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Date : 20200323


Dossier : IMM-4097-16

Référence : 2020 CF 403

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2020

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

MAJURAN SRIKANTHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada [la SPR], datée du 24 août 2016 [la décision], dans laquelle la demande de statut de réfugié et de personne à protéger, présentée par le demandeur au titre des articles 96 et 97 de la LIPR, a été rejetée.

II.  LE CONTEXTE

[2]  Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule. Il a déménagé en Inde lorsqu’il avait dix-sept ans et est par la suite retourné au Sri Lanka en août 2015.

[3]  Peu après son retour au Sri Lanka, le demandeur a suivi des cours de matelotage à Colombo, du mois d’août à octobre 2015. Il a fourni plusieurs documents confirmant les dates et les titres des cours qu’il avait suivis. En particulier, une des attestations de cours indique que le demandeur a terminé un cours et qu’il a obtenu un certificat [traduction] d’« aptitude en sensibilisation à la sécurité » le 29 octobre 2015. Le demandeur a fait remarquer que, pendant ces cours, il vivait dans une auberge, à Colombo, qui était associée à l’école qu’il fréquentait.

[4]  Le demandeur dit qu’il a quitté Colombo le 24 octobre 2015 afin de rendre visite à son oncle à Thondamanaru, un village situé à environ six heures de route en autobus. Le demandeur dit que le jour de son arrivée, le 25 octobre 2015, son oncle a été tué par un coup de feu. Le demandeur soupçonnait que des officiers de l’armée en étaient responsables et affirme qu’il s’est renseigné au sujet de la mort de son oncle à un camp de l’armée sri-lankaise voisin. Le demandeur prétend qu’il a par la suite été placé en détention et menacé de mort par des officiers de l’armée le 29 octobre 2015. Le demandeur dit que, dans le but de détourner le blâme des parties responsables, les officiers l’ont accusé d’être impliqué dans la mort de son oncle.

[5]  Environ cinq semaines plus tard, le demandeur s’est plaint au Grama Niladhari de la région au sujet de l’incident du 2 décembre 2015, et a prétendu que [traduction« l’armée et les services de renseignement » le menaçaient. Le demandeur a également porté plainte le 3 décembre 2015 à la Commission des droits de la personne de la région, et a déclaré que [traduction« l’armée établi[rait] un lien entre [lui] et le meurtre de [s]on oncle ».

[6]  Le 18 janvier 2016, le demandeur a quitté le Sri Lanka pour les États-Unis d’Amérique [les É.-U.], en se servant de son propre passeport authentique. En avril 2016, il a traversé la frontière canadienne à pied et a par la suite déposé une demande de statut de réfugié et de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[7]  À la suite de deux audiences les 8 juin et 10 août 2016, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté et qu’il était peu probable que le demandeur soit personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[8]  Le demandeur a tenté d’interjeter appel de la décision de la SPR à la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés [la SAR]. L’appel a été rejeté en octobre 2016 pour défaut de compétence aux termes de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR, qui interdit aux personnes arrivant au Canada aux postes frontaliers terrestres depuis un pays désigné par règlement, ou partie à l’Entente sur les tiers pays sûrs (c.-à-d. les États-Unis d’Amérique), d’avoir recours à la SAR.

[9]  Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SPR rejetant sa demande de statut de réfugié et de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR (l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire), ainsi que de la décision de la SAR de rejeter son appel (l’objet du dossier IMM-4547-16). Les deux dossiers ont été mis en suspens. Le 6 septembre 2019, le demandeur s’est désisté de sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR (IMM-4547-16).

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]  La SPR a rejeté la demande de statut de réfugié et de personne à protéger, présentée par le demandeur, et a conclu qu’il manquait de crédibilité. Plus précisément, la SPR a fondé cette conclusion sur les éléments suivants : a) les incohérences entre le témoignage du demandeur et les documents relatifs à son cours de matelotage concernant ses allées et venues du 29 octobre 2015; b) son manque de crédibilité générale à la suite de son témoignage qui « manquait de naturel et était confus » concernant les faits qui avaient suivi la remise de la dépouille de son oncle, ainsi que son retour à Thondamanaru malgré sa crainte alléguée d’être retrouvé par les autorités; c) sa capacité de quitter le Sri Lanka sans incident, tout en se servant de son propre passeport authentique.

A.  Les allées et venues du 29 octobre 2015

[11]  Lors de son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il avait quitté Colombo le 24 octobre 2015 et avait été placé en détention et menacé par des officiers de l’armée, quatre jours après la mort de son oncle à Thondamanaru, le 29 octobre 2015. Toutefois, la SPR a fait remarquer que son attestation de cours [traduction] d’« aptitude en sensibilisation à la sécurité » indiquait qu’il avait réussi le cours de six heures à Colombo le 29 octobre 2015.

[12]  Le demandeur a expliqué dans son témoignage qu’il avait suivi le cours le 24 octobre 2015, et que la date du 29 octobre 2015 avait été indiquée par erreur comme la date d’achèvement, étant donné qu’il s’agissait de la date de fermeture de l’école avant la période des vacances. Néanmoins, compte tenu de l’incapacité du demandeur à fournir des documents à l’appui et de son incapacité à nommer la fête pour laquelle l’école fermait, la SPR a conclu que son témoignage sur cette divergence n’était pas crédible. Ainsi, la SPR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité, ce qui soulevait des doutes sur toute l’histoire du demandeur.

B.  La crédibilité générale

[13]  La SPR a également conclu que le témoignage du demandeur manquait de crédibilité en général. En premier lieu, la SPR a souligné que son témoignage concernant les faits qui avaient suivi la remise de la dépouille de son oncle « manquait de naturel et était confus ». Le demandeur a déclaré que 50 à 60 personnes étaient présentes à la maison de son oncle lorsque la dépouille de son oncle a été incinérée, mais la SPR a fait remarquer que, malgré le fait que cela lui a été demandé à plusieurs reprises, il n’a pas été en mesure d’expliquer comment ces personnes avaient été averties de la mort de son oncle ou comment elles se sont trouvées à la maison.

