête, telle qu’elle est formulée conjointement par les parties, est la suivante (la question) :

Lors du calcul des prestations d’invalidité prolongée et des prestations de mutilation en vertu de la section 2 de la partie III (B) de la police du RARM No 901102, devraient-ils être inclus les indemnités en vigueur à la date de leur libération des Forces armées canadiennes (ou, dans le cas d’un membre en service de réserve de classe « C », au moment où la blessure est survenue ou que la maladie a été contractée) dans le taux de rémunération du membre de la Groupe?

When calculating long term disability benefits and dismemberment benefits under Division 2, Part III(B) of SISIP Policy 901102, should a Class member’s allowances in effect on the date of their release from the Canadian Armed Forces (or in the case of a Class “C” member, when the injury was incurred or the illness was contracted) be included in the Class member’s monthly pay?

[5]  Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, j’ai conclu que la question devrait être accueillie, c.-à-d. la thèse avancée par le demandeur, sous toute réserve toutefois : toutes les indemnités ne devraient pas nécessairement être incluses dans la solde mensuelle d’un membre du groupe aux fins du calcul du montant des prestations pertinentes. Seules les indemnités versées mensuellement doivent être incluses.

II.  Contexte

[6]  L’article 35 de la Loi sur la défense nationale, LRC c N-5 (la Loi) autorise le Conseil du Trésor à déterminer les taux et conditions de versement de la solde des membres des FAC. Une fois que le Conseil du Trésor établit de telles déterminations, le Chef d’état-major de la défense (CEMD) délivre des directives sur la rémunération et les avantages sociaux (DRAS) s’y rapportant.

[7]  Au titre de l’article 39 de la Loi, le CEMD est autorisé à créer des programmes à l’intention des membres des FAC, anciens ou en poste, ou des personnes à leur charge. La police, qui est un régime d’assurance avec plusieurs composantes, notamment la composante AIP, qui est visée par la présente action, a été mise en œuvre aux termes de l’article 39. Alors que l’assurance AIP au titre de la police est administrée par la Financière Manuvie, le CEMD a été présenté comme l’assureur de facto (voir la décision Manuge c Canada, 2012 CF 499 [Manuge], au paragraphe 33).

[8]  Le dossier présenté à la Cour dans la présente requête comprend un affidavit assermenté de M. Logan, ainsi que des pièces, et un exposé conjoint des faits. Ce dernier fait état de certains points factuels convenus entre les parties et comprend, en pièce jointe, des copies de documents auxquels les parties se réfèrent pour appuyer leurs positions respectives sur la question. Ces documents comprennent des versions française et anglaise de la police, certaines DRAS, et diverses pages du site Web du MDN et du RARM. Les parties ont précisé que les versions française et anglaise de la police font pareillement autorité.

[9]  La présente action concerne la couverture d’assurance AIP au titre de la section 2 de la partie III(B) de la police, dont l’article 20 confère une telle couverture aux membres de la Force régulière des FAC et aux membres de la Force de réserve de classe « C » des FAC. Ces derniers sont définis par une combinaison de la section 2, de l’alinéa 20b) et de la section 1, du sous-alinéa 1f)(v) dans la partie III(B), comme des membres de la Force de réserve employés à temps plein avec la Force régulière et désignés par l’autorité militaire comme étant des membres en service de réserve de classe « C » (membres de classe « C »). L’alinéa 23a) de la section 2 de la partie III(B) prévoit le calcul des prestations d’AIP mensuelles comme suit :

23 (a) Sous réserve de l’alinéa l.g.(iv) et de l’article 24, les prestations mensuelles équivalent à 75% de la solde mensuelle du membre à la date de libération des Forces canadiennes ou, dans le cas d’un membre en service de réserve de classe « C », à 75% de la solde mensuelle en vigueur au moment où la blessure est survenue ou que la maladie a été contractée.

23 (a) Subject to Section 1.g.(iv) and Section 24, the monthly income benefit payable shall be 75% of the member’s monthly pay in effect on the date of release from the Canadian Forces or, in the case of Class “C” members, 75% of the monthly pay in effect when the injury was incurred or the illness was contracted.

[10]  Dans son affidavit, M. Logan explique qu’il s’est enrôlé dans les FAC le 11 février 1988. Du fait de son service, y compris dans des zones de service spécial désignées, il souffre désormais d’un certain nombre de problèmes de santé. En raison de ces problèmes de santé, il ne satisfaisait plus aux conditions universelles de service des FAC et a reçu une libération involontaire pour raisons de santé en vigueur le 16 février 2016, après avoir atteint le grade d’adjudant. À cette date, il recevait les montants d’argent mensuels suivants :

  1. 6 801 $ en tant qu’adjudant;

  2. 3 730 $ au titre de l’indemnité de combattant de la force d’intervention spéciale;

  3. 65,50 $ au titre de l’indemnité différentielle de vie chère;

  4. 68,50 $ au titre de l’indemnité de tenue civile.

[11]  Ces montants d’argent totalisaient 10 665 $, tous imposables à l’exception de l’indemnité de tenue civile. À sa libération, M. Logan a eu droit à une prestation d’AIP mensuelle aux termes de la police. Sa prestation d’AIP est actuellement calculée comme équivalent à 75 % de 6 801 $. Autrement dit, les trois indemnités qu’il recevait avant sa libération n’ont pas été prises en compte dans le calcul de ses prestations d’AIP.

III.  Question en litige

[12]  La seule question en litige dans la présente requête au titre de l’article 220 des Règles est la détermination de la réponse à la question. Il existe un précédent concernant le recours à l’article 220 des Règles pour résoudre un différend relatif à l’interprétation du contrat dans un autre recours collectif concernant la police (voir Manuge).

IV.  Analyse

A.  Principes de l’interprétation du contrat

[13]  Les principes d’interprétation du contrat applicables à l’interprétation des polices d’assurance sont constants. Outre les principes généraux d’interprétation des contrats, des principes particuliers s’appliquent à l’interprétation des contrats d’assurance, nécessitant une analyse de trois étapes (ou pouvant aller jusqu’à trois étapes). S’appuyant sur une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, le demandeur résume ces trois étapes comme suit :

  1. Lorsque le libellé de la police d’assurance n’est pas ambigu, il convient d’y donner effet de façon non équivoque, et considérant le contrat dans son ensemble;

  2. Sile texte de la police est ambigu, on doit recourir aux règles générales d’interprétation du contrat, entre autres : les attentes raisonnables des parties, l’évitement des résultats irréalistes, et la concordance de l’interprétation avec celles des polices d’assurance semblables;

  3. Si l’ambiguïté subsiste, il faut appliquer la règle contra proferentum pour interpréter la police contre l’assureur.

(Voir les arrêts Jesuit Fathers of Upper Canada c Cie d’assurance Guardian du Canada, 2006 CSC 21, aux paragraphes 27 à 30; Progressive Homes Ltd. c Cie canadienne d’assurances générales Lombard, 2010 CSC 33, aux paragraphes 21 à 24; Ledcor Construction Ltd. c Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [Ledcor], aux paragraphes 49 à 51.)

[14]  La défenderesse ne conteste pas qu’il s’agit des principes directeurs prescrits par la jurisprudence. Toutefois, elle estime que la troisième étape, invoquant le principe de contra proferentum, ne s’applique pas dans les circonstances actuelles. La règle contra proferentum fait référence au principe selon lequel les ambiguïtés des contrats d’assurance sont interprétées contre l’assureur, car les contrats d’assurance sont essentiellement des contrats d’adhésion rédigés par l’assureur (voir, par exemple l’arrêt Non-Marine Underwriters, Lloyd’s of London c Scalera, [2000] 1 RCS 551, au paragraphe 70). La défenderesse soutient que, parce que les primes de la couverture au titre de la police sont entièrement, ou en grande partie, payées par le Secrétariat du Conseil du Trésor, une telle couverture peut être interprétée comme un avantage de l’emploi de l’assuré. Par conséquent, la défenderesse soutient que la police est différente du contrat d’adhésion type qui est formé dans un contexte commercial.

