Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





T-2234-89

E N T R E :


ALLIEDSIGNAL INC.


(Anciennement ALLIED-SIGNAL INC.)


Demanderesse


et


DU PONT CANADA INC.


et THE COMPLAX CORPORATION


Défenderesses


RAPPORT DE L"ARBITRE

LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

TABLE DES MATIÈRES      Page : 2

INTRODUCTION      3
LES FAITS      5
ANALYSE      8
1.      Manque à gagner imputable à la perte de ventes      11
     a)      La demanderesse est-elle en droit de réclamer le manque à gagner pour le film que la défenderesse a vendu en dehors Canada ?      11
     b)      N"eût été les actions de la défenderesse, quelle quantité de film la demanderesse aurait-elle vendue ?      13
         (i)      Quelle part des ventes de la défenderesse la demanderesse aurait-elle pu réaliser elle-même ?      13
         (ii)      Le volume de vente que la demanderesse aurait pu réaliser elle-même devrait-il être ajusté en fonction de la différence d"épaisseur ?      35
         (iii)      La demanderesse est-elle en droit de réclamer un manque à gagner relativement au film livré à Eagle Picher et que cette dernière n"a jamais payé ?      37
     c)      Quels frais la demanderesse aurait-elle encourus pour produire la quantité additionnelle de film ?      39
         (i)      Main-d"oeuvre à l"usine de Pottsville      40
         (ii)      Électricité à l"usine de Pottsville      42
         (iii)      Coûts additionnels à l"usine de Pottsville      47
         (iv)      Coûts supplémentaires " Autres usines      52
         (v)      Capacité de production du film ER supplémentaire      53
         (vi)      Frais de mise en marché      63
         (vii)      Retours sur ventes      65
         (viii)      Amortissements      66
2. Redevances raisonnables      67
     a)      Qu'entend-on par redevances raisonnables?      67
3. Manque à gagner à cause de la compression des prix      75
     a)      N'eût été les mesures prises par la défenderesse, la demanderesse aurait-elle été en mesure d'augmenter ses prix?      75
4. Intérêt et conversion monétaire      86
     a)      Quel est le taux approprié d'intérêt avant jugement?      86
     b)      L'intérêt devrait-il être composé ou simple?      88
     c)      Pour quelle période l'intérêt avant jugement devrait-il être calculé?      89
     d)      Quelle est la date appropriée de la conversion monétaire?      91
     e)      Intérêt après jugement      92
Conclusion      93
Addendum      95

INTRODUCTION

[1]      Le présent renvoi traite du montant des dommages subis par la demanderesse par suite de la contrefaçon par la défenderesse, Du Pont Canada Inc., du brevet qu'elle détient sur un produit utilisé dans la fabrication de mélanges de plastique. Le 11 mai 1995, la Cour d"appel fédérale a tranché la question de la contrefaçon en faveur de la demanderesse.

[2]      Le 3 août 1990, le protonotaire Lefebvre a ordonné que toute question relative à l"étendue de la contrefaçon aussi bien qu"aux faits relatifs aux dommages ou profits engendrés par cette contrefaçon, si nécessaire, fasse l'objet, après l'instruction au fond, d'un renvoi selon les règle 500 et suivantes. La demanderesse a choisi de réclamer des dommages-intérêts, et le 28 novembre 1995, le juge Deneault ordonnait le présent renvoi afin que soient déterminés l"étendue de la contrefaçon, les dommages causés par la dite contrefaçon et les intérêts payables avant et après jugement.

[3]      Dans sa décision, la Cour d"appel fédérale a statué qu'en fabriquant et en vendant ses films DARTEK" S-701 et DARTEK" S-701NY, la défenderesse Du Pont Canada Inc. avait contrefait le brevet canadien no. 1162012 intitulé "Pellicule de décollement en polyamide pour composé de moulage de feuille" que détient la demanderesse.

[4]      La Cour d"appel fédérale n"a pas conclu à la contrefaçon en ce qui concerne un composé de moulage épais fabriqué par la deuxième défenderesse, The Complax Corporation. Ainsi, et conformément à l'ordonnance du juge Deneault en date du 28 novembre 1995, la présente instance ne concerne plus la deuxième défenderesse The Complax Corporation. Du Pont Canada Inc. demeure donc la seule défenderesse aux fins du présent renvoi.

[5]      La période de contrefaçon s"étend du mois de janvier 1989, alors que le film DARTEK" était mis en marché, au mois de mai 1995, date de la décision de la Cour d"appel fédérale d"accorder une injonction interdisant la poursuite de la fabrication et de la vente de DARTEK". La Cour d"appel fédérale avait statué qu"étant donné que le film DARTEK" était fabriqué au Canada, il y avait eu contrefaçon quel qu"ait été l"endroit où le produit avait été utilisé. Le dossier aux présentes établit que bien que le produit de contrefaçon ait été vendu et utilisé à travers le monde, il l"a été surtout à des entreprises des États-Unis.

[6]      Les dommages-intérêts réclamés par la demanderesse se répartissent en trois grandes catégories :

(i)      Manque à gagner: les dommages subis par suite de la perte de ventes,
     compte tenu des coûts de production;                      5,7 millions $ U.S.1
(ii)      Compression de prix : les dommages subis en raison de l"incapacité
     de la demanderesse à augmenter ses prix étant donné la présence
     de la défenderesse sur le marché; et,                      5,8 millions $ U.S.
(iii)      Intérêts : avant jugement au taux de 14 % par an sur les dommages
     réclamés en (i) et (ii).                              9,8 millions $ U.S.
Réclamation totale :                                  21,3 millions de $ U.S.

[7]      La défenderesse rejette les réclamations des catégories (i) et (ii), et allègue que la demanderesse ne peut réclamer qu"un taux raisonnable de redevance, soit 5,8 %, sur les ventes effectuées en dehors du Canada. La défenderesse reconnaît que des intérêts antérieurs au jugement seront dus, en redevance, mais à un taux de 9,2 % plutôt que 14 %.

LES FAITS

Le produit

[8]      Le produit, inventé par la demanderesse, consiste en un film fin utilisé dans la fabrication de mélanges à moulage de feuille (SMC), lesquelles sont moulées en pièces destinées à l"industrie automobile ou spatiale. Le film, souvent appelé film porteur ou film non adhésif, met en sandwiche le SMC à l"état demi liquide au cours du processus de fabrication, permettant ainsi sa manipulation. Ce film empêche le styrène, un hydrocarbure liquide incolore essentiel à la fabrication du SMC, de s"échapper au cours de la fabrication et du stockage. Les fuites de styrène entraînent des défectuosités de produit et présentent aussi un risque pour l"environnement.

Fabrication du produit

[9]      La demanderesse est une importante entreprise manufacturière qui regroupe trois secteurs d"activités : industrie aérospatiale, industrie automobile et matériels façonnés. Le secteur des matériels façonnés fabrique divers matériels dont le film ER ainsi que d"autres films de spécialité.

[10]      Le film ER est fabriqué à partir de divers matériaux, bruts et finis, par plusieurs usines qui appartiennent à la demanderesse. L"entreprise achète approximativement un milliard de livres par an d"un produit dérivé du pétrole appelé cumène pour traitement par l"usine de Frankford en Pennsylvanie. Le cumène y est transformé en environ 750 millions de livres de phénol par an ainsi qu"en d"autres produits dérivés. Le phénol est transporté par barge jusqu"à l"usine de la demanderesse à Hopewell, en Virginie, où il est converti en caprolactame. Hopewell produit quelque 650 millions de livres de caprolactame par an. Le caprolactame est ensuite acheminé vers l"usine de la demanderesse à Columbia, en Caroline du Sud ou à Chesterfield, en Virginie, sur l"autre berge de la rivière la séparant de Hopewell. Aux usines de Columbia et de Chesterfield, le caprolactame est transformé en nylon. L"usine de Columbia produit, de manière générale, du nylon de viscosité moyenne alors que celle de Chesterfield produit un nylon de viscosité élevée. Au total, ces deux usines produisent approximativement 650 millions de livres de nylon par an.

[11]      Le nylon destiné à la fabrication de film est expédié sous forme de granules à destination de l"usine de la demanderesse à Pottsville, en Pennsylvanie. L"usine de Pottsville dispose de huit chaînes de fabrication (numérotées de 1 à 8) qui produisent le film ER ainsi que d"autres types de films, bien que la chaîne 5 ait été fermée en 1993. L"usine de Pottsville produit de 3 à 4 millions de livres de film ER par an, soit approximativement 10 % de la capacité totale de production de film de l"usine.

[12]      Il y a deux types de chaînes de fabrication à l"usine de Pottsville. Les chaînes 1 à 7, appelées "chaînes de film plat" et la chaîne 8, "chaîne de film tubulaire". Pour fabriquer le film ER sur l"une des deux chaînes de fabrication, le nylon est mélangé à une polyoléfine (ex. un acétate de vinyle de polyéthylène, de polypropylène ou d"éthylène) pour créer une résine fondue. La proportion est de 90 % de nylon et 10 % de polyoléfine. Aux fins de la chaîne de film plat, la résine fondue est poussée à travers une fente très étroite et ensuite refroidie en un film d"un millième de pouce d"épaisseur. Quant au film tubulaire, la résine est poussée à travers une fente circulaire pour produire un tube à travers lequel l"air est soufflé [TRADUCTION] "tout comme un enfant qui gonfle une bulle de savon"2. Le tube est ensuite affaissé et transformé en film.

[13]      En général, la résine constituée de nylon de viscosité élevée est nécessaire à la production de film tubulaire car la "bulle" pourrait éclater si l"épaisseur était insuffisante. La demanderesse n"a, cependant, entamé la production du film ER sur la chaîne 8 qu"au début de 1993, et au cours de la même année, l"entreprise a adopté un nouveau processus d"exploitation du nylon de viscosité moyenne pour la chaîne de fabrication de film tubulaire. Elle a, par la suite, produit une partie de son film tubulaire à partir de nylon de viscosité moyenne.

[14]      Le film est découpé à la taille souhaitée, soit "en ligne" (c.à.d. à la chaîne de fabrication même), ce qui semble pratique uniquement quand il s"agit de la chaîne 8, soit à la section de découpage après avoir quitté la chaîne de fabrication (la section de l"extrusion). Une fois découpé, le film est prêt à être expédié aux clients.

Les marchés pour ce produit

[15]      Au départ, le film de la demanderesse avait pour nom commercial CAPRAN" ER-20, et il s"appelle maintenant CAPRAN" ER-15. Le nom commercial du film de la défenderesse est DARTEK" S-701.

[16]      De 1989 à 1995, il n"existait que quatre films pouvant servir aux fabricants de SMC.: le film ER de la demanderesse, le film DARTEK" de la défenderesse, le film coextrudé et enfin le film de polyéthylène. Le tableau suivant indique la part relative du marché nord-américain pour chacun de ces films :


Part de marché

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

ER15/20 (Demanderesse)

73 %

54 %

57 %

67 %

65 %

62 %

65 %

DARTEK" (Défenderesse)

7 %

21 %

20 %

11 %

15 %

13 %

4 %

Film coextrudé

9 %

9 %

10 %

12 %

12 %

17 %

22 %

Polyéthylène

10 %

16 %

12 %

9 %

9 %

8 %

9 %

Tableau 1 : Résumé de la part du marché nord-américain des films porteurs de SMC3.


ANALYSE

[17]      Au cours des onze jours qu"a nécessités l"audition du présent renvoi, les avocats des deux parties ont soumis de nombreux arguments relativement à la méthode appropriée de quantification des dommages dans les circonstances de l'espèce. Avant de recourir à une analyse détaillée, je crois qu"il serait utile de définir les principes généraux qui régissant le calcul des dommages-intérêts dans une action en contrefaçon de brevet.

[18]      La disposition pertinente de la Loi sur les brevets3 est le par. 55 (1), qui dispose notamment :

     55. (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci de tous dommages-intérêts que cette contrefaçon a fait subir à ces personnes après l'octroi du brevet [...]

[19]      De plus, en common law, plusieurs principes ont été définis relativement à la quantification des dommages. Tout d"abord, il faut tenir dûment compte de l'énoncé de lord Wilberforce dans General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre & Rubber Co.4 :

     [TRADUCTION] Dans tous les cas, la règle générale relative aux délits civils "économiques" veut que la quantification des dommages corresponde, dans la mesure du possible, à cette somme d"argent qui restaurerait la partie lésée dans la position dans laquelle elle aurait été si elle n"avait pas subi de tort (Livingstone v. Rawyards Coal Co. , 5 A.C. 25, lord Blackburn, à la p. 39.)
     Dans les cas de contrefaçon de brevet, le demandeur dispose d"un recours possible et qui consiste à comptabiliser les gains réalisés par le contrefacteur [...] Les intimés ont choisi de ne pas exiger une reddition de compte des bénéfices; ils n"ont réclamé que des dommages-intérêts. Deux principes essentiels régissent leur réclamation. En premier lieu, les demandeurs ont le fardeau d"établir la perte qu"ils ont subie et, en deuxième lieu, les dommages doivent être évalués de façon libérale, étant donné que les défendeurs sont les contrevenants. L"objectif est toutefois d"indemniser les demandeurs et non de punir les défendeurs. (Pneumatic Tyre Co. Ltd. v. Puncture Proof Pneumatic Tyre Co. (1899), 16 R.P.C. 209, à la p. 215).

[20]      Pour reprendre les mots de lord Buckley dans Meters Ltd c. Metropolitan Gas Meters Ltd.4, l"évaluation d"une réclamation [TRADUCTION] "ne peut être confirmée mathématiquement par un montant précis." Il est cependant nécessaire d"en arriver ultimement à un montant exact qui représente équitablement la compensation due au demandeur. Ainsi, les tribunaux ont établi plusieurs [TRADUCTION] "règles pratiques de travail qui semblent avoir aidé les juges à parvenir à une estimation réaliste de la compensation à accorder par le contrefacteur au titulaire de brevet"4.

[21]      Quand, normalement, un détenteur de brevet ne concède pas de licence pour l"utilisation de son invention, il a droit aux profits qu"il aurait réalisés n"eût été la présence sur le marché du produit de contrefaçon. Pour ces ventes réalisées par le contrefacteur et dont le détenteur de brevet a été privé, ce dernier a droit à une redevance raisonnable : Colonial Fastener Co. v. Lightning Fastener Co.5, Watson, Laidlaw & Co. v. Pott, Cassells & Williamson6.

[22]      Il faut noter que dans le cas du détenteur de brevet qui a précédemment concédé une licence d"exploitation de son invention, le principe de l"évaluation des dommages en termes de redevance raisonnable est devenu une "quasi règle de droit" ; c"est-à-dire, selon ce que le contrefacteur aurait déboursé pour obtenir un contrat légitime de licence du détenteur de brevet : Meters Ltd. v. Metropolitan Gas Meters Ltd7; Catnic Components Ltd. v. Hill & Smith Ltd.8. Ceci ne s'applique pas à la présente espèce puisque la demanderesse a toujours fabriqué et vendu son propre film, et rien n'indique qu"un contrat de licence ait jamais été concédé pour l"exploitation de sa technologie.

[23]      Outre le manque à gagner imputable à la perte de ventes, le détenteur de brevet peut aussi réclamer le manque à gagner imputable à la compression de prix s"il peut prouver qu"il a été dans l"obligation de réduire ses prix pour concurrencer le contrefacteur : Colonial Fastener Co. v. Lightning Fastener Co.9, American Braided Wire Co. v. Thomson10.

[24]      Suivant les principes énoncés ci-dessus, il convient de répartir les questions en quatre catégories :

1      Manque à gagner imputable à la perte de ventes : quel est le volume de ventes réalisé par la défenderesse que la demanderesse aurait pu elle-même réaliser n"eût été la présence sur le marché du produit de contrefaçon de la défenderesse, de sorte que la demanderesse soit autorisée à réclamer ce manque à gagner sur ces ventes ?                                              Pages 11 à 67
2.      Redevance raisonnable : quel est le volume de ventes réalisé par la défenderesse que la demanderesse n"aurait pas pu elle-même réaliser, de sorte que la demanderesse ne soit autorisée qu'à réclamer une redevance raisonnable sur ces ventes ?                                  Pages 67 à 75
3.      Manque à gagner imputable à la compression de prix : la présence sur le marché du produit de contrefaçon de la défenderesse a-t-elle forcé la demanderesse à réduire ses prix ou l"a-t-elle empêchée de les augmenter ?

                                                 Pages 75 à 86

4.      Intérêts et conversion monétaire: sous cette rubrique, j"examinerai les questions d"intérêts avant et après jugement ainsi que la date appropriée de la conversion de la monnaie.

                                                 Pages 86 à 92

1.      Manque à gagner imputable à la perte de ventes
     a)      La demanderesse est-elle en droit de réclamer le manque à gagner pour le film que la défenderesse a vendu en dehors Canada ?

[25]      La Loi sur les brevets11 confère au détenteur de brevet des droits exclusifs pour la fabrication, la construction, l"utilisation et la vente de l"invention brevetée, à l"intérieur du Canada. Elle lui confère aussi le droit d'être indemnisé advenant une usurpation de ces droits.

[26]      La défenderesse a argué que la demanderesse n"a le droit de réclamer que le manque à gagner sur les ventes faites au Canada étant donné les limites territoriales définies par la Loi sur les brevets . Pour les ventes réalisées hors du Canada, la demanderesse n"a droit qu"à une redevance raisonnable.

[27]      La défenderesse s"appuie sur diverses décisions qui examinent la question de la portée territoriale de la Loi sur les brevets , dont Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills Inc. et al.12; Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Dominion Inc.13; et Colonial Fastener Company Ltd. v. Lightning Fastener Company Ltd14.

[28]      Ces affaires mettaient en cause la portée territoriale de la Loi sur les brevets dans le contexte de l'établissement de la contrefaçon et non dans celui du calcul des dommages-intérêts. Elles viennent soutenir la prémisse selon laquelle il n"y a pas contrefaçon de brevet s"il n"y a pas fabrication, construction, utilisation ou vente du produit breveté au Canada15. Ces décisions ne confortent pas la proposition de la défenderesse, laquelle n"a pu invoquer de décision pertinente quant au calcul des dommages-intérêts.

[29]      La demanderesse a droit à une compensation adéquate pour tous les dommages découlant de la contrefaçon de son brevet, contrefaçon limitée géographiquement au Canada. En l'espèce, la contrefaçon consiste à fabriquer le film DARTEK" aux fins de la fabrication du SMC, quel que soit le pays où il est vendu, le Canada ou les États-Unis. Dans ses motifs du jugement, le juge Reed s'est exprimée ainsi : "Dans les circonstances actuelles, j"ai du mal à comprendre comment la vente de film à des producteurs de SMC aux États-Unis pourrait répondre à quelque autre objectif que celui de causer, ou d"inciter, à l"usurpation du brevet." 16

[30]      C"est aussi le point de vue adopté aux États-Unis où la question a été traitée directement. Dans Schneider (Europe) A.G. v. SciMed Life Systems Inc.,17 la Cour d'appel fédérale de circuit a dit ceci : [TRADUCTION] "À notre connaissance, il n"existe pas de règle empêchant le demandeur de recouvrer le manque à gagner afférent aux ventes de produits de contrefaçon fabriqués aux États-Unis".

[31]      Ainsi, si la demanderesse peut prouver qu"elle aurait pu, elle-même, réaliser ces ventes aux États-Unis, le manque à gagner sur ces ventes découle alors directement de la fabrication et de la contrefaçon conséquente du brevet au Canada.

[32]      De plus, il est importe de se rappeler que le calcul du manque à gagner pour quantifier une juste compensation ne relève ni d"une loi ni d"une règle de droit. Les tribunaux y ont plutôt eu recours comme à une "règle pratique de travail" pour déterminer une juste compensation18. La question est de savoir si la demanderesse aurait pu ou non réaliser elle-même les ventes faites par la défenderesse, n"eût été la présence du produit de contrefaçon sur le marché.

[33]      Pour conclure, le droit de réclamer le manque à gagner n"est pas circonscrit, de par la portée territoriale de la Loi sur les brevets , au profit réalisé sur les ventes faites au Canada. Le détenteur de brevet a droit à une compensation pour tous les dommages découlant de la contrefaçon à l"intérieur du Canada, celle-ci pouvant comprendre les profits réalisés sur des ventes hors du Canada. De plus, le manque à gagner n'est qu'un moyen utile pour déterminer un niveau équitable et convenable de compensation. En l'espèce, la demanderesse a droit au manque à gagner sur ces ventes, que celles-ci aient été réalisées au Canada ou aux États-Unis, dans la mesure où elle prouve qu"elle aurait pu elle-même réaliser ces ventes n"eût été la présence sur le marché du film DARTEK" de la défenderesse.

     b)      N"eût été les actions de la défenderesse, quelle quantité de film la demanderesse aurait-elle vendue ?
         (i)      Quelle part des ventes de la défenderesse la demanderesse aurait-elle pu réaliser elle-même ?

[34]      Le processus consistant à envisager la situation hypothétique où le produit de contrefaçon n"a jamais été mis en marché est incertain. Plusieurs facteurs peuvent néanmoins aider à apporter une réponse à la question : "Que serait-il arrivé ?" Les facteurs suivants ont été étudiés dans diverses affaires :

a)      Présence sur le marché de produits concurrents;
b)      Avantages offerts par le produit breveté par rapport aux produits de la concurrence19;
c)      Avantages offerts par le produit de contrefaçon par rapport au produit breveté20;
d)      Position du détenteur de brevet sur le marché21;
e)      Position du contrefacteur sur le marché22;
f)      Part de marché du détenteur de brevet avant et après l"entrée sur le marché du produit de contrefaçon23;
g)      Taille du marché avant et après l"arrivée sur le marché du produit de contrefaçon24; et
h)      Capacité du détenteur de brevet à fabriquer des produits additionnels25.

[35]      Il est intéressant de noter que les tribunaux des États-Unis ont utilisé plusieurs de ces facteurs et en ont fait un critère juridique. Selon le critère établi par la sixième Cour d'appel de circuit dans Penduit Corp v. Stahlin Brothers Fibre Works, Inc.26, le détenteur de brevet doit établir (i) l"existence d"une demande à l"endroit du produit breveté; (ii) l"absence de produits de substitution non contrefaits, de qualité convenable; (iii) la capacité, en termes de fabrication et de mise en marché, du détenteur de brevet à satisfaire à la demande; et (iv) le montant de profit perdu pour chaque vente perdue. Plus récemment, dans State Industries v. Mor-Flo,27 la Cour d'appel fédérale de circuit a adopté une "approche de part de marché" qui modifiait le second facteur du critère de l'arrêt Panduit . Cette approche permet essentiellement au demandeur de prétendre que, nonobstant la présence de produits de substitution non contrefaits de qualité convenable, il aurait accaparé une partie des ventes du contrefacteur égale à sa part de marché.

[36]      Ces approches sont certes intéressantes, mais il n"existe manifestement pas de pareil "critère juridique" au Canada28. Or, au moins deux témoins clé en l'espèce ont présenté des avis clairement fondés sur la jurisprudence des É.-U.. Par exemple, M. Rostant, l"expert comptable de la défenderesse, s"est lourdement appuyé sur l'approche américaine des parts de marché. Il a prétendu que la demanderesse n"aurait accaparé que la partie des ventes de la défenderesse équivalente à sa part de l"ensemble du marché du film porteur. En contre-interrogatoire cependant, sa théorie de part de marché a été contestée avec succès. Il est alors en effet apparu évident qu'il fallait, dans la présente affaire, examiner la question client par client plutôt qu'en fonction du marché global suivant la théorie des parts de marché29.

[37]      Il faut noter que, de manière générale, les tribunaux évitent [TRADUCTION] "d"exiger des demandeurs qu'ils prouvent [...] qu"un certain nombre de détaillants auraient eu recours à eux si les défendeurs ne les avaient pas approvisionnés en produits de contrefaçon." 30 En l'espèce toutefois, il ne s"agit que de neuf clients et, en tout état de fait, il est clair qu"un examen de la preuve client par client s"impose. Cette preuve peut néanmoins être clarifiée par l"examen des différents facteurs susmentionnés, et je me propose donc d"examiner les facteurs propres à l"ensemble du marché avant d"entreprendre un examen client par client. Cependant, à cause de mes conclusions ci-après relatives au cas Menzolit, le seul client européen pertinent, je limiterai l'analyse des facteurs de l"ensemble du marché à l"Amérique du Nord.

a)      Présence sur le marché de produits concurrents

[38]      Au cours de la période de contrefaçon, le marché nord-américain du film porteur de SMC comptait quatre produits : le film ER de la demanderesse, le film DARTEK" de la défenderesse, le film de polyéthylène et le film coextrudé.

[39]      Les prix de vente approximatifs de ces types de film au cours de la période de contrefaçon sont indiqués dans le tableau ci-dessous.

Type de film

Prix de vente approximatifs

Film ER (Demanderesse)31

2,05 $ - 2,25 $ la livre

Film DARTEK"(Défenderesse)32

2,35 $ - 2,45 $ la livre (2,15 $ - 2,35 $ après ajustement de l"épaisseur)

Film de polyéthylène33

0,80 $ - 0,90 $ la livre

Film coextrudé34

1,40 $ - 1,45 $ par livre (1,75 $ - 1,80 $ après ajustement de l"épaisseur)

Tableau 2 : prix de vente approximatifs en cours sur les marchés des films porteurs de SMC. L"ajustement de l"épaisseur indique un ajustement du prix du film qui reflète la différence d"épaisseur.