[14]  En deuxième lieu, la SPR a souligné que le demandeur était retourné à plusieurs reprises à la maison de son oncle, à Thondamanaru, à la suite de sa détention prétendue du 29 octobre 2015. Lorsqu’il fut demandé au demandeur pourquoi il avait continué de retourner à la maison de son oncle, où les officiers de l’armée pouvaient facilement le trouver, et pourquoi rien ne lui était arrivé à cet endroit par la suite, a noté la SPR, le demandeur n’a pas été en mesure de fournir une explication, bien que la question lui ait été posée à plusieurs reprises. Ainsi, la SPR a conclu que son témoignage à cet égard était « confus et illogique ».

[15]  En raison de ces préoccupations concernant le témoignage du demandeur, la SPR a tiré des inférences générales défavorables quant à la crédibilité. La SPR a reconnu les difficultés à témoigner « dans un endroit non familier, par l’intermédiaire d’un interprète », mais elle a souligné que le demandeur « [était] un homme instruit et avisé, qui a[vait] voyagé ».

C.  La capacité de quitter le Sri Lanka

[16]  Finalement, la SPR a conclu que, si les autorités s’étaient intéressées au demandeur, il n’aurait pas été autorisé à quitter le Sri Lanka par avion, en se servant de son propre passeport, et il aurait encore moins été remis en liberté le 29 octobre 2015. La SPR a invoqué un rapport du Home Office du Royaume-Uni, dans le cartable national de documentation, qui mentionne que les autorités sri-lankaises ont la capacité d’accéder à une liste d’alertes pour repérer les passagers qui sont recherchés. La SPR a conclu que « ce détail porte sur l’essentiel de la demande d’asile du demandeur [...], parce que ce dernier craint des responsables de l’armée et de la police, soit des autorités de l’État ».

[17]  La SPR a reconnu que le demandeur avait déposé des plaintes auprès du Grama Niladhari du village et de la Commission des droits de la personne de la région, mais elle a conclu qu’elles n’ont pas été présentées immédiatement après les incidents allégués et qu’elles avaient probablement été présentées « dans le but d’obtenir des documents pour étayer une demande d’asile et pour nulle autre raison ».

[18]  Pour ces motifs, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’était pas exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution et qu’il était peu probable que le demandeur soit exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[19]  Les questions soulevées dans le cadre de la présente demande sont les suivantes :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion quant à la crédibilité?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve corroborants qui étaient pertinents?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[20]  Les mémoires des parties en l’espèce ont été fournis avant les arrêts récents de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Les observations des parties sur la norme de contrôle ont donc été présentées selon le cadre d’analyse établi dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. À l’audience de la présente affaire, la Cour a demandé aux parties si elles voulaient modifier leurs observations sur les normes de contrôle applicables en l’espèce. Aucune partie n’a suggéré de modifications importantes. J’ai appliqué le cadre d’analyse établi dans Vavilov à mon examen de la demande, et conclu que, comparativement à une analyse selon le cadre d’analyse établi dans Dunsmuir, la norme de contrôle applicable n’a pas changé en l’espèce, et mes conclusions non plus.

[21]  Dans Vavilov, aux par. 23 à 32, les juges majoritaires ont voulu simplifier la manière dont une cour de révision choisit la norme de contrôle applicable aux questions en litige dont elle est saisie. Les juges majoritaires sont passés d’une approche contextuelle et orientée vers des catégories, adoptée dans l’arrêt Dunsmuir, à l’instauration d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Toutefois, les juges majoritaires ont fait remarquer que cette présomption pouvait être réfutée : (1) s’il y a une intention claire du législateur de prescrire l’application d’une norme de contrôle différente (Vavilov, aux par. 33 à 52), et (2) si la primauté du droit exige l’application de la norme de la décision correcte à l’égard de certains types de questions, telles les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53 à 64).

[22]  Rien ne permet de réfuter la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce. L’application de la norme de la décision raisonnable à ces questions est également conforme à la jurisprudence qui existait avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Vavilov. Voir, par exemple, Omoijiade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1533, au par. 32, concernant le contrôle par la Cour de conclusions de la SPR quant à la crédibilité, et Wickramasinghe Arachchige Dona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 419, au par. 15, concernant le contrôle de l’appréciation de la preuve par la SPR.

[23]  Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse portera sur la question de savoir si elle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, au par. 99). La décision raisonnable est une norme de contrôle unique qui varie et qui « s’adapte au contexte » (Vavilov, au par. 89, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » (Vavilov, au par. 90). En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada énumère deux catégories de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : (1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur; (2) le caractère indéfendable « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, au par. 101).

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[24]  Les dispositions législatives suivantes de la LIPR sont pertinentes à l’égard de la présente demande de contrôle judiciaire :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays ;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture ;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

VII.  LES ARGUMENTS

A.  Le demandeur

[25]  Le demandeur soutient que la SPR a commis de nombreuses erreurs fatales dans l’appréciation de sa crédibilité et n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants qui étaient pertinents, qui corroboraient sa demande et qui réfutaient les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité. Par conséquent, le demandeur demande que la Cour accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

(1)  Les conclusions quant à la crédibilité

[26]  Le demandeur fait valoir que la SPR a commis de nombreuses erreurs déterminantes dans ses conclusions quant à la crédibilité. Plus particulièrement, le demandeur dit que la SPR a commis des erreurs : (1) en rejetant déraisonnablement du revers de la main son explication de l’incohérence apparente concernant ses allées et venues le 29 octobre 2015; (2) en ne fournissant pas d’exemples expliquant pourquoi le témoignage du demandeur concernant les faits qui avaient suivi la mort de son oncle « manquait de naturel et était confus »; (3) en appliquant des [traduction« normes occidentales » pour apprécier la logique et la vraisemblance du témoignage du demandeur quant aux motifs pour lesquels il avait évité Colombo, et non Thondamanaru; (4) en n’appréciant pas le départ du demandeur du Sri Lanka selon la réalité des mauvais traitements extrajudiciaires, et selon le contexte global du rapport du Home Office du Royaume-Uni.