[15]  La défenderesse ne cite aucune jurisprudence pour appuyer sa proposition et je ne trouve aucun principe de base permettant de conclure que les moyens de financement des primes pertinentes nuisent à l’application de la règle contra proferentum dans une circonstance où l’assureur a rédigé le contrat d’assurance dans son intégralité. De plus, je suis d’accord avec l’observation du demandeur selon laquelle la décision de la Cour dans Manuge est une jurisprudence directement applicable, contrairement à la proposition de la défenderesse. Le juge Barnes a appliqué le principe de contra proferentum pour résoudre toute ambiguïté dans la police en faveur du demandeur et des autres membres du groupe en l’espèce (au paragraphe 64).

[16]  J’estime donc que les principes d’interprétation du contrat résumés ci-dessus représentent le cadre approprié pour résoudre la question.

B.  Étape – Libellé de la police

1)  Les termes contestés

[17]  Il est admis que les prestations d’AIP en litige sont calculées selon l’alinéa 23a) de la section 2 de la partie III(B) de la police (reproduit précédemment dans les présents motifs).

[18]  L’alinéa 23a) détermine que les prestations applicables équivalent à 75 % de la « solde mensuelle » du membre des FAC (ou, dans la version anglaise de la police, « monthly pay » du membre). Ce terme est à son tour défini aux sous-alinéas 1g)(i)(a) et (b) de la section 1, partie III (B), comme suit [Non souligné dans l’original.] :

1 (g)(i)(a) Dans le cas des membres définis à l’alinéa l.f.(i)., « solde mensuelle » désigne je taux de rémunération en vigueur à la date de la libération des Forces canadiennes et inclut toutes les augmentations rétroactives de rémunération prenant effet au plus tard à la date de libération des Forces canadienne

1 (g)(i)(a) For members defined at Section l.f.(i). [Regular Force Members], “monthly pay” and “monthly salary” shall mean the monthly pay in effect on the date of release from the Canadian Forces, and shall include all retroactive pay increases with an effective date on or before the member’s date of release from the Canadian Forces.

(g)(i)(b) Dans le cas des membres définis à l’alinéa 1.f.(v)., « solde mensuelle » désigne le taux de rémunération en vigueur au moment où la blessure on la maladie est survenue.

(g)(i)(b) For members defined at Section 1.f.(v). [Class “C” Reservists], “monthly pay” or “monthly salary” shall mean the monthly pay in effect when the injury or illness was contracted

[19]  Les sous-alinéas 1g)(i)(a) et (b), et les termes soulignés ci-dessus, sont les principales dispositions du contrat en cause dans la présente action. Plus précisément, les parties ne s’entendent pas sur le sens du terme anglais « monthly pay » ([traduction] « solde mensuelle ») (ou, dans la version française de la police, sur le sens du terme « taux de rémunération ») qui figure dans les définitions de chacun de ces sous-alinéas. Le demandeur est d’avis que les termes anglais « monthly pay » (« solde mensuelle ») et les termes français « taux de rémunération » ont un sens large qui comprend non seulement son salaire, mais aussi ses indemnités. La défenderesse fait valoir que ces termes ne comprennent que son salaire.

[20]  À cette première étape du cadre d’interprétation du contrat, pour déterminer si le libellé de la police est clair et sans ambiguïté, le demandeur s’appuie grandement sur les définitions du dictionnaire et les interprétations judiciaires antérieures des termes contestés. La principale réponse de la défenderesse aux arguments du demandeur est que le recours à de telles ressources est inutile et même inapproprié, car compte tenu de la police dans son ensemble, les termes contestés sont clairement définis ailleurs dans la police même. J’examinerai d’abord les ressources sur lesquelles le demandeur s’appuie, avant de passer aux arguments respectifs des parties sur le champ d’application des définitions sur lesquelles s’appuie la défenderesse.

2)  Sens ordinaire des termes anglais « monthly pay » (traduits par « solde mensuelle » dans la version française) et « taux de rémunération »

[21]  Examinons d’abord l’expression anglaise « monthly pay » (traduits par « solde mensuelle » dans la version française), le demandeur cite plusieurs définitions de dictionnaires et dictionnaires des synonymes qui, selon lui, établissent le sens large du mot anglais « pay » ([traduction] « solde ») [Non souligné dans le mémoire du demandeur, en gras dans l’original] :

Dictionnaire Merriam-Webster’s Collegiate, 11e éd., sous l’entrée « pay » ([traduction] « paie »).

Pay n. (14c) 1 : something paid for a purpose and esp. a salary or wage: REMUNERATION 2 a: the act or fact of paying or being paid b : the status of being paid by an employer , EMPLOY [...] ([traduction] Solde n. (14c) 1 : ce qui est payé à des fins précises, en particulier un salaire ou un traitement : RÉMUNÉRATION 2 a : payment ou fait de payer b : fait d’être payé par un employeur, EMPLOYER [...]).

The Dictionary of Canadian Law, sous l’entrée « pay » ([traduction] « paie »).

Pay n. 1. Remuneration in any form. 2. Wages due or paid to an employee and compensation paid or due to an employee but does not include deductions from wage that may lawfully be made by an employer. ([traduction] Solde n. 1. Rémunération sous toute forme. 2. Traitement dû ou payé à un employé et rétribution due ou payée à un employé, mais qui ne comprend pas les retenues sur traitement qui peuvent être effectuées légalement par un employeur).

Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., sous l’entrée « pay » ([traduction] « solde »).

Pay n. wages, payment. ([traduction] Solde n. traitement, paiement.)

Black’s Law Dictionary, 10e éd,. sous l’entrée « pay » ([traduction] « solde »).

Pay n. (14c) 1. Compensation for services performed, salary, wages, stipend, or other remuneration given for work done. ([traduction] Solde n. (14c) 1. Rétribution en échange de services rendus, salaire, traitement, allocation ou autre rémunération versés en échange d’un travail fait.)

Dictionary.com (2 août 2019), en ligne : <www.dictionary.com/browse/pay>.

Pay n. Wages, salary or a stipend. ([traduction] Solde n. traitement, salaire ou allocation).

Garner’s Dictionary of Legal Usage, 3e éd., sous l’entrée « pay » ([traduction] « solde »).

Pay, n., compensation; wage; salary; stipend; fee; emolument; remuneration; recompense.