[40]      Suivant l"argumentation de la demanderesse, les deux seuls produits pertinents sont les films ER et DARTEK". Cependant, le SMC peut être fabriqué à l"aide de n"importe lequel des quatre films susmentionnés. Ainsi, les quatre films doivent être pris en considération, même si les deux derniers pourraient ne pas être des concurrents aussi importants que le film DARTEK".

b)      Avantages offerts par le produit breveté par rapport aux produits concurrents

[41]      Il est clair, selon la preuve, que le polyéthylène constitue une film porteur de qualité inférieure à celle du film breveté. Par exemple, M. Thompson, superviseur de la section du génie des matériaux chez Molded Fibreglass Ltd., a témoigné comme suit :

     [TRADUCTION]
     Q.      Et vous avez mentionné le film de polyéthylène, vous saviez que le film de polyéthylène pouvait servir à une application de SMC.
     R.      C"est exact. Nous connaissions le polyéthylène, mais nous n"étions pas disposés à adopter cette voie. À mon avis, ç"aurait été un pas en arrière.
     Q.      Pouvez-vous expliquer à la Cour pourquoi vous considériez que ç"aurait été un pas en arrière ?
     R.      Le film de polyéthylène constitue une très mauvaise barrière. Le styrène est un élément critique dans le traitement du SMC, non seulement comme agent de réticulation, mais aussi pour conserver le matériau, mouillé, faute d'un meilleur terme.
         Le polyéthylène qui permet l"évaporation du styrène peut entraîner un assèchement du matériau, lequel, à son tour, entraîne de nombreux problèmes de moulage, comme la porosité, des petits trous au cours de l"opération de moulage. Dans certains cas, il s"agirait de pièces non conformes, défectueuses et donc pour le rebut.
         Une autre raison était la nécessité de se conformer aux directives de l'OSHA relatives à l"exposition des travailleurs au styrène. Cela a toujours posé un problème.
     Q.      Vous avez parlé de l'OSHA. Que représentent ces lettres ?
     R.      OSHA signifie Occupational Safety and Health Administration. C"est l"organisme qui réglemente l"exposition des travailleurs aux produits chimiques sur leur lieu de travail. C"est un organisme américain de réglementation de la sécurité des travailleurs35.

    

[42]      Le résumé du juge Desjardins sur les désavantages du polyéthylène concorde lui aussi avec la preuve que j"ai devant moi :

     Antérieurement à cette invention, il a été trouvé qu"au cours de la fabrication de la structure sandwiche, et du stockage subséquent de rouleaux de SMC, une déperdition de styrène s"effectuait à travers le film de polyéthylène, lequel est relativement perméable. Ceci a entraîné des problèmes de fonctionnement du produit, la production de pièces moulées de piètre qualité et la propagation d"une odeur nauséabonde qui posait des risques pour la santé au sein de la chaîne de fabrication et lors du stockage du SMC. De plus, le film de polyéthylène, bien que faisant preuve de bonne pelabilité aux fins du SMC, présentait un faible seuil de résistance au déchirement, entraînant ainsi le déchirement et l"étirement du film au cours de la fabrication du SMC, entraînant à son tour des interruptions et des temps morts non productifs. Ceci a donc entraîné une augmentation des coûts de traitement36.

[43]      Concernant le film coextrudé, il ressort de la preuve que, jusqu"à la fin de 1994, ce type de film ne constituait pas un concurrent de taille. Avant cette époque, semble-t-il, une seule entreprise nord-américaine, American National Can, produisait un film coextrudé aux fins du SMC, et sa production se limitait à deux clients : Budd Co. Et Navistar. Budd Co. a commencé à utiliser le film coextrudé au début de 199137. Cependant, il n"était apparemment pas toujours disponible et pour une raison ou pour une autre, il ne semblait pas satisfaire aux besoins de quelques chaînes de production. Ce n"est qu"après 1994, alors que Deerfield entreprenait la production de quantités importantes de film coextrudé que ce dernier s"est imposé comme un concurrent important38. Même la demanderesse produit maintenant ce type de film.

[44]      Ces faits sont significatifs, surtout que la majorité des clients de la défenderesse étaient, à l"origine, des clients de la demanderesse, et qu"ils lui sont revenus avant ou après l"injonction en 1995. Les faits suivants sont très révélateurs du comportement de ces clients :

(i)      Au cours de la période de contrefaçon, de nombreux clients sont passés de la demanderesse à la défenderesse pour revenir à la demanderesse, manifestant ainsi une préférence pour le type du film breveté par rapport aux films de polyéthylène et coextrudé. En outre, le film de la demanderesse a presque entièrement remplacé le film de polyéthylène en Grande-Bretagne et avait conquis une énorme part du marché nord-américain, lequel consommait majoritairement le film de polyéthylène39.
(ii)      Ces clients ont manifesté une préférence pour le film breveté en dépit du fait que les films coextrudé et de polyéthylène, en particulier, représentaient des solutions de rechange bien moins onéreuses40.
(iii)      Cette préférence, ainsi que la tendance du marché à s"éloigner du polyéthylène au profit du film breveté, est raisonnable compte tenu des désavantages, déjà mentionnés, associés aux films de polyéthylène et coextrudé.
(iv)      Enfin, bien que certains fabricants n"aient jamais abandonné le polyéthylène (apparemment à cause surtout de son bas prix), il n"y a aucune preuve qu"un client ayant adopté le film breveté soit jamais revenu au film de polyéthylène.

[45]      Pris dans leur ensemble, ces faits constituent un indicateur si éloquent du comportement de ces clients qu"on peut en inférer qu'ils n"auraient pas quitté la demanderesse n"eût été la présence de la défenderesse. Sur ce point, j"ai trouvé très persuasif l"avis de l"économiste expert de la demanderesse, le professeur Jerry Hausman.

[46]      Soulignons que les avocats de la défenderesse se sont opposés à l"admissibilité des paragraphes 19 à 25 de l"affidavit du professeur Hausman, arguant qu"il avait [TRADUCTION] "compris et présumé" que les faits relatés dans ces paragraphes étaient véridiques, et qu"il en avait fait les prémisses de son avis41. À mon avis, le professeur Hausman a bien établi les faits qu"il a présumé vrais, et s"est fondé sur ces faits pour élaborer son avis. Son affidavit n"était pas destiné à prouver la véracité des faits mentionnés aux paragraphes 19 à 25, et je n"en ai pas fait cette lecture.

[47]      Dans son affidavit, le professeur Hausman déclarait :

     [TRADUCTION] Le comportement réel des clients conforte mon opinion. Tel qu'il appert de l'analyse ci-dessus, la quasi-totalité des ventes de Du Pont a été réalisée auprès de clients qui s"approvisionnaient chez AlliedSignal. De plus, la quasi-totalité de ces clients est revenue chez AlliedSignal avant ou après le jugement de la Cour d"appel fédérale. J'estime que si Du Pont n'avait pas vendu son produit de contrefaçon, ces clients auraient continué à s"approvisionner, sans interruption, auprès de AlliedSignal42.

[48]      L"inférence que n"eût été la présence de la défenderesse, les clients n"auraient pas quitté la demanderesse n'altère pas le fardeau global de la demanderesse, à savoir établir sa preuve suivant la prépondérance des probabilités. C"est plutôt une inférence factuelle que je tire de la preuve présentée par la demanderesse, et qui, à défaut de preuve contraire, fait pencher la balance en sa faveur. La validité d"une telle inférence doit néanmoins être soumise à l"analyse des faits client par client, en particulier parce que certains indices prouvent le contraire chez quelques clients.

c)      Avantages offerts par le produit de contrefaçon par rapport au produit breveté

[49]      Le professeur Hausman a témoigné que même si le film ER n"est pas interchangeable sur le plan technique avec le film DARTEK", il peut en revanche être "interchangeable sur le plan commercial"43.

[50]      Il ressort toutefois de la preuve qu'au moins de 1989 à 1991, le film DARTEK" était supérieur au film ER de la demanderesse. Par exemple, M. Beck, cadre supérieur de GenCorp, a fait état dans son témoignage de divers problèmes que GenCorp aurait éprouvés à l"utilisation du film de la demanderesse, alors que le film DARTEK" a été jugé satisfaisant et qu'il a été adopté en 198944. M. Maxel, consultant industriel ayant témoigné pour la défenderesse, a également indiqué sa préférence pour la qualité du film DARTEK" à celle du film de la demanderesse, du moins en 1988 lorsqu"il en a fait l"essai45.

[51]      Après 1991, toutefois, lorsque Premix et Eagle Picher sont revenus exclusivement au film de la demanderesse, la preuve indique que le film tubulaire de la demanderesse était de meilleure qualité que le film DARTEK". De fait, c"était là la raison invoquée par Eagle Picher pour revenir s"approvisionner exclusivement auprès de la demanderesse46.

d)      Position du détenteur de brevet sur le marché

[52]      Bien que le prix de son produit ait été nettement plus élevé que celui du film de polyéthylène, la demanderesse a conquis approximativement 80 % du marché nord-américain et près de 100 % du marché britannique. Il est clair que la demanderesse s"imposait comme chef de file mondial du marché du film porteur de SMC.

e)      Position du contrefacteur sur le marché

[53]      Au départ, la défenderesse a tenté de produire un film ne contrevenant à aucun brevet, mais ce produit n"était pas satisfaisant. Elle a ensuite fabriqué son film de contrefaçon et a pénétré le marché du film porteur en 1989. Si je ne m'abuse, la défenderesse n"avait jamais auparavant pénétré le marché du film porteur de SMC, mais quand elle l"a fait, sa réputation la précédait. Pour reprendre les mots du professeur Hausman, [TRADUCTION] "Du Pont fait partie des grandes entreprises américaines. Elle est reconnue et respectée, et selon l"expérience que j"en ai, quand Du Pont met en marché un nouveau produit, le marché le prend très, très au sérieux." 47

f)      Part de marché du détenteur de brevet avant et après l"entrée sur le marché du produit de contrefaçon

[54]      À l"exception de Kohler au Canada et Menzolit en France, tous les fabricants qui se sont approvisionnés auprès de la défenderesse étaient à l"origine des clients de la demanderesse. La preuve démontre que l"entrée de la défenderesse sur le marché a affecté directement la part de marché de la demanderesse. L"effet est illustré par le Tableau 1, ci-dessus, qui indique en détail la part de marché de chacun des films porteurs. Quand, par exemple, la défenderesse a pénétré en force le marché en 1989, la part de marché de la demanderesse chutait de 19 % alors que celle de la défenderesse augmentait de 14 %.

[55]      De plus, à l"exception de Kohler, Menzolit et peut-être Sterling Plumbing, tous les fabricants qui s"étaient approvisionnés auprès de la défenderesse sont revenu à la demanderesse, avant ou après l"injonction48. L"entrée de la défenderesse sur le marché a donc incontestablement eu un effet direct et grave sur la demanderesse.

[56]      Tel que mentionné plus haut, le film coextrudé a aussi affecté la part de marché de la demanderesse à partir de l"année 1995.

g)      Taille du marché avant et après l"arrivée sur le marché du produit de contrefaçon

[57]      La comparaison des registres de ventes de la défenderesse et ceux de la demanderesse démontre clairement que la taille du marché du SMC n"a pas évolué de manière significative, avant ou après l"entrée de la défenderesse sur le marché49. Comme nous l'avons souligné précédemment, la grande majorité des clients de la défenderesse étaient, au départ, des clients de la demanderesse.

h)      La capacité du détenteur de brevet à fabriquer des produits additionnels

[58]      La défenderesse a soulevé cette question dans le cadre des coûts de fabrication, et je l"ai traitée dans ce même contexte50. Je conclus que la demanderesse disposait des capacités et des matériaux nécessaires à la production de quantités additionnelles de films.

[59]      Je vais maintenant procéder à l"analyse des faits client par client.

Kohler Ltd.

[60]      Aucun des témoins de la demanderesse ne connaissait Kohler et il n"existe aucune preuve documentaire que la demanderesse ait vendu ou ait tenté de vendre du film à cette entreprise ontarienne. Dans ce cas, au moins, il est clair que la demanderesse n"aurait pas pu réaliser les ventes effectuées par la défenderesse.

Eagle Picher

[61]      Eagle Picher a utilisé le film de la demanderesse avant l"entrée de la défenderesse sur le marché, mais elle avait éprouvé des problèmes de "télescopage" de rouleaux de film, c"est-à-dire que la pellicule ne demeurait pas convenablement enroulée. Eagle Picher est passée à la défenderesse au cours des années 1989, 1990 et 1991 pour la majeure partie de ses approvisionnements mais a aussi continué d'acheter à la demanderesse 58 % du film nécessaire en 1989, 11% en 1990 et 27 % en 1991. Vers la fin de l"année 1991, alors que la demanderesse lançait son film HR de qualité supérieure, Eagle Picher est repassée à la demanderesse51. Il faut noter que ceci a eu lieu quatre ans avant la délivrance de l"injonction.

[62]      De plus, Eagle Picher n"a pas utilisé de film de polyéthylène depuis l"année 1988 approximativement52. Il est très improbable qu"elle aurait repris l"utilisation du film de polyéthylène. En outre, rien n"indique que le film coextrudé ait fait partie des options qu'aurait envisagées Eagle Picher.

[63]      Cette preuve suffit à établir que n"eût été la solution de rechange offerte par le film de la défenderesse, Eagle Picher serait restée avec la demanderesse pendant que cette dernière travaillait à solutionner ses problèmes de qualité53.

Rockwell International

[64]      Rockwell a acheté approximativement 6 000 livres de film DARTEK" en 1989. Cet achat correspond à 2 % du volume total de film acheté à la demanderesse en 1989. Il est clair que Rockwell a acheté le film DARTEK" à titre expérimental54. En outre, Rockwell n"a plus jamais acheté de film DARTEK".

[65]      Le professeur Hausman a témoigné que [TRADUCTION] "si Du Pont n"avait pas été présent, Rockwell s"étant approvisionné avant et après chez AlliedSignal, [...] il est plus que probable qu"elle aurait acheté ce 14 000 $ auprès de AlliedSignal"55.

[66]      J"accepte l"avis du professeur Hausman concernant Rockwell International. Je l"accepte aussi lorsqu"il traite de manière plus générale de film utilisé à titre d"évaluation ou d'expérimentation. De fait, nul client n"augmenterait sa production de film porteur de SMC uniquement pour pouvoir évaluer un nouveau type de film porteur. Il utiliserait plutôt une quantité moindre du film normalement utilisé. Dans le cas de Rockwell, il semble évident que Rockwell a simplement acheté 6 000 livres de moins du film de la demanderesse étant donné qu"elle évaluait le film de la défenderesse. N"eût été la présence sur le marché du film de la défenderesse, Rockwell aurait acheté 6 000 livres de plus du film de la demanderesse.

[67]      Ainsi, je suis d"avis que, selon toute vraisemblance, la demanderesse aurait pu réaliser les ventes que la défenderesse a effectuées auprès de Rockwell.

Molded Fiberglass

[68]      En 1989, Molded Fiberglass a acheté approximativement 4 000 livres du film DARTEK" de la défenderesse. Rien dans la preuve n"explique la raison de cet achat, mais il ne s"agit que d"un faible volume comparativement aux achats réalisés cette année par Molded Fiberglass auprès de la demanderesse.

[69]      En 1992, la subdivision de la Tray Company a acheté approximativement 900 livres de film DARTEK". M. Thompson, superviseur de la section du génie des matériaux chez Molded Fibreglass, a témoigné que cet achat en 1992 était destiné à essayer le film DARTEK" conformément à une directive de l"entreprise sur la nécessité de trouver une source secondaire d"approvisionnement [TRADUCTION] "de peur que quelque chose n"arrive à nos fournisseurs actuels ou à leur capacité de fournir"56. Étant donné la très faible quantité vendue en 1989, la vente antérieure relevait vraisemblablement elle aussi de l"expérimentation.

[70]      Comme je l'ai dit précédemment, j"accepte l"avis du professeur Hausman en ce qui a trait au film acheté pour fins d"évaluation. Molded Fibreglass n"aurait pas augmenté sa production de SMC simplement pour évaluer le nouveau type de film porteur. Elle aurait plutôt utilisé une quantité moindre du film porteur qu"elle utilisait ordinairement et qui était, en l"occurrence le film ER de la demanderesse. Ainsi, n"eût été la présence sur le marché du film de la défenderesse, Molded Fiberglass aurait acheté un volume équivalent de film auprès de la demanderesse.

[71]      En conclusion, je suis d"avis que la demanderesse aurait pu réaliser les deux ventes que la défenderesse a faites à Molded Fibreglass.

Premix

[72]      Pendant toute la période pertinente, Premix a acheté son film à la demanderesse. En outre, elle a acheté approximativement 350 livres de film DARTEK" en 1989, 10 000 livres en 1990 et 114 000 en 1991. Elle n"a pas du tout acheté de film DARTEK" après 1991.

[73]      Cependant, au cours de la même période, Premix a continué d"utiliser le film de polyéthylène à l"une, au moins, de ses chaînes de fabrication57. La preuve indique que Premix utilisait le film breveté pour fabriquer le SMC destiné à ses propres produits de moulage, mais utilisait le polyéthylène pour produire le SMC destiné à la revente58. Enfin, le fait que le polyéthylène soit moins cher de 1,30 $ la livre que le produit breveté revêt une importance significative.

[74]      Bien que ce point n"ait été soulevé par aucune des parties, il ressort de cette preuve que Premix n"a pas utilisé le film breveté et le film de polyéthylène de manière interchangeable. La différence de prix soutient cette conclusion. L"ensemble de la preuve me convainc d"en tirer l"inférence que Premix avait des besoins établis pour un film du type du film breveté et que pour ses autres besoins, elle achetait du polyéthylène.

[75]      Ainsi, je suis d"avis que Premix aurait acheté son film breveté auprès de la demanderesse, n"eût été la présence sur le marché du film de la défenderesse.

Sterling Plumbing

[76]      En 1988 et 1989, Sterling Plumbing s"approvisionnait auprès de la demanderesse. Par la suite, elle a changé pour s"approvisionner exclusivement auprès de la défenderesse. Après la délivrance de l"injonction, Sterling a acheté de faibles quantités auprès de la demanderesse, mais aucun des témoins ne peut attester de la source principale de film à laquelle s"approvisionnait Sterling après l"injonction.

[77]      Le fait que Sterling Plumbing ne soit pas redevenue cliente exclusive de la demanderesse n'implique pas nécessairement que Sterling Plumbing ne serait pas restée auprès de la demanderesse au cours de la période de contrefaçon.

[78]      Le fait que Sterling Plumbing ait acheté le film DARTEK" plutôt que celui de propylène ou le film coextrudé constitue en effet une indication claire de la préférence de ce client pour le film du type breveté, en particulier vu son prix nettement plus élevé que celui du film de polyéthylène. Rien n'indique que Sterling Plumbing recherchait activement d"autres options, comme l'a fait GenCorp, ni que Sterling Plumbing n"aurait pas continué à s"approvisionner auprès de AlliedSignal.

[79]      Pour la période 1989-1994 donc, j"accepte l"avis du professeur Hausman voulant que Sterling Plumbing aurait continué à s"approvisionner auprès de la demanderesse59. Pour la période suivante, toutefois, je ne suis pas persuadé que l"avis du professeur Hausman soit toujours valable. En raison de l"influence qu"exerce le film coextrudé sur le marché à la fin de l"année 1994, il n"est pas évident que Sterling Plumbing aurait maintenu ses achats de film auprès de la demanderesse. C"est pourquoi, je ne peux pas conclure que la demanderesse aurait pu réaliser elle-même les ventes faites par la défenderesse à Sterling Plumbing en 1995.

[80]      Ainsi, la demanderesse est en droit de réclamer son manque à gagner sur les ventes de la défenderesse à Sterling Plumbing pour la période 1989-1994 et, pour l"année 1995, elle a droit à une redevance sur les ventes de la défenderesse à Sterling Plumbing.

Owens Corning

[81]      Owens Corning a acheté de faibles quantités de film porteur à la demanderesse aussi bien qu"à la défenderesse durant une partie de la période de référence, bien qu"elle n"ait pas acheté de l"défenderesse en 1991 ou après 1992. Cette entreprise dispose de ce qu"on nomme un "compte de laboratoire" pour lequel elle achète de faibles quantités de film destiné à des projets spéciaux.

[82]      J"accepte l"avis du professeur Hausman selon lequel Owens Corning aurait continué de s"approvisionner auprès de la demanderesse60. La qualité du film breveté est nettement supérieure à celle du film de polyéthylène et rien n'indique que le film coextrudé ait sérieusement fait partie des options envisagées par Owens Corning. De plus, Owens Corning a démontré sa préférence pour le film du type de celui breveté, soit en l"achetant soit en achetant le film de contrefaçon, en dépit d'une solution de rechange beaucoup moins onéreuse.

[83]      Je constate qu"en 1998, l"achat de quelque 1 060 livres de film auprès de la défenderesse pourrait être perçu comme un achat d"essai ou d"évaluation de son film. Comme je l'ai dit précédemment, en ce qui concerne Rockwell International et Molded Fiberglass, rien n'indique que Owens Corning a produit plus de SMC aux fins d"évaluation du film de la défenderesse. Elle a plutôt simplement utilisé une quantité moindre du film de la demanderesse.

[84]      Suivant la prépondérance des probabilités, je conclus que Owens Corning aurait effectué auprès de la demanderesse l"achat de toute la quantité de film qu"elle a achetée à la défenderesse de 1988 à 1995. Ainsi, la demanderesse a droit au manque à gagner sur ces ventes.

GenCorp

[85]      En 1988, GenCorp a acheté plus de 300 000 livres de film auprès de la demanderesse. En 1989, elle a acheté environ 50 % de ses besoins en film (approximativement 130 000 livres) à la défenderesse et 50 % à la demanderesse. Par la suite, et jusqu"à la délivrance de l"injonction en 1995, GenCorp a acheté son film exclusivement auprès de la défenderesse, à l"exception d"une petite quantité en 1990 et d"une quantité insignifiante en 1991. Après la délivrance de l"injonction en 1995, GenCorp s"est approvisionnée exclusivement auprès de la demanderesse et ce pour le reste de l"année. En 1996, elle a acheté nettement moins de film à la demanderesse qu"elle ne l"avait fait au cours des quelques années précédentes (environ le tiers de ses besoins antérieurs).

[86]      GenCorp représente un problème compliqué du fait que la défenderesse a présenté des éléments de preuve selon lesquels GenCorp ne se serait, en aucun cas, approvisionnée auprès de la demanderesse.

[87]      M. Byron Beck, cadre supérieur de GenCorp, a témoigné du fait qu"il a continuellement éprouvé de sérieuses difficultés lors de l"utilisation du film de la demanderesse. Aux environs de 1986 ou 1987, GenCorp "s"est sérieusement mis à la recherche de solutions"61. Elle a envisagé plusieurs options dont le film de polyéthylène produit par une petite firme dénommée Keystone et une version antérieure (non contrefactrice) du film DARTEK" de la défenderesse ainsi qu"un film coextrudé fabriqué par Dow Chemical Company.

[88]      Pour diverses raisons, aucune de ces options n"étaient satisfaisantes. Cependant, quand le film de contrefaçon DARTEK" a été mis en marché en 1989, il était "très bien" et GenCorp l"a adopté, en dépit du fait qu"il était plus onéreux que le film de la demanderesse62. La différence de prix cependant a été "éliminée" lorsque la défenderesse a modifiée l"épaisseur de son film, le faisant passer de 1,0 mil à 0,9 mil63.

[89]      M. Beck a aussi témoigné du fait qu"entre 1990 et 1992, il a continué à travailler avec le représentant de la demanderesse à la solution des problèmes auxquels faisait face GenCorp. Diverses propositions ont été faites, mais aucune ne s"était avérée efficace. Il a dit qu"à un moment donné, probablement en 1992, le représentant de la demanderesse a quitté AlliedSignal. Ceci a essentiellement mis fin à ses contacts avec la demanderesse64.

[90]      M. Beck a aussi témoigné qu"au moment de la délivrance de l"injonction en 1995, GenCorp a été obligée de réagir rapidement.