[27]  En premier lieu, le demandeur dit qu’il a clairement expliqué la raison pour laquelle il y avait une divergence entre la date inscrite sur l’attestation de cours et celle à laquelle il avait terminé le cours. Le demandeur précise que ses réponses à ce sujet étaient [traduction« directes et cohérentes » et n’étaient certainement pas invraisemblables. Ainsi, le demandeur déclare que la SPR a commis une erreur en rejetant simplement son explication [traduction« du revers de la main ».

[28]  En deuxième lieu, le demandeur fait remarquer que la SPR n’a pas fourni d’exemple pour appuyer son affirmation selon laquelle son témoignage concernant les faits qui avaient suivi la mort de son oncle « manquait de naturel et était confus ». Il dit que la SPR était manifestement préoccupée par la façon dont 50 à 60 personnes auraient été averties de la mort de son oncle, malgré le fait qu’il a expliqué qu’un parent, qu’il avait appelé peu après avoir appris ce qui était arrivé, avait répandu la nouvelle dans le petit village. Ainsi, il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que son témoignage à ce sujet « manquait de naturel et était confus ». La Cour d’appel fédérale a statué qu’une personne peut sembler hésitante, mais peut néanmoins dire la vérité au sujet de faits douloureux, citant Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228, au par. 6 [Hilo].

[29]  En troisième lieu, le demandeur dit que la SPR a commis une erreur en ne fournissant pas d’exemples de confusion concernant sa décision d’éviter Colombo en faveur de Thondamanaru, et en appréciant la décision selon des [traduction« normes occidentales » de logique et d’invraisemblance. Le demandeur fait remarquer que, lors de son témoignage, il a clairement déclaré qu’il était demeuré à Thondamanaru, parce que les membres de sa famille lui avaient conseillé d’y rester. Voir Miwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 171 FTR 294, aux par. 20 à 22 [Miwa].

[30]  En quatrième lieu, le demandeur fait valoir que la SPR a apprécié de manière erronée son départ du Sri Lanka en tirant des conclusions d’invraisemblance hypothétiques qui n’étaient pas fondées sur le contexte ou la preuve soumise. Le demandeur souligne que la SPR n’a pas tenu compte du fait que la preuve concernant la capacité des autorités sri-lankaises à empêcher des personnes recherchées de quitter le pays par avion ne s’appliquait pas dans les situations où la persécution découle d’un mauvais traitement extrajudiciaire. Quoi qu’il en soit, le demandeur fait remarquer qu’il n’a pas le fardeau de démontrer que ses persécuteurs sont rationnels.

[31]  De plus, le demandeur précise que la preuve dans le cartable national de documentation sur laquelle s’est appuyée la SPR renvoie au traitement des personnes retournant au pays plutôt que de celles le quittant, et mentionne expressément qu’il « n’y a aucune preuve concrète permettant d’affirmer que la base de données contient de l’information sur chaque personne qui a été détenue par la police ou l’armée ». Le demandeur soutient que la présente affaire est analogue à la décision de la Cour dans Yoosuff c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1116 [Yoosuff], où la Cour a fait remarquer ce qui suit :

[9]  Il est déjà arrivé que l’armée sri-lankaise arrête et détienne des personnes innocentes pour les interroger. Il est également connu qu’elle oblige parfois les détenus à acheter leur libération. Elle n’avait peut-être pas de motif pour arrêter M. Yoosuff en qualité de partisan des TLET, mais elle aurait pu penser qu’en agissant de cette façon, ce dernier arrêterait de vendre ses produits aux TLET. Quant à la facilité avec laquelle M. Yoosuff a quitté le Sri Lanka, la Commission ne disposait d’aucun élément indiquant que l’armée sri-lankaise et les autorités de contrôle des frontières se transmettaient des renseignements au sujet des personnes recherchées (voir : Abdul c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 260 (CanLII), [2003] A.C.F. no 352 (1re inst.)(QL)).

(2)  L’appréciation de la preuve corroborante

[32]  Le demandeur fait également valoir que la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents qui corroboraient son allégation de persécution et de risque de préjudice et, ainsi, n’a pas été sensible à ses observations.

[33]  Plus particulièrement, le demandeur dit que la SPR n’a pas même pas fait mention d’éléments de preuve pertinents, tels : (1) l’article de journal confirmant que son oncle avait été tué par un coup de feu et que l’armée avait emporté son corps; (2) les déclarations qu’il a faites aux autorités des É.-U.; (3) la lettre du Grama Niladhari; (4) le certificat de décès de son oncle. Le demandeur souligne que ces éléments de preuve corroborent clairement sa demande et contredit les conclusions de la SPR quant à la crédibilité.

[34]  De plus, le demandeur fait valoir que la SPR a rejeté à tort ses plaintes au Grama Niladhari et à la Commission des droits de la personne en raison de retards. Le demandeur fait valoir qu’il a déposé ces plaintes à peine cinq semaines après avoir été placé en détention et qu’il n’a quitté le Sri Lanka qu’environ six semaines plus tard.

B.  Le défendeur

[35]  Le défendeur soutient ce qui suit : (1) les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient raisonnables, puisqu’elles étaient fondées sur la preuve soumise et étaient clairement énoncées dans sa décision; (2) la SPR a raisonnablement apprécié l’ensemble de la preuve dont elle disposait, et n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions quant à la crédibilité. Le défendeur soutient que la Cour devrait donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

(1)  Les conclusions quant à la crédibilité

[36]  Le défendeur fait valoir que la SPR a mené une analyse raisonnable de la demande du demandeur, et il lui était loisible de conclure que la demande manquait de crédibilité suffisante. Plus particulièrement, le défendeur souligne que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient raisonnables, étant donné que la SPR : (1) a raisonnablement privilégié la preuve documentaire concernant les allées et venues du demandeur le 29 octobre 2015 à son témoignage peu convaincant; (2) a clairement fourni des exemples précis expliquant pourquoi elle a conclu que le témoignage du demandeur « manquait de naturel et était confus »; (3) a expressément tenu compte des caractéristiques personnelles du demandeur lors de l’appréciation de son témoignage; (4) a raisonnablement fondé ses conclusions concernant la capacité du demandeur à quitter le Sri Lanka sur la preuve dont elle disposait et la jurisprudence pertinente.