These terms all denote money that is earned for one’s labor or services. Pay is the most general, usual term <total pay package>. Compensation is essentially equivalent, although it can embrace not just pay received in return for services rendered, but also money paid for a loss (as with damages). Wage or wages applies mainly to compensation paid daily or weekly for labor, especially for blue-collar labor <a mechanic’s wage> <the maid’s daily wage>. Salary normally refers to fixed compensation paid periodically over a longer time for white-collar work. In BrE, the equivalent of salary for a teacher, officeholder, or minister is stipend, but in AmE stipend usually suggests a modest payment made to someone who is appointed to carry out an assignment over a specified period <the semesterly stipend for research assistants>. Fee refers to the price asked by and paid to a professional (broadly defined) <lawyer’s fee> <Arnold Palmer’s appearance fee>. Emolument is a high-flown equivalent of pay, used especially as a plural in reference to officeholders <the emoluments of office>. Remuneration and recompense / rek-əm-pen[t]s/ are much the same, except that they can more broadly denote compensation anywhere on the pay scale, from the most modest to the greatest <what remuneration do you require?>. With recompense, there is an additional suggestion of requiting, paying back, or making amends - though the word is not always colored in this way. See recompense.
([traduction] Solde, n., rétribution; traitement, salaire, allocation; honoraires; appointements; rémunération; dédommagement.)
Ces expressions désignent toutes de l’argent qui est gagné en échange de services d’une personne ou d’un travail effectué par une personne.
Le terme solde est le terme le plus général et habituel <régime de solde et d’ indemnité total>. La rétribution est essentiellement l’équivalent, même s’il peut ne pas seulement s’agir du solde reçu en échange de services rendus, mais aussi de l’argent payé en contrepartie d’une perte (comme pour les dommages). Traitement ou traitements s’appliquent principalement à la rétribution payée de façon journalière hebdomadaire en échange d’un travail, en particulier pour le travail de cols bleus <le traitement d’un mécanicien> <le traitement journalier d’une femme de ménage>. Le traitement fait normalement référence à une rétribution fixée payée périodiquement au cours d’une longue période en échange de travail de cols blancs. En anglais britannique, l’équivalent du mot traitement pour un enseignant, un titulaire d’une charge ou un ministre est allocation, mais en anglais américain, allocation concerne généralement un modeste paiement effectué à l’égard d’une personne nommée pour accomplir une mission pendant une période précise <l’allocation semestrielle des assistants de recherche>. Le mot Droits
renvoie au prix demandé par les professionnels et payés à ceux-ci (définis au sens large) <les honoraires d’avocat> <les honoraires relatifs à la comparution d’Arnold Palmer>. Le terme appointements est un équivalent ampoulé du terme paie, utilisé particulièrement au pluriel, en référence aux titulaires d’une charge <les appointements relatifs à une charge>. Les termes Rémunération et dédommagement / [dedɔmaʒmɑ̃] sont sensiblement les mêmes, à la différence près que la rémunération peut désigner plus généralement une rétribution à n’importe quel niveau de l’échelle salariale, du plus modeste au plus important <à quelle rémunération prétendez-vous?>. Le mot dédommagement correspond à l’idée supplémentaire de rétribution, de remboursement ou de réparation – bien que le terme ne soit pas toujours interprété de cette façon. Voir Dédommagement).

[En gras et en italique dans l’original. Le soulignement a été ajouté dans le mémoire du demandeur.]

West ’s Legal Thesaurus and Dictionary, sous l’entrée « pay » ([traduction] « paie »)

Pay l. n. Compensation (inadequate pay). Wage, remuneration, salary, commission, fee, allowance, earnings, recompense, payment, consideration, stipend, emolument, return, gain, bonus, honorarium, paycheck, perk, gratuity, fringe, settlement. See also compensation, income.
([traduction] Solde 1. n. Rétribution (paie inadéquate).
traitement, rémunération, salaire, commission, honoraires, indemnité, gains, dédommagement, paiement, contrepartie, allocation, appointements, bénéfices, gain, prime, versement, chèque de paie, avantage, pourboire, marge, règlement.
Voir aussi rétribution, revenu.

Legal Thesaurus, sous l’entrée « paie » ([traduction] « solde »)

PAY, noun

Allowance, award, compensation, consideration, defrayal, defrayment, earnings, emolument, fee, grant, hire, income, indemnity, meed, merces, monetary return, payment, perquisite, profit, reckoning, recompense, reimbursement, remittance, remuneration, repayment, return, revenue, reward, salary, settlement, solarium, stipend, stipendium, support, wages
([traduction] SOLDE, nom
Indemnité, indemnité compensatoire, rétribution, contrepartie, défraiement, prise en charge des frais, gains, appointements, honoraires, subvention, paye, revenu, indemnité, récompense, merces, rendement monétaire, avantage indirect, profit, reddition de compte, dédommagement, remboursement, envoi d’argent, rémunération, remboursement, bénéfices, revenu, récompense, traitement, règlement, gages, appointements, bourse, subside, traitements.

[22]  Conformément au principe selon lequel les polices d’assurance doivent être interprétées de la manière dont elles seraient comprises par un « assuré ordinaire » (voir l’arrêt Sabean c Portage La Prairie Mutual Insurance Co., 2017 CSC 7, au paragraphe 37), j’admets que les définitions des dictionnaires peuvent éclairer l’interprétation des termes utilisés dans la police d’assurance (voir la décision Brauer c Canada (Procureur général), 2014 CF 488, au paragraphe 66).

[23]  Je suis conscient que les observations de la défenderesse selon lesquelles la Cour ne devrait pas examiner l’interprétation de la police du point de vue d’une « personne ordinaire », mais plutôt du point de vue d’un [traduction] « miliaire ordinaire ». La défenderesse s’appuie sur la déclaration dans la décision Ledcor selon laquelle une interprétation ne devrait pas aboutir à un résultat irréaliste ou que n’auraient pas envisagé les parties dans le climat commercial où la police d’assurance a été contractée (au paragraphe 50).

[24]  Un débat a été engagé entre les parties à l’audience sur la question de savoir si ce point (c.-à-d. la mesure dans laquelle il faudrait tenir compte du contexte particulier dans lequel la police s’applique) fait partie de l’étape 1 ou de l’étape 2 du cadre d’interprétation du contrat. Le passage de l’arrêt Ledcor sur lequel s’appuie la défenderesse fait partie de la description par la Cour suprême de la deuxième étape de l’analyse. J’estime également que les arguments particuliers des parties sur ce point sont principalement liés à cette étape. Je reviendrai donc sur ce point plus loin dans les présents motifs. Cependant, avant de clore l’étape 1, j’examinerai les arguments des deux parties concernant l’utilisation du mot « solde » sur les états de solde et sur le site Web du MDN dont les membres des FAC auraient peut-être eu connaissance.

[25]  Revenant aux définitions du dictionnaire, le demandeur se fonde également sur la définition suivante du terme « rémunération » employé dans la définition de « solde mensuelle » [soulignements ajoutés dans le mémoire du demandeur, en caractères gras dans l’original];

Dictionnaire canadien des relations du travail, 2e éd, sub verbo « rémunération ».

rémunération f - compensation; remuneration; pay

Prix versé à quelqu’un en nature ou en espèces pour un travail qu’il a exécuté ou pour un service qu›il a rendu. La rémunération est un terme d’une portée plus générale que le salaire* qui s’emp1oie lorsque le taux de la rémunération est convenu d’avance et que celle-ci constitue la paiement du travail fourni par un employé. Tout salaire est une rémunération, mais non le contraire. On peut classifier les types de rémunérations sous bien des aspects. Les expressions qui suivent peuvent se regrouper selon le mode de calcul: à 1’acte, au rendement, primaire, selon le mode de paiement, en nature, en espèces, forfaitaire, participatoire, brute.

Rétribution*, bénéfice*, traitement*; prime*.

[26]  Le demandeur renvoie également la Cour à la jurisprudence qui a examiné le sens de « rémunération », en interprétant son utilisation dans la législation fédérale. Les tribunaux ont jugé qu’il s’agissait d’un terme large, ayant un sens plus large que, par exemple, « salaire » ou « traitement » (voir l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c Canada (Procureur général), [1986] 1 RCS 678, au paragraphe 12 (le juge La Forest, le juge en chef Dickson, le juge Lamer, et le juge Le Dain ayant souscrit aux motifs) et au paragraphe 79 (le juge Chouinard, le juge Beetz, et le juge McIntyre, dissidents sur la conclusion, mais souscrivant à la décision sur ce point); Snively c Can-Am Services (1985), 12 C.L.R.B.R. (N.S.) 97 (CLRB), aux paragraphes 20 à 23).

