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Date : 20200220


Dossier : IMM-1807-19

Référence : 2020 CF 272

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2020

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

MARLON ALPHANSO RICKETTS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Marlon Alphanso Ricketts est un citoyen de la Jamaïque. Il sollicite le contrôle judiciaire de l’examen des risques avant renvoi [l’ERAR] défavorable effectué par une agente principale de l’immigration [l’agente]. L’agente a conclu que la perception de richesse de M. Ricketts ne l’exposerait pas à un risque de préjudice suffisamment personnalisé en Jamaïque.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la décision de l’agente était raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[3]  M. Ricketts est âgé de 33 ans et est marié à une citoyenne canadienne. Il a affirmé dans sa demande d’ERAR qu’il apportait son aide dans l’éducation des deux enfants que son épouse a eus avec un partenaire précédent. Son épouse l’a parrainé pour qu’il obtienne le statut de résident permanent, mais leur relation a pris fin, et l’épouse a retiré son parrainage. M. Ricketts est accusé de voies de fait contre son épouse. Il a aussi deux enfants en Jamaïque, dont il subvient aux besoins en envoyant de l’argent à leur mère.

[4]  M. Ricketts est entré pour la première fois au Canada le 28 août 2013 à titre de travailleur étranger temporaire [TET]. Son permis de travail était valide jusqu’au 15 décembre 2013, après quoi il est retourné en Jamaïque. Il est entré à nouveau au Canada en qualité de TET le 28 août 2014. Son permis de travail était valide jusqu’au 15 décembre 2015, après quoi il est retourné en Jamaïque. Un nouveau permis de travail lui a été délivré le 20 mai 2015, lequel était valide jusqu’au 15 décembre 2015. Il est entré au Canada pour la dernière fois le 26 juillet 2016, muni d’un permis de travail qui était valide jusqu’au 15 décembre 2016. Il vit au Canada depuis ce temps.

[5]  M. Ricketts a demandé un ERAR le 19 juillet 2018. Il affirme que le responsable auprès duquel il a obtenu les documents lui a fait savoir qu’il pouvait remplir et présenter sa demande sans l’aide d’un avocat. Il a rempli les documents avec l’aide d’un ami. Il a décrit les risques auxquels il serait exposé en Jamaïque en ces termes :

[traduction]

La guerre des armes fait rage à Clarendon, en Jamaïque, où je retournerais. Les armes tuent chaque jour pour de l’argent. Si je devais quitter le Canada pour retourner en Jamaïque, je serais perçu comme étant riche et serais exposé au risque de perdre la vie. Le nombre d’agressions armées a monté en flèche en 2018 et continue d’augmenter.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  L’agente a examiné la question de savoir si les risques décrits par M. Ricketts avaient un lien avec l’un quelconque des motifs d’asile prévus à l’art. 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’agente a conclu que ce n’était pas le cas. Elle a conclu que M. Ricketts craignait la criminalité et la pauvreté, mais pas la persécution de l’État.

[7]  L’agente a ensuite examiné la question de savoir si les risques décrits par M. Ricketts faisaient de lui une personne à protéger au sens de l’al. 97(1)b) de la LIPR. Elle a reconnu que M. Ricketts avait produit de nombreux articles au sujet du taux élevé de criminalité en Jamaïque et de l’impunité relative dont jouissaient les délinquants. Elle a aussi effectué des recherches indépendantes sur la situation actuelle dans le pays.

[8]  L’agente a conclu que les risques auxquels était exposé M. Ricketts n’étaient pas assez personnalisés et étaient les mêmes auxquels sont exposés tous les citoyens de ce pays. Elle a aussi conclu que la Jamaïque exerçait un contrôle effectif sur son territoire et que le pays pouvait compter sur une force policière efficace et un appareil judiciaire qui est apte et déterminé à protéger ses citoyens contre la violence criminelle.

IV.  Question en litige

[9]  La seule question en litige soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agente était raisonnable.

V.  Analyse

[10]  La décision rendue par un agent d’ERAR est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Talipoglu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 172 au par. 22; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au par.  48). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au par. 100). Ces critères sont satisfaits si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et d’établir si celle-ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov aux par. 85 et 86, citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au par. 47).

[11]  M. Ricketts reconnaît que les risques qu’il a décrits à l’appui de sa demande d’ERAR n’ont pas de lien avec l’un quelconque des motifs d’asile prévus à l’art. 96 de la LIPR, et que sa demande d’asile se limitait à l’al. 97(1)b).