[37]  Premièrement, le défendeur fait remarquer que le demandeur a présenté une preuve documentaire qui contredisait directement son allégation selon laquelle il avait été détenu à Thondamanaru le 29 octobre 2015. Le demandeur a eu amplement l’occasion d’expliquer la divergence, étant donné qu’il a présenté l’attestation de cours contradictoire à la première audience en juin 2016, qu’il a eu de nombreuses occasions d’expliquer la divergence à la deuxième audience le 10 août 2016, et qu’il a eu jusqu’au 24 août 2016 pour présenter une preuve après l’audience susceptible de confirmer que la date sur l’attestation était erronée ou pour établir la fête pour laquelle l’école était prétendument fermée. Compte tenu des circonstances, le défendeur souligne qu’il était tout à fait raisonnable de la part de la SPR de privilégier la preuve documentaire présentée par le demandeur et de fonder ses conclusions sur celle-ci.

[38]  Deuxièmement, le défendeur dit que la SPR a clairement fourni des exemples pour justifier ses conclusions selon lesquelles le témoignage du demandeur « manquait de naturel et était confus ». Le défendeur souligne la mention expresse de la SPR du défaut du demandeur d’expliquer les faits qui ont eu lieu après la remise de la dépouille de son oncle, ainsi que l’explication du demandeur quant à savoir pourquoi il est resté à Thondamanaru à la suite de sa détention alléguée.

[39]  Troisièmement, le défendeur maintient que la SPR n’a pas commis d’erreur en appréciant le témoignage du demandeur selon des [traduction« normes occidentales ». En fait, le défendeur souligne que la SPR a expressément tenu compte du témoignage du demandeur selon ses caractéristiques personnelles comme l’exige la Cour dans Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429. Il était par conséquent raisonnable de la part de la SPR de conclure que son témoignage expliquant la raison pour laquelle il était demeuré à Thondamanaru était illogique, étant donné que le demandeur n’a pas expliqué pourquoi les membres de sa famille voulaient qu’il y reste, malgré le risque évident pour sa sécurité.

[40]  Quatrièmement, le défendeur fait valoir que la SPR a raisonnablement conclu que la capacité du demandeur à quitter le Sri Lanka par avion en se servant de son propre passeport authentique a miné sa demande dans son ensemble. Le défendeur fait remarquer que, contrairement à la décision de la Cour dans Yoosuff, la SPR disposait d’une preuve évidente qui démontrait la capacité des autorités sri-lankaises à empêcher les personnes recherchées de quitter le pays par avion. Le défendeur fait également remarquer que la conclusion de la SPR est conforme aux décisions de la Cour dans Mahalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 470, au par. 12 [Mahalingam]; Sugirtha Fernando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 392, aux par. 9 et 10; Suppaiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 429, au par. 36 [Suppaiah]; SK c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 78, au par. 19 [SK].

(2)  L’appréciation de la preuve corroborante

[41]  Le défendeur soutient que l’appréciation par la SPR de la preuve en l’espèce était complète et raisonnable.

[42]  Le défendeur fait remarquer qu’il est établi en droit que « le décideur est présumé avoir soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que l’on démontre le contraire » et que le « défaut de mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte ». Le défendeur cite à l’appui Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230, au par. 48.

[43]  En ce qui concerne le certificat de décès de l’oncle et l’article de journal confirmant la mort par un coup de feu, le défendeur souligne que la SPR n’a jamais remis en question le fait que l’oncle avait été tué. La SPR s’est plutôt demandé si le demandeur avait été visé, compte tenu de la mort de son oncle. En ce qui concerne les déclarations faites par le demandeur aux autorités des É.-U. et la lettre du Grama Niladhari, le défendeur souligne que ces éléments de preuve sont essentiellement fondés sur une preuve que le demandeur a lui-même rapportée et que, ainsi, elle ne contredit pas les conclusions de la SPR quant à la crédibilité du demandeur.

[44]  Enfin, en ce qui concerne les plaintes du demandeur au Grama Niladhari et à la Commission des droits de la personne, le défendeur fait remarquer que le demandeur ne conteste pas la chronologie des faits faite par la SPR et ne précise pas la raison pour laquelle les conclusions de la SPR étaient déraisonnables.

VIII.  ANALYSE

[45]  Le demandeur a soulevé plusieurs questions à examiner. La décision est fondée sur une série d’inférences défavorables quant à la crédibilité. Toutefois, il est important de retenir le contexte général dans lequel la SPR a apprécié la crédibilité du demandeur. Le demandeur a dit que l’armée l’avait interrogé à une occasion concernant la mort de son oncle, mais comme la SPR le souligne au par. 24 de la décision, « si les autorités de l’armée avaient été préoccupées par le comportement du demandeur d’asile, ils ne l’auraient pas remis en liberté ». Il s’agissait d’une inférence défavorable importante quant à la crédibilité.

[46]  Le demandeur a dit craindre que les autorités sri-lankaises l’impliquent dans la mort de son oncle. Toutefois, après que le demandeur a été interrogé au camp de l’armée et remis en liberté, rien ne prouve que les autorités sri-lankaises ont tenté de retrouver le demandeur ou qu’ils souhaitent toujours le retrouver. Cela a obligé la SPR à questionner le demandeur en profondeur au sujet du fondement de ses craintes. Les inférences défavorables quant à la crédibilité ont été le résultat de cet interrogatoire approfondi.

A.  La preuve documentaire incohérente

[47]  Le demandeur a dit qu’il avait été interrogé par les autorités à Thondamanaru, le 29 octobre 2015, alors que l’attestation de son cours de matelotage mentionne qu’il s’est présenté à un cours de six heures, à Colombo, la même journée.