[27]  Ces ressources citées par le demandeur permettent de conclure que le « solde » est un terme large, que la « rémunération » (le cas échéant) est plus large, et que ces termes peuvent inclure des indemnités. Je reconnais qu’en référence à certaines des définitions qui définissent la « solde » comme une rétribution en échange de services, la défenderesse soutient que les indemnités ne sont pas versées strictement pour les services rendus. En revanche, comme il est indiqué au paragraphe 35(2) de la Loi, les indemnités sont versées aux membres des FAC « au titre [...] des dépenses ou conditions inhérentes au service. » En outre, à l’alinéa 205.10(2)b) du Chapitre 205 des DRAS les indemnités mensuelles sont définies comme compensant une responsabilité continuelle pour l’exercice d’une compétence, pour l’exposition à un environnement ou pour l’exécution d’une tâche particulière. Bien que je comprenne les distinctions que la défenderesse soulève, à mon avis, elles ne sapent pas le caractère raisonnable de la thèse du demandeur voulant qu’il existe une relation suffisante entre le service des membres des FAC et les indemnités qu’ils reçoivent pour que les significations des termes « solde » et « rémunération » englobent les indemnités. C’est au moins une interprétation possible de ces termes, et l’argument de la défenderesse sur ce point, tout au plus, soulève une ambiguïté quant à leur signification.

[28]  Comme il est indiqué précédemment, les parties ont également présenté des observations fondées sur les termes utilisés dans un exemple d’état de solde du demandeur. La défenderesse souligne que, dans la section [traduction] « Détails de la transaction » de la déclaration, la [traduction] « solde de la Force régulière » du demandeur figure sous la rubrique [traduction] « Solde actuelle et ajustements », tandis que ses indemnités figurent dans des rubriques distinctes : [traduction] « Indemnités imposables » et « Indemnités non imposables ». Ces trois catégories figurent dans la section [traduction] « Lien avec la déclaration précédente » avec le total présenté comme [traduction] « Solde et indemnités actuelles ». La défenderesse affirme que ces distinctions entre l’utilisation des termes [traduction] « paie » et « indemnités » appuient sa position selon laquelle le terme [traduction] « paie » ne comprend pas les indemnités.

[29]  J’admets la logique de son observation. Toutefois, le demandeur répond en indiquant que tout le document, qui comprend les indemnités, s’appelle l’[traduction] « État de solde ». En outre, dans le document, le terme [traduction] « retenue à la source» est utilisé pour désigner les retenues comme celles au titre de l’impôt sur le revenu, l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada, qui s’appliquent à la solde de la Force régulière du demandeur et à ses indemnités. Dans la section [traduction] « Lien avec la déclaration précédente », le total des résultats de tous les montants d’argent payables moins toutes les retenues est intitulé [traduction] « Droit au solde actuel ». En d’autres termes, le terme [traduction] « solde » est aussi utilisé dans l’état de solde d’une manière qui inclut les indemnités. Selon moi, l’état de solde ne milite pas particulièrement en faveur de la thèse d’une partie ou de l’autre, mais permet d’appuyer la conclusion selon laquelle le libellé de la politique est ambigu.

[30]  Le demandeur s’appuie aussi sur des parties du site Web du ministère de la Défense nationale qui, selon lui, permettent de démontrer l’utilisation du terme ([traduction] « solde ») et « rémunération » qui étayent sa thèse. S’appuyant sur l’ancien libellé de la version en anglais du site Web (qui, comme le souligne le demandeur, a été modifié le 22 novembre 2018, par suite de l’introduction de la présente action), le demandeur explique qu’un visiteur de la page du site Web ayant droit à une solde trouvera un lien rédigé comme suit (lien souligné) :

[traduction]
Directives sur la rémunération et les avantages sociaux – solde

Trouvez les polices qui touchent la solde des membres des Forces armées canadiennes

[31]  En cliquant sur ce lien, le visiteur sera dirigé vers une autre page Web qui se présente comme suit [liens soulignés] :

[traduction]
Directives sur la rémunération et les avantages sociaux

Solde

  Chapitre 204 – Solde des officiers et militaires du rang

  Chapitre 205 – Indemnités des officiers et militaires du rang

[32]  Le demandeur présente cette série de pages Web et de liens montrant que la défenderesse utilise le terme « solde » d’une manière qui inclut les indemnités. J’admets la logique de la présentation. Il avance des arguments dans le même sens en s’appuyant sur les versions françaises des mêmes pages Web et sur leur utilisation du terme « rémunération ». Encore une fois, je suis du même avis.

[33]  La défenderesse présente des arguments fondés sur d’autres termes définis dans la partie III(B) de la police. Comme le note la défenderesse, la définition anglaise qui se trouve aux sous-alinéas 1(g)(i)(a) et (b) de la section 1 s’applique en fait à deux termes définis : « solde mensuelle » et « salaire mensuel ». Ces termes ont donc le même sens et on pourrait en déduire que « solde » et « traitement » sont équivalents. Cependant, dans le cas d’un terme défini, je suis d’avis que c’est la définition, et non le terme en tant que tel, qu’il faut examiner pour connaître le sens du terme. J’accorde donc peu d’importance à ce point.

[34]  Conformément au principe voulant que le contrat soit lu dans son intégralité, la défenderesse affirme également que sa position est appuyée par la façon dont les termes « solde annuelle »/« annual pay » sont définis à l’alinéa 1(g)(iii) de la section 1 :

1 (g)(iii) « Solde annuel » désigne le taux annuel de rémunération du membre versé selon les échelles prescrites dans les tableaux de solde du personnel de la Force régulière. Lorsque le membre est en période de services sans solde, tel qu’accordé par une autorité militaire compétent des Forces canadiennes, le taux de rémunération sera celui en vigueur au dernier jour de service avec solde du membre précédant immédiatement ladite période de service sans solde.

1 (g)(iii) “Annual pay” shall mean the member’s actual rate of pay being paid within the ranges specified in the pay tables for Regular Force personnel. While a member is on any period of service without pay, as granted by the appropriate authority of the Canadian Forces, such rate of pay shall be that which was in effect for the member on the last day of paid service immediately preceding said period of service without pay.

[35]  Ces termes sont définis en fonction des tableaux de solde du personnel de la Force régulière (qui figurent au Chapitre 204 des DRAS). La défenderesse affirme donc que le manque d’uniformité des définitions des termes « solde mensuelle » et « solde annuelle » donnerait lieu à des absurdités. Le demandeur répond que la différence de définition appuie sa position puisqu’elle indique des intentions différentes chez l’auteur de la politique. Je suis d’accord avec la thèse du demandeur sur cette question. Comme le fait remarquer le demandeur, ce genre d’analyse a contribué à l’interprétation faite par le juge Barnes quant à la disposition de politique en litige dans la décision Manuge (au paragraphe 59) :

[59]  Je n’ai nul doute que le CEMD aurait pu rédiger un texte autorisant clairement la déduction de la pension versée au membre au titre de la Loi sur les pensions de la prestation d’IP du RARM. Après tout, il n’y a pas de limites à ce que peuvent stipuler les parties à un contrat. Cependant, le CEMD a rédigé l’article 24 de la police du RARM en incorporant le mot restrictif « revenu » en ce qui concerne la compensation des prestations relevant de la Loi sur les pensions. Le CEMD n’a pas inclus ce mot restrictif dans un certain nombre d’autres textes de compensation dans la police du RARM ou dans la Loi sur les allocations aux anciens combattants, LRC 1985, c W-3. Et, plus récemment, une réduction applicable aux prestations relatives aux pertes de revenu relevant de la Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, DORS/2006-50, a été réclamée pour « la pension d’invalidité à verser en vertu de la Loi sur les pensions » : voir al 22a). Il est clair que la prestation d’invalidité de la Loi sur les pensions entre dans les prévisions de cette disposition et que l’approche différente de l’article 24 révèle une intention différente.