     [TRADUCTION]

     Q.      Et, comment GenCorp a-t-elle réagi [à l"injonction] ?
     R.      Eh bien, nous avons immédiatement examiné les autres options, dont celle qu"offrait une entreprise qui fournissait directement d"Italie. Elle s"appelle Air Tech. Son délégué commercial s"appelait Malacci, si je me souviens bien, mais ceci aurait exigé -- étant donné que nous avions un programme de mise à l"échelle, d"obtenir des échantillons d"Italie et de mettre l"un d"entre eux à l'échelle. Ce n"était tout simplement pas pratique, question d"échéancier.
     Q.      À quel échéancier faites-vous référence ?
.     
     R.      Eh bien, lorsque Du Pont a été obligée non seulement d"interrompre la fabrication mais aussi l"expédition de produit qu"elle avait déjà en stock, nous n"avions pas tellement d"inventaire en réserve. Nous devions donc réagir rapidement. Notre programme de mise à l"échelle s"est prolongé pendant des mois et nous n"avions pas le temps voulu pour examiner d"autres options.
     Q.      Qu"est-ce qui vous a fait rechercher un autre fournisseur que Allied en 1995 ?
     R.      Nous étions passés par plusieurs années difficiles avec Allied et ceci a provoqué une baisse de notre niveau de confiance, aussi bien le mien que celui du personnel chargé du contrôle de qualité, du personnel technique et de celui de la fabrication du SMC. Nous n"étions donc pas sûrs d"éviter le genre de problèmes que nous avions eus auparavant.
     Q.      Quel film GenCorp a-t-elle décidé d"adopter quand elle a appris qu"une injonction frappait Du Pont ?
     R.      Eh bien, malgré nos inquiétudes, la solution la plus rapide était de retourner chez Allied. Comme je l"ai déjà dit, essayer d"importer d"Italie aurait été trop long, nous avons donc décidé d"adopter la voie la plus expéditive en contactant Allied et en commandant au départ une petite quantité65.

[91]      En contre-interrogatoire, M. Beck a admis que, n"eût été la présence de la défenderesse sur le marché en 1989, GenCorp aurait été obligée, du moins pour un moment, de continuer à utiliser le film de la demanderesse.

     [TRADUCTION]
     Q.      Est-il juste de dire, Monsieur, qu"en 1989, n"eût été la présence sur le marché de Du Pont, vous auriez à nouveau fait face au même choix, à savoir le film insatisfaisant de polyéthylène et le film d"AlliedSignal, lui aussi insatisfaisant mais que vous utilisiez, que vous auriez quand même continué à utiliser le film d"AlliedSignal si celui de Du Pont n"avait pas été disponible comme solution de rechange ?
     R.      Eh bien, la recherche se serait prolongée jusqu"ce qu"on ait pu trouver une autre source d"approvisionnement proposant un produit que nous aurions pu, éthiquement et légalement, utiliser.
     Q.      Bien sûr. Mais, entre temps, vous auriez continué à utiliser le film d"AlliedSignal ?
     R.      Oui. Nous n"aurions pas eu le choix66.

[92]      La demanderesse a aussi présenté certains éléments de preuve qui viennent appuyer cette admission. M. Petty, l"un des cadres supérieurs à l"emploi de la demanderesse, a témoigné du fait qu"en 1992 il a effectué un essai d"utilisation du film pour GenCorp. Au cours de cet essai, le film de la demanderesse a été jugé satisfaisant67. De plus, un rapport d"AlliedSignal datant de 1992 signalait que [TRADUCTION] "GenCorp apparemment éprouvait des difficultés à l"utilisation du film DARTEK". Nous pensons qu"ils ont éprouvé des problèmes de fragilité au pelage du film entourant le produit mélangé"68.

[93]      En outre, il existe deux explications à la diminution importante d"achat de film auprès de la demanderesse en 1996 : (i) GenCorp a fusionné avec Cambridge Industries, laquelle avait acheté une quantité importante du film auprès de la demanderesse (plus de 400 000 livres en 1995 et plus de 500 000 livres en 1996); (ii) GenCorp a produit substantiellement moins de SMC en 1966. M. James Butler, à l"époque cadre supérieur de GenCorp, a témoigné du fait que [TRADUCTION] "[n]otre importante chute de transactions de SMC a été provoquée par le retour à l"acier du U-van en 1996"69.

[94]      Dans l"ensemble, il ressort de cette preuve que jusqu"au moment où GenCorp a trouvé une solution de rechange adéquate, la demanderesse aurait pu réaliser elle-même quelques-unes des ventes de la défenderesse à GenCorp. La seule preuve d"une solution de rechange raisonnable apparaissant avant 1995 était celle du film coextrudé, adopté en 1991 par Budd Co., alors que Deering entreprenait la production de film coextrudé en quantités importantes. Il est cependant clair que la recherche d"une solution de rechange par GenCorp était très poussée et s"étendait au delà des limites nord-américaines, auprès de fournisseurs européens.

[95]      Nous en sommes réduits à de pures conjectures s'agissant de la date à laquelle GenCorp aurait abandonné le film de la demanderesse. À mon avis, la seule approche équitable en pareilles circonstances est d"accorder à la demanderesse une redevance raisonnable sur les ventes de la défenderesse à cette entreprise. Pour reprendre les termes de lord Fletcher Moulton dans Meters v. Metropolitan Gas Meters , [TRADUCTION] "Je crois que dans plusieurs cas ceci constituerait le moyen le meilleur et le plus sûr d"arriver à une conclusion fondée quant aux chiffres adéquats"70.

[96]      Ainsi, j"accorderais à la demanderesse le droit à une redevance raisonnable sur les ventes réalisées par la défenderesse auprès de GenCorp.

Menzolit

[97]      Menzolit, une entreprise française, était le seul client européen de la défenderesse. La demanderesse a vendu, par l'entremise de distributeurs, une certaine quantité de film de 1992 à 1995. En 1993, elle a réalisé la seule vente directe à cette compagnie. En 1995, la défenderesse a vendu 2 675,2 livres de film DARTEK" à Menzolit au prix de 2,57 $ la livre. M. LeBlanc, témoin de la défenderesse, a témoigné de ce que ceci représentait une quantité d"essai qu"il a qualifiée de [TRADUCTION] "petite expédition envoyée au client pour qu"il l"essaye sur ses machines et décider ensuite si le film répond ou non à ses besoins"71.

[98]      Comme je l'ai indiqué précédemment, j"accepte la proposition voulant qu'en ce qui concerne le film acheté aux fins de l"évaluation, le client aurait continué de s"approvisionner auprès de son fournisseur habituel, n"eût été la présence sur le marché de la défenderesse. Concernant Menzolit, la preuve ne permet pas d'établir que la demanderesse était son fournisseur habituel. De fait, il ressort de cette preuve que Menzolit achetait la majeure partie de son film porteur de SMC auprès de Eurozac, une entreprise européenne. Par exemple, selon une note émanant de AlliedSignal en date du 28 avril 1992, [TRADUCTION] "jusqu"ici, nous croyons qu"elle [Menzolit] est satisfaite du produit d"Eurozac"72.

[99]      Ainsi, la demanderesse n"a droit qu"à une redevance raisonnable sur les ventes de la défenderesse à Menzolit.

Résumé

[100]      Le Tableau 3 (voir Appendice) résume les conclusions auxquelles je suis arrivé en ce qui concerne le volume de ventes réalisé par la défenderesse et que la demanderesse aurait pu réaliser elle-même n"eût été la présence de la défenderesse. Le Tableau 4 (voir Appendice) résume le volume de ventes réalisé par la défenderesse et que la demanderesse n"aurait pas pu elle-même réaliser.


         (ii)      Le volume de vente que la demanderesse aurait pu réaliser elle-même devrait-il être ajusté en fonction de la différence d"épaisseur ?

[101]      Le film que la demanderesse produit a une épaisseur de 1 mil (un millième de pouce). De 1989 à 1990, celui de la défenderesse avait aussi une épaisseur de 1 mil, mais au début de l"année 1991, la dite défenderesse a entrepris la vente d"un film de 0,9 mil à quelques compagnies, dont Sterling et GenCorp. Cette modification d"épaisseur a affecté les ventes, étant donné que la demanderesse et la défenderesse vendaient toutes les deux leur film à la livre mais que la quantité de film dont un client a besoin est déterminée strictement en fonction de la surface73.

[102]      Quand la défenderesse a changé d"épaisseur de film, passant de 1,0 mil à 0,9 mil, les acheteurs n"avaient besoin ni de plus ni de moins de film, en revanche ils avaient besoin de moins de livres pour réaliser la même production de SMC74. Le postulat inhérent au rapport de M. Dovey veut que si les acheteurs avaient continué à acheter auprès de la demanderesse, ils auraient quand même utilisé la même surface de film mais auraient dû en acheter de plus importantes quantités en livres que celles qu"ils pouvaient se procurer auprès de la défenderesse75.

[103]      De plus, il est clair que la pratique au sein de ce secteur veut que les prix soient examinés en fonction des différences d'épaisseur. Par exemple, M. Beck a témoigné du fait que GenCorp a adopté le film de la défenderesse en 1989 en dépit de son prix nettement plus élevé, mais cette différence de prix a été "éliminée" lorsque la défenderesse a changé l"épaisseur de son film en 199176. En outre, une note émanant de AlliedSignal compare ainsi les prix du film coextrudé et du film ER :

     [TRADUCTION] Nous croyons que le prix de ce produit oscille entre 1,40 $ et 1,45 $ la livre. Ceci se traduit par 1,75 $ à 1,80 $ la livre après ajustement en fonction des différences au pied carré la livre. Notre prix du film ER-15 s"établit à 2,25 $ la livre77.

[104]      M. Rostant n"a pas contredit ces faits mais il est d"avis qu"il ne faut pas effectuer d"ajustement d"épaisseur parce que la demanderesse aurait été dans l"obligation soit de réduire les prix, soit de réduire l"épaisseur de son film78. En contre-interrogatoire toutefois, il a admis que n"eût été la présence de la défenderesse, la demanderesse n"aurait pas nécessairement été obligée de réduire ses prix ou l"épaisseur de son film79. Même sans cette admission, je suis incapable de souscrire à la proposition initiale de M. Rostant. Le fait que la défenderesse ait réduit l"épaisseur de son film pour en baisser effectivement les prix n'implique pas que la demanderesse aurait eu à baisser ses prix ou l"épaisseur de son film. La demanderesse n"a pas réduit ses prix ou l"épaisseur de son film alors que la défenderesse était présente sur le marché, et rien n'indique qu"elle aurait été obligée de le faire si la défenderesse n"avait pas été présente sur le marché.

[105]      Pour conclure sur cette question, la quantité de film de 0,9 mil vendue par la défenderesse et que la demanderesse aurait pu elle-même vendre devrait être ajustée en fonction de l"épaisseur. Une comparaison s"impose entre la Pièce D-16, faisant état des ventes de film de 0,9 mil, et le Tableau 3 (voir Appendice), lequel fait état du volume que la demanderesse aurait accaparé. Cette comparaison indique que le seul volume que la demanderesse aurait pu accaparer aurait été celui des ventes de la défenderesse à Sterling, de 1991 à 1994. L"ajustement de l"épaisseur relatif à ces ventes est résumé au Tableau 5 (voir Appendice).

     (iii)      La demanderesse est-elle en droit de réclamer un manque à gagner relativement au film livré à Eagle Picher et que cette dernière n"a jamais payé ?

[106]      Il appert du dossier en l'espèce qu"en 1991 Eagle Picher avait demandé la protection de la loi américaine sur les faillites contre ses fournisseurs, de sorte que la défenderesse n"a pa été payée pour les 24 188 livres de film vendues à Eagle Picher. La défenderesse a finalement recouvré la somme de 10 377 $, représentant le paiement de 4 416 livres de film, pour laquelle elle détient actuellement une reconnaissance de dette non garantie de Eagle Picher pour le même montant et qui arrive à maturité le 29 novembre 1999.

[107]      La défenderesse affirme que la demanderesse ne devrait pas pouvoir réclamer le manque à gagner sur les 19 772 livres de film non payées (24 188 livres initialement livrées moins les 4 416 payées)80.

[108]      M. Dovey, témoin expert pour la demanderesse, a témoigné que [TRADUCTION] "le fait que Du Pont ait eu une mauvaise créance dans le cas d"un client donné ne signifie pas que la demanderesse aurait nécessairement eu à subir cette même mauvaise créance, même une fois l"expédition et la vente effectuées"81. De plus, M. Petty a dit qu'à sa connaissance, la demanderesse n'avait eu aucune difficulté de perception avec Eagle Picher, qu'elle a continué à approvisionner au cours de la période de faillite et de réorganisation82.

[109]      Je suis d"accord avec M. Dovey pour dire que la demanderesse n"aurait pas eu nécessairement à subir la même mauvaise créance. Les mauvaises créances, cependant, constituent l"une des caractéristiques du marché, même là où le risque n'est pas particulièrement élevé, et la défenderesse n'est pas l'assureur des profits de la demanderesse. Sur le plan conceptuel, la question est de savoir si les profits de la demanderesse sont tributaires de la vente ou du vendeur. S"il s"agit de la vente, la seule preuve est que Eagle Picher n"a pas payé le film. S"il s"agit du vendeur, la seule preuve est que Eagle Picher a réussi à payer toutes ses dettes à la demanderesse.

[110]      Dans les circonstances, la preuve que Eagle Picher n"a pas acquitté l"achat de film est plus convaincante que le témoignage de M. Petty portant qu"il n"était au courant d"aucun problème de perception s"agissant des comptes de Eagle Picher auprès de AlliedSignal. Peu importe que Eagle Picher ait effectué régulièrement ou non ses paiements à la demanderesse, il est clair qu"elle n"a pas acquitté quelques-unes des ventes que la demanderesse aurait pu elle-même réaliser n"eût été la présence de la défenderesse. Ainsi la défenderesse ne devrait pas être tenue responsable de cette tranche des ventes. Conclure autrement reviendrait à ériger la défenderesse en assureur des profits de la demanderesse.

[111]      La question demeure concernant la reconnaissance de dette non garantie de 10 377 $ que la défenderesse détient. Eagle Picher semble réussir sa restructuration et continue à acheter d"importantes quantités de film auprès de la demanderesse. En soulevant cette question, la défenderesse a le fardeau de présenter des éléments de preuve indiquant que les 4 416 livres additionnelles de film, que représente la reconnaissance de dette non garantie, ne lui seront pas payées, ce qu"elle n"a pas réussi à faire. En l"absence de tels éléments de preuve, je ne peux conclure que la demanderesse doive assumer les conséquences de la reconnaissance de dette non garantie.

[112]      Ainsi, les ventes à Eagle Picher que la demanderesse aurait elle-même pu réaliser en 1991 devraient être réduites de 15 356 livres (soit 19 772 livres moins les 4 416 livres qui font l"objet de la reconnaissance de dette non garantie). Cette réduction est illustrée au Tableau 12 (voir Appendice).

     c)      Quels frais la demanderesse aurait-elle encourus pour produire la quantité additionnelle de film ?

[113]      Les deux parties s"accordent sur la méthode appropriée de détermination du manque à gagner de la demanderesse, celle de la comptabilisation du coût différentiel . Selon M. Dovey, le témoin expert comptable de la défenderesse,

     [TRADUCTION] Cette approche comptable du coût différentiel exige que tous les coûts qui auraient été encourus soient déduits des revenus des ventes perdues - - tous les coûts variables qui auraient été encourus pour réaliser ces ventes, augmentés de toute modification des coûts fixes qui résulterait de la production de ces quantités additionnelles. Il s"agit essentiellement, en termes de comptabilité, des revenus de ventes diminués de tous les coûts variables83.

[114]      M. Rostant, expert comptable de la défenderesse, a défini de manière succincte les coûts variables et les coûts fixes comme suit :

     [TRADUCTION] Les coûts variables sont des coûts qui évoluent avec chaque unité produite. Si un coût demeure constant, sans égard à la quantité produite, il est considéré comme fixe84.

[115]      M. Rostant a déclaré que lui-même et M. Dovey s"accordaient sur le fait que "les centres de coûts" des différentes usines de la demanderesse fournissent un chiffre de base pour ses coûts variables de fabrication, sur une base annuelle. Ce chiffre de base correspond aux "coûts variables de fabrication : coût/livre" (pièce D-41, tableau préparé par M. Rostant). Ils conviennent aussi que divers coûts additionnels doivent être ajoutés au chiffre de base, mais ils ne s"entendent pas sur les chiffres à ajouter dans les catégories suivantes :

     (i)      Main-d"oeuvre à l"usine de Pottsville

[116]      M. Dovey a indiqué dans son témoignage que les coûts variables de la main-d"oeuvre à l"usine de Pottsville sont compris dans le chiffre de base des coûts de la demanderesse. De l"avis de M. Rostant, les calculs de M. Dovey sont inexacts de 9,2 cents la livre de film ER produit. Il a déclaré ceci :

     [TRADUCTION] Votre Seigneurie, les examens préalables de AlliedSignal ont fourni aux avocats de Du Pont une estimation des coûts de main-d"oeuvre reliés à la production de film ER-15 au cours des années 1989 à 1995. Nous les avons examinés et comparés aux coûts de main-d"oeuvre figurant sur la ligne au-dessus, celle des coûts variables de fabrication [de] AlliedSignal, le montant figurant au rapport établi par leur Centre de coûts et avons déterminé que la somme de 9,2 cents la livre n"avait pas été incluse dans l"estimation qu"avait établie AlliedSignal pour les coûts de production du film ER-15.
     À notre avis, ce montant aurait dû être ajouté aux coûts85.

[117]      En réplique, M. Dovey a expliqué pourquoi l"ajout effectué par M. Rostant de 9,2 cents la livre était selon lui inexact. Au cours de l"interrogatoire préalable de M. Charles Barton, le représentant d"AlliedSignal, l'avocat de la défenderesse l"a questionné sur le coût par livre de la main-d"oeuvre variable à l"usine de Pottsville. La réponse, fournie environ un mois plus tard, figure au Tableau 6 de l"Appendice.

[118]      Cependant, les questions 3962 et 3963 de l"interrogatoire préalable de M. Barton précisent ces chiffres.

     [TRADUCTION] M. Renaud : Q. S"agissant de la question 3207, vous nous avez fourni ce qui semble être un coût unitaire par livre. Pouvez-vous me dire ce que cela signifie ? Vous avez indiqué 21 cents pour 1989, passant à 15 cents pour 1995.
     Mme. D"Iorio: Eh bien, ceci...ce que vous voyez en 3207 est, à nouveau, fondé sur notre incompréhension de votre question. La manière dont on a interprété la question 3207 est la suivante : Quels sont les coûts de ces gens année par année ? Alors, à nouveau, nous discutons de, vous savez, des coûts relatifs à ces gens affectés à la production de nylon. Alors, nous vous avons donné un chiffre par livre. Ils l"expriment de cette façon.
     M. Renaud : Q. D"où proviennent ces chiffres ?

     [M. Barton :] R. Il s"agit d"une simple estimation que nous avons rassemblée86.

[119]      D"autre part, les chiffres réels provenant de la "fiche standardisée de prix de revient" sont nettement inférieurs. M. Dovey a expliqué, dans son contre-affidavit, que les chiffres fournis en réponse à la question 3207 comprenaient les deux catégories de coûts de main-d"oeuvre, fixes et variables. M. Dovey a développé ce point comme suit :

     [TRADUCTION] ...Le second point -- et je reviens sur la pièce 1.2 de mon contre-affidavit -- le second point de désaccord entre M. Rostant et moi était celui de la main-d"oeuvre additionnelle à l"usine de Pottsville. Dans mon affidavit, la main-d"oeuvre est calculée selon le coût de main-d"oeuvre normal à Pottsville ajouté du coût de la résine.
     Dans son rapport initial, M. Rostant a examiné une réponse donnée lors de l"interrogatoire préalable, faisant allusion à -- la réponse était qu"il y avait environ 20 cents de main-d"oeuvre par livre imputée à Pottsville pour la production de film ER-15. M. Rostant a consulté la fiche standardisée de prix de revient de son rapport initial et a identifié environ 6 cents de main-d"oeuvre. Il en a conclu qu"il devait y avoir 12 cents qui n"avaient pas été pris en compte.
     Après réflexion, M. Rostant a de nouveau consulté sa fiche standardisée de prix de revient et a réalisé qu"il n"avait pas tenu compte de la main-d"oeuvre de la section de l"extrusion, à laquelle il faut ajouter celle de la section de découpage, soit à peu près 6 cents, ce qui nous amène à 12 cents. Il est donc toujours du même avis, à savoir qu"en examinant le coût total de main-d"oeuvre, soit selon son interprétation, 20 cents, il y a à peu près huit cents par livre qui restent à prendre en compte. Je crois qu"il se trompe sur ce point.

     LA COUR : Pourquoi ?

     LE TÉMOIN : Les 20 cents par livre que -- une réponse faite par M. Barton lors de l"interrogatoire préalable n"était pas particulièrement claire. Elle comprenait les deux catégories de coûts, fixes et variables.
     LA COUR : Eh bien, il a dit ce qu"il a dit lors de l"interrogatoire préalable, que je n"ai pas devant moi.
     LE TÉMOIN : Votre Seigneurie, M. Rostant a aussi indiqué qu"il a vérifié ce chiffre de 20 cents et qu"il l"a fait en s"appuyant sur les rapports du Centre de coûts de Pottsville, qui faisaient partie des pièces à l"interrogatoire préalable, et il a pris le volume total de film ER-15 de Pottsville, il a aussi pris le total des coûts de Pottsville, et a établi le total des coûts variables à Pottsville à environ 20 cents la livre.
     Au départ, ceci pourrait suggérer que dans les 12 cents de coûts afférents au film ER-15 quelque chose n"a pas été comptabilisée. À mon avis, la difficulté que présente la méthode adoptée par M. Rostant pour vérifier son hypothèse est que nous avons affaire à un chiffre global pour l"usine de Pottsville dans lequel, selon ce que je comprends, il n"est pas exact de présumer que chaque produit exige la même composante de main-d"oeuvre.
     L"usine de Pottsville fabrique plusieurs produits dont le film ER-15. Si l"on tenait compte de tous les produits et de toutes les chaînes de fabrication, non seulement celles du film ER-15, et en faisant une moyenne simple, on trouverait environ 20 cents la livre en moyenne.
     Mais il faut se tourner vers le film ER-15 pour avoir les coûts afférents au film ER-15. Le meilleur indicateur, et la meilleure documentation, que nous ayons de ces coûts sont ceux de la fiche standardisée de prix de revient sur laquelle M. Rostant et moi nous nous sommes appuyés87.

[120]      J"ai passé en revue les affidavits des deux experts sur cette question, ainsi que leur témoignage au cours du procès. En outre, j"ai pris en considération le résumé des fiches standardisées de prix de revient qui font partie de la Pièce B-4 de l'affidavit original de M. Dovey ainsi que les fiches actuelles standardisées de prix de revient qui font partie de la Pièce 2 du contre-affidavit de M. Dovey. Enfin, j"ai pris en considération le résumé des calculs de M. Dovey à l"Appendice 8 de son affidavit (Volume 2). Ces calculs démontrent clairement que M. Ronstat s"est appuyé sur la réponse de la demanderesse à la question 3207 de l"interrogatoire préalable. Rien d"autre ne paraît étayer ses calculs.

[121]      Tenant compte de tous ces facteurs, j"accepte le témoignage de M. Dovey relatif aux coûts variables de main-d"oeuvre à l"usine de Pottsville. Je suis d"avis que les coûts variables de main-d"oeuvre à l"usine de Pottsville ont été convenablement calculés dans les chiffres de base susmentionnés, et il ne devrait pas y avoir de coût variable additionnel inscrit à cette rubrique.

     (ii)      Électricité à l"usine de Pottsville

[122]      Les deux experts s"entendent sur la nécessité d"apporter certains ajustements aux frais d"électricité imputés à l"usine de Pottsville, mais ils sont en désaccord sur le montant, c"est-à-dire sur le pourcentage du coût total d"électricité de l"usine de Pottsville qui est variable. M. Dovey, témoin expert de la demanderesse, a fixé l"ajustement à environ 3,5 cents la livre alors que M. Rostant, témoin expert de la défenderesse, a quant à lui fixé cet ajustement à environ 5,7 cents la livre.

[123]      M. Dovey a expliqué qu"un ajustement s"imposait étant donné qu"au cours de la période de contrefaçon, la demanderesse a traité les coûts d"électricité de Pottsville comme fixes alors qu"en réalité un pourcentage de ces frais est variable88.

[124]      M. Rostant a expliqué ses calculs de la manière suivante :

     [TRADUCTION] Dans le rapport de son Centre de coûts, AlliedSignal ne traite pas l"électricité comme un coût variable. Pour cette raison, un ajustement s"impose. Pour arriver à cet ajustement de 0,57 cents la livre, nous avons examiné la production de film ER-15 à Pottsville en tant que pourcentage de l"ensemble de la fabrication de tous les produits à Pottsville et ceci nous a donné environ 14 %.
     Nous avons appliqué un pourcentage aux coûts d"électricité de Pottsville de manière à déterminer la base par livre indiquée sous la rubrique électricité. Nous l"avons calculée au prorata selon le postulat que la consommation d"électricité des machines utilisées à la fabrication du film ER-15 est la même que celle d"autres machines dans l"usine89.

[125]      M. Dovey était en désaccord avec le postulat selon lequel les coûts sont les mêmes pour toutes les machines. Son avis est conforté par le témoignage de M. DeAntonis selon lequel la chaîne "à deux axes" de l"usine est dix fois plus longue et produit trois fois plus de film que les chaînes utilisées pour le film ER-1590.

[126]      De plus, M. Dovey a bénéficié des résultats d"une étude d"ingénierie réalisée par les ingénieurs électriciens de la demanderesse qui ont mesuré la consommation réelle des machines utilisées à Pottsville pour la fabrication du film ER-15. Ces mesures, qui figurent à la pièce H-3 de l"affidavit de M. Dovey91, quantifie la consommation en électricité des machines d"extrusion et des machines de découpage au cours d"une opération typique de fabrication du film ER-15.