[48]  Lorsque le demandeur a été interrogé au sujet de cette incohérence apparente, il a déclaré que la date de l’attestation était erronée, qu’en réalité, la dernière journée où il s’était présenté au cours de matelotage était le 24 octobre 2015 et que la date du certificat (29 octobre 2015) était la dernière journée avant que l’école ferme pour la période des vacances. La SPR a conclu que la date sur le certificat « soul[evait] des doutes quant à l’ensemble du récit du demandeur » et que « son explication quant aux dates n’[était] pas logique ».

[49]  Le demandeur dit maintenant qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de rejeter son explication [traduction« du revers de la main ». Il dit qu’il a fourni, sans hésitation, des réponses [traduction« directes et cohérentes » et que son explication n’était pas invraisemblable.

[50]  La SPR a adopté le raisonnement suivant :

[14]  Le tribunal a répété au demandeur d’asile que les responsables de l’armée l’avaient appréhendé quatre jours après le décès de son oncle et lui a demandé de confirmer que c’était le 29 octobre 2015. Le demandeur d’asile a acquiescé.

[15]  Le tribunal a ensuite demandé au demandeur d’asile pourquoi, s’il se trouvait à Thondamanaru en train d’être questionné par des responsables de l’armée le 29 octobre 2015, il était inscrit sur l’un des certificats de son cours de matelotage qu’il avait suivi un cours de six heures à Colombo le 29 octobre 2015.

[16]  Le demandeur d’asile a ensuite affirmé que l’école avait réservé une date postérieure pour un cours qu’il avait suivi précédemment. Le tribunal lui a demandé comment il savait cela; le demandeur d’asile a déclaré que le personnel de l’école lui avait dit que la date de délivrance serait inscrite, et qu’une date postérieure serait associée à la matière enseignée précédemment. Le tribunal a fait remarquer qu’aussi bien la date d’achèvement du cours que la date de délivrance du certificat étaient inscrites sur ledit certificat. Ces deux dates étaient le 29 octobre 2015.

[17]  Le tribunal a demandé au demandeur d’asile si les dates inscrites sur les autres certificats étaient incorrectes, et ce dernier a répondu qu’elles l’étaient seulement sur le dernier certificat. Dans son témoignage, le demandeur d’asile a ajouté que sa dernière journée de cours avait eu lieu le 24 octobre 2015. Le tribunal lui a demandé de nouveau pourquoi le certificat daté du 29 octobre portait une date erronée alors que tous les autres certificats portaient la bonne date. Le demandeur d’asile a expliqué qu’il s’agissait de la date de fermeture, que les examens avaient déjà eu lieu et qu’à la délivrance du certificat, la date de fermeture y avait été inscrite. Prié d’expliquer ce qu’il entendait par date de fermeture, le demandeur d’asile a affirmé que l’école fermait ses portes pour la période des vacances. Le conseil du demandeur d’asile a demandé à ce dernier de quelles vacances il s’agissait, et le demandeur d’asile a répondu qu’il ne le savait pas. Le conseil a demandé à quelles dates avaient lieu les vacances, et le demandeur d’asile a dit qu’il ne le savait pas.

[18]  Le tribunal souligne que le demandeur d’asile a communiqué ces documents à la première séance, le 8 juin 2016. Le demandeur d’asile n’y a pas joint de note selon laquelle la date inscrite sur le certificat du dernier cours était incorrecte.

[19]  Le tribunal estime que les explications fournies par le demandeur d’asile en ce qui concerne la date inscrite sur le certificat ne sont pas crédibles ni raisonnables, et il en tire une inférence défavorable quant à sa crédibilité. Le tribunal juge que le certificat portant date du 29 octobre 2015 soulève des doutes quant à l’ensemble du récit du demandeur d’asile et estime également que son explication quant aux dates n’est pas logique.

[51]  Premièrement, à la suite d’un simple examen de ces paragraphes, je ne pense pas que l’on puisse dire que la SPR a rejeté les explications du demandeur [traduction« du revers de la main ».

[52]  Deuxièmement, l’explication du demandeur passe du fait que l’école avait fixé une date ultérieure pour un cours qu’il avait suivi plus tôt au fait que l’école avait plutôt inscrit la date de fermeture.

[53]  Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il entendait par [traduction« date de fermeture », il a dit qu’il s’agissait de la date où l’école fermait pour la période des vacances. Toutefois, le demandeur ne pouvait pas préciser de quelles vacances il s’agissait lorsque la question lui a été posée par son avocat, et ne pouvait pas fournir de dates pour la période des vacances.

[54]  Le demandeur n’a pas étayé son explication d’une quelconque façon, malgré le fait qu’il a présenté les attestations à la première séance de l’audience en juin 2016, sans explication pour la divergence dans les dates, et n’a pas tenté, après l’audience, d’étayer son explication en demandant à l’école de confirmer que la date sur l’attestation était erronée ou qu’elle avait fermé pour la période des vacances le 29 octobre 2015.

[55]  Le demandeur a qualifié cela de conclusion déraisonnable quant à la vraisemblance, mais, comme l’a expliqué la SPR, il s’agit simplement d’une contradiction dans la preuve du demandeur qu’il n’était pas en mesure d’expliquer ou d’étayer et qui, considérée isolément, ne met pas en échec l’ensemble de sa demande, mais soulève « des doutes quant à l’ensemble du récit du demandeur ». Je ne pense pas que les préoccupations ou les conclusions de la SPR sur cette question étaient déraisonnables. Le demandeur a eu l’occasion d’expliquer une contradiction au sujet des dates et il n’a pas été en mesure de fournir d’explication satisfaisante.