[36]  Le demandeur affirme donc, en se fondant sur la décision Manuge, que si le CEMD souhaitait que le sens de « solde mensuelle »/« monthly pay » n’ait trait qu’au chapitre 204 des DARS, il aurait pu rédiger une définition illustrant clairement ce sens. Cette observation fait ressortir l’argument principal de la défenderesse dans la présente demande, à savoir que les termes en litige sont bel et bien définis clairement ailleurs dans la politique elle-même. Je conviens avec la défenderesse que, si la signification des termes en litige est entièrement fournie dans une définition contractuelle, il n’est pas nécessaire de chercher ailleurs. Par conséquent, je vais examiner les définitions sur lesquelles s’appuie la défenderesse, ainsi que les arguments de chacune des parties quant au champ d’application de ces définitions.

3)  Structure de la politique

[37]  Pour effectuer cette analyse, il faut tenir compte de la façon dont le document de politique est structuré. Comme je l’ai déjà dit, il existe une version anglaise et une version française de la politique, et ces deux versions ont la même valeur. La politique comprend plusieurs parties. À l’exception de la partie I (dispositions générales), chaque partie concerne une composante précise du régime d’assurance global. Par exemple, la partie II porte sur l’assurance revenu aux survivants, la partie III concerne le régime d’assurance invalidité prolongée (AIP), et la partie IV traite de l’assurance vie des personnes à charge.

[38]  Le document de politique comprend également des parties présentées comme des « parties précédentes », exposant des versions de certaines composantes du régime d’assurance qui ne sont plus en vigueur. Ces parties continuent cependant de s’appliquer aux membres qui ont été libérés des FAC ou qui ont autrement eu recours à la couverture à l’époque où ces versions étaient en vigueur. Le différend qui nous occupe concerne la couverture d’AIP qui est énoncée dans la partie Part III(B) de la politique et qui s’applique aux membres libérés après le 30 novembre 1999. La version précédente de la couverture d’AIP se trouve dans la partie III(A).

[39]  Contrairement aux autres parties de la politique, la partie I n’énonce pas de composante précise de la couverture, mais contient plutôt des termes qui, à première vue et comme l’indique le titre (Dispositions générales) de la partie, semblent s’appliquer de manière générale à l’ensemble de la politique. En effet, la question de savoir si les dispositions générales de la partie I (et, plus précisément, la définition qui s’y trouve des termes « solde mensuelle »/« monthly pay ») s’appliquent à la partie III(B) est au cœur du litige entre les parties.

[40]  Un élément important quant aux arguments du demandeur sur cette question est le fait que la partie III(B), qui traite de la couverture d’AIP, est elle-même divisée en plusieurs sections et possède, dans la section 1, son propre ensemble de dispositions générales (y compris plusieurs définitions). La partie III(B) est, dans toute la politique, la seule à avoir ses propres dispositions générales. En effet, la partie III(A), qui régit la couverture d’AIP pour les membres libérés avant le 1er décembre 1999, ne contient pas de dispositions générales.

a)  Position de la défenderesse quant à la partie I (dispositions générales)

[41]  La position de la défenderesse sur la question de l’interprétation contractuelle en litige repose principalement sur la définition suivante des termes « solde mensuelle »/« monthly pay » au sous-alinéa 1(i)(i) de la partie I :

1 (i)(i) « Solde mensuelle » désigne le taux mensuelle de rémunération du membre précisé dans le paragraphe 204 des Ordonnances et règlements royaux dans les tableaux de solde du personnel de la Force régulière

1 (i)(i) “Monthly pay” or “monthly salary” shall mean the member’s rate of pay specified in QR and O Chapter 204 pay tables for Regular Force Personnel.

[42]  Il est admis que la phrase « paragraphe 204 des Ordonnances et règlements royaux dans les tableaux de solde du personnel de la Force régulière », malgré la mention des « Ordonnances et règlements royaux », fait référence aux taux de solde qui figurent actuellement au chapitre 204 des Directives sur la rémunération et les avantages sociaux intitulé « Solde des officiers et militaires du rang ». Le chapitre 204 renferme des tableaux indiquant les taux de solde mensuels précis des membres des FAC, selon leur grade. Les indemnités sont présentées séparément au chapitre 205 des DRAS, intitulé « Indemnités des officiers et militaires du rang ». Dans l’ECF, les parties se sont mises d’accord sur la description suivante de la nature des indemnités :

[traduction]
Les indemnités servent généralement de rémunération supplémentaire à l’une des trois fins suivantes : comme incitatif pour attirer et retenir un personnel suffisamment motivé à des postes comprenant une exposition à des dangers ou à un environnement exceptionnels auxquels les autres membres ne sont pas normalement exposés; en vue d’amortir le coût de la vie plus élevé que la normale à certains endroits au Canada; et pour favoriser et récompenser l’acquisition et l’utilisation de compétences spéciales dans des situations à haut risque. Par exemple, une indemnité liée aux conditions environnementales est prévue aux paragraphes 205.29(1) et 205.536(1) des DRAS, pour l’exposition à des conditions environnementales défavorables ou à des conditions biologiques, géographiques, organiques, à des conditions de la faune et de la flore et à d’autres conditions naturelles, dans une zone donnée; cette indemnité est versée pour le temps qu’un membre passe dans ces conditions.

[43]  Il est évident que la définition des termes « solde mensuelle »/« monthly pay » donnée au sous-alinéa 1(i)(i) de la partie I ne concerne que les sommes versées au titre du chapitre 204 et non celles versées au titre du chapitre 205. La défenderesse affirme que cette définition s’applique à l’ensemble de la politique, y compris la partie III(B), et que les prestations de revenu mensuelles calculées conformément à l’alinéa 23a) comme représentant 75 % de la « solde mensuelle » ou « monthly pay » d’un membre ne tiennent donc compte que des taux de solde indiqués au chapitre 204 et non des indemnités indiquées au chapitre 205.

[44]   La défenderesse reconnaît que les dispositions générales qui figurent dans la section 1 de la partie III(B) contiennent également des définitions des termes « solde mensuelle »/« monthly pay ». Elle affirme que ces définitions n’excluent ni ne remplacent les définitions fournies dans les dispositions générales de la partie I. Elle prétend plutôt que ces définitions ont pour but d’ajouter un aspect temporel, à savoir le moment auquel évaluer la « solde mensuelle » ou « monthly pay », c’est-à-dire le moment de la libération pour les membres de la Force régulière ou le moment de la blessure ou de la maladie pour les membres de classe C.

b)  Position du demandeur quant à la partie I (dispositions générales)

[45]  Le demandeur fait valoir que les dispositions générales de la partie I ne s’appliquent pas à la partie III(B), qui se veut une partie autonome et dispose de ses propres dispositions générales énoncées dans sa section 1. Le demandeur note que de nombreux termes définis à l’article 1 des dispositions générales de la partie I ont des définitions identiques à celles qui figurent à l’article 1 des dispositions générales de la partie III(B) (p. ex. les définitions des expressions « Indice des prix à la consommation au Canada », « Perte d’usage », « Loi sur les pensions » et « titulaire de la police ). Il mentionne également des termes qui ne sont pas définis de la même manière dans les deux ensembles de dispositions générales, faisant référence aux définitions des expressions « invalidité totale » et « frappé d’invalidité totale ».

[46]  Les deux ensembles de dispositions générales, qui sont les éléments les plus importants pour le différend entre les parties, n’offrent pas les mêmes définitions pour les termes « solde mensuelle »“/« monthly pay ». Le demandeur affirme que la défenderesse, avec son argumentation, fait valoir que la définition contenue dans les dispositions générales de la partie III(B) ne fait que préciser, et non remplacer, la définition contenue dans les dispositions générales de la partie I. Il prétend que l’argument de la défenderesse, voulant que la définition contenue dans la partie III(B) vise à ajouter l’aspect temporel du moment auquel évaluer la « solde mensuelle » ou « monthly pay », est mis en doute par le fait que l’aspect temporel est déjà inclus à l’article 23 de la section 2 de la partie III(B). L’article 23 indique précisément le moment auquel la solde mensuelle du membre doit être prise en compte pour le calcul des prestations de revenu mensuelles. Le demandeur affirme également que la défenderesse, dans ses observations, n’aborde pas la version française des définitions, qui a autant de valeur.