[127]      M. Kubitz, ingénieur à l"usine de Pottsville, a témoigné de l"exactitude des mesures et calculs sur lesquels s"est fondé M. Dovey, et j"accepte son témoignage92. Soulignons que l'avocat de la défenderesse s'est opposé au témoignage de M. Kubitz parce que ce dernier avait été convoqué comme témoin des faits et non comme témoin expert93. Selon l'avocat de la défenderesse, tous les calculs effectués par M. Kubitz ont pour conséquence de faire relever son témoignage du domaine de la preuve d'expert. Je suis, respectueusement, en désaccord.

[128]      Deux niveaux d"expertise caractérisent les calculs de M. Kubitz, et à ces deux niveaux il est clair qu"il s'est fondé sur son expérience et ses connaissances d"ingénieur électricien. En premier lieu, les mesures en question sur la consommation d"électricité ont exigé une certaine expertise. Cependant, le fait qu"un profane ne saurait pas comment effectuer ces mesures ne font pas du témoignage de M. Kubitz un témoignage d"expert ou d"opinion. Ces mesures constituent des faits sur lesquels M. Kubitz a convenablement témoigné comme témoin des faits.

[129]      En second lieu, les calculs effectués par M. Kubitz ont aussi exigé une certaine expertise et il n"y a pas de doute qu"un profane n"aurait pas été en mesure de convertir en kilowatts les mesures exprimées en ampères, les kilowatts étant une unité de mesure beaucoup plus utile lorsqu"il s"agit de discuter de consommation d"électricité. De manière générale, la conversion d"unités de mesure relève de l"exercice objectif et ne laisse pas place à l"inférence. Ce serait le cas ici, à l"exception d"une formule de conversion fondée sur ce que M. Kubitz a appelé le "facteur de puissance". Selon lui, [TRADUCTION] "Normalement, un facteur de puissance oscille à 0,9 plus ou moins un demi pour cent"94. Le choix de M. Kubitz de la mesure 0,9 au lieu de, par exemple, 0.90045 frise de toute évidence la mince distinction entre le fait et l"opinion. Considérant l"effet imperceptible qu"aurait une demie de un pour cent sur le résultat du calcul des frais d"électricité à l"usine de Pottsville, je ne suis pas disposé à l"exclure.

[130]      En fait, ma perception globale du témoignage de M. Kubitz est qu"il s"est fondé sur son expertise d"ingénieur d"usine à Pottsville pour présenter utilement ses mesures à la Cour. Le fait que M. Kubitz n"a pas été appelé à témoigner comme expert l"empêche d"exprimer une opinion sur ses mesures ou d"en tirer des inférences, mais cela ne l"empêche pas de se livrer au type de calculs auquel il s"est livré95. Ses calculs lui ont seulement permis d"exprimer ses mesures en kilowatts, conversion qui ne représente sans doute pas pour un ingénieur électricien plus de difficulté que de convertir des pouces en centimètres. Le fait qu"il se fonde sur son expertise d"ingénieur électricien ne signifie pas qu"il tire une inférence ou qu"il exprime une opinion.

[131]      Je permettrais l"utilisation des calculs de M. Kubitz. À mon avis, ils jettent des bases valables pour l"opinion de M. Dovey sur la question. M. Dovey a expliqué ses conclusions de la manière suivante :

     [TRADUCTION]
     Q.      Très bien. L"électricité, voulez-vous traiter de cette question maintenant ?
     R.      L"électricité -- considérant que je me suis fondé sur les mesures de consommation faites par l"ingénieur de la compagnie pour déterminer les frais d"électricité qui varient avec la production, quand quelqu"un opère la machine à extrusion pendant 20 minutes additionnelles pour produire les volumes additionnels, il y a de l"électricité qui est consommée. Je me suis appuyé sur les mesures de l"ingénieur pour déterminer la quantité d"électricité consommée au cours de la fabrication des quantités additionnelles et ceci sous-tend l"ajustement dont il est fait état dans mon rapport, sous la rubrique Coûts additionnels d"électricité à Pottsville.

    

         M. Rostant a pris le coût total de l"électricité imputé à la section de fabrication de Pottsville et l"a divisé par la production totale de film ER-15 à Pottsville et par d"autres produits, pour définir une mesure proportionnée de la consommation d"électricité imputable à la production du film ER-15 uniquement.
     Q.      Alors quels sont vos commentaires sur la méthode de M. Rostant ?
     R.      L"utilisation des mesures des ingénieurs représente une méthode plus précise. Le rapport de M. Rostant prend pour acquis que tous les produits fabriqués à Pottsville requièrent la même quantité d"énergie par livre.

    

         L"utilisation des mesures des ingénieurs nous permet d"isoler les frais d"électricité additionnels applicables à la production additionnelle de film ER-15, ce qui, à mon avis, représente une mesure plus précise96.

[132]      M. Rostant est en désaccord avec deux postulats inhérents à l"approche de M. Dovey. En premier lieu, il a déclaré qu"il [TRADUCTION] "pourrait y avoir quelques coûts additionnels à celui de la machinerie,...tels ceux des machines nécessaires au déplacement du film, des convoyeurs à courroie, des convoyeurs, des supports, des soulévateurs"97. En deuxième lieu, il a noté que les calculs de M. Dovey [TRADUCTION] " résultent en une répartition approximative de la production de film ER-15...7 à 9 % des frais d"électricité," mais que "le film ER-15 compte pour 10,8 à 15 pour cent de la production. Il y a là une incohérence"98.

[133]      En ce qui concerne le fondement initial de son désaccord, il est prouvé qu"au moins une grue, ou un convoyeur, est utilisé pour charger le film sur un chariot alors qu"il est déplacé de la chaîne d"extrusion à la chaîne secondaire de découpage99. En ce qui concerne son deuxième point de désaccord, M. Rostant a admis, en contre-interrogatoire, qu"il ne connaissait pas la proportion des coûts fixes figurant dans les rapports du Centre de coûts et qu"il a utilisés, bien qu"il ait su qu"une certaine portion soit incluse. Par exemple, il a déclaré [TRADUCTION] "sans doute qu"il y aurait une certaine quantité de cette électricité qui serait destinée à l"éclairage"100. Les deux parties s"entendent pour dire que l"électricité, en l'espèce, relève des coûts fixes.

[134]      Pour ce qui est du témoignage des experts, aussi bien qu"aux opinions écrites contenues dans leurs affidavits, j'estime que, sur cette question, le témoignage de M. Dovey a plus de poids. Je considère que les chiffres finaux de M. Rostant sont plutôt élevés. Cependant, j'estime convaincante l"opinion de M. Rostant selon laquelle la consommation d"électricité de la machinerie autre que celle utilisée par les chaînes d"extrusion et de découpage devrait entrer en ligne de compte. J'estime que les chiffres de M. Dovey sur cette question sont plutôt faibles. Me fondant sur l"ensemble de la preuve sur ce point, je suis d'avis qu"il convient d'utiliser une moyenne. Je suis conforté dans cette approche par le commentaire suivant fait par le juge Dickson dans Lewis c. Todd101 :

     Si les tribunaux doivent appliquer les principes fondamentaux du droit aux dommages-intérêts et chercher à assurer une remise en état pécuniaire aussi proche de la réalité que possible, il est essentiel de faire appel à des experts. Mais il faut accorder au juge de première instance, qui doit prendre la décision, une grande liberté dans l"examen de la preuve présentée par les experts. Si le juge estime que le montant des dommages-intérêts dicté par les chiffres est, dans les circonstances, déraisonnablement élevé, il doit, à mon avis, ajuster ces chiffres à la baisse; de même, il doit les ajuster à la hausse si l"indemnité qu"ils indiquent est anormalement faible.

[135]      Ainsi, je conclus que les frais annuels d"électricité devraient être établis suivant le Tableau 7 (voir Appendice).

     (iii)      Coûts additionnels à l"usine de Pottsville

[136]      Le témoin expert de la défenderesse, M. Rostant, a déclaré que certains autres coûts encourus par l"usine de Pottsville sont des coûts variables, y compris un pourcentage qui tiendrait compte des coûts d"entretien de l"usine, des outils non réutilisables, de la main-d"oeuvre affectée à l"expédition, des vacances et congés fériés, des fournitures de consommation, des coûts d"expédition et d"élimination des déchets dangereux. Ces calculs relatifs aux coûts directs sont illustrés en détail aux onglets 4 et 5 du volume 2 de son affidavit, ceux relatifs aux coûts indirects sont illustrés en détail à l"onglet 6102. La ligne "Coûts additionnels -- Pottsville : Autres" figurant à la pièce D-41 résume les deux catégories de coûts.

[137]      Il faut noter que dans le cours normal de ses affaires, la demanderesse a considéré ces coûts comme fixes. Le témoin expert de la demanderesse, M. Dovey, était d"accord jusqu"à un certain point pour dire que ces divers coûts pouvaient être considérés comme variables, mais il a déclaré que la contribution de ces coûts à ceux nécessaires à la production d"aussi petites quantités additionnelles de film était trop insignifiante pour être quantifiable. En outre, il a déclaré que l"élimination des déchets dangereux ne s"applique pas au film ER et que les frais d"expédition, dans cette catégorie, ne sont associés qu"aux frais d"entretien de l"usine, lesquels n"augmenteraient pas.

[138]      La preuve sur laquelle M. Rostant fonde son opinion est celle de la réponse suivante à une question posée au cours de l"interrogatoire préalable de Charles Barton.

     [TRADUCTION] Selon une révision non officielle, les facteurs suivants peuvent augmenter avec l"augmentation de volume de film ER-15. Il n"est pas possible de quantifier cette augmentation :

     Coûts directs fixes :

     91819      Frais de vacances et congés fériés
     94147      Outils non réutilisables
     94151      Fournitures de consommation
     95179      Matériel d"entretien
     95181      Salaires imputés à l"entretien/avantages sociaux
     99130      Distribution d"électricité

     Coûts indirects fixes

     94150      Uniformes
     97295      Post cotisation taxe de ventes103

[139]      Il ne semble pas y avoir de preuve directe autre que cette déclaration. Bien qu"ayant exprimé leur opinion sur cette question, les experts ne l"ont pas traitée en profondeur au cours de leur témoignage, et il semble qu"elle relève de la spéculation. J'analyserai la preuve relative aux coûts directs et indirects séparément, comme suit :

Coûts directs fixes

[140]      Les coûts directs relatifs à l"entretien de l"usine, aux outils non réutilisables et aux fournitures de consommation constituent l"élément le plus important des calculs de M. Rostant. Il est d"avis que tous les coûts associés aux catégories des outils non réutilisables et des fournitures de consommation sont variables, mais que la moitié seulement des frais figurant sous la rubrique entretien de l"usine le sont104. On ne peut pas considérer tous les frais d"entretien comme variables parce que l"entretien de routine, par exemple, relève des coûts fixes105.

[141]      Relativement aux outils non réutilisables et aux fournitures de consommation, M. Dovey a déclaré que [TRADUCTION] "contrairement aux coûts des matières brutes directement associées à toute augmentation de la production, la relation entre les outils non réutilisables et les fournitures de consommation est nettement moins, si pas du tout, directe106. C"est pour cette raison qu"il a conclu que 25 % seulement de ces coûts sont variables107. En ce qui concerne les coûts d"entretien, M. Dovey a déclaré qu"étant donné la faible proportion de volume additionnel représentée par les ventes de la défenderesse, il n'y aurait aucun besoin additionnel d"entretien :

     [TRADUCTION] Je suis d'avis, et c"est inhérent à mon rapport, qu"à ces niveaux il n"y aurait effectivement pas d"entretien additionnel. Nous avons déjà utilisé l"exemple de l"avion. Si quelqu"un ajoute une livre à la charge d"un avion, cela n'exige pas nécessairement un supplément d"entretien des moteurs108.

[142]      Par ailleurs, M. Rostant a déclaré ce qui suit en contre-interrogatoire :

     [TRADUCTION]
     Q.      Par exemple, des outils, des fournitures de consommation, des disques à polir, ce sont des choses qui sont plus ou moins considérées fixes lorsqu"il s"agit de ce type de pourcentage de volume additionnel. N"êtes-vous pas d"accord ? Vous n"allez pas utiliser 10 % ou 3 % d"outils de plus parce que vous augmentez la production de 3 pour cent ?
     R.      Les outils s"usent à force d"utilisation.
     Q.      Oui. Bien, ils ne s"usent pas plus parce que vous augmentez la production de trois ou quatre pour cent dans votre usine. Exact ?
     R.      S"ils s"usent à force d"utilisation, ils s"useront de trois pour cent plus vite si vous produisez trois pour cent de plus109.

[143]      Enfin, M. Dovey a admis que, théoriquement du moins, quelques-uns de ces coûts sont variables. En contre-interrogatoire il a dit ceci :

     [TRADUCTION]

     Q.      Très bien.

    

         Pouvez-vous donner à la cour votre point de vue sur ce montant qu"a ajouté M. Rostant pour les "Autres usines" à la dernière ligne. Après avoir entendu le témoignage de M. Rostant, quel est votre avis définitif sur cette question ?
     R.      Votre Seigneurie, si je pouvais répondre que relativement aux rubriques "Autres usines" "Autres" et "Usine de Pottsville""Autres", M. Rostant a ajouté, selon l"année, 60 à 6, 7 ou 8 cents pour ces deux montants. Mon point de vue est que d'un point de vue comptable, nous traitons là de volumes si faibles, par rapport à la production totale, qu"il devient difficile de les traiter à l"unité.

    

         Peut-on dire, sans l"ombre d"un doute, qu"il n"y aurait pas eu un seul cent supplémentaire de frais encourus ? Je ne le crois pas. Mais ayant vu les coûts, eh bien, on pourrait ajouter un demi cent de manière à refléter ces coûts additionnels mineurs. À mon avis, l"estimation de M. Rostant est tout simplement beaucoup trop élevée.
         Conceptuellement, il se peut qu"un gant additionnel ait été utilisé. Il se pourrait qu"un élément additionnel ait été utilisé pour l"entretien. Il pourrait y avoir un coût additionnel quelconque mais de taille très très insignifiante et que je n"aurais pas vu lors de mon travail initial, mais la quantité ajoutée par M. Rostant est, à mon avis, excessive et ne serait effectivement qu"une valeur nominale, ou nulle. Mais les 5 cents, 7 cents, ainsi de suite que M. Rostant a trouvés sont simplement excessifs110.

[144]      En ce qui concerne l"entretien de l"usine, les outils non réutilisables et les fournitures de consommation, l"opinion de M. Rostant m'a convaincu que les outils non réutilisables et les fournitures de consommation relèvent des coûts variables, et que 50 % des coûts associés à l"entretien de l"usine sont variables. Le fait qu"il soit très difficile de calculer les coûts à l"unité, comme l"a souligné M. Dovey, n'altère pas l"obligation qui incombe à la Cour d"en arriver à la meilleure estimation et de prendre en considération, en fin de compte, de tels coûts.

Coûts fixes indirects

[145]      En ce qui a trait à main-d"oeuvre imputée à l"expédition, M. DeAntonis a témoigné que [TRADUCTION] "jusqu"à un certain point, de petites diminutions ou augmentations dans les expéditions de film ne changeraient pas la composition du personnel affecté à l"expédition"111. Pour cette raison, j"accepte l"opinion de M. Dovey selon laquelle, compte tenu des quantités de film dont il est question relativement à la production totale de l"usine de Pottsville, [TRADUCTION] "il n"y aurait pas de coûts additionnels mesurables découlant de l"expédition de volumes additionnels"112. Cela s"avère particulièrement vrai si l'on se reporte à ma conclusion précédente relativement au volume de ventes de la défenderesse que la demanderesse aurait pu elle-même réaliser, ce volume total étant égal au tiers du volume sur lequel s"était appuyé M. Dovey.

[146]      Pour cette même raison, j"adopte la déclaration de M. Dovey concernant la rémunération de vacances :

     [TRADUCTION] Dans la mesure où un nombre additionnel d"employés a été embauché, il en découlerait des vacances additionnelles. Mais là où il n"y a pas d"embauche de nouveaux employés, il n"y a pas de vacances additionnelles et dans cette mesure, selon ce que je comprends, il n"y aurait pas eu d"autres employés embauchés où que ce soit au sein de la chaîne de fabrication et, donc, si vous n"engagez pas d'employés, vous n"avez pas de temps additionnel de vacances113.

[147]      Même s"il s"agit d"employés payés selon un taux horaire, il ressort de la preuve que la vitesse des chaînes de fabrication peut être augmentée ou diminuée sans pour cela augmenter ou diminuer le nombre d"heures des employés114. Étant donné la faible quantité de film dont il est question, je suis d"avis qu"il n"y aurait pas de rémunération de vacances additionnelles.

[148]      Relativement aux frais d"expédition, M. Dovey explique que cette catégorie [TRADUCTION] "est associée à l"expédition de moteurs destinés à la réfection, au déplacement de la machinerie à partir et à destination des entrepôts, et autres"115. Les deux experts s"accordent pour dire que de tels frais d"expédition n"influencent pas les "frais d"expédition" affectés au transport de film et des matériaux requis. M. Rostant n"explique pas pourquoi, à son avis, les frais de transport sont variables. J"adopte le point de vue de M. Rostant relatif aux frais de transport et je conclus qu"ils ne devraient pas être considérés comme variables.

[149]      Enfin, j"accepte l"opinion de M. Dovey concernant l"élimination des déchets dangereux. Rien n"indique que les coûts d"élimination des déchets dangereux découlent de la production du film ER-15 ou que de tels coûts augmenteraient de concert avec un accroissement de la production de film ER-15.

[150]      Le Tableau 8 (voir Appendice) résume ces conclusions sur les coûts additionnels à l"usine de Pottsville.

     (iv)      Coûts supplémentaires " Autres usines

[151]      Selon M. Rostant, certains coûts fixes des usines de Chesterfield, de Columbia, de Hopewell et de Frankford, sont en fait des coûts variables. M. Dovey, quant à lui, accepte les documents produits par la demanderesse dans le cours normal des affaires, et stipule que les coûts indiqués par M. Rostant sont véritablement des coûts fixes, particulièrement si on tient compte des augmentions minimales du volume liées à la production du film supplémentaire. Aucun des experts n'a consacré beaucoup de temps lors des témoignages oraux à ces questions, mais ils ont fait part de leurs opinions et avancé des explications dans leurs affidavits116.

[152]      Après avoir examiné les déclarations des deux experts sur ces questions, j'abonde dans le sens de la déclaration de M. Dovey : [TRADUCTION] " Selon moi, il s'agit de petits sous et de petits volumes à tel point qu'il est impossible d'en arriver à un montant par livre que l'on pourrait appliquer aux livres supplémentaires."117 En fait, à ce point de la chaîne de production, de tels calculs sont passés du domaine de la difficulté à celui de l'hypothétique.

[153]      Je suis d'avis que l'affirmation de la défenderesse concernant les coûts variables plus en amont de la chaîne de production que l'usine de Pottsville, est trop spéculative. En l'absence d'erreur manifeste dans la méthode de catégorisation des coûts fixes et variables, j'accepte l'opinion de M. Dovey selon laquelle la meilleure méthode pour déterminer les coûts variables consiste à consulter les dossiers produits par la société dans le cours normal des affaires. En conséquence, j'accepte l'affirmation de la demanderesse, à savoir qu'aucun coût supplémentaire ne devrait être ajouté aux coûts de fabrication variables pour les autres usines.

     (v)      Capacité de production du film ER supplémentaire

[154]      De l'avis de M. Rostant, la demanderesse n'avait pas la capacité de produire les quantités supplémentaires de caprolactame et de nylon nécessaires pour la production du film ER supplémentaire. Cette question est importante car si la demanderesse n'avait pas la capacité pour produire les matériaux bruts supplémentaires, au niveau interne, il lui aurait fallu les acheter à des prix plus élevés auprès de sources externes. Les deux experts ont reconnu que si la demanderesse avait été obligée d'acheter ces matériaux auprès de sources externes, le coût supplémentaire serait un coût variable qui devrait être inclus dans le total des coûts de fabrication variables de la demanderesse. D'après les calculs de M. Rostant, le coût supplémentaire des matériaux bruts s'est élevé jusqu'à 92 cents la livre en 1995, ce qui représente près de 65 % des coûts de fabrication variables de cette année118.

[155]      En outre, la défenderesse a présenté des arguments selon lesquels l'usine de Pottsville n'avait pas la capacité nécessaire pour produire le film supplémentaire, même si elle avait disposé de matériaux bruts suffisants. Je propose d'examiner les questions de la capacité de production du film ER supplémentaire (usine de Pottsville), du caprolactame (usine de Hopewell) et du nylon (usines de Chesterfield et de Columbia), séparément.

Film ER-15 (usine de Pottsville)

[156]      En supposant qu'il était possible d'obtenir des matériaux bruts, le témoignage de M. DeAntonis démontre que l'usine de Pottsville avait la capacité nécessaire pour produire le film supplémentaire. Examinant la pièce P-2, M. DeAntonis a dit ceci :

     [TRADUCTION]
     Q.      M. DeAntonis, pouvez-vous indiquer à la Cour ce que ce document représente et le lui expliquer?
     R.      La page couverture est un résumé du nombre réel de livres de ER-15 ou 20 qui ont été produites, année par année, entre 1989 et 1995. Par conséquent, j'ai calculé la capacité de production supplémentaire de ER-15 ou 20, que je passerai en revue au fur et à mesure que nous examinerons les calculs, et ai additionné les deux afin de faire ressortir le total de la production potentielle de ER-15 ou 20, soit les livres qui auraient pu être produites à l'usine de Pottsville durant ces années.
         Je dois cependant préciser que nous n'avons pas effectué le calcul de la production potentielle complète. Nous nous sommes en fait arrêtés là où nous avons démontré que nous avions largement cette capacité. Nous aurions pu ajouter la chaîne no 2, la chaîne no 3 puis la chaîne no 7 à l'exercice, et faire apparaître une production potentielle totale encore plus grande.
         Nous aurions pu inclure la chaîne no 7 et la chaîne no 3, qui étaient également disponibles, ce qui nous aurait donné une production potentielle supplémentaire, et cela nous a semblé inutile puisque nous sommes déjà largement au-dessus de ce dont nous aurions eu besoin119.

[157]      Ce témoignage est repris dans le document que M. DeAntonis a aidé à préparer, soit la pièce P-2. J'accepte ce témoigne et les preuves. En l'absence de preuve contraire, je suis d'avis que la demanderesse avait la capacité de produire le montant supplémentaire de film ER-15 à son usine de Pottsville à un niveau équivalent à toutes les ventes de la défenderesse.

[158]      Cependant, dans les arguments de la défenderesse, une différence est faite entre le film fabriqué sur la chaîne de fabrication de film tubulaire de l'usine de Pottsville (chaîne 8) et les autres chaînes de fabrication de film plat. Il y est dit que les clients préoccupés par la qualité auraient demandé exclusivement un film tubulaire. La chaîne de fabrication de film tubulaire à elle seule n'avait pas la capacité de fabriquer le film supplémentaire. En conséquence, M. Rostant en a conclu que la demanderesse n'aurait pas été en mesure de fournir le film ER-15 à GenCorp de 1992 à 1995, et " possiblement à Sterling " en 1995120. Il n'a pas donné les raisons pour lesquelles Sterling pourrait être inclus, mais selon ce que j'ai compris de son opinion, du fait que Sterling a acheté le film tubulaire à la demanderesse en 1995 et 1996, il aurait exigé que tout film supplémentaire fourni par la demanderesse soit également un film tubulaire.

[159]      Du fait que j'en ai conclu que la demanderesse a uniquement droit à une redevance sur le film vendu à GenCorp, il n'est pas nécessaire de prendre en considération la conclusion de M. Rostant relativement à GenCorp. En ce qui a trait à Sterling Plumbing, je suis d'avis que la conclusion de M. Rostant est de nature trop spéculative, particulièrement si l'on tient compte de la preuve contraire établissant que lorsque Sterling Plumbing a acheté le film ER-15 en 1993, il a acheté un film plat121. L'achat par Sterling Plumbing du film tubulaire en 1995 n'est pas particulièrement pertinent étant donné ma conclusion selon laquelle la demanderesse a uniquement droit à une redevance pour cette année.

Caprolactame (usine de Hopewell)

[160]      La défenderesse a prétendu que la demanderesse n'avait pas la capacité, à son usine de Hopewell, de fabriquer du caprolactame supplémentaire. Cet argument semble reposer principalement sur le fait que la demanderesse a acheté d'importantes quantités de caprolactame auprès de sources externes, de 1992 à 1995. Afin de faciliter toute référence, j'ai résumé au tableau 9 (voir Appendice) les chiffres pertinents invoqués comme preuve concernant la capacité de fabrication de caprolactame.