B.  Le témoignage confus et manquant de naturel

[56]  La SPR a tiré les conclusions suivantes au sujet de la crainte du demandeur d’être victime de préjudice de la part des autorités sri-lankaises :

[20]  Le tribunal a eu de la difficulté à suivre le compte rendu donné par le demandeur d’asile de son comportement à la suite du retour de la dépouille de son oncle. Le témoignage du demandeur d’asile manquait de naturel et était confus. Dans son témoignage, le demandeur d’asile a expliqué que la dépouille de son oncle avait été déposée à son domicile par des officiers de l’armée, qui avaient affirmé qu’ils l’avaient trouvée. Le demandeur d’asile a par la suite ajouté que le corps avait été incinéré et que de 50 à 60 personnes se trouvaient au domicile. Le demandeur d’asile n’a toutefois pas su expliquer comment ces personnes avaient appris le décès de l’oncle et pourquoi elles se trouvaient chez lui. Le tribunal et le conseil lui ont demandé à plusieurs reprises d’expliquer, étape par étape, ce qui s’était produit après que les soldats ont rapporté la dépouille. Le demandeur d’asile a été incapable de le faire, et le tribunal tire de ce fait une inférence défavorable quant à la crédibilité.

[21]  Dans son témoignage, le demandeur d’asile a affirmé qu’il avait peur de demeurer à Colombo parce qu’il craignait que les responsables de l’armée y retrouvent sa trace. Pourtant, le tribunal remarque que le demandeur d’asile retournait toujours à Thondamanaru, exactement à l’endroit où les responsables de l’armée savaient qu’ils pourraient le trouver. Le demandeur d’asile a été prié, à plusieurs reprises, d’expliquer pourquoi il craignait les responsables de l’armée à Colombo compte tenu de son témoignage selon lequel rien ne s’était produit dans cette ville et l’armée savait où le trouver au domicile de son oncle. Le demandeur d’asile a été incapable de fournir une explication. Le tribunal juge que le témoignage rendu par le demandeur d’asile en ce qui concerne sa crainte des responsables est confus et illogique, et il tire de ce fait une inférence défavorable quant à la crédibilité.

[22]  Le demandeur d’asile a insisté sur le fait qu’il avait trop peur de demeurer à Colombo parce qu’il craignait que les responsables de l’armée y retrouvent sa trace, mais il est plutôt retourné à la maison à Thondamanaru où son oncle habitait et où les responsables de l’armée l’avaient vu (lorsqu’ils ont rapporté la dépouille de son oncle).

[57]  En s’appuyant sur Hilo, précité, le demandeur s’oppose à l’utilisation des termes « manquait de naturel » et « confus » utilisés par la SPR et dit que la SPR n’a pas donné d’exemple de ce que cela signifiait.

[58]  Le demandeur demande à la Cour de remettre en question l’appréciation de la SPR, malgré le fait que celle-ci a vu le demandeur témoigner, alors que ce n’est pas le cas de la Cour. Le demandeur dit également que la SPR aurait dû clarifier le sens des deux termes, alors que le problème évident pour la SPR était que le demandeur ne pouvait pas expliquer de façon satisfaisante, même lorsque son propre avocat lui posait la question, ce qui était arrivé après que les soldats eurent remis la dépouille de son oncle.

[59]  Toutefois, le principal problème était que le demandeur alléguait craindre les officiers de l’armée, mais « retournait toujours à Thondamanaru, exactement à l’endroit où les responsables de l’armée savaient qu’ils pourraient le trouver ». C’est pour cette raison que son témoignage selon lequel il craignait les officiers de l’armée a été jugé « confus et illogique ». Il s’agit également, selon mon interprétation de la décision, de ce que la SPR entend par « manquait de naturel » et « confus ». Le demandeur n’a pas pu expliquer la contradiction entre sa crainte et ses actions au Sri Lanka.

C.  Les normes occidentales

[60]  Le demandeur s’est interrogé sur l’utilisation par la SPR du mot « illogique » en disant que la SPR avait appliqué des normes occidentales. Cela n’est rien de plus qu’une simple affirmation. Le demandeur ne s’est pas fondé sur une norme ou une coutume sri-lankaise qui donneraient un sens à sa décision de se mettre en danger à l’égard des mêmes personnes qu’il prétend craindre. Il a déclaré que les membres de sa famille lui avaient dit de rester à Thondamanaru, mais il n’explique pas pourquoi ils lui auraient dit de le faire si cela le mettait en danger ni quelle norme ou quelle coutume sri-lankaise les porterait à fournir un conseil aussi illogique, selon les normes occidentales. Il n’a pas non plus été en mesure d’expliquer pourquoi il écouterait ce conseil s’il avait vraiment peur.

[61]  Le demandeur dit également que la SPR a appliqué des normes occidentales [traduction« concernant la présentation de son témoignage ». Encore une fois, le demandeur n’a pas précisé quelles normes sri-lankaises auraient dû être prises en considération et appliquées, ni comment elles diffèrent des normes occidentales.

[62]  Le demandeur s’appuie sur Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 437 (CAF) et Miwa, précitée. Toutefois, je ne vois pas comment les faits ou le fondement de ces décisions s’appliquent en l’espèce. Le demandeur dit qu’il a [traduction« fourni une explication sur la façon dont les nouvelles s’étaient répandues » et que [traduction« dans une petite région, quand un événement significatif a lieu, le mot peut vraisemblablement se répandre rapidement, sans que le demandeur y soit mêlé ».

[63]  Le demandeur paraît renvoyer aux commentaires suivants de la SPR au par. 20 de la décision :

[...] Dans son témoignage, le demandeur d’asile a expliqué que la dépouille de son oncle avait été déposée à son domicile par des officiers de l’armée, qui avaient affirmé qu’ils l’avaient trouvée. Le demandeur d’asile a par la suite ajouté que le corps avait été incinéré et que de 50 à 60 personnes se trouvaient au domicile. Le demandeur d’asile n’a toutefois pas su expliquer comment ces personnes avaient appris le décès de l’oncle et pourquoi elles se trouvaient chez lui. Le tribunal et le conseil lui ont demandé à plusieurs reprises d’expliquer, étape par étape, ce qui s’était produit après que les soldats ont rapporté la dépouille. Le demandeur d’asile a été incapable de le faire, et le tribunal tire de ce fait une inférence défavorable quant à la crédibilité.