[47]  Enfin, le demandeur soutient que la défenderesse n’offre aucun élément jurisprudentiel ou académique à l’appui de sa position voulant qu’une définition précise représente une amélioration d’une définition générale. Il renvoie la Cour à la jurisprudence dans les contextes de l’assurance automobile et du droit criminel, dans laquelle une définition propre à une partie précise d’une loi a été appliquée à l’exclusion d’une définition du même terme employé dans les dispositions générales de la loi (voir, par exemple : Regele v Slusarczyck (1997), 33 OR (3d) 556 [Regele]; Moulton Contracting Ltd v British Columbia, 2013 BCSC 2348 [Moulton]; Doubleview Capital Corp v Day, 2016 BCSC 231 [Doubleview]).

c)  Analyse de l’application de la partie I (dispositions générales) à la partie III(B)

[48]  La jurisprudence susmentionnée, sur laquelle s’appuie le demandeur, n’est guère utile à mon avis. Si on ne tient pas compte du fait que ces décisions mettent en jeu l’interprétation de dispositions législatives, et non de contrats, les conclusions qui s’y trouvent sont clairement fonction de l’énoncé du libellé précis qui est visé.

[49]  La conclusion, dans les arrêts Moulton et Doubleview, est que la définition du mot « bien » donnée à l’article 428 du Code criminel, LRC 1985, c C-46, dans la Partie XI (Actes volontaires et prohibés concernant certains biens), s’applique aux infractions prévues dans la Partie XI, plutôt que la définition du mot « bien » qui figure à l’article2 (Interprétation). Cependant, le demandeur reconnaît que ces décisions n’offrent aucune analyse menant à cette conclusion.

[50]  Dans l’arrêt Regele, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que la définition du mot « automobile » donnée au paragraphe 224(1) de la Loi sur les assurances, LRO 1990, c I.8, dans la Partie VI (Assurance-automobile), était la définition valable pour déterminer si un tracteur de ferme était une automobile aux fins de cette partie de la Loi. La Cour n’a pas appliqué la définition du mot « automobile » fournie à l’article 1, estimant que la définition régissant l’article précis devait avoir préséance sur la définition générale régissant le reste de la loi. Toutefois, il me semble que l’analyse à l’appui de cette conclusion repose sur le libellé précis de ces dispositions et d’autres dispositions de la loi.

[51]  S’il faut tirer quelque enseignement que ce soit de cette jurisprudence, c’est que la relation entre les dispositions générales de la partie I et les dispositions générales de la section 1 de la partie III(B) doit résulter de leur formulation, en tenant compte de la politique dans son ensemble. Le principe voulant que le contrat soit évalué dans sa globalité est évidemment le même que celui qui guide la première étape d’analyse d’interprétation du contrat à laquelle se trouve maintenant la Cour.

[52]  En ce qui concerne le libellé des dispositions pertinentes, voici ce qui est indiqué au début de l’article 1 des dispositions générales de la partie I : « Les termes suivants ont la signification qui leur est donnée ci-dessous ». Voici ce qui est indiqué au début de l’article 1 des dispositions générales de la partie III(B) : « Aux fins de la partie III (B), les termes suivants ont la signification qui leur est donnée ci-dessous ». Le libellé de la partie I appuie la conclusion selon laquelle les définitions de la Partie I s’appliquent à l’ensemble de la politique. Le libellé de la partie III(B) n’indique pas expressément que les définitions de la Partie III(B) excluent les définitions de la Partie I. Le libellé de la partie III(B) peut appuyer la conclusion selon laquelle l’interprétation de la partie III(B) se fait uniquement en fonction des définitions de cette même partie. Toutefois, on pourrait aussi conclure qu’il ajoute d’autres définitions et dispositions interprétatives. À mon avis, l’examen du libellé d’introduction dans les ensembles respectifs de dispositions générales n’est pas concluant. Je ne vois pas non plus de différence importante en faisant cette analyse particulière des versions françaises de ces dispositions.

[53]  Je trouve plus convaincante l’observation du demandeur selon laquelle certaines des définitions des dispositions générales de la partie I sont reproduites textuellement dans les dispositions générales de la partie III(B). Le demandeur ne soutient pas que le rédacteur de la police ne peut pas reproduire le libellé. Cependant, l’inclusion de définitions dans la partie III(B), lorsque des définitions identiques se trouvent dans la partie I, permet de conclure que le rédacteur voulait que la partie III(B) soit autonome, en s’appuyant sur ses propres dispositions générales plutôt que sur celles qui se trouvent dans la partie I.

[54]  La différence particulière entre les définitions des termes de la version anglaise « total disability » et « totally disabled » (« invalidité totale » dans la version française) au sous-alinéa 1h)(i) des Dispositions générales de la partie I et du paragraphe 1(l) des Dispositions générales de la partie III(B) appuient également cette conclusion. Ces dispositions sont rédigées ainsi :

Partie I (Dispositions générales)

Part I (General Provisions)

1 (h)(i) Pour les besoins de la partie III et VII, le terme « invalidité totale » signifie que la personne a été libérée des Forces canadiennes et qu’il existe des preuves médicales qui confirment, à la satisfaction de l’Assureur, que la personne est frappée d’invalidité par suite d’un handicap physique ou mental actif que la profession médicale est en mesure de reconnaître et qui empêche cette personne de remplir toute tâche ou d’occuper tout emploi effectivement rémunérateur auquel ses études, sa formation ou son expérience l’ont préparée.

1 (h)(i) For the purposes of Part III and VII, “total disability” and “totally disabled” shall mean that the individual has been released from the Canadian Forces and has been incapacitated by a medically determinable physical or mental impairment which prevents him from performing any and every duty of any substantially gainful occupation or employment for which he is reasonably qualified by education, training or experience.

Section 1, Partie III(B) (Dispositions générales)

Division 1, Part III(B) (General Provisions)

1 (l) « Invalidité totale » signifie que la personne a été libérée des Forces canadiennes et qu’il existe des preuves médicales claires et objectives qui confirment, à la satisfaction de l’Assureur, que la personne est frappée d’invalidité par suite d’un handicap physique ou mental actif que la profession médicale est en mesure de reconnaître et qui empêche cette personne de remplir toute tâche ou d`occuper tout emploi effectivement rémunérateur auquel ses études, sa formation ou son expérience l’ont préparée.

1 (l) “Total disability” and “totally disabled” shall mean that the individual has been released from the Canadian Forces and that there is clear, objective medical evidence, satisfactory to the Insurer, which confirms that the individual is incapacitated by an active, medically determinable physical or mental impairment which prevents him from performing any and every duty of any substantially gainful occupation or employment for which he is reasonably qualified by education, training or experience.

[55]  Il existe une distinction importante entre les définitions anglaises, car seule la définition de la partie III(B) exige des preuves médicales claires et objectives qui confirment, à la satisfaction de l’assureur, que la personne est frappée d’invalidité. Il semble clair que la définition de la partie III(B) vise à remplacer la définition de la partie I. Je souligne que le sous-alinéa 1h)(i) de la partie I indique expressément que la définition est donnée pour les besoins de la partie III. Cependant, cela est intelligible en ce qui concerne la partie III(A), qui n’a pas son propre ensemble de définitions des dispositions générales.

[56]  La distinction entre les versions françaises de ces définitions particulières n’est pas aussi nette que dans les versions anglaises. La définition de la partie I et celle de la partie III(B) exigent des « […] preuves médicales […] qui confirment, à la satisfaction de l’Assureur […] ». Cependant, il y a toujours une différence, car la définition de la partie III(B) inclut les adjectifs « claires et objectives » au milieu de cette phrase. Il n’est pas nécessaire, aux fins de la question particulière en cause en l’espèce, de concilier les variations entre les versions anglaise et française. Au contraire, le fait qu’il existe des différences importantes entre les définitions de la partie I et de la partie III(B) dans les deux langues permet de conclure que cette dernière est destinée à s’appliquer, plutôt que la première, aux fins de la couverture d’AIP de la partie III(B).