[161]      Lors de l'interrogatoire préalable, la demanderesse a remis à la défenderesse ce qui est devenu la pièce P-4, soit un tableau indiquant la " Capacité de caprolactame livrable " de la demanderesse. M. Rostant s'est servi pour ses calculs des chiffres du " Taux de fabrication maximum ", lesquels sont détaillés à l'annexe 33 de son affidavit122. Il a extrait ces chiffres de la pièce P-4 (voir Appendice, Tableau 9, n. 239), a déduit 5 % au titre du temps non productif et comparé le résultat avec la fabrication réelle. À la suite de cette comparaison, M. Rostant a conclu que la demanderesse faisait fonctionner son usine de Hopewell au-delà de sa capacité pour chaque année, à l'exception de 1991.

[162]      Cependant, M. Tremper, directeur de la fabrication des produits intermédiaires de la demanderesse, a témoigné que les chiffres sur la capacité tirés de la pièce P-4, sur lesquels s'est fondé M. Rostant, représentent en fait la production prévue ou planifiée, et non pas la capacité. Il a précisé que ces chiffres avaient été calculés dans le cadre de la préparation du budget de la demanderesse, et ajouté que la capacité réelle de l'usine est indiquée dans les chiffres sur le " rythme de production théorique " de la pièce P-3.

[163]      J'accepte le témoignage de M. Tremper. À mon avis, M. Rostant s'est basé sur des chiffres qui ne traduisent pas exactement la capacité de fabrication de l'usine de Hopewell. Je fonde cette conclusion sur le fait que je vois une erreur dans la logique de M. Rostant. À partir de ce dont il s'est servi pour calculer la " capacité pratique de production "123 de l'usine de Hopewell, M. Rostant a témoigné que l'usine n'avait pas la capacité nécessaire pour fabriquer du caprolactame supplémentaire124. D'après les mêmes calculs, la demanderesse a pu en fait produire beaucoup plus de caprolactame que sa " capacité pratique de production "125.

[164]      Par exemple, selon les calculs de M. Rostant pour 1991, l'usine de Hopewell a produit 40,4 millions de livres de caprolactame au-delà de sa " capacité pratique de production ". En supposant que cela soit possible, on ne voit pas pourquoi la demanderesse n'aurait pas pu produire une petite quantité de plus. En fait, si elle pouvait produire 40,4 millions de livres au-delà de sa capacité en 1991 (6,2 % au-delà de la " capacité pratique de production " de la demanderesse), elle aurait très certainement pu produire les 900 000 livres de plus (soit 0,1 % de plus au-delà de sa capacité) nécessaires pour le film ER supplémentaire vendu par la défenderesse.

[165]      J'accepte qu'il doit y avoir une limite au-delà de laquelle la demanderesse serait à ce point au-delà de sa capacité qu'elle ne pourrait tout simplement plus produire de film. Cependant, M. Rostant n'a pas expliqué pourquoi le volume de film représenté par les ventes de la défenderesse correspond à cette limite. Sa seule réponse a été de demander : [TRADUCTION] " À quel moment la limite est-elle franchie? "126

[166]      Par ailleurs, M. Tremper a témoigné comme suit :

     [TRADUCTION]
     Q.      ... pouvez-vous dire à la Cour si entre les années 1989 et 1995 l'usine de Hopewell avait la capacité de fabriquer ces quantités supplémentaires de caprolactame?
     R.      Oui.
     Q.      Très bien. Vous voulez dire jusqu'en 1995?
     R.      Ma foi, les chiffres de 1995 sont petits. Étant donné les volumes en question, ces chiffres sont très difficiles à trouver.
     Q.      Si nous prenons une année particulière, par exemple 1989, selon votre témoignage vous avez fabriqué 621 millions de livres de caprolactame, cela laisse entendre des ventes de film s'élevant à 232 000. Arrondissons cela à 300 000 livres. Quel est le pourcentage de production de caprolactame à l'usine de Hopewell, 300 000 livres contre 621 millions?
     R.      J'ai pris l'habitude de travailler avec un ordinateur et une calculatrice, mais je peux néanmoins dire que ce chiffre serait très petit. Je crois qu'il serait inférieur à 0,1 %.
     Q.      Pour chacune des années qui nous concernent, votre réponse est-elle la même pour ce qui est de la quantité nécessaire pour produire le caprolactame fourni pour de telles quantités de film?
     R.      Oui. Ces chiffres sont exceptionnellement faibles étant donné les volumes en question.
     Q.      Prenons l'année 1990 et le maximum soit 725 000 livres de nylon. Prenons ensuite un million de livres de caprolactame, ce qui m'amène à vous demander combien de temps faudrait-il en 1990 à l'usine de Hopewell pour produire un million de caprolactame étant donné que vous en produisez 655 millions?
     R.      Nous produisons essentiellement à ce rythme, soit 2 millions de livres par jour. Cela revient à dire que vous pourriez y parvenir en ...
     LA COUR : En nettement moins d'une journée?
     LE TÉMOIN : Oui, en beaucoup moins d'une journée, en fait une demi-journée.127

[167]      Un peu plus tard dans le cadre de son témoignage, M. Tremper a indiqué " qu'en aucune façon " l'usine de Hopewell aurait pu produire le caprolactame supplémentaire en 1991 et 1992 car cette usine avait en fait ralenti sa production en raison de la diminution de la demande au cours de ces années128. À propos de la quantité de caprolactame nécessaire pour produire le volume de film vendu par la défenderesse, il a précisé que du fait que le volume supplémentaire serait réparti sur chaque année, cela représenterait une production supplémentaire " d'au plus 100 livres de l'heure ". Il a avancé ces chiffres car l'usine arrive en moyenne à une production de 90 000 à 100 000 livres de l'heure, et qu'une telle augmentation n'apparaîtrait même pas au compteur de fabrication.129

[168]      Compte tenu de l'ensemble des éléments de preuve sur cette question, je ne suis pas convaincu que l'usine de Hopewell serait dans l'impossibilité de produire 900 000 livres supplémentaires alors qu'elle avait déjà produit 40,4 millions de livres au-delà de sa " capacité pratique de production " cette même année. Selon moi, les calculs de M. Rostant relativement à la " capacité pratique de production " de l'usine de Hopewell sont inexacts en ce sens qu'il a fondé ses calculs sur des chiffres inexacts. Les chiffres corrects sont le " rythme de production théorique " figurant à la pièce P-3, selon le témoignage de M. Tremper.

[169]      En contre-interrogatoire, M. Rostant a reconnu que s'il avait utilisé le " rythme de production théorique " dans ses calculs, l'usine de Hopewell aurait eu la capacité de produire le caprolactame supplémentaire130.

[170]      Cependant, M. Rostant a déclaré qu'il ne savait [TRADUCTION] "pas trop quoi en penser, car s'ils avaient la capacité de produire du caprolactame à environ la moitié du prix, pourquoi alors l'ont-ils acheté à l'extérieur? "131 En réponse à cette question, M. Tremper a expliqué que la demanderesse avait acheté le caprolactame à l'extérieur " pour maintenir une présence sur ces marchés "132. Je n'ai aucune autre preuve devant moi quant aux raisons pour lesquelles la demanderesse a acheté du caprolactame à l'extérieur, mais il est évident que telle était la pratique suivie par la demanderesse. Cependant, étant donné ma conclusion que l'usine de Hopewell avait la capacité de produire le caprolactame nécessaire supplémentaire, la raison pour laquelle la demanderesse achetait du caprolactame est hors de propos. Il reste plutôt à déterminer la méthode permettant de rendre adéquatement compte du coût de cette pratique.

[171]      En l'absence de preuve contraire, j'accepte l'opinion de M. Dovey selon laquelle la méthode qui convient est de supposer que la demanderesse aurait agi de la même façon que par le passé si elle avait eu besoin de caprolactame supplémentaire. Pour ces calculs, M. Dovey n'a pas supposé que la demanderesse produirait tout le caprolactame nécessaire supplémentaire au niveau interne. Au lieu de cela, il a tenu compte des achats à l'extérieur de caprolactame en calculant la moyenne pondérée des coûts de production interne et en y ajoutant les coûts encourus par la demanderesse pour acheter du caprolactame à l'extérieur133. Selon moi, cette méthode rend convenablement compte de la pratique d'achat de la demanderesse d'une certaine quantité de caprolactame à l'extérieur, et j'accepte son opinion sur la question.

[172]      En conclusion, je suis d'avis que la demanderesse avait la capacité nécessaire pour produire les volumes supplémentaires nécessaires de caprolactame. De plus, j'accepte la façon dont M. Dovey a rendu compte des achats de caprolactame à l'extérieur par la demanderesse. En conséquence, il ne devrait pas y avoir " de rajustement à la juste valeur marchande " pour le caprolactame134.

Nylon (usines de Chesterfield et de Columbia)

[173]      La défenderesse a également avancé que la demanderesse n'avait pas la capacité de produire du nylon supplémentaire à ses usines de Chesterfield et de Columbia, pour les motifs suivants :

(i)      La demanderesse ne pouvait produire le caprolactame supplémentaire nécessaire à la production de nylon supplémentaire.
(ii)      Durant la période de contrefaçon, la demanderesse a acheté du nylon auprès de sources externes.

[174]      Le premier motif ne tient plus, étant donné mes conclusions précédentes concernant la capacité de production du caprolactame. En ce qui a trait au second motif, la demanderesse a vendu à des tierces parties beaucoup plus de nylon chaque année qu'elle n'en a acheté. Le Tableau 10 (voir Appendice) résume les achats et les ventes de nylon par la demanderesse durant la période de contrefaçon.

[175]      M. Rostant donne ci-après les raisons pour lesquelles la demanderesse a vendu beaucoup plus de nylon qu'elle n'en a acheté :

     [TRADUCTION] AlliedSignal a confirmé qu'au cours de certaines années " Pottsville ne pouvait s'approvisionner suffisamment en film de haute viscosité ", ajoutant que " AlliedSignal prit la décision de vendre une partie de sa résine interne à l'extérieur plutôt que de l'utiliser au niveau interne, forçant ainsi la section des films spéciaux à acheter de petites quantités de nylon 6 auprès de sources externes ".
     AlliedSignal a par ailleurs précisé qu'au cours des exercices 1993, 1994 et 1995, elle " avait acheté auprès de sources externes du nylon 6 de haute viscosité après avoir décidé de vendre la résine de haute viscosité qu'elle avait elle-même produite ". AlliedSignal a ajouté que " elle avait la capacité de produire davantage de nylon 6 au cours de cette période si elle l'avait voulu ". AlliedSignal n'a pas expliqué pourquoi elle n'a pas agi ainsi, malgré le fait que ses coûts de fabrication du nylon 6 (voir annexe 41) étaient très nettement inférieurs aux coûts d'achat du nylon 6 auprès de sources externes135.

[176]      Ces déclarations sont appuyées par le témoignage de M. Terry, chef de la section des polymères de la demanderesse, à l'usine de Chesterfield136. L'argument de la demanderesse selon lequel elle avait une surcapacité, est également appuyé par le témoignage en chef de M. Terry. Malgré les objections de l'avocat de la défenderesse, j'en conclus que M. Terry est un témoin fiable et j'accepte son témoignage sur les chiffres relatifs à la capacité de l'usine de Chesterfield.

[177]      M. Terry a témoigné que la capacité de l'usine de Chesterfield à produire du nylon supplémentaire avait chuté de 3 millions de livres environ en 1989 à quelque 300 000 livres en 1993. À la fin de 1993, la demanderesse a installé du nouveau matériel qui lui a permis d'augmenter sa capacité jusqu'à plus de 3 millions de livres environ137.

[178]      J'accepte le témoignage de M. Terry selon lequel la demanderesse avait la capacité de produire la quantité supplémentaire nécessaire de nylon, particulièrement si l'on tient compte du volume de nylon qu'elle vendait chaque année. M. Terry a reconnu, en contre-interrogatoire, que la direction de l'entreprise de la demanderesse avait décidé de vendre le nylon au détriment de la division des films de spécialité, comme M. Rostant l'a indiqué dans son témoignage138.

[179]      La question est donc de déterminer la méthode de comptabilisation pertinente relativement aux coûts associés à la décision de la direction de vendre le nylon produit au niveau interne.

[180]      La méthode de comptabilité de M. Rostant pour le coût du nylon consistait à supposer que la demanderesse achèterait l'intégralité de son nylon supplémentaire auprès de sources externes. M. Rostant a commis une erreur flagrante en calculant le coût du nylon nécessaire d'après le prix auquel la demanderesse vendait le nylon139. Le coût d'achat du nylon devrait reposer sur les prix que la demanderesse a payés pour le nylon, et non pas sur le prix auquel elle vendait le nylon. Les pièces P-17, P-18 et P-19 sont des exemples de factures pour le nylon de 1993 et 1994, qui révèlent que la demanderesse avait payé entre 17 et 35 cents de moins par livre au cours de ces années que les chiffres utilisés par M. Rostant dans ces calculs.

[181]      Tout compte fait, je n'ai pas été persuadé que la demanderesse achèterait nécessairement l'intégralité de son nylon supplémentaire auprès de sources externes. Qui plus est, j'estime que la méthode employée par M. Dovey rend convenablement compte de tous les achats de nylon nécessaire auprès de sources externes. Ainsi qu'il l'a fait pour le coût du caprolactame, M. Dovey a appliqué le coût moyen pondéré du nylon, y compris la production interne et les achats externes140. Il a témoigné comme suit :

     [TRADUCTION] Afin de produire le film ER-15, Pottsville a besoin de nylon 6. Dans la mesure où ce nylon 6, ou n'importe quel type particulier de nylon 6, n'était pas fourni à Pottsville, il a été acheté à l'extérieur de Pottsville, à des prix supérieurs aux coûts de production interne. Ces coûts sont semi-variables à Pottsville, et les coûts des facteurs de production, le nylon 6 soit produit au niveau interne ou bien acheté à l'extérieur, sont mélangés et pondérés pour en arriver à un coût moyen pondéré des facteurs de production du nylon 6141.

[182]      Cette méthode est raisonnable car elle ne suppose pas que la demanderesse se servira exclusivement du nylon produit au niveau interne ou bien acheté auprès de sources externes. L'approche de M. Dovey repose plutôt sur la pratique suivie par la demanderesse qui consistait à acheter une partie du nylon auprès de sources externes tout en vendant une partie du nylon produit au niveau interne. Selon moi, ces calculs tiennent convenablement compte de cette pratique et des coûts y afférents.

[183]      En conclusion, je suis d'avis qu'il ne devrait pas y avoir de " rajustement de la juste valeur marchande " pour le nylon142.

     (vi)      Frais de mise en marché

[184]      M. Rostant a témoigné que les coûts de la demanderesse liés aux ventes, aux services à la clientèle et aux services techniques sont des coûts variables s'échelonnant entre 16 et 23 cents la livre du film vendu143. M. Dovey a indiqué que ces coûts sont fixes du fait que les ventes et les effectifs affectés aux services de la demanderesse n'auraient pas augmenté pour continuer de servir les neuf clients qu'elle servait jusqu'à présent, étant donné le faible volume de film comparativement à ses ventes totales.

[185]      Le témoignage suivant de M. Rostant constitue la base de son opinion.

     [TRADUCTION]
     Q.      Très bien. Autrement dit, prétendre qu'il en coûterait 16 cents la livre de plus à Allied pour approvisionner les clients qu'elle approvisionnait déjà et qu'elle continue de faire durant cette période, n'est pas réaliste?
     R.      Je crois que nous avons ici deux points bien distincts. Premièrement, pouvoir regarder les choses et dire ce qui est inclus dans cette somme de 16 cents la livre et ce qui ne l'est pas, m'est extrêmement difficile.
         Deuxièmement, pour en revenir à GLS, qui est un distributeur, il s'agit à peu près de ce qu'ils étaient prêts à payer à GLS, c'est-à-dire pour que GLS fournisse GenCorp.
     Q.      Il s'agit là d'une situation tout à fait différente, n'est-ce pas? Vous faites dorénavant affaires avec un distributeur. Et celui-ci veut faire de l'argent. N'est-ce pas différent de la vente directe?
     R.      Effectivement, mais pourquoi la société Allied renoncerait-elle à cette somme - soit 18 cents la livre - si elle n'en tire aucune valeur?
     Q.      Quoi qu'il en soit, la situation est différente. Nous savons que GLS touchait une commission à titre de distributeur, ou bien appelez cela comme vous le voulez, et nous savons qu'en termes de ventes directes Allied avait ses propres agents de vente, qui touchaient un salaire. Ils ne recevaient pas un sous de plus s'ils faisaient davantage de ventes. Leur salaire n'était pas pour autant diminué si les ventes étaient moindres. Et vous reconnaîtrez que rien ne prouve que la compagnie a licencié des employés ou qu'elle a embauché quelqu'un au cours de cette période, soit parce que les ventes ont diminué ou bien, qu'au bout du compte, elles ont remonté?
     R.      Une fois de plus, je n'ai pas ces renseignements car on ne m'a pas remis les chiffres144.

[186]      Il apparaît évident à partir de ce témoignage et d'autres que M. Rostant ne savait pas si le coût fixe était inclus dans ses calculs. En outre, je suis tout à fait d'accord avec l'avocat de la demanderesse, à savoir que toute preuve d'une offre visant à payer un distributeur n'a rien à voir avec le calcul des frais de ventes directes de la demanderesse.

[187]      Par ailleurs, la preuve appuie l'opinion de M. Dovey selon laquelle aucun autre agent de vente n'aurait été embauché. La demanderesse avait effectué des ventes aux clients que la défenderesse avait conquis, et rien ne prouve que la demanderesse a licencié des employés lorsque ces ventes ont baissé, ni qu'elle en a embauché d'autres lorsqu'elle a récupéré la majorité des ventes. Pour ces motifs, j'estime que les conclusions de M. Rostant en la matière ne sont pas convaincantes.

[188]      En conséquence, j'accepte le témoignage de M. Dovey selon lequel aucuns frais de vente supplémentaires ne devraient être déduits du profit de la demanderesse.

     (vii)      Retours sur ventes

[189]      M. Rostant a témoigné que, selon ses calculs, environ 5 % du film vendu par la demanderesse a été retourné. Selon lui, il s'agit d'un coût variable qui devrait être intégré dans les coûts de production et de vente du film supplémentaire145. Cependant, il a admis en contre-interrogatoire avoir inclus tous les retours de marchandises dans ses calculs, y compris les marchandises qui pourraient avoir été revendues. Il a également admis qu'une " estimation plus précise " consisterait à n'intégrer que les retours de marchandises causés par les problèmes de qualité, car ces articles ne pourraient être revendus146. Les rendus pour cause de mauvaise qualité semblent être de l'ordre de 1 % des ventes, et non pas de 5 %147.

[190]      Dans son affidavit de réfutation, M. Dovey a prétendu que [TRADUCTION] "le calcul des ventes brutes par livre, de AlliedSignal, qui fixe le prix de vente net par livre utilisé à la fois par AlliedSignal et Du Pont pour le volume de ventes perdu de film ER, est net de tout retour de produits déterminé après avoir pris en compte l'impact financier des retours de film"148. Cependant, en contre-interrogatoire, il a admis qu'[TRADUCTION] "il devrait y avoir un rajustement afin de tenir compte des mauvais produits retournés et mis au rebut" et qu'il n'avait fait aucun rajustement à cet effet149.

[191]      En raison du témoignage de M. Rostant et de l'admission de M. Dovey en contre-interrogatoire, j'accepte qu'un certain pourcentage des retours de vente soit intégré sous la forme d'un coût variable. D'après l'admission de M. Rostant en contre-interrogatoire, j'accepte également qu'un ordre de grandeur de 1 %, en ce qui a trait aux retours, soit un chiffre plus exact. Par conséquent, j'accepte la déclaration suivante de M. Dovey :

     [TRADUCTION] J'en conclus que le chiffre de 5 % n'est pas justifié par l'analyse détaillée dans le travail de M. Rostant, qu'il faudrait pousser plus loin cette analyse détaillée et en extraire les ajustements de factures qui en aucune façon sont une indication d'un mauvais produit. Les données que nous avons devant nous sont les formulaires d'autorisation de retours - ce qui est également inclus dans le travail de M. Rostant - qui démontrent qu'il y a eu en moyenne environ 1,13 % de retours et non pas 5 %150.

[192]      En conséquence, il faudrait ajouter au titre du coût des retours de marchandises 1,13 % des coûts de fabrication variables ajustés.

     (viii)      Amortissements

[193]      M. Rostant a proposé qu'un petit volume de film soit amorti en raison d'un inventaire excédentaire et désuet. Il a précisé que cet amortissement représenterait un coût supplémentaire de fabrication et de ventes du film, dont il faudrait tenir compte dans la réclamation de la demanderesse151. Ces calculs sont détaillés à l'annexe 22 de son affidavit (Volume 2).

[194]      M. Dovey a déclaré que les calculs de M. Rostant " comptabilisent en double " l'inventaire qui avait été défalqué en raison des retours de marchandises152. Ce qui revient à dire que ce que M. Rostant considérait comme étant amorti aurait déjà été défalqué au titre de marchandises retournées. En outre, M. Dovey a déclaré [TRADUCTION] "qu'aucun autre inventaire ne serait amorti s'il y avait une augmentation de la production de film ER"153.

[195]      Je n'ai pas été convaincu que la demanderesse aurait dû défalquer un inventaire excédentaire ou désuet supplémentaire si elle avait produit les volumes supplémentaires de film qui étaient vendus par la défenderesse. L'Annexe 22 de l'affidavit de M. Rostant donne la liste de l'inventaire amorti par la demanderesse au cours de la période en question. Ces chiffres ne semblent pas correspondre aux fluctuations des ventes de la demanderesse chaque année, et rien n'indique qu'il y aurait d'autres amortissements en cas d'augmentation de la production. La défalcation du stock constitue un coût de fabrication et de vente d'un produit, mais dans les circonstances de l'espèce, je ne peux accepter le point de vue de M. Rostant selon lequel il s'agit d'un coût variable.

[196]      En conséquence, je ne ferai aucun ajustement au titre des amortissements.

Résumé

[197]      Le tableau 11 (voir Appendice) résume mes conclusions précédentes, concernant les coûts variables de la demanderesse, ainsi que le calcul final de son profit moyen net par livre de film ER vendu.

[198]      Le tableau 12 (voir Appendice) énumère le calcul des dommages-intérêts à adjuger d'après le volume de film que la demanderesse aurait obtenu n'eût été la présence du film contrefait de la défenderesse. À partir de ce calcul, je suis d'avis que la demanderesse a droit à des dommages-intérêts de 1 604 405 $ au titre du manque à gagner imputable à la perte de ventes.

2. Redevances raisonnables

     a)      Qu'entend-on par redevances raisonnables?

[199]      Un taux de redevances raisonnable est un taux "que le contrefacteur aurait payé si, au lieu de contrefaire le brevet, [le contrefacteur] avait été autorisé à exploiter le brevet" : Unilever PLC c. Procter & Gamble154; Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd.155. La question est de savoir quel taux découlerait des négociations entre un concédant consentant et un porteur de brevet consentant.

[200]      La présente affaire est difficile du fait que la demanderesse n'a jamais autorisé qui que ce soit à exploiter son film ER. Elle a toujours exploité son brevet en fabricant et vendant elle-même le film.

[201]      Je note qu'on a présenté une preuve selon laquelle, après que la Cour d'appel fédérale eut prononcé une injonction contre la défenderesse, ladite défenderesse a accepté de payer "1,50 $ US la livre pour les ventes de film DARTEK aux clients SMC qui continuent de demander ce produit"156. Toutefois, selon lord Wilberforce :

     [TRADUCTION] Avant qu'un "taux courant" de redevances puisse être pris comme base sur laquelle un contrefacteur devra être tenu responsable, il faut démontrer que les circonstances dans lesquelles le taux courant a été payé sont les mêmes ou tout au moins comparables à celles où le titulaire d'un brevet et le contrefacteur sont censés conclure un marché157.

[202]      En l'espèce, l'offre a été faite après que la Cour d'appel fédérale se fut prononcée en faveur de la demanderesse. Un tel contexte n'est aucunement comparable à la situation d'un concédant consentant et d'un porteur de brevet consentant, et par conséquent cette circonstance particulière ne permet pas de déterminer un taux de redevances raisonnable. En outre, la déclaration ayant été faite dans le contexte du litige, elle est fort probablement confidentielle. Vu ma conclusion sur son absence de pertinence, je ne juge pas nécessaire de me prononcer sur la question du privilège.

[203]      En fait, il n'existe aucune preuve directe du montant que la demanderesse aurait considéré comme étant une redevance raisonnable. Aussi est-il est nécessaire de prendre en considération le genre de preuve recommandée par Lord Wilberforce dans l'arrêt General Tire158 :

     [TRADUCTION] Cette preuve peut inclure la pratique, en ce qui a trait aux redevances, dans le métier pertinent ou dans des métiers analogues; peut-être même l'opinion d'experts exprimée dans des publications ou à la barre des témoins; ou encore la rentabilité de l'invention; et tout autre facteur à partir duquel le juge peut évaluer l'ampleur de la perte. Puisque toute preuve de ce genre est de par sa nature même générale et également probablement hypothétique, il est peu probable qu'elle soit pertinente, ou bien si elle l'est, qu'elle ait une force quelconque devant les preuves davantage concrètes et directes qui ont été présentées. Aucune règle juridique n'empêche toutefois la Cour, même quand elle a des preuves d'une méthode générale d'autorisation, de prendre en compte ces considérations d'ordre plus général. Au bout du compte, le processus consiste à faire une estimation judiciaire des indications disponibles.