[64]  J’ai examiné la suite des faits qui se trouve dans le dossier certifié du tribunal [le DCT], où à la fois la SPR et le propre avocat du demandeur ont tenté d’obtenir des précisions pour étayer l’histoire du demandeur. Je ne crois pas que le résumé de ces faits par la SPR, au par. 20 de la décision, soit inexact ou déraisonnable et, encore une fois, la SPR est celle qui a vu et entendu le demandeur faire son témoignage, et non la Cour.

[65]  La question réelle pour la SPR dans ce contexte était la divergence entre les craintes du demandeur et le défaut de celui-ci de s’éloigner de la source déclarée de danger. En traitant de cette question, la SPR montre qu’elle est pleinement informée des difficultés que le demandeur a pu avoir en s’expliquant dans un environnement non familier, et qu’elle les a prises en considération :

[23]  Le tribunal reconnaît qu’il est difficile de rendre un témoignage dans un endroit non familier, par l’intermédiaire d’un interprète. Le tribunal souligne cependant que le demandeur d’asile est un homme instruit et avisé, qui a voyagé : le demandeur d’asile a travaillé en Inde comme mécanicien automobile; il a réussi son cours de matelotage au Sri Lanka; il a voyagé de l’Inde au Sri Lanka par lui-même; il s’est rendu au Canada en passant par le Qatar, le Mexique et les États-Unis; et il est un adulte mature. Le tribunal estime donc que le témoignage du demandeur d’asile concernant sa crainte de demeurer à Colombo ne sonne pas juste, étant donné que les autorités de l’armée ne l’ont pas abordé à Colombo. Le demandeur d’asile a vécu et étudié dans cette ville sans incident. Il a obtenu son passeport dans cette ville et y est allé chercher son manuel de cours de matelotage et tous ses certificats d’études. Il ne vivait pas avec sa famille dans cette ville, mais plutôt dans son propre logement associé à son école.

[24]  Le tribunal souligne que le demandeur d’asile a été relâché par les responsables de l’armée qui, selon lui, s’intéressaient à lui en raison du décès suspect de son oncle. Le tribunal juge, tout compte fait, que si les autorités de l’armée avaient été préoccupées par le comportement du demandeur d’asile, ils ne l’auraient pas remis en liberté.

[66]  Le demandeur dit également qu’il était déraisonnable de conclure qu’il était « avisé ».

[67]  Au par. 23, la SPR dit que le demandeur est « est un homme instruit et avisé, qui a voyagé ». Il se peut qu’« avisé » ne soit pas une façon précise d’exprimer l’idée globale qu’énonce la SPR au par. 23, lorsqu’elle est lue dans son ensemble. De toute évidence, la SPR veut dire que le niveau d’études et d’expérience dans le monde ne donne pas à penser que le demandeur est le type de personne qui ne serait pas en mesure d’expliquer de façon adéquate sa crainte de demeurer à Colombo, étant donné son expérience sans incident à cet endroit. Le demandeur a fait une analyse trop minutieuse.

D.  Le fait d’avoir quitté le Sri Lanka avec son propre passeport

[68]  Le demandeur s’appuie fortement sur le traitement de cette question par la SPR à titre de motif du caractère déraisonnable :

[traduction

13.  Voir le par. 27, (dossier, page 12) : la SPR a conclu que, du fait que le demandeur avait quitté le Sri Lanka avec son propre passeport et qu’il n’avait pas été arrêté à l’aéroport, les autorités ne cherchaient pas à l’arrêter. La SPR est déraisonnable en ce sens que la preuve qu’elle mentionne ne renvoie pas au mauvais traitement extrajudiciaire, mais seulement aux processus juridiques. Dans Padilla, (1991), 13 Imm LR (Zd) 1 (CAF), la Cour d’appel a conclu que la Commission avait précisé la différence entre les processus juridiques et le mauvais traitement extrajudiciaire, et a décidé que la Commission devait prendre en considération les pénalités extrajudiciaires qui pouvaient être imposées.

14.  De plus, le demandeur n’avait pas le fardeau de démontrer que les autorités étaient rationnelles.

15.  Une décision pertinente faisant autorité est Lachowski. La Cour, dans Lachowski (1992), 18 Imm LR (Zd) 134, 59 FTR 44, a conclu que la facilité avec laquelle le demandeur avait quitté le pays était conforme au souhait du gouvernement de l’Argentine de se débarrasser du demandeur :

[traduction

[...] puisqu’il est évident que ceux qui le persécutaient voulaient l’empêcher de prendre part à toute autre activité antigouvernementale ou anti-forces militaires, ce qu’il ne voulait pas faire, il est raisonnable de supposer qu’ils étaient ravis de se débarrasser de lui en lui faisant quitter le pays. [...] La facilité avec laquelle il a quitté le pays ne peut certainement pas être considérée comme soulevant des doutes sur la crédibilité de sa preuve.

16.  De plus, le document que cite la SPR figure dans le DCT, à la p. 132. La SPR a commis une erreur, parce que le contexte du passage renvoie au traitement de ceux qui retournent dans leur pays, étant donné que le passage suit une analyse du rapport du Royaume-Uni qui renvoie clairement aux personnes qui retournent dans leur pays.

17.  À titre subsidiaire, la SPR a commis une erreur, parce que la citation, à la dernière ligne, énonce qu’il n’existe aucune preuve concrète selon laquelle la base de données contient des renseignements sur toutes les personnes qui ont été détenues. La SPR a commis une erreur en concluant que chaque personne qui intéresse les autorités serait enregistrée dans la base de données à l’aéroport.

18.  Si la Cour est convaincue qu’il y a une erreur, l’erreur est fatale, puisque la SPR a jugé que cette conclusion était au cœur de la demande (voir le par. 28).