[57]  En ce qui concerne les définitions particulières en cause (c’est-à-dire « solde mensuelle » / « monthly pay »), je note que les définitions anglaises de « monthly pay (« solde mensuelle » aux alinéas 1(g)(i)(a) et (b) de la partie III (B) sont quelque peu tautologiques, car elles emploient le terme « monthly pay » (« solde mensuelle ») dans la définition même [Non souligné dans l’original] :

1 (g)(i)(a) Dans le cas des membres définis à l’alinéa l.f.(i)., « solde mensuelle » désigne je taux de rémunération en vigueur à la date de la libération des Forces canadiennes et inclut toutes les augmentations rétroactives de rémunération prenant effet au plus tard à la date de libération des Forces canadiennes.

1 (g)(i)(a) For members defined at Section l.f.(i). [Regular Force Members], “monthly pay” and “monthly salary” shall mean the monthly pay in effect on the date of release from the Canadian Forces, and shall include all retroactive pay increases with an effective date on or before the member’s date of release from the Canadian Forces.

(g)(i)(b) Dans le cas des membres définis à l’alinéa 1.f.(v)., « solde mensuelle » désigne le taux de rémunération en vigueur au moment où la blessure on la maladie est survenue

(g)(i)(b) For members defined at Section 1.f.(v). [Class “C” Reservists], “monthly pay” or “monthly salary” shall mean the monthly pay in effect when the injury or illness was contracted.

[58]  Cette structure pourrait appuyer une interprétation selon laquelle le terme « monthly pay » (« solde mensuelle »), lorsqu’il est utilisé dans le langage de la définition même, vise à incorporer la définition de ce terme dans la partie I – Dispositions générales. Une telle interprétation serait conforme à la position de la défenderesse selon laquelle la définition de « monthly pay » (« solde mensuelle ») dans la partie I a un rôle à jouer dans la partie III(B) et sert à déterminer que la solde mensuelle en question est celle qui est précisée au chapitre 204 des DRAS.

[59]  Cependant, comme le souligne le demandeur, les définitions françaises faisant également autorité de « solde mensuelle » aux alinéas 1g)(i)(a) et b) de la partie III (B) n’appuient pas la même interprétation. Elles ne présentent pas le même aspect tautologique que les définitions anglaises, car elles n’emploient pas le terme « solde mensuelle » dans les définitions mêmes. Elles emploient plutôt l’expression « taux de rémunération ». Par conséquent, la version française de ces définitions de la partie III(B) ne peut pas être interprétée comme incorporant la définition de la partie I, car le terme défini dans la partie I est « solde mensuelle », et non « taux de rémunération ».

[60]  Tout bien pesé, compte tenu de l’analyse ci-dessus, je suis favorable à la position du demandeur selon laquelle la police est un contrat où il est prévu que le particulier l’emporte sur le général, et que les définitions des dispositions générales de la partie III(B) de « solde mensuelle » / « monthly pay » s’applique dans la partie II(B), sans recourir aux définitions de ces termes dans les Dispositions générales de la partie I. Toutefois, même si l’interprétation contraire proposée par la défenderesse était une interprétation possible, l’interprétation proposée par le demandeur demeure au moins une interprétation raisonnable et est donc source d’ambiguïté (voir Sabean, au paragraphe 42).

[61]  Il est donc nécessaire de passer à l’étape suivante du cadre d’interprétation contractuelle. Cependant, avant de le faire, je dois aborder un argument supplémentaire de la défenderesse que j’estime important. La défenderesse soutient que le demandeur s’est concentré indûment sur le terme « rémunération », alors que l’expression réelle employée dans la définition contestée est « taux de rémunération ». Le demandeur répond que l’utilisation des mots « taux de » ne réduit pas l’interprétation large applicable au terme « rémunération », car elle reflète simplement que le terme « rémunération »“ est mesuré à un taux particulier, c’est-à-dire mensuellement. Ce point est bien sûr conforme à la définition anglaise, qui emploie non seulement le mot « pay » (« solde »), mais aussi l’expression « monthly pay » (« solde mensuelle »). Cependant, j’estime que ce point est important, car, à mon avis, il empêche que les définitions contestées soient interprétées comme incluant toutes les indemnités reçues par les membres des FAC.

[62]  La défenderesse a indiqué que l’article 205.10 du chapitre 205 des DRAS énonce un certain nombre de facteurs que le CEMD doit prendre en considération avant de désigner un poste comme ayant droit à une indemnité. Ces facteurs comprennent une distinction entre une indemnité mensuelle et une indemnité occasionnelle. Les indemnités mensuelles sont définies comme compensant une responsabilité continuelle pour l’exercice d’une compétence, pour l’exposition à un environnement ou pour l’exécution d’une tâche particulière. Les indemnités occasionnelles sont définies comme compensant l’exercice peu fréquent d’une compétence, l’exposition à un environnement, ou la responsabilité pour l’exécution d’une tâche particulière. Je reviendrai sur la nature de ces indemnités plus loin dans les présents motifs, y compris les arguments avancés par la défenderesse au sujet d’événements qui empêchent un membre de recevoir une indemnité. Aux fins des présentes, le point important est que toutes les indemnités ne sont pas des indemnités mensuelles.

[63]  Cette conclusion ressort également des documents joints à l’ECF, qui résument les indemnités prévues au chapitre 205. Bien que les indemnités ne soient pas expressément divisées en catégories telles que les indemnités mensuelles et les indemnités occasionnelles, il ressort clairement de la définition que certaines indemnités sont versées mensuellement, généralement en fonction d’une obligation d’exercer certaines compétences, d’exécuter certaines tâches ou d’être exposé à certaines conditions sur une base continue. D’autres indemnités sont versées quotidiennement ou autrement, en se basant sur l’exécution de certaines tâches sur une base occasionnelle ou pour d’autres raisons. À mon avis, les indemnités qui sont versées sur une base mensuelle sont raisonnablement capables d’être visées par le sens de l’expression « monthly pay » (« solde mensuelle »), mais d’autres indemnités ne le sont pas.

[64]  J’arrive à la même conclusion en m’appuyant sur l’expression « taux de rémunération ». Bien que ce terme ne fasse pas expressément référence au paiement sur une base mensuelle, une telle interprétation est possible dans cette langue, car le terme sous-tend clairement un taux de paiement, et une telle interprétation est compatible avec la réalisation d’une élaboration harmonieuse des définitions anglaise et française.

C.  Étape 2 – Règles générales de l’interprétation du contrat

[65]  À l’égard de la deuxième étape du cadre d’interprétation, qui est d’examiner les règles générales d’interprétation du contrat, les observations des parties se concentrent sur les attentes raisonnables des parties. Pour commencer, je reviens brièvement au désaccord entre les parties sur la question de savoir si la Cour devrait considérer l’interprétation de la police, non pas du point de vue d’une « personne ordinaire », mais plutôt du point de vue d’un [traduction] « militaire ordinaire ».

[66]  Bien que dans Ledcor (au paragraphe 50), on fasse référence à la considération du climat commercial où la police d’assurance a été contractée, le demandeur soutient que la défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer un prétendu [traduction] « usage commercial des termes » qui devrait être pris en compte dans l’interprétation de la police du point de vue du personnel militaire (voir l’arrêt Georgia Construction Co v Pacific Great Eastern Railway, [1929] RCS 630 [Georgia Construction], à la page 634).