[204]      Je me penche maintenant sur l'opinion du professeur Hausman, l'expert de la défenderesse en la matière. Il est bon de noter que l'avocat de la défenderesse s'est opposé à ce que le professeur Hausman témoigne sur la question des redevances sous prétexte qu'il n'a pas compétence dans ce domaine159. L'avocat de la demanderesse a à bon droit qualifié le professeur Hausman de spécialiste en économétrie avant son interrogatoire principal, bien qu'il n'ait pas délimité les frontières de cette expertise. S'il est vrai qu'un spécialiste en économétrie ne peut automatiquement dire qu'il est aussi expert dans le domaine bien précis des redevances, il est évident, si l'on en croit l'expérience du professeur Hausman, qu'il possède une très grande expertise dans ce domaine. Selon moi, il était tout à fait compétent pour témoigner en la matière160.

[205]      L'avocat de la défenderesse s'est également opposé à la déclaration suivante incluse dans le contre-affidavit du professeur Hausman : [TRADUCTION] "Dans la mesure où cela peut être pertinent, l'avocat de Du Pont, le juricomptable, KPMG, et certains représentants de Du Pont ont eu accès aux profits d'Allied sur son film breveté, et pourtant aucune mention de cette preuve n'est faite par M. MacKillop dans sa déclaration"161. Je suis d'accord avec l'avocat de la défenderesse pour reconnaître que cette déclaration constitue un argument. Elle est inopportune et devrait être radiée.

[206]      Le professeur Hausman a témoigné que, dans les circonstances, 50 % des profits constitueraient un taux de redevances raisonnable, ce qui correspond à 33 % du prix de vente. Selon lui, il serait peu probable que la demanderesse concède à la défenderesse une licence pour sa technologie, car son brevet lui donnait droit à 100 % des ventes et des profits. Toutefois, en supposant que la demanderesse serait disposée à concéder une licence, d'après lui 50 % des profits constituerait le minimum absolu que la demanderesse accepterait. Il a justifié sa conclusion comme suit :

     [TRADUCTION]     
     LA COUR : Comment en arrivez-vous à la moitié? Comment en arrivez-vous à 80 cents? Pourquoi pas trois quarts ou encore un quart?
     LE TÉMOIN : Je pense, à vrai dire, que ce devrait être au minimum la moitié, sinon pourquoi AlliedSignal voudrait-elle donner davantage de profit à Du Pont qu'elle n'en garderait pour elle-même.
     LA COUR : Ce n'est pas un résultat scientifique, n'est-ce pas? C'est...
     LE TÉMOIN : Les taux de redevances ne sont pas quelque chose de scientifique, monsieur le juge.
     LA COUR : En effet. Il s'agit plutôt d'une question de jugement, selon vous?
     LE TÉMOIN : Effectivement, mais...
     LA COUR : D'après votre expérience?
     LE TÉMOIN : En effet, d'après mon expérience; toutefois, il existe une théorie économique appelée la solution de négociation Nash selon laquelle on en arrive souvent, dans des situations comme celle-ci, à 50/50. Pour moi, le simple fait que AlliedSignal dise " Nous allons prendre une [redevance] de 5 % ou 10 % ", d'après mon humble jugement, est un non-sens sur le plan des affaires, car pourquoi donnerait-elle 1,44 $ de ses profits à Du Pont et n'en garderait-elle que 16?162

[207]      J'estime que le témoignage du professeur Hausman n'est pas convaincant à ce chapitre, notamment parce qu'il s'est fondé sur la preuve selon laquelle la défenderesse a offert de payer 1,50 $ la livre à la demanderesse, une fois l'injonction prononcée163. Par ailleurs, il y a peu de preuves factuelles relativement au marché des films de spécialité, qui appuient son opinion.

[208]      Le professeur Hausman a porté à mon attention le fait que la Cour d'appel de circuit fédérale des États-Unis a décidé dans l'arrêt Rite-Hite Co. c. Kelley Co.164 qu'une redevance de 50 % des profits était raisonnable. Bien qu'elle puisse avoir été raisonnable dans cette affaire, une redevance de cette ampleur n'est pas appuyée par la preuve en l'espèce.

[209]      Par contre, l'expert de la défenderesse, M. MacKillop, a témoigné que dans l'industrie de la technologie dans son ensemble, environ 25 % à 31 1/3 % des profits, avant impôt, constitueraient une redevance raisonnable pour une technologie brevetée. M. MacKillop a ensuite énuméré un certain nombre de facteurs qui auraient des répercussions sur le pourcentage spécifique dans chaque cas :

(i)      Transfert de technologie : Il n'aurait pas été nécessaire de transférer la technologie, ainsi le taux devrait être réduit.
(ii)      Différences dans la pratique de l'invention : La demanderesse et la défenderesse ont deux méthodes différentes pour créer leurs produits. La défenderesse apporte sa propre technologie au développement du produit, aussi ce facteur aurait tendance à réduire le taux de redevance.
(iii)      Licence non exclusive : La défenderesse ne reçoit pas une licence exclusive et n'a donc pas le contrôle total du marché. Ce facteur réduirait le taux de redevance.
(iv)      Limitation territoriale : Le brevet est limité à la fabrication du produit au Canada. Ce facteur réduirait le taux de redevance.
(v)      Durée de la licence : La licence n'est que pour six ans de contrefaçon, et non pas pour toute la durée du brevet. Ce facteur réduirait le taux de redevance.
(vi)      Technologie concurrentielle : La présence de technologies concurrentielles, par exemple le film en polyéthylène et coextrudé, réduirait le taux de redevance.
(vii)      Concurrence entre le concédant et le licencié : Le fait que la demanderesse et la défenderesse seraient en concurrence augmenterait le taux de redevance.
(viii)      Demande du produit : La demande de film de nylon est croissante. Ce facteur augmenterait le taux de redevance.
(ix)      Risque : Le risque que le produit ne se vende pas est très faible. Ce facteur aurait tendance à faire augmenter le taux de redevance.
(x)      Nouveauté de l'invention : La méthode qui consiste à utiliser des films de nylon comme obstacle à la transmission de gaz est exploitée commercialement depuis des décennies, et cette invention n'est pas le résultat de longues études en laboratoire. Ce fait réduirait le taux de redevance.
(xi)      Indemnisation des coûts de la recherche et du développement : Les coûts en question pour ce produit sont plutôt faibles. Ce facteur réduirait le taux de redevance.
(xii)      Déplacement de l'entreprise : Le taux de redevance aurait tendance à être plus élevé s'il entraînait des augmentations des recettes au licencié. M. MacKillop laisse entendre que cela n'augmenterait pas les recettes de la défenderesse mais [TRADUCTION] " maintiendrait [simplement] l'entreprise existante ".
(xiii)      Capacité à répondre à la demande du marché : Le taux de redevance sera réduit si le titulaire du brevet n'a pas la capacité de produire une quantité suffisante du produit en question pour répondre à la demande du marché.

[210]      De ces éléments, M. MacKillop a conclu que la partie inférieure de la fourchette, à savoir 25 % des profits avant impôt, est appropriée en l'espèce. Selon lui, la suggestion de 33 % du prix de vente, avancée par le professeur Hausman, est [TRADUCTION] "virtuellement inexistante dans l'industrie chimique".

[211]      Je remercie M. MacKillop de son examen utile de ces facteurs. Je le considère comme un témoin crédible et convaincant et j'accepte les principes qu'il a énoncés. Bien que je ne sois pas d'accord pour dire, en ce qui a trait au facteur " déplacement de l'entreprise ", que les recettes de la défenderesse n'augmenteraient pas, je suis dans l'ensemble d'accord avec la façon dont M. MacKillop applique les principes à la présente affaire.

[212]      En conséquence, eu égard à toutes les circonstances pertinentes et au témoignage des deux témoins experts, j'accepte l'opinion de M. MacKillop selon laquelle 25 % des profits de la demanderesse constituent une redevance raisonnable.

[213]      Pour transformer ce taux en un pourcentage du prix de vente, M. MacKillop a calculé que le profit moyen pour la Division des matériaux de génie de la demanderesse est de 23 % du prix de vente du film ER. Il en a conclu que 25 % de ce profit représentent 5,8 % du prix de vente. Cependant, en contre-interrogatoire, il a admis qu'il n'avait examiné que de façon générale les profits de cette division, ce qui signifie que ses calculs sont fondés sur des produits brevetés et non brevetés165. Il ne s'est pas penché particulièrement sur la marge de profit du film ER. En outre, il a reconnu qu'en fondant ses calculs sur les profits de la division, comme cela est indiqué dans le rapport 10K de AlliedSignal, ses conclusions se fondant sur la méthode du coût complet et non pas sur la méthode de l'analyse comparative des coûts166.

[214]      Je suis d'avis que la traduction d'un pourcentage des profits en un pourcentage du prix de vente devrait se faire à partir de la marge de profit du produit en question, suivant la méthode de l'analyse comparative des coûts. Les parties reconnaissent qu'il s'agit de la méthode pertinente pour calculer le manque à gagner, aussi ne serait-il pas raisonnable d'avoir une marge de profit pour cette question et une autre pour la question des redevances.

[215]      J'accepte la méthode de calcul de M. MacKillop, à la condition d'utiliser les chiffres pertinents pour les profits et le prix de vente. J'ai exposé ce calcul au Tableau 13 (voir Appendice).

[216]      J'en conclus donc que la demanderesse a droit à un taux de redevance de 17,5 % du prix de vente sur les ventes que la demanderesse n'aurait pas réalisées. Le Tableau 14 (voir Appendice) précise le calcul du montant total de la redevance d'après ce taux. À partir de ce calcul, j'en conclus que la demanderesse a droit à des dommages-intérêts de 910 715 $ au titre d'une redevance sur les ventes faites par la défenderesse que la demanderesse n'aurait pas réalisées.

3. Manque à gagner à cause de la compression des prix

     a)      N'eût été les mesures prises par la défenderesse, la demanderesse aurait-elle été en mesure d'augmenter ses prix?

[217]      Lorsque la concurrence exercée par le contrefacteur oblige le titulaire du brevet à réduire le prix de vente de son produit breveté, ledit titulaire du brevet a droit au profit qu'il a perdu sur les ventes qu'il a réalisées, ainsi que sur celles qu'il aurait réalisées, au prix de vente qu'il aurait conservé n'eût été la présence du produit de contrefaçon : Colonial Fastener Co. c. Lightning Fastener Co.167; American Braided Wire Co. c. Thompson168.

[218]      La demanderesse a fait valoir que généralement un titulaire de brevet a le droit de réclamer le manque à gagner moyennant la preuve qu'il n'a pu faire des augmentations de prix raisonnables dans l'exploitation normale des affaires, en raison de la présence du contrefacteur. Il semble que ce concept soit nouveau, bien que la défenderesse n'ait pas nié qu'il s'agisse d'un principe juridique169. Selon la demanderesse, le titulaire du brevet doit démontrer que c'est la concurrence du contrefacteur, et non d'autres facteurs, qui l'a empêché d'augmenter ses prix170. Toutefois, le titulaire du brevet n'a pas à démontrer que le contrefacteur a cassé ses prix ou bien même n'a vendu aucun produit; il suffira que le titulaire du brevet puisse démontrer que ses prix ont été touchés par la présence du contrefacteur sur le marché par des plans de marketing ou d'autres171. Étant donné ma conclusion, ci-dessous, selon laquelle la demanderesse ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve sur cette question, je préfère ne pas exprimer mon opinion quant à la validité d'une telle réclamation en droit.

[219]      Quoi qu'il en soit, les témoins experts des deux parties ont accepté ces principes, tout en divergeant d'avis quant à leur application aux faits.

[220]      Selon moi, une bonne partie de la preuve de la demanderesse en la matière n'est pas admissible. Même si j'avais tort de penser ainsi, je ne suis pas convaincu par les preuves avancées. Pour cette raison, je propose d'exposer le fond du raisonnement de la demanderesse et la preuve à l'appui de ce raisonnement, et de traiter de l'admissibilité de la preuve uniquement de façon accessoire.

[221]      La demanderesse soutient qu'elle aurait été en mesure d'augmenter ses prix de 10" la livre en 1990, et de 20" la livre en 1992. M. Petty a témoigné en qualité de représentant des ventes et du marketing de la demanderesse, et a déclaré dans son affidavit :

     [TRADUCTION] En ce qui concerne la contrefaçon du brevet de AlliedSignal par Du Pont Canada, je suis d'avis que AlliedSignal aurait été en mesure d'augmenter le prix de son film ER15/20 de 10" de plus la livre à compter de 1990, et de 20" supplémentaires la livre à partir de 1992, sans que cela ait pour conséquence de pousser les clients à adopter un autre film non contrefait tel que le film de polyéthylène172.

[222]      La justification économique vient du fait que ces montants sont à la hauteur du taux d'inflation, ce qui maintient constant le "prix réel" du produit. L'essentiel du témoignage oral du professeur Hausman se trouve dans le passage suivant :

     [TRADUCTION] Ce que je dis c'est qu'il y a des augmentations de prix positives de 10 cents, ce qui représente environ 4,7 %, et de 20 cents, soit environ 9 %.
     Comme je l'ai dit auparavant, au cours de cette période l'inflation se situait à environ 3,6 % par an. Ainsi, je suis d'avis, d'après la connaissance que j'ai des faits de l'espèce, la théorie économique, et les [consultations] que j'ai eues avec plusieurs entreprises, qu'en l'absence de Du Pont Canada, ils auraient certainement pu augmenter leurs prix de tels montants, ce qui ne suit pas l'inflation, car ils auraient pu dire à leurs clients "Voyez-vous, nous ne faisons que suivre l'inflation ou la dépasser un tout petit peu", et tout le monde essaye d'agir ainsi.
     Je pense en fait, qu'en l'absence de Du Pont Canada, ils auraient pu augmenter le prix de façon beaucoup plus importante. Je ne sais pas exactement de combien, mais je crois que cette augmentation aurait été supérieure à 10 ou 20 cents. Les 10 ou 20 cents en question sont peu élevés, et puisqu'il s'agit d'une augmentation inférieure à l'inflation j'en conclus que ces augmentations de prix auraient pu être effectuées et, étant inférieures au taux d'inflation, elles auraient été appliquées à l'industrie, également parce que Du Pont Canada, avec son film identique ou presque identique, n'aurait pas fait concurrence173.

[223]      Il y a par ailleurs des éléments de preuve factuels concernant l'effet de la présence de la défenderesse sur le marché. Par exemple, M. Petty a témoigné qu'en une occasion au milieu de l'année 1993, un représentant de Rockwell International lui a dit que [TRADUCTION] "si nous [la demanderesse] ne gardions pas nos prix bas, il appellerait Du Pont"174. Bien que l'avocat de la défenderesse se soit opposé à cette déclaration disant qu'il s'agissait de ouï-dire, le fait que cette observation ait été faite est admissible175. Le fait que de telles menaces aient été proférées est également appuyé par le rapport mensuel de juin 1991 de AlliedSignal, selon lequel [TRADUCTION] "Olinda et moi sommes allés chez Rockwell le 18 juin pour discuter d'une augmentation de prix. Rockwell a menacé de demander à Du Pont Canada de lui proposer des prix. Nous avons offert un gel des prix jusqu'à la fin de l'année 1991, ce qui n'a pas été accepté. Ils recevront des renseignements de Du Pont Canada ce mois-ci sur leurs prix"176.

[224]      Un témoignage semblable a été rendu par M. Butler, agent principal de GenCorp de 1994 à 1997 :

     [TRADUCTION]
     Q.      À l'époque où vous étiez responsable à GenCorp, c'est-à-dire de juillet 1994 jusqu'en juillet 1997, avez-vous discuté de prix avec soit Du Pont soit AlliedSignal?
     R.      Oui.
     Q.      Dans quel contexte ces discussions se sont-elles déroulées?
     R.      Nous avons parlé, avec ces deux entreprises, d'abaisser les prix. Autrement dit, nous avions des conversations permanentes sur les prix et les produits.
     Q.      Vous êtes-vous déjà servi d'une compagnie contre une autre pour garder les prix à la baisse, à savoir avez-vous déjà dit à l'une des deux que l'autre vous offrirait un meilleur prix?
     R.      Nous avons très certainement indiqué qu'il y avait effectivement concurrence, mais nous n'avons pas échangé les prix177.

[225]      En résumé, certains éléments de preuve indiquent que les clients ont utilisé la présence de la défenderesse pour essayer de réduire les prix de la demanderesse. Cependant, la demanderesse n'a pas réduit ses prix, et il n'existe aucune preuve factuelle permettant de penser qu'elle aurait augmenter ses prix d'un montant supérieur à ce qu'elle a fait au cours de la période de cinq ans. Qui plus est, la demanderesse n'a pas produit de preuve à l'appui des chiffres de 10" et de 20" qui devaient être des augmentations de prix proposées en 1990 et 1992, respectivement. Les chiffres apparaissent tout simplement dans l'opinion de M. Petty sans aucune corroboration.

[226]      M. Ross, économiste-conseil appelé à témoigner pour la défenderesse, a souligné avec pertinence que [TRADUCTION] "la question de l'existence de la compression des prix et celle de l'importance de cette compression sont liées, aussi est-il impossible, à moins d'examiner les données disponibles pour prouver la compression des prix, de tirer des conclusions raisonnables à la fois sur l'existence et l'importance d'une telle compression des prix."178

[227]      Je ne suis pas convaincu par le témoignage du professeur Hausman sur cette question. Je fais particulièrement référence à l'explication qu'il a donnée, à savoir que la demanderesse aurait pu maintenir ses prix au niveau du taux d'inflation. Ceci est particulièrement vrai en raison de la réfutation, appuyée par des preuves factuelles, de l'expert de la défenderesse, M. Ross.

[228]      Je fais remarquer que l'avocat de la demanderesse s'est opposé à l'admissibilité d'une grande partie du témoignage de M. Ross. Selon lui, la partie III de l'affidavit de M. Ross, intitulée [TRADUCTION] "Analyse des données sur les prix d'AlliedSignal", est inadmissible car elle ne constitue pas la réponse à l'affidavit du professeur Hausman, et aurait dû être présentée comme preuve principale.

[229]      Je n'accepte pas cet argument. Selon moi, la partie III de l'affidavit de M. Ross constitue une réponse pertinente à l'affidavit du professeur Hausman. À la partie II de son affidavit, M. Ross en arrive à la conclusion que l'affidavit du professeur Hausman s'en tient [TRADUCTION] "au niveau du cadre théorique et de l'élaboration d'hypothèses. Il ne confronte pas la validité de ses hypothèses aux données disponibles du marché"179. Pour l'essentiel, M. Ross est d'accord avec le cadre théorique du professeur Hausman, mais à la partie III de son affidavit, il confronte la validité du cadre au prix réel d'AlliedSignal. Il en vient à la conclusion que les données avec lesquelles le professeur Hausman aurait dû confronter sa théorie n'appuient pas véritablement sa théorie dans les circonstances.

[230]      En résumé, M. Ross a répondu à l'affidavit du professeur Hausman en examinant le cadre théorique à la partie II de son affidavit, et en démontrant à la partie III de quelle manière ce cadre ne correspond pas aux faits de la présente espèce. Pour ce motif, la partie III de l'affidavit de M. Ross est clairement admissible.

[231]      M. Ross a examiné les prix du film de la demanderesse avant, durant et après la période de contrefaçon. Il a pris en considération un certain nombre de facteurs qui pourraient modifier les tendances des prix, y compris le prix du marché des matériaux bruts (en particulier le nylon), l'arrivée et la disparition d'autres concurrents, et la tendance du cycle des affaires. Il en a conclu qu'il n'y avait pas de preuve dans la tendance des prix pour appuyer la demande de la demanderesse.

[232]      M. Ross a également pris en considération l'opinion du professeur Hausman selon laquelle la demanderesse aurait pu garder ses prix au niveau de l'inflation, et l'a rejetée, pour les mêmes motifs.

[233]      En contre-interrogatoire, M. Ross a reconnu que la demanderesse était dans une position de quasi exclusivité avant que la défenderesse n'entre sur le marché. Toutefois, il a répondu qu'elle était déjà dans une telle situation depuis 1980 et qu'elle [TRADUCTION] "avait déjà maximisé ses prix au niveau qu'elle considérait être approprié afin de maximiser la rentabilité du produit"180.

[234]      J'accepte l'interprétation économique de M. Ross. Il n'y a pas suffisamment de preuves reposant sur d'éléments de preuve factuels pour appuyer l'opinion des experts de la demanderesse. Qui plus est, je n'ai pas été persuadé par l'opinion du professeur Hausman sur la question, particulièrement par rapport à l'analyse de M. Ross. En conséquence, j'en conclus que la présence de la défenderesse sur le marché n'a pas empêché la demanderesse d'augmenter ses prix.

[235]      J'en suis arrivé à cette conclusion à partir de l'ensemble des éléments de preuve présentés par la demanderesse. Toutefois, j'ai réservé ma décision sur l'admissibilité d'une grande partie de ces éléments, et ma conclusion sur le fond de cette question est considérablement renforcée par le fait que, selon moi, une très petite quantité de ces preuves sont admissibles.

[236]      Premièrement, M. Petty n'était pas qualifié en tant qu'expert. Je n'ai aucun doute qu'il était la meilleure personne pour témoigner sur les stratégies de prix de la demanderesse et son interaction avec les clients en ce qui a trait aux prix, mais ce ne sont-là que des questions de faits. Je n'ai pas été persuadé par l'argument de la demanderesse selon lequel M. Petty connaissait à ce point l'industrie du support pelliculaire SMC et l'impact de la défenderesse en la matière, que ses conclusions et son opinion seraient des preuves utiles. Étant donné qu'il n'était pas qualifié comme expert, son opinion n'est pas admissible.

[237]      Deuxièmement, pour l'essentiel le témoignage oral du professeur Hausman porte que la demanderesse n'aurait eu aucune difficulté à procéder aux augmentations de prix de 10" et de 20", parce que cela voulait tout simplement dire qu'il lui suffisait d'aligner ses prix avec l'inflation. L'avocat de la défenderesse s'est opposé à ce que le professeur Hausman invoque l'inflation car il n'en fait pas mention dans son affidavit pour former son opinion. J'ai permis au professeur Hausman de témoigner, réservant ma décision sur l'admissibilité de cette partie de son témoignage concernant l'inflation.

[238]      La règle 482 des Règles de la Cour fédérale dispose181 :

     482.(1) Aucune preuve sur l'examen en chef d'un expert ne doit être reçue à l'instruction (sauf ordre contraire donné par la Cour dans un cas particulier) au sujet d'une question à moins
     a) que cette question n'ait été définie par les plaidoiries ou par accord des parties déposé en vertu de la Règle 485;
     b) qu'un affidavit énonçant la preuve proposée n'ait été déposé et qu'une copie n'ait été signifiée aux autres parties au moins 30 jours avant le début de l'instruction;
     c) que l'expert ne soit disponible à l'instruction pour contre-interrogatoire.
             
     (2) Sous réserve de se conformer à l'alinéa (1), la preuve sur examen en chef d'un expert cité comme témoin peut être présentée à l'instruction
     a) par la lecture de toute déposition de l'expert, contenue à l'affidavit mentionné à l'alinéa (1), ou d'un ou de plusieurs extraits de cet affidavit que la partie décide d'utiliser à l'instruction (à moins que la Cour, avec le consentement de toutes les parties, ne permette de considérer le texte comme déjà lu); et
     b) si la partie le désire, par déposition orale de l'expert,
         (i) expliquant ou démontrant ce qu'il a exprimé dans l'affidavit ou dans le ou les passages d'affidavit qui ont ainsi été présentés comme preuve, selon le cas, et
         (ii) autrement, par permission spéciale de la Cour aux conditions qui, le cas échéant, semblent justes.

[239]      La règle 482(2)b)(ii) ne s'applique pas du fait que l'avocat n'a pas demandé la permission de la Cour, que je ne l'ai pas accordée, et que je ne vois aucun motif de l'accorder.

[240]      À mon avis, le professeur Hausman s'est fondé sur l'inflation dans son opinion, et la défenderesse aurait dû en être convenablement avisée en vertu de la règle 482. Même l'avocat de la demanderesse a semblé considérer le taux d'inflation dans un élément du raisonnement du professeur Hausman. À propos du témoignage du professeur Hausman, l'avocat a avancé les arguments suivants :

     [TRADUCTION] Le témoin a parlé d'inflation. Ce témoin a la compétence pour donner une opinion sur ce qui, à son avis, aurait été des augmentations de prix raisonnables que AlliedSignal aurait pu faire. Il ne s'agit pas de faits puisque cela ne s'est pas produit, mais il s'agit d'une preuve sous forme d'opinion, et c'est pourquoi nous cherchons à la présenter par l'intermédiaire de M. Petty. M. Petty ne pouvait s'exprimer sur les faits puisqu'il ne s'agit pas de faits.
     Voilà ce qui aurait pu se produire, mais qui ne s'est pas produit, et ce témoin, en tant qu'économiste conseil, puisqu'il est ainsi qualifié, a déjà abordé les éléments qu'il a pris en considération, soit l'inflation, la présence ou l'absence de Du Pont et, selon mon humble avis, il est compétent pour avancer une opinion sur ce qui, selon lui, aurait été des augmentations de prix pertinentes, et la date à laquelle elles auraient eu lieu182.