[12]  M. Ricketts affirme qu’il n’a pas compris le sérieux de sa demande d’ERAR, puisqu’il n’était pas représenté par un avocat au moment où il l’a présentée. Voilà un argument bizarre. M. Ricketts a prétendu que sa vie serait en péril s’il retournait en Jamaïque. Il est difficile de surestimer la gravité de la situation dans laquelle il prétend se trouver. Il semble n’avoir eu aucun problème à faire état des risques auxquels il serait exposé en Jamaïque, risques qui sont les mêmes que ceux que son avocat allègue devant la Cour. M. Ricketts n’a pas démontré que le fait de ne pas avoir été représenté par un avocat avait rendu la décision de l’agente inéquitable ou déraisonnable.

[13]  Le fait que les recherches indépendantes effectuées par l’agente étaient inappropriées et pas suffisamment équilibrées constituerait un argument plus substantiel. L’agente s’est fondée uniquement sur des passages d’un rapport du Département d’État des États‑Unis. M. Ricketts affirme que les extraits du rapport invoqués par l’agente présentaient un portrait plus favorable de la situation existant en Jamaïque que ce qui était justifié, et que l’agente a omis de mentionner d’autres passages qui étaient plus critiques et plus pessimistes quant à la situation dans le pays.

[14]  Le ministre ne conteste pas le fait que l’agente était tenue de mener des recherches indépendantes et de le faire d’une manière approfondie et impartiale. Toutefois, il affirme que les agents d’ERAR sont des spécialistes présumés avoir acquis des connaissances de la situation existant dans le pays dans l’exercice de leurs fonctions. Il n’était par conséquent pas nécessaire que l’agente cite tous les documents figurant dans le cartable national de documentation [le CND] sur la Jamaïque. Le Département d’État des États‑Unis est considéré comme une source d’information crédible, et les demandeurs comme les agents d’ERAR invoquent régulièrement ses rapports.

[15]  Il est bien établi que la richesse ou la perception de richesse ne constitue pas un fondement suffisant pour établir l’existence d’un risque personnalisé (Vickram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 457 au par. 13; Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331 aux par. 20 à 23). De plus, il n’y avait pas d’élément de preuve que M. Ricketts avait déjà été pris pour cible personnellement pendant ses nombreux retours en Jamaïque.

[16]  M. Ricketts a renvoyé à de nombreux articles confirmant le taux élevé de criminalité et l’impunité relative dont bénéficient les délinquants. Toutefois, selon ces articles, les victimes d’actes criminels violents sont en grande majorité des membres de gangs, des activistes politiques, des personnes impliquées dans de lucratives fraudes par loterie et les personnes vivant dans les collectivités « garnisons ». M. Ricketts n’a démontré aucun de ces facteurs de risque.

[17]  Bien que M. Ricketts puisse avoir préféré que l’agente cite des sources différentes, il est difficile de voir en quoi cela aurait pu changer l’ERAR. M. Ricketts n’a fourni aucun élément de preuve pour démontrer qu’il serait personnellement exposé à des risques (Wage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1109 aux par. 101 à 105; Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 au par. 15).

[18]  L’agente a reconnu que [traduction] « les meurtres, les enlèvements et les voies de fait, entre autres actes criminels, sont répandus en Jamaïque, et qu’un grand nombre de Jamaïcains et de Jamaïcaines sont les victimes de criminels ». Cette affirmation concorde de façon générale avec ce qu’a affirmé M. Ricketts dans sa demande d’ERAR. Faute d’éléments de preuve d’un risque personnalisé, toutefois, aucune recherche indépendante n’aurait pu mener à un ERAR qui soit favorable à M. Ricketts.

VI.  Question certifiée

[19]  M. Ricketts a demandé à la Cour de certifier une question en vue d’un appel sur la nature et l’ampleur de l’obligation des agents d’ERAR d’effectuer des recherches indépendantes, et sur la question de savoir si cette obligation englobe tous les documents figurant dans le CND.

[20]  La question déterminante en l’espèce est l’omission de M. Ricketts de démontrer un risque personnalisé de préjudice, et non pas la qualité des recherches effectuées par l’agente. La question proposée ne serait pas déterminante quant à l’issue d’un appel et, par conséquent, ne se prête pas à la certification (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 au par. 36).

VII.  Conclusion

[21]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[22]  M. Ricketts demande à la Cour de corriger l’orthographe de son nom, qui est Alphanso et non pas Alphonso. Le ministre n’a pas d’objection. L’intitulé est modifié en conséquence.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié pour corriger le nom du demandeur, qui est Marlon Alphanso Ricketts.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour d’avril 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1807-19

 

INTITULÉ :

MARLON ALPHANSO RICKETTS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Mary Jane Campigotto

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Campigotto Law Firm

Avocat

Windsor (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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