[67]  Si je comprends bien les arguments de la défenderesse, en se fondant sur Ledcor, l’accent n’est pas mis sur l’usage commercial applicable à des termes particuliers, mais plutôt sur la compréhension selon laquelle la défenderesse soutient que les parties à la police auraient entouré la nature des indemnités militaires. En effet, les arguments du demandeur se concentrent également sur la nature des indemnités particulières qu’il a reçues avant sa libération. Je ne peux conclure que le principe de Georgia Construction représente un obstacle à l’examen des arguments de la défenderesse.

[68]  Pour appuyer sa position sur les attentes raisonnables des parties, le demandeur note d’abord que dans Manuge, la Cour a admis la qualification de la police comme constituant un régime de remplacement de revenu représentant une assurance-indemnisation classique destinée à remplacer un pourcentage du revenu perdu par le membre en raison de son inaptitude au travail (au paragraphe 19). Il fait également référence à l’arrêt Fidler c Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie, 2006 CSC 30, au paragraphe 57, qui présente l’avantage de l’assurance AIP comme la perspective pour une personne de continuer à jouir d’une sécurité financière lorsque l’invalidité l’empêche de travailler et, donc, de gagner un revenu. Le demandeur soutient que, compte tenu de la nature et du but de l’assurance AIP, l’attente raisonnable des membres des FAC serait de recevoir 75 % de la totalité de leur revenu, et pas seulement 75 % d’une composante de leur revenu.

[69]  Le demandeur fait référence en particulier à l’indemnité différentielle de vie chère et l’indemnité de combattant de la force d’intervention spéciale qu’il recevait avant sa libération. S’agissant de la première, il soutient que le but d’une telle indemnité est de donner une compensation aux membres qui sont affectés dans des endroits où le coût de la vie est plus élevé. Le demandeur soutient que les parties ne s’attendraient pas à ce que les membres soient forcés financièrement de déménager, à la suite du développement d’une invalidité, du fait qu’une telle indemnité n’est pas prise en compte aux fins du calcul des prestations d’invalidité.

[70]  Le demandeur qualifie l’indemnité de combattant de la force d’intervention spéciale comme destinée à donner une compensation aux membres à la fois pour leurs compétences spéciales et leur exposition à des risques particuliers. Il établit une comparaison avec les membres des FAC qui sont employés comme médecins, dentistes et avocats militaires,et pour lesquels des traitements plus élevés sont établis pour compenser leurs compétences particulières. Le demandeur fait valoir que les parties s’attendraient à ce que les prestations d’invalidité reflètent le niveau auquel les membres reçoivent une compensation pour leurs compétences, peu importe si cette compensation est structurée sous la forme d’une rémunération ou d’une indemnité.

[71]  En réponse, la défenderesse renvoie la Cour au paragraphe 35(2) de la Loi, qui autorise le paiement des indemnités comme suit :

Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5

National Defence Act, RSC 1985, c N-5

Solde et indemnités

Pay and Allowances

[…]

[…]

Indemnités

Reimbursements and allowances

35 (2) Les indemnités payables aux officiers et militaires du rang au titre soit des frais de déplacement ou autres, soit des dépenses ou conditions inhérentes au service sont fixées et régies par le Conseil du Trésor.

35 (2) The payments that may be made to officers and non-commissioned members by way of reimbursement for travel or other expenses and by way of allowances in respect of expenses and conditions arising out of their service shall be determined and regulated by the Treasury Board.

[72]  La défenderesse souligne que les indemnités sont versées « au titre [...] des dépenses ou des conditions inhérentes au service » et l’alinéa 205.10(2)b) du chapitre 205 des DRAS décrit en outre les indemnités mensuelles comme étant versées afin de compenser une responsabilité continuelle pour l’exercice d’une compétence, pour l’exposition à un environnement ou pour l’exécution d’une tâche particulière [Non souligné dans l’original]. La défenderesse fait également référence à des dispositions des DRAS applicables qui empêchent un membre des FAC de recevoir des indemnités, soit de manière générale, soit en relation avec une indemnité spécifique. La défenderesse soutient que les membres des FAC ne devraient pas raisonnablement s’attendre à recevoir des indemnités alors qu’ils ne sont plus en situation de responsabilité continuelle face aux conditions ou risques que les indemnités sont destinées à compenser.

[73]  J’admets que les indemnités ne sont pas identiques à la rémunération, surtout lorsqu’elles sont destinées à compenser des dépenses. Cependant, comme l’a soutenu le demandeur en ce qui concerne l’indemnité différentielle de vie chère, les dépenses ne peuvent pas nécessairement être éliminées à la suite de la libération du membre. De plus, l’argument de la défenderesse est difficile à concilier avec la nature et le but de l’assurance AIP. Je comprends que la responsabilité d’un membre pour l’exposition à un risque, pour l’exercice d’une compétence ou pour l’exécution d’une tâche est éliminée une fois que le membre est libéré des FAC. Ainsi, la base de la compensation de ce membre pour cette responsabilité n’existe plus. Cependant, on peut en dire autant de la rémunération de base du membre. La rémunération représente une compensation pour la prestation de services et, une fois libéré, il n’y a plus de base pour fournir une telle compensation. L’assurance AIP répond plutôt comme un moyen de remplacer un pourcentage de la rémunération à laquelle le membre n’a plus droit.

[74]  Tout bien pesé, je conclus que les observations du demandeur concernant les attentes raisonnables des parties sont les plus convaincantes et, à mon avis, suffisantes pour dissiper l’ambiguïté résultant de l’étape 1 du cadre d’interprétation. Il n’est donc pas nécessaire de passer à l’étape 3 du cadre d’interprétation. Cependant, je ferais également observer que, même si j’avais estimé que les arguments de la défenderesse étaient suffisamment convaincants pour ne pas dissiper l’ambiguïté à l’étape 2, le principe de contra proferentum applicable à l’étape 3 résoudrait nécessairement l’ambiguïté en faveur du demandeur. Le seul argument de la défenderesse en ce qui concerne l’étape 3 de l’analyse est que la règle contra proferentum ne s’applique pas à la police, argument que j’ai rejeté plus tôt dans les présents motifs.

V.  Conclusion

[75]  En conclusion, j’estime qu’il convient de répondre à la question par l’affirmative, mais avec la réserve déjà expliquée dans les présents motifs. Les indemnités d’un membre du groupe doivent être incluses dans la solde mensuelle du membre du groupe lors du calcul des prestations d’AIP, mais uniquement les indemnités qui sont versées mensuellement.

VI.  Dépens

[76]  Conformément à l’article 334.39 des Règles des Cours fédérales, aucune des parties n’a demandé des dépens afférents à la présente requête, et aucuns dépens ne seront accordés.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1358-18

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.  La réponse à la question de droit suivante posée par les parties dans la présente requête :

Lors du calcul des prestations d’invalidité prolongée et des prestations de mutilation en vertu de la section 2 de la partie III (B) de la police du RARM No 901102, devraient-ils être inclus les indemnités en vigueur à la date de leur libération des Forces armées canadiennes (ou, dans le cas d’un membre en service de réserve de classe « C », au moment où la blessure est survenue ou que la maladie a été contractée) dans le taux de rémunération du membre de la Groupe?

When calculating long term disability benefits and dismemberment benefits under Division 2, Part III(B) of SISIP Policy 901102, should a Class member’s allowances in effect on the date of their release from the Canadian Armed Forces (or in the case of a Class “C” member, when the injury was incurred or the illness was contracted) be included in the Class member’s monthly pay?

est tranchée comme suit :

Oui, mais seulement les indemnités qui sont versées sur une base mensuelle.

Yes, but only the allowances that are paid on a monthly basis.

2.  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1358-18

INTITULÉ :

SIMON LOGAN c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 février 2020

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 24 mars 2020

COMPARUTIONS :

Daniel Wallace

Jillian Kean

POUR LE DEMANDEUR

Lori Ward

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McInnes Cooper

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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