[241]      Le professeur Hausman a par la suite déclaré qu'il pensait [TRADUCTION] "effectivement qu'en l'absence de Du Pont Canada, ils auraient pu augmenter le prix peut-être beaucoup plus". Toutefois, une grande partie de son témoignage oral reposait sur l'inflation, au point que je ne peux l'accepter comme étant tout simplement une explication ou une démonstration de ce qui est contenu dans son affidavit. En fait, je suis tout à fait d'accord avec M. Ross, l'expert de la défenderesse, lorsqu'il dit :

     [TRADUCTION] Je dirais que Hausman, plutôt que de s'inspirer de l'affidavit de Petty pour appuyer son hypothèse de la compression des prix de 10 et de 30 cents, l'a en fait remplacé par ce que j'ai décrit comme l'hypothèse de l'emprise sur le marché, à savoir qu'en l'absence d'activité de contrefaçon par Du Pont, AlliedSignal aurait été en mesure d'augmenter ses prix au même niveau que le taux d'inflation, et que cela a conduit à des résultats à peu près identiques que l'hypothèse des 10 et 30 cents183.

[242]      Je me rallie à l'opinion du juge Potts de la Cour suprême de l'Ontario qui a dit dans l'arrêt McEachrane c. Children's Aid Society of the County of Essex, que [TRADUCTION] "[l]'autorisation d'un rapport d'expert permet avant tout de savoir en quoi consistera le témoignage et de connaître les éléments factuels sur lesquels il se propose de le faire porter"184.

[243]      J'accepte également l'analyse faite par le juge Huddart dans le cadre d'une requête déposée devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire Haida Inn Partnership v. Touche Ross & Co.185 L'observation la plus pertinente dans sa décision est une citation de la Commission de réforme du droit du Canada, projet de preuve (document no 7), à propos de la procédure de l'interrogatoire préalable :

     L'un des fondements les plus importants de ce système de constatation des faits, c'est que chaque partie au litige pourra non seulement présenter son exposé sous son jour le plus favorable mais pourra également contester à fond les prétentions de la partie adverse. Mais, particulièrement dans le cas du témoignage d'un expert, fondé sur des connaissances que n'a pas l'avocat ordinaire, il est extrêmement difficile de bien examiner les lacunes sans avis préalable de la substance du témoignage et sans avoir l'occasion de se préparer186.

[244]      En toute équité envers la défenderesse et en vertu de la règle 482, le témoignage du professeur Hausman devrait être limité à une explication de la substance de son affidavit. En conséquence, je conclus que ses observations relativement à l'inflation ne sont pas admissibles.

[245]      Troisièmement, nonobstant ma conclusion sur l'inflation, la demanderesse n'a pas exposé les faits adéquats pour l'opinion de M. Petty ou du professeur Hausman. Dans les observations de la demanderesse, les faits pertinents sont "concurrence ou non concurrence, la nature du marché, le type de film qui nous préoccupe,... Du Pont Canada étant présent sur le marché, le niveau des ventes réalisées, [et] les prix qui étaient pratiqués".187

[246]      Bien que ces faits soient importants, ils ne sont pas particulièrement persuasifs. Ils n'expliquent pas de quelle manière les experts en sont arrivés à des augmentations de prix raisonnables de 10" et de 20". Il y a un manque notoire de preuves concernant les stratégies de prix de la demanderesse, les discussions au sein de la direction, y compris des notes de service concernant les décisions sur les prix, les discussions avec les clients concernant les prix, etc. Ces preuves sont importantes non seulement pour établir les difficultés qu'aurait éprouvées la demanderesse à augmenter ses prix, mais aussi pour apporter la preuve nécessaire que la demanderesse aurait effectivement augmenter ses prix si le film de la défenderesse n'avait pas été sur le marché.

[247]      Durant l'interrogatoire préalable, la défenderesse a essayé d'obtenir ces preuves. Par exemple :

     [TRADUCTION]
     M. HUGHES : J'aimerais disposer de tous les faits et connaître les circonstances liées à toute discussion chez Allied, y compris tous documents justificatifs dans lesquels une augmentation ou un changement de prix a été envisagé, et dans le contexte duquel Du Pont était également inclus.
     M. MACKLIN : Dans quel sens la société Du Pont était-elle incluse?
     M. HUGHES : Comme élément dans l'augmentation ou non du prix. J'aimerais connaître la teneur de ces discussions et d'autres éléments qui ont peut-être eu lieu, ainsi que les notes de service, lettres ou autres documents faisant état d'une manière ou d'une autre de ces discussions188.

[248]      La défenderesse a également demandé les preuves de discussions avec les clients, par exemple :

     [TRADUCTION] Voudriez-vous chercher et me laisser savoir si de telles discussions ont eu lieu, et si tel est le cas ce qui a été discuté, quel prix Allied a offert pour le produit, à quel prix le client voulait ce produit, et s'il y a eu d'autres discussions, à savoir si Allied a changé son prix à la suite de ces discussions, et si vous avez vendu le produit au prix ainsi modifié ou à tout autre prix, et si tel est le cas, quel était ce prix?189

[249]      Dans sa réponse, l'avocat de la demanderesse a assuré l'avocat de la défenderesse qu'il n'a pu trouver aucun document justificatif et que [TRADUCTION] "il n'a pu se rappeler de conversations précises avec l'un quelconque des clients perdus"190. Au cours du débat, la demanderesse a fait savoir que cette question relevait uniquement d'une opinion d'expert et que les demandes de la défenderesse allaient au-delà de l'interrogatoire préalable.

[250]      M. Petty a néanmoins prétendu témoigner sur diverses conversations qu'il avait eues avec des clients, particulièrement Rockwell. L'avocat de la défenderesse a soulevé une objection, prétendant qu'il n'avait pas reçu d'avis de la demanderesse qu'un de ses témoins s'était rappelé de telles conversations. J'ai entendu le témoin et ai réservé ma décision sur l'admissibilité de ces éléments factuels de son témoignage, éléments qui avaient été refusés à la défenderesse durant l'interrogatoire préalable.

[251]      Après avoir examiné les arguments des avocats des deux parties, je suis d'avis que le témoignage de M. Petty concernant les discussions sur les prix avec les clients n'est pas admissible. L'avocat de la demanderesse a avancé que la demande de la défenderesse durant l'interrogatoire préalable ne concernait que les conversations avec les clients perdus, et que Rockwell n'était pas un client perdu durant la période sur laquelle M. Petty a témoigné. Je ne peux accepter cette distinction étroite. L'avocat de la défenderesse a clairement demandé à plusieurs reprises, durant l'interrogatoire préalable, des données factuelles sur les décisions relatives aux prix et sur les discussions avec AlliedSignal et avec les clients. Toutes ces demandes ont été refusées sous prétexte qu'il n'était pas possible de trouver des dossiers et registres et que personne ne se souvenait des conversations en question. Toutefois, M. Petty s'est quant à lui rappelé ces conversations. La demanderesse aurait dû aviser la défenderesse, conformément à la règle 460 des Règles de la Cour fédérale191, que M. Petty allait témoigner au sujet de telles conversations. En l'absence d'un tel avis, j'estime que le témoignage de M. Petty concernant les conversations n'est pas admissible : règle 461d).

[252]      Pour les motifs qui précèdent, la demande de la demanderesse sous le présent chef de dommages doit être rejetée.

4. Intérêt et conversion monétaire

     a)      Quel est le taux approprié d'intérêt avant jugement?

[253]      L'article 36(1) de la Loi sur la Cour fédérale192 dispose :

     36.      (1)      Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale, et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d'intérêt avant jugement qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent à toute instance devant la Cour et dont le fait générateur est survenu dans cette province.

[254]      Le fait générateur en l'espèce est survenu dans la province de l'Ontario. Les dispositions pertinentes de la Loi sur les tribunaux judiciaires193 de l'Ontario, prévoient ce qui suit :

     127. (1)      "taux d'intérêt antérieur au jugement" Le taux d'escompte à la fin du premier jour du dernier mois du trimestre précédant le trimestre au cours duquel l'instance a été introduite, arrondi au dixième près d'un point de pourcentage.
     128. (1)      La personne qui a droit à une ordonnance de paiement d'une somme d'argent a le droit de demander que l'ordonnance lui accorde des intérêts sur cette somme, calculés au taux d'intérêt antérieur au jugement, depuis la date à laquelle la cause d'action a pris naissance jusqu'à la date de l'ordonnance.
             ...
         (4)      Il n'est pas accordé d'intérêts aux termes du paragraphe (1) :
             ...
             b) sur les intérêts accumulés aux termes du présent article;
             ...
             g) si le droit aux intérêts a sa source ailleurs que dans le présent article.
     130. (1)      Le tribunal peut, à l'égard de la totalité ou d'une partie de la somme qui porte intérêt aux termes de l'article 128 ou 129, s'il l'estime juste :
             a) refuser les intérêts prévus à l'un ou l'autre article;
             b) accorder des intérêts à un taux supérieur ou inférieur à celui qui est prévu à l'un ou l'autre article;
             c) accorder des intérêts pour une période différente de celle qui est prévue à l'un ou l'autre article.
         (2)      Pour l'application du paragraphe (1), le tribunal tient compte :
             a) de la fluctuation des taux d'intérêt du marché;
             b) des circonstances de l'espèce;
             c) du fait qu'un paiement anticipé a été effectué;
             d) des faits relatifs à la divulgation de renseignements médicaux par le demandeur;
             e) du montant demandé et du montant recouvré dans le cadre de l'instance;
             f) du comportement de l'une ou l'autre partie, qui aurait eu pour effet d'abréger ou de prolonger indûment la durée de l'instance;
             g) de tout autre facteur pertinent.

[255]      La présente action a été introduite le 25 octobre 1989, soit durant le quatrième trimestre de l'année 1989. Selon la Gazette de l'Ontario, le taux d'intérêt avant jugement pour le troisième trimestre de 1989 est de 14 %194.

[256]      Cependant, le taux d'intérêt a régulièrement chuté à partir de 1989 pour descendre jusqu'à 5 % en 1997. Lorsque les taux d'intérêt ont grandement fluctué, les juges ont été disposés à exercer leur discrétion relativement au taux avant jugement, et ainsi soit d'abaisser le taux d'intérêt ou bien de calculer la moyenne du taux au cours de la période en question195. La moyenne pondérée dans ce cas s'élève à 9,2 %.

[257]      L'avocat de la demanderesse a avancé que le taux moyen de rendement de la demanderesse au cours de la période de contrefaçon, d'après le rapport annuel de 1995 de la demanderesse196, était beaucoup plus élevé que 9,2 %, et que pour cette raison un taux de 14 % est davantage raisonnable197. À mon avis, il ne s'agit pas d'une considération pertinente en l'espèce. L'attribution d'un intérêt ne doit pas conférer un avantage exagéré à l'une ou l'autre des parties. Le fait d'accepter le plafond de la gamme des taux d'intérêt de 1989 à 1995 donne clairement un avantage à la demanderesse, alors que la moyenne sur cette gamme, particulièrement lorsque la contrefaçon s'est produite de façon continue durant la période en question, est juste pour les deux parties.

[258]      Ainsi, après avoir pris en considération les changements des taux d'intérêt du marché en particulier, j'exerce le pouvoir discrétionnaire que me confère le par. 130(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario198, et accepte le taux d'intérêt moyen pondéré de 9,2 % proposé par la défenderesse.199

     b)      L'intérêt devrait-il être composé ou simple?

[259]      Dans les décisions portant sur le recours en equity qu'est la comptabilisation des profits, il est clair que "la décision d'accorder un intérêt composé, bien que tout à fait discrétionnaire, doit être considérée comme " la règle". Cela signifie que dans des circonstances normales, l'adjudication de l'intérêt simple seulement appelle certaines explications"200. Dans les décisions concernant le recours en dommages-intérêts, la règle est toutefois moins certaine.

[260]      La règle énoncée dans l'arrêt Reading & Bates Construction c. Baker201 s'applique au contexte de la comptabilisation des profits, mais n'est pas applicable à l'attribution de dommages-intérêts202. En outre, j'accepte respectueusement la décision du juge Potts de la Cour de l'Ontario (Division générale), dans l'arrêt Bonneville c. Kurtow203 où il conclut que l'al. 128(4)b) de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario204 [TRADUCTION] "ne permet pas au demandeur de recevoir un intérêt composé". L'alinéa 128(4)b) précise qu'un intérêt ne doit pas être accordé "sur les intérêts accumulés aux termes du présent article".

[261]      Il y aura, sans aucun doute, des circonstances où l'octroi d'intérêt composé est approprié malgré l'al. 128(4)b)205. Ces circonstances sont fonction des éléments de preuve établissant que les parties avaient envisagé un intérêt composé (p. ex., la preuve d'un contrat ou d'un comportement précédent) ou d'un recours qui donne lieu à la compétence d'equity de la Cour (p. ex., la comptabilisation des profits). Dans de telles circonstances, il semble qu'un intérêt composé puisse être justifié en vertu de l'alinéa 128(4)g)206.

[262]      Dans la présente affaire, la demanderesse a choisi le recours en dommages-intérêts et, selon moi, n'a pas droit à l'intérêt composé. Il n'est pas question de mauvaise foi de l'une ou l'autre des parties, et il n'y a aucune analogie, même imparfaite, entre le contrefacteur en l'espèce et un fiduciaire qui ne se serait pas acquitté d'une obligation fiduciaire.

[263]      En conséquence, j'en conclus que l'intérêt avant jugement devrait être un intérêt simple seulement.

     c)      Pour quelle période l'intérêt avant jugement devrait-il être calculé?

[264]      L'avocat de la défenderesse m'a demandé d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de suspendre l'intérêt avant jugement pour deux périodes. À son avis, la demanderesse ne devrait pas avoir droit à l'intérêt du 1er septembre 1993 au 30 avril 1995, soit la période entre la décision de la Section de première instance et celle de la Cour d'appel fédérale. Il a avancé que le brevet n'était pas valide au cours de cette période. En outre, il a précisé que la demanderesse ne devrait pas avoir droit à un intérêt du 1er avril 1996 au 30 juin 1997 en raison de ce qu'il appelle un manque de collaboration de sa part dans la production de documents.

[265]      Je ne suis pas en mesure d'accepter les arguments de la défenderesse sur ce point. Le présent renvoi a soulevé un certain nombre de questions complexes et a nécessité la production d'un très grand nombre de documents. Bien que la défenderesse ait présenté plusieurs demandes d'interrogatoire de témoins et d'examen de documents, rien ne donner à penser que la demanderesse n'a pas collaboré de façon raisonnable. J'ai déjà abordé la question du souvenir qu'a eu M. Petty de conversations avec des clients sur les prix, ainsi que le fait que la défenderesse n'avait pas reçu de préavis. Selon moi, ces circonstances n'ont rien à voir avec la décision touchant l'intérêt avant jugement.

[266]      Je suis d'avis que dans les circonstances de l'espèce la demanderesse ne devrait pas être pénalisée par une réduction de l'intérêt. J'adopte respectueusement les principes suivants énoncés par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Royal Bank v. Roland Home Improvements Ltd.207 :

     [TRADUCTION] Si le demandeur doit être pénalisé, ce devrait être en coûts, et le juge de première instance, en adjugeant les dépens entre parties dans une affaire qui justifiait prima facie les dépens procureur-client, a déjà agi ainsi. L'intérêt avant jugement fait partie de la valeur de l'adjudication, et au même titre que la Cour ne réduirait pas le montant de l'adjudication elle-même à cause du retard à porter l'affaire devant la Cour, elle ne devrait pas non plus réduire la valeur de l'allocation en diminuant l'intérêt auquel le demandeur aurait autrement droit. Au demandeur qui se plaint d'être obligé de verser des intérêts au-delà de la période durant laquelle il aurait pu raisonnablement s'attendre à ce que le différend soit réglé, la réponse est double :
     (a)      il ne subit pas de pénalité d'intérêt car, durant la période d'attente, il a l'usage de l'argent qui est au bout du compte accordé au demandeur; et
     (b)      il peut toujours faire cesser les intérêts en faisant sa propre estimation des dommages-intérêts et en les versant en Cour sans préjudice de son droit permanent de contester la responsabilité et le montant des dommages-intérêts208.

[267]      En ce qui concerne l'argument de la défenderesse selon lequel le brevet n'était pas valide entre le 1er septembre 1993 et le 30 avril 1995, le jugement de la Cour d'appel fédérale est le jugement définitif à cet égard sur la validité du brevet et sa contrefaçon. La jurisprudence qu'a invoquée l'avocat de la défenderesse concernant l'expiration d'un brevet n'est pas pertinente.

[268]      En conséquence, je conclus qu'il convient d'accorder un intérêt simple avant jugement à 9,2 % par an pour l'intégralité de la période allant du 1er janvier 1989 à la date du jugement à l'égard du présent rapport.

     d)      Quelle est la date appropriée de la conversion monétaire?

[269]      L'article 12 de la Loi sur la monnaie209 dispose :

     12.      Les comptes publics doivent être tenus dans tout le pays en monnaie canadienne; les sommes d'argent ou les valeurs en argent doivent, dans les procédures, notamment les actes d'accusation, être exprimées en monnaie canadienne.

[270]      Cette disposition exige donc que le montant adjugé dans le présente renvoi soit exprimé en monnaie canadienne210. Étant donné que toutes les preuves en l'espèce ont été exprimées en monnaie américaine, je dois décider à quelle date la conversion devrait être effectuée en monnaie canadienne.

[271]      Dans l'arrêt N.V. Bocimar, S.A. c. Century Insurance Co. of Canada211 la Cour d'appel fédérale a décidé que jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada se penche à nouveau sur la question, il n'appartient pas aux tribunaux inférieurs de déroger à la "règle de la date de la violation" adoptée dans les arrêts The Custodian c. Blucher212 et Gatineau Power Co. c. Crown Life Insurance Co.213 Cette règle prévoit que la monnaie doit être convertie à la date de violation du contrat ou de délit civil.

[272]      Selon moi, étant donné les circonstances, la présente affaire n'est pas assujettie à la règle de la date de la violation, principalement parce qu'aucune date ne correspond à la contrefaçon du brevet qui s'est produite au cours d'une période de six ans.

[273]      L'avocat de la défenderesse a indiqué qu'il serait pertinent de prendre le milieu de chaque année et de convertir le montant qui est dû par année, à cette date. Selon moi, cette méthode est très lourde, particulièrement si on la compare à la solution qui consiste à convertir la monnaie à la date du jugement à l'égard du présent rapport. Dans l'arrêt Lee S. Wilbur & Co. c. "Martha Ingraham" (Le) (10 mai 1989), Ottawa T-1114-87 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum a pris en considération l'application de la règle de la date de la violation en l'absence de preuve concernant la date pertinente. Dans ce cas, il a converti la monnaie à la date du jugement. Bien que les faits de cette affaire ne soient pas directement identiques aux circonstances présentes, selon moi la conversion de la monnaie à la date du jugement à l'égard du présent rapport est la seule solution pratique.

[274]      En conséquence, je fixe la date de la conversion de la monnaie comme le meilleur cours acheteur disponible auprès d'une banque canadienne à charte pour des dollars américains à la date du jugement à l'égard du présent rapport.

     e)      Intérêt après jugement

[275]      L'article 37 de la Loi sur la Cour fédérale dispose214 :

     37. (1)      Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale, et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d'intérêt pour les jugements qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent à toute instance devant la Cour et dont le fait générateur est survenu dans cette province.

[276]      En matière d'intérêt après jugement, la loi applicable est la Loi sur les tribunaux judiciaires215 de l'Ontario, dont les disposition pertinentes sont les suivantes :

     127.      "taux d'intérêt postérieur au jugement" Le taux d'escompte à la fin du premier jour du dernier mois du trimestre précédant le trimestre au cours duquel se situe la date de l'ordonnance, arrondi au nombre entier supérieur si le taux comprend une fraction, plus 1 pour cent.
     129.      (1)      La somme d'argent due aux termes d'une ordonnance, y compris les dépens devant être liquidés ou ceux fixés par le tribunal, porte intérêt au taux d'intérêt postérieur au jugement, à compter de la date de l'ordonnance.

[277]      Selon la Gazette de l'Ontario, le taux d'intérêt après jugement pour le quatrième trimestre de 1997 est de 5 %.216 Je fixe donc le taux d'intérêt après jugement en l'espèce à 5 %, à compter de la date du jugement à l'égard du présent rapport.

Conclusion

[278]      En résumé, je recommande ce qui suit :

(i)      que la demanderesse reçoive des dommages-intérêts d'un montant de 1 604 405 $ US pour manque à gagner causé par les ventes réalisées par la défenderesse, que la demanderesse aurait elle-même réalisées;
(ii)      que la demanderesse reçoive des dommages-intérêts d'un montant de 910 715 $ US au titre de redevances sur les ventes faites par la défenderesse que la demanderesse n'aurait pas réalisées elle-même;
(iii)      que la demanderesse ne reçoive pas de dommages-intérêts relativement au manque à gagner causé par la compression des prix;
(iv)      que les dommages-intérêts que j'ai recommandés en monnaie américaine soient convertis en monnaie canadienne au meilleur cours acheteur du dollar américain offert par une banque canadienne à charte à la date du jugement à l'égard du présent rapport;
(v)      que la demanderesse reçoive un taux d'intérêt simple avant jugement de 9,2 % par an à compter du 1er janvier 1989 jusqu'à la date du jugement à l'égard du présent rapport; et
(vi)      que la demanderesse reçoive un taux d'intérêt de 5 % à compter de la date du jugement à l'égard du présent rapport.

[279]      Sur la question des dépens, les avocats des parties peuvent s'adresser à moi à une date mutuellement convenable après la publication du présent rapport.

[280]      Le tout étant respectueusement soumis à cette honorable Cour.


Darrel V. Heald
Juge suppléant

OTTAWA (ONTARIO)

Le 13 février 1998


Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.


Addendum

[281]      Une première version du présent rapport et de l'annexe, tous deux assujettis à l'ordonnance de non-divulgation du protonotaire Lefebvre, en date du 23 août 1990, a été remise aux avocats des parties le 2 février 1998. Les avocats ont été invités à présenter des observations avant le 12 février 1998 quant à la divulgation de toute information contenue dans le rapport.

[282]      Les avocats des deux parties m'ont fait savoir qu'ils n'étaient pas opposés à la diffusion publique du présent rapport, lequel, en conséquence, ne fait plus l'objet de l'ordonnance de non-divulgation prononcée en l'espèce. Cependant, l'annexe restera assujettie à ladite ordonnance de non-divulgation.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     Avocats et procureurs inscrits au dossier


NO DU GREFFE :      T-2234-89
INTITULÉ DE LA CAUSE :      ALLIEDSIGNAL INC. c. DU PONT CANADA ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE :      OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :      DU 25 AU 29 AOÛT 1997
et
DU 3 AU 9 SEPTEMBRE 1997

RAPPORT DU JUGE SUPPLÉANT HEALD, ARBITRE, en date du 13 février 1998

    

ONT COMPARU:

G. ALEXANDER MACKLIN, c.r.

et

HÉLÈNE D'IORIO      POUR LA DEMANDERESSE
ROGER HUGHES, c.r.     

ARTHUR RENAUD

et

TRENT HORNE          POUR LES DÉFENDERESSES

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING STRATHY      POUR LA DEMANDERESSE

& HENDERSON         

OTTAWA (ONTARIO)

SIM, HUGHES, ASHTON      POUR LES DÉFENDERESSES

& McKAY

TORONTO (ONTARIO)


__________________

1 Dans le présent renvoi, tous les éléments de preuve relatifs à des sommes d"argent sont exprimés en $ U.S. Pour cette raison, toutes les références aux présentes à une monnaie seront elles aussi faites en $ U.S. bien que la somme finale adjugée soit convertie en monnaie canadienne pour satisfaire à l"article 12 de la Loi sur la monnaie , L.R.C. (1985), ch. C-52. Voir l'analyse de cette question, aux paragraphes 269 et suiv.

2 Transcription, vol. 1, Fred DeAntonis, p. 46, interrogatoire principal

3 Données extraites de la Pièce D-50 (Pièce A-135 de l"interrogatoire préalable de Charles Barbon).

3 Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, par. 55(1)

5 General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1976] R.P.C. 197, 212, [1975] 2 All E.R. 173 (H.L.), lord Wilberforce.

6 Meters Ltd. v Metropolitan Gas Meters Ltd. (1911), 28 R.P.C. 157, à la p. 166 (C.A.), le lord juge Buckley.

4 Watson, Laidlaw & Co. v. Pott, Cassells & Williamson (1914), 31 R.P.C. 104, à la p. 117 (H.L.), lord Shaw.

5 Colonial Fastener Co. v. Lightning Fastener Co. [1937] R.C.S. 36, à la p. 45, le juge Kerwin.

6 Watson, Laidlaw & Co. v. Pott, Cassells & Williamson (1914), 31 R.P.C. 104, à la p. 120 (H.L.).

7 Meters Ltd. v. Metropolitan Gas Meters Ltd. (1911), 28 R.P.C. 157, à la p. 164 (C.A.), le lord juge Moulton.

8 Catnic Components Ltd. v. Hill & Smith Ltd. [1983] F.S.R. 512, à la p. 518, [1982] R.P.C. 183 (Pat. Ct.) le juge Falconer.

9 Colonial Fastener Co. v. Lightning Fastener Co. [1937] R.C.S. 36, 47, le juge Kerwin.

10 American Braided Wire Co. v. Thomson (1890), 7 R.P.C. 152 (C.A.).

11 Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4.

12 Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills Inc. et al. (1990), 29 C.P.R. (3d) 481, 496 (F.C.A.), le Juge en chef Iacobucci.

13 Beloit Canada Ltée./Ltd. c. Valmet Dominion Inc. (1997), 73 C.P.R. (3d) 321 (F.C.A.).

14 Colonial Fastener Co. v. Lightning Fastener Co. [1937] R.C.S. 36, à la p. 45, le juge Kerwin.

15 Voir l"analyse du juge Reed relative à ces cas :AlliedSignal Inc. c. DuPont Canada Inc. (1993), 50 C.P.R. (3d) I (C.F 1re inst.). La Cour d"appel fédérale souscrit à ses conclusions sur cette question : (1995), 61 C.P.R. (3d) 417, 444 (F.C.A.).

16 AlliedSignal Inc. c. DuPont Canada Inc. (1993), 50 C.P.R. (3d) 1, 19 (F.C.T.D.), le juge Reed. La Cour d"appel fédérale a confirmé sa conclusion (1995), 61 C.P.R. (3d) 417, à la p. 443, le juge Desjardins.

17 Schneider (Europe) A.G. c. SciMed Life Systems Inc.39 U.S.P.Q. 2d 1596, à la p. 1598 (C.A.F.C. 1995).

18 Dominion Manufacturers Ltd. c. Electrolier Mfg. Co. Ltd.[1939] Ex. C.R. 204, 210, 212; Watson, Laidlaw & Co. c. Pott, Cassells & Williamson (1914), 31 R.P.C. 104, 117 (H.L.).

19 United Horse Shore and Nail Co. Ltd. v. Stewart & Co. (1888) 5 R.P.C. 260, 264, 13 App.Cas. 401, le lord chancelier; Meters Ltd. v. Metropolitan Gas Meters Ltd. (1910), 27 R.P.C. 721, 731 (Ch. D.) le juge Eve; conf. (1911), 28 R.P.C. 157 (C.A.).

20 Meters Ltd. v. Metropolitan Gas Meters Ltd. (1910), 27 R.P.C. 721, le juge Eve à la p. 731, conf. (1911), 28 R.P.C. 157 (C.A.).

21 Catnic Components Ltd. v. Hill & Smith Ltd. [1983] F.S.R. 512, 522, [1982] R.P.C. 183 (Pat. Ct.), le juge Falconer.

22 Meters Ltd. v. Metropolitan Gas Meters Ltd. (1910), 27 R.P.C. 721 à 731 (Ch. D.) le juge Eve, conf. (1911), 28 R.P.C. 157 (C.A.); Catnic Components Ltd. v. Hill & Smith Ltd. [1983] F.S.R. 512, 522, [1982] R.P.C. 183 (Pat. Ct.), le juge Falconer.

23 Domco Industries Ltd. c. Armstrong Cork Canada Ltd., (1983), 76 C.P.R. (2d) 70, 92, (C.F. 1re inst.), le protonotaire Preston; mod. (1986), 10 C.P.R. (3d) 53, 9 C.I.P.R. 139 (C.F. 1re inst.).

24 Domco Industries Ltd. c. Armstrong Cork Canada Ltd. (1986) 10 C.P.R. (3d) 53 à 62, 9 C.I.P.R. 139 (C.F. 1re inst.), le juge Collier.

25 Domco Industries Ltd. c. Armstrong Cork Canada Ltd. (1983), 76 C.P.R. (2d) 70, 92, (C.F. 1re inst.), le protonotaire Preston; mod. (1986), 10 C.P.R. (3d) 53, 9 C.I.P.R. 139 (C.F. 1re inst.), Catnic Components Ltd. v. Hill & Smith Ltd. [1983] F.S.R. 512 à 522, [1982] R.P.C. 183 (Pat. Ct.), le juge Falconer.

26 Penduit Corp. v. Stahlin Brothers Fibre Works, Inc., 575 F .2d 1152 (6th Cir. 1978).

27 State Industries v. Mor-Flo, 883 F.2d 1573 (Fed. Cir. 1989).

28 H. G. Fox, The Canadian Law and Practicce Relating to Letters Patent for Inventions, 4ème édition, Carswell, 1969 (Toronto), à la p. 494, cité et approuvé dans Domco Industries Ltd. c. Armstrong Cork Canada Ltd. (1983), 75 C.P.R. (2d) 70, à la p. 90 (C.F. 1re inst.), le protonotaire Preston; mod. sur d'autres points (1986), 10 C.P.R. (3d) 53, 9 C.I.P.R. 139 (C.F. 1re inst.).

29 Transcription, vol. 4 (Confidentiel), Derek A. Rostant, aux p. 392 et 394, contre-interrogatoire.

30 Meters Ltd. v. Metropolitan Gas Meters Ltd.(1911), 28 R.P.C. 157, p. 161 (C.A.), le maître des rôles Cozens-Hardy.

31 Affidavit de William C. Dovey, Appendice B-2 (Pièce P-15).

32 Pièce P-21.

33 Transcription, vol. 2, David R. Petty, p. 423, interrogatoire principal; Affidavit de John Maxel au "16 (Pièce D-27).

34 Pièce D-8.

35 Transcription, vol. 4, John Thompson, aux p. 952 et 953, interrogatoire principal.

36 AlliedSignal Inc. c. DuPont Canada Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 417, à la p. 421 (C.A.F.).

37 Voir les pièces D-8 et D-9.

38 Transcription, vol. 6, John M. Maxel, à la p. 1248, contre-interrogatoire.

39 Transcription, vol. 3, John Newson, à la p. 464; interrogatoire principal; pièce D-6.

40 Voir le Tableau 2, supra.

41 Transcription, vol. 3, Roger T. Hughes, aux p. 553 et 554, 601 et 626, au cours de l"interrogatoire principal de Jerry A. Hausman; voir aussi l"affidavit du professeur Jerry Hausman aux ""19 à 25 (Pièce P-11).

42 Affidavit du professeur Jerry Hausman, "29 (Pièce P-11).

43 Transcription, vol. 3, professeur Jerry Hausman, 714, contre-interrogatoire.

44 Transcription, vol. 5, Byron Beck, aux p. 1095 et 1100.

45 Affidavit de John Maxel au "18 (Pièce D-27).

46 Extrait du témoignage de M. Hoffman au procès présidé par le juge Reed, lu dans la transcription, vol. 3, professeur Jerry Hausman, p. 708 et 709, contre-interrogatoire.

47 Transcription, vol. 3, professeur Jerry Hausman, p. 587, interrogatoire principal.

48Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 2), Appendice 27 (Pièce D-38).

49 Affidavit de William C. Dovey, Appendices B-1 et C (Pièce P-15).

50 Voir l'analyse de cette question commençant à la page 51.

51 Extrait du témoignage de M. Hoffman au procès présidé par le juge Reed, lu dans la Transcription, vol. 3. Professeur Jerry Hausman, p. 708 et 709, contre-interrogatoire. Voir aussi la Transcription, vol. 2, David R. Petty, p. 437, interrogatoire principal.

52 Extrait du témoignage de M. Hoffman au procès présidé par le juge Reed, lu dans la Transcription, vol. 3. Professeur Jerry Hausman, p. 709 et 710, contre-interrogatoire.

53 Il est intéressant de noter qu"en 1996 Eagle Picher a collaboré avec AlliedSignal en vue de mettre au point un film coextrudé satisafaisant. Voir la pièce D-1, l"article intitulé " SMC release film meets specialty requirements" dans la parution du mois de juin 1997 de la revue Plastics World.

54 Pièce D-11.

55 Transcription, vol. 4, professeur Jerry Hausman, p. 853 et 854, contre-interrogatoire.

56 Transcription, vol. 4, John Thompson, p. 951, interrogatoire principal.

57 Transcription, vol. 4, Professeur Jerry Hausman, p. 837, contre-interrogatoire.

58 Affidavits de John Maxel aux "" 9 et 10 (Pièce D-27), lu dans la Transcription, vol. 6, John Maxel, 1216 à p. 1219, interrogatoire principal.

59 Affdavit du prefesseur Jerry Hausman aux "" 28 et 29 (Pièce P-11).

60 Affidavit du professeur Jerry Hausman aux "" 28 et 29 (Pièce P-11).

61 Transcription, vol. 5, Byron S. Beck, p. 1098, interrogatoire principal.

62 Idem, p. 1108.

63 Idem, p. 1109.

64 Idem, p. 1110.

65 Idem, p. 1110 et 1111

66 Idem, p. 1120 et 1121.

67 Transcription, vol. 2, David R. Petty, p. 451, interrogatoire principal.

68 Pièce D-11.

69 Transcription, vol. 4, James R. Butler, p. 985, interrogatoire principal.

70 Meters Ltd. v. Mteropolitan Gas Meters Ltd. (1911), 28 R.P.C. 157, à la p. 165 (C.A.), le lord juge Fletcher Moulton.

71 Transcription, vol. 5, Norman LeBlanc, p. 1155, interrogatoire principal.

72 Pièce D-11, 2.

73 Trancription, vol. 4 (Confidentiel), Derek A. Rostant, p. 396 à 407, contre-interrogatoire. Voir aussi la Transcription, vol. 2, David R. Petty, p. 453, interrogatoire principal.

74 Transcription, vol. 4 (Confidentiel), Derek A. Rostant, p. 402, contre-interrogatoire.

75 Affidavit de William C. Dovey au " 23 (Pièce P-15).

76 Transcription, vol. 5, Byron S. Beck, p. 1109, interrogatoire principal.

77 Pièce D-8, p. 1.

78 Transcription, vol. 4 (Confidentiel), Derek A.Rostant, p. 399, contre-interrogatoire.

79 Idem, p. 407.

80 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 1) au " 6.5 (Pièce D-37).

81 Transcription, vol. 3 (Confodentiel), William C. Dovey, p. 218 et 219, contre-interrogatoire.

82 Transcription, vol. 2, David R. Petty, p. 454, interrogatoire principal.

83 Transcription, vol. 2 (Confidentiel), William C, Dovey, p. 53, interrogatoire principal.

84 Transcription, vol. 4 (Confidentiel), Derek A. Rostant, p. 315, interrogatoire principal.

85 Idem, p. 318.

86 Pièce D-48, onglet 6; Extraits de l"interrogatoire préalable de Charles Barton, 17 juillet 1997, Q. 3962 et 3963.

87 Transcription, vol. 5 (Confidentiel), William C. Dovey, p. 574 à 576, interrogatoire principal (réponse).

88 Transcription, vol. 2 (Confidentiel), William C. Dovey, p. 109, interrogatoire principal.

89 Transcription, vol. 4 (Confidentiel), Derek A. Rostant, p. 318 et 319, interrogatoire principal.

90 Transcription, vol. 1, Fred DeAntonis, p. 88 et 89, interrogatoire principal.

91 Pièce P-15.

92 Transcription, vol. 5, John Kubitz, p. 1018 à 1042, interrogatoire principal.

93 Transcription, vol. 5, Roger T. Hughes, p. 1021, 1024, 1029, 1033 et 1034, au cours de l"interrogatoire principal de John Kubitz.

94 Transcription, vol. 5, John Kubitz, p. 1029 et 1030, interrogatoire principal.

95 Voir, par ex. Rothwell c. Canada (1985), 2 F.T.R. 6, p. 10, (1re inst.), le juge Strayer.

96 Transcription, vol. 5 (Confidentiel), William C. Dovey, 583 et 584, interogatoire principal (réponse).

97 Transcription, vol. 4, (Confidentiel), Derek A. Rostant, 428, contre-interrogatoire.

98 Idem, p. 430.

99 Transcription, vol. 1, Fred DeAntonis, p. 102, contre-interrogatoire.

100 Transcription, vol. 4, Derek A. Rostant, p. 429, contre-interrogatoire.

101 Lewis c. Todd, [1980] 2 R.C.S. 694, aux p. 708 et 709, le juge Dickson.

102 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 2), Appendices 4 et 6 (Pièce D-38).

103 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 1), p. 24, (pièce D-37) : Interrogatoire préalable de Charles Barton, Volume 1, p. 210, Q. 1111.

104 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 2), Appendice 4 (Pièce D-38).

105 Affidavit de réfutation de William C. Dovey, "20 (Pièce P-25).

106 Idem.

107 Idem.

108 Transcription, vol. 5 (Confidentiel), William C. Dovey, p. 581, interrogatoire principal.

109 Transcription, vol. 4 (Confidentiel), Derek A. Rostant, 441 et 442, contre-interrogatoire.

110 Transcription, vo. 5 (Confidentiel), William C. Dovey, 588 et 589, interrogatoire principal (réponse).

111 Transcription, vol. 1, Fred DeAntonis, 85, interrogatoire principal.

112 Affidavit de réfutation de William C. Dovey, " 22, (Pièce P-25)

113 Transcription, vol. 5 (Confidentiel), William C. Dovey, 598 et 599, interrogatoire principal (réponse).

114 Voir, ex., Transcription, vol. 2, James Terry, 305 et 306, interrogatoire principal; transcription, vol. 2, Andre C. Tremper, 235, interrogatoire principal.

115 Contre-affidavit de William C. Dovey, " 23 (Pièce P-25).

116 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 1), onglet 6, ""6.3.2 " 6.3.5 (Pièce D-37); contre-affidavit de William C. Dovey, ""26-45 (Pièce P-25).

117 Transcription, volume 5 (Confidentiel), William C. Dovey, 586-87, interrogatoire principal (réponse).

118 Pièce D-41 aux lignes [5] et [6].

119 Transcription, vol. 1, Fred DeAntonis, p. 51 et 52, interrogatoire principal.

120 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 1) "10.6, p. 55 (Pièce D-37).

121 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 2), annexes 27 et 39 (Pièce D-38).

122 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 2), annexe 33 (Pièce D-38).

123 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 2), annexe 33, colonne [A] (Pièce D-38).

124 Voir, p. ex., Transcription, vol. 4 (Confidentiel), Derek A. Rostant, 455, contre-interrogatoire.

125 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 2), annexe 33, colonne [A] (Pièce D-38).

126 Transcription, vol. 4 (Confidentiel), Derek A. Rostant, p. 465, contre-interrogatoire.

127 Transcription, vol. 1, Andre C. Tremper, 210-11, interrogatoire principal.

128 Transcription, vol. 2, Andre C. Tremper, 235, interrogatoire principal.

129 Idem, 237.

130 Transcription, vol. 4 (Confidentiel), Derek A. Rostant, 462, contre-interrogatoire.

131 Idem, 454.

132 Transcription, vol. 1, Andre C. Tremper, 206, interrogatoire principal.

133 Affidavit de William C. Dovey, "69.

134 Voir la ligne 6 des calculs de M. Rostant, Pièce D-41.

135 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 1), "10.4, p. 52 (Pièce D-37).

136 Transcription, vol. 2, James Terry, 329-31, contre-interrogatoire.

137 Idem, 288-302, interrogatoire principal.

138 Idem, 330, contre-interrogatoire; Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 1) "10.4, p. 52 (Pièce D-37).

139 Transcription, vol. 5 (Confidentiel), Derek A. Rostant, 484, contre-interrogatoire; Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 1), Annexes 36 et 37 (Pièce D-38).

140 Affidavit de William C. Dovey, "72 (Pièce P-15).

141 Transcription, vol. 2 (Confidentiel), William C. Dovey, 130, interrogatoire principal.

142 Voir la ligne 5 des calculs de M. Rostant, Pièce D-41.

143 Affidavit de Derek A. Rostant (Volume 1), "6.6 (Pièce D-37).

144 Transcription, vol. 5 (Confidentiel), Derek A. Rostant, 512-14, contre-interrogatoire.

145 Voir, p. ex., Transcription, vol. 5, Derek A. Rostant, 517, contre-interrogatoire.

146 Idem, 518-19.

147 Voir, p. ex., Transcription, vol. 1, Fred DeAntonis, 67, interrogatoire principal; Transcription, vol. 5, Byron S. Beck, 1116, interrogatoire principal.

148 Affidavit de réfutation de William C. Dovey, "16 (Pièce P-25).

149 Transcription, vol. 5 (Confidentiel), William C. Dovey, 616, contre-interrogatoire (réponse).

150 Idem, 573, interrogatoire principal (réponse).

151 Affidavit de Derek Rostant (Volume 1), "6.7 (Pièce D-37).

152 Transcription, vol. 5 (Confidentiel), William C. Dovey, 574, interrogatoire principal (réponse).

153 Affidavit de William C. Dovey, "52 (Pièce P-25).

154 Unilever PLC c. Procter & Gamble (1993), 47 C.P.R. (3d) 479, à la p. 523 (C.F. 1re inst.), conf. (1995), 61 C.P.R. (3d) 499 (C.A.F.). Soulignons que la Cour renvoie à mes dires dans l'affaire Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskchewan) Ltd. (1983), 74 C.P.R. (2d) 199 (C.A.F.) 206, dans lesquels je faisais référence à la décision de première instance; cette citation vient à l'origine de l'énoncé du juge Sargent, dans A.G. für Autogene Aluminium Schweissung c. London Aluminium Co. Ltd. (No. 2) (1923), 40 R.P.C. 107.

155 Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskchewan) Ltd. (1983), 74 C.P.R. (2d) 199 (C.A.F.)

156 Pièce P-13.

157 General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre & Rubber Co., [1976] R.P.C. 197, à la p. 213, [1975] 2 All E.R. 173 (H.L.), lord Wilberforce.

158 Idem, 214.

159 Transcription, vol. 3, Roger T. Hughes, 569, durant l'interrogatoire principal de Jerry A. Hausman.

160 Voir Transcription, vol. 3, professeur Jerry Hausman, p. 598 et 599, interrogatoire principal. Je n'attache aucune importance au fait que les compétences du professeur Hausman sur cette question sont examinées au milieu de son témoignage. Cela ne modifie aucunement le poids à accorder à ce témoignage : R. c. Marquard, [1993] 4 S.C.R. 223 à 244, le juge McLachlin.

161 Affidavit de Jerry A. Hausman, "13(p) (Pièce P-12).

162 Transcription, vol. 3, professeur Jerry Hausman, 615, interrogatoire principal.

163 Affidavit de Jerry A. Hausman, ""48-53 (Pièce P-11).

164 Rite-Hite Co. v. Kelley Co., 35 U.S.P.Q. 2d, 1065 (U.S.C.A., Fed. Cir.).

165 Transcription, vol. 6, Duncan A. MacKillop, 1407, contre-interrogatoire.

166 Idem, 1415.

167 Colonial Fastener Co. c. Lightning Fastener Co., [1937] S.C.R. 36, p. 47, le juge Kerwin.

168 American Braided Wire Co. c. Thomson (1890), 7 R.P.C. 152 (C.A.).

169 En fait, la seule mention d'une telle réclamation que j'ai pu trouver est celle de la Cour d'appel d'Afrique du Sud dans l'affaire Omega Africa Plastics Pty. Ltd. c. Swisstool Mfg. Co. (Pty.), [1978 (3)] S.A. 465, 475 (App. Div.), le juge Trollip. La demande a été abandonnée en raison d'absence de preuve, mais la Cour l'a acceptée comme " possibilité ".

170 Voir, p. ex., American Braided Wire Co. c. Thomson (1890), 7 R.P.C. 152, p. 160 (C.A.), lord Cotton.

171 Meters Ltd. c. Metropolitan Gas Meters Ltd. (1911), 28 R.P.C. 157, p. 166 (C.A.), le lord juge Buckley.

172 Affidavit de David R. Petty, "26 (Pièce P-8).

173 Transcription, vol. 3, professeur Jerry A. Hausman, p. 594 et 595, interrogatoire principal.

174 Transcription, vol. 2, David R. Petty, p. 413 et 414, interrogatoire principal.

175 J. Sopinka, The Law of Evidence in Canada (Toronto : Butterworths, 1992), p. 160 et 161.

176 Pièce D-9.

177 Transcription, vol. 4, James R. Butler, p. 982 et 983, interrogatoire principal.

178 Affidavit de Michael J. Ross, 5 (Pièce P-32).

179 Idem.

180 Transcription, vol. 7, Michael J. Ross, p. 1603, contre-interrogatoire.

181 Règles de la Cour fédérale, C.R.C. 1978, ch. 663, règle 482.

182 Transcription, vol. 3, G. Alexander Macklin, p. 590, durant l'interrogatoire principal de Jerry A. Hausman.

183 Transcription, vol. 7, Michael J. Ross, p. 1487, interrogatoire principal.

184 McEachrane c. Children's Aid Society of the County of Essex (1986), 10 C.P.C. (2d) 265, à la p. 270 (H.C.J. Ont.).

185 Haida Inn Partnership c. Touche Ross & Co. (1989), 34 B.C.L.R. (2d) 80 (C.S.).

186 Commission de réforme du droit du Canada, Projet de preuve (document no 7), (1972-1975), aux p. 34 et 35, cité dans Haida Inn Partnership c. Touche Ross & Co. (1989), 34 B.C.L.R. (2d) 80 (C.S.).

187 Transcription, vol. 3, G. Alexander Macklin, 590, durant l'interrogatoire principal de Jerry A. Hausman.

188 Interrogatoire préalable de Charles Barton, Volume II, p. 418, Q. 1980, lu dans la Transcription, vol. 2, David R. Petty, p. 390 et 391, interrogatoire principal.

189 Interrogatoire préalable de Charles Barton, Volume V, p. 718, Q. 3077; lu dans la Transcription, vol. 2, David R. Petty, p. 392, interrogatoire principal.

190 Interrogatoire préalable de Charles Barton, Volume V, p. 718, réponse à Q. 3077; lu dans la Transcription, vol. 2, David R. Petty, p. 391, interrogatoire principal.

191 Règles de la Cour fédérale, C.R.C. 1978, ch. 663, Règle 460.

192 Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, par. 36(1).

193 Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O., 1990, ch. C-43, art. 127, 128(1).

194 Gazette de l'Ontario, Vol. 130-125, 21 juin 1997, p. 1146.

195 Bonneville c. Kurtow (1997), 25 O.T.C. 262 (Div. gén. Ont.), 120 Adelaide c. Thomson Rogers (1995), 38 C.P.C. (3d) 69 (Div. gén. Ont.), Spencer c. Rosati (1985), 50 O.R. (2d) 661 (C.A.), Graham c. Rourke (1990), 75 O.R. (2d) 622 (C.A.).

196 Pièce P-23.

197 Transcription, vol. 9, G. Alexander Macklin, p. 1885, débat.

198 Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O., 1990, ch. C-43, par. 130(2).

199 Transcription, vol. 9, Roger T. Hughes, p. 1969-73, débat.

200 Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1995), 61 C.P.R. (3d) 271, à la p. 287, 184 N.R. 149, 94 F.T.R. 102 (C.A.F.).

201 Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. (1994), 58 C.P.R. (3d) 359, [1995] 1 F.C. 483, 175 N.R. 225, 85 F.T.R. 240n, 51 A.C.W.S. (3d) 137 [autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 60 C.P.R. (3d) vi].

202 Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1997), 73 C.P.R. (3d) 321, à la p. 369 (C.A.F.).

203 Bonneville c. Kurtow (1997), 25 O.T.C. 262 (Div. gén. Ont.).

204 Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O., 1990, ch. C-43, al. 128(4)b).

205 Brock c. Cole (1983), 40 O.R. (2d) 97 (C.A.).

206 Voir Brock c. Cole (1983), 40 O.R. (2d) 97 (C.A.). Voir également Diane Saxe, " Judicial Discretion in the Calculation of Prejudgment Interest " (1986), 6 Adv. Q. 433 pour un aperçu général de cette question.

207 Royal Bank c. Roland Home Improvements Ltd. (1994), 17 B.L.R. (2d) 108 (Cour d'appel de l'Ont.).

208 Idem, p. 116.

209 Loi sur la monnaie, R.S.C. (1985), ch. C-52, art. 12.

210 Atlantic Lines & Navigation Company Inc. c. The Ship " Didymi " (1987), 78 N.R. 99 (C.A.F.).

211 N.V. Bocimar, S.A. c. Century Insurance Co. of Canada (1984), 53 N.R. 383 (C.A.F.), inf. pour d'autres motifs (1987), 1 R.C.S. 1247; voir également Capital Life Insurance Co. c. Canada (C.A.F.) (1988), N.R. (153), [1988] 2 C.T.C. 101, 88 D.T.C. 6352 (C.A.F.).

212 The Custodian c. Blucher, [1927] 3 D.L.R. 40 (C.S.C.).

213 Gatineau Power Co. c. Crown Life Insurance Co., [1945] R.C.S. 655.

214 Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 37.

215 Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O., 1990, ch. C-43.

216 Gazette de l'Ontario, Vol. 130-51, 20 décembre 1997, p. 2804.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.