19.  Voir le par. 28, page 12 : la SPR a conclu que, si le demandeur était recherché par les autorités, on ne lui aurait pas permis de partir légalement en se servant de son propre passeport. En toute déférence, il s’agit d’une hypothèse de la part de la SPR. La conclusion d’invraisemblance tirée par la SPR ne se fonde pas sur une preuve à laquelle la SPR fait référence. Le demandeur ne peut pas deviner s’il existe une preuve façonnant les conclusions de la SPR (voir Chen et les précédents cités, y compris Valtchev). Le demandeur s’appuie aussi sur la décision Yoosuff, les passages pertinents sont mis en évidence. Il s’agit d’une erreur fatale : le SPR a conclu que cela portait sur l’« essentiel » de la demande. Il va sans dire que la conjecture n’est jamais raisonnable.

[...]

[Souligné dans l’original; renvoi omis.]

[69]  Il y a une vaste jurisprudence assez récente à la Cour qui dit qu’il est raisonnable pour la SPR de tirer une inférence défavorable du fait qu’un demandeur était en mesure de quitter le Sri Lanka en se servant de son propre passeport. Voir, par exemple, Mahalingam; Suppaiah; SK, précitées. Toutefois, cela ne signifie pas que la Cour examinait la même preuve sur laquelle se fondait la SPR dans la présente affaire.

[70]  Le demandeur s’appuie sur Yoosuff, précitée, mais il s’agit d’une décision dans laquelle la Cour a conclu que la SPR disposait d’une preuve que l’armée sri-lankaise et les autorités de contrôle des frontières se transmettaient des renseignements au sujet des personnes recherchées. En l’espèce, la SPR s’est appuyée sur une réponse à la demande de renseignements mise à jour en 2018, comprise dans le cartable national de documentation :

[26]  Dans le cadre de son témoignage, le demandeur d’asile a été prié de dire quel document il avait utilisé pour quitter le Sri Lanka en janvier 2016; il a répondu qu’il avait utilisé son propre passeport, qu’il avait obtenu des autorités à Colombo en janvier 2016.

[27]  Le tribunal est d’avis que le demandeur d’asile a quitté le Sri Lanka à l’aide de son propre passeport authentique. Il estime que, si les autorités sri-lankaises avaient voulu arrêter le demandeur d’asile, elles auraient pu le faire à l’aéroport de Colombo.

Le rapport du Home Office du Royaume-Uni contient aussi de l’information sur la vérification des infractions criminelles antérieures du passager et signale que le ministère de l’Immigration et de l’Émigration a accès à une liste d’alerte [...] Cette liste contiendrait [traduction] « des renseignements liés à des ordonnances de la cour, à des mandats d’arrestation, à des non-comparutions devant le tribunal, à des évasions de lieux de détention et à de l’information tirée d’Interpol et du système informatique du SIS » [...] Selon le rapport, la base de données du ministère de l’Immigration et de l’Émigration est dotée d’un système d’alerte fondé sur cette liste, mais qui ne fournit pas la raison de l’alerte, étant donné que cette dernière indique seulement que les employés du ministère de l’Immigration et de l’Émigration doivent envoyer les passagers faisant l’objet d’une alerte vers la CID ou le SIS [...] L’Operational Guidance Note d’août 2009 du Royaume-Uni affirme que les agents d’immigration à BIA utilisent un système informatique qui attire l’attention sur les personnes dont le nom figure [traduction] « sur la liste des personnes recherchées ou sur la liste d’exclusion », mais qu’il n’y a aucune preuve concrète permettant d’affirmer que la base de données contient de l’information sur chaque personne qui a été détenue par la police ou l’armée.

[28]  Le tribunal juge que ce détail porte sur l’essentiel de la demande d’asile du demandeur d’asile, parce que ce dernier craint des responsables de l’armée et de la police, soit des autorités de l’État. Le tribunal estime que, si le demandeur d’asile avait vraiment été recherché par les autorités, il n’aurait pas été autorisé à quitter le pays légalement à l’aide de son propre passeport, comme il a pu le faire, selon son témoignage.

[71]  Le demandeur se demande si le rapport du Home Office qui a été invoqué s’applique à ceux qui quittent le Sri Lanka. Il laisse entendre qu’il ne s’applique qu’aux personnes qui retournent dans leur pays, mais mon examen du passage invoqué donne à penser que cela fait référence à toute personne mise sur une liste d’alerte et qu’un système électronique signale les personnes figurant [traduction] « sur la liste des personnes recherchées ou sur la liste d’exclusion ». La liste d’alerte contiendrait [traduction« des renseignements liés à des ordonnances de la cour, à des mandats d’arrestation, à des non-comparutions devant le tribunal, à des évasions de lieux de détention [...]. » Tout cela me semble de son ressort.

[72]  Les conclusions de la SPR à cet égard doivent aussi être prises en considération avec ce qui suit :

[24]  Le tribunal souligne que le demandeur d’asile a été relâché par les responsables de l’armée qui, selon lui, s’intéressaient à lui en raison du décès suspect de son oncle. Le tribunal juge, tout compte fait, que si les autorités de l’armée avaient été préoccupées par le comportement du demandeur d’asile, ils ne l’auraient pas remis en liberté.

[73]  Le demandeur ne dit pas que cette conclusion était déraisonnable.

[74]  Essentiellement, le demandeur dit qu’il a été interrogé par les autorités, puis remis en liberté et qu’on lui a permis de quitter le Sri Lanka avec son propre passeport, sans problème à l’aéroport.

[75]  Le demandeur s’appuie sur Lachowski c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 18 Imm LR (2d) 134 (CF 1re inst). Cela étant dit, le demandeur, en l’espèce, n’était pas impliqué dans des activités antigouvernementales et anti-forces militaires, et il n’y a pas de raison de supposer que les autorités auraient été ravies de se débarrasser du demandeur en raison de son profil particulier.

[76]  À mon avis, le seul point important qu’apporte le demandeur est que le document invoqué et cité par la SPR dit qu’il « n’y a aucune preuve concrète permettant d’affirmer que la base de données contient de l’information sur chaque personne qui a été détenue par la police ou l’armée » [non souligné dans l’original].

[77]  La SPR est clairement au courant de cette stipulation, parce qu’elle est incluse dans le passage invoqué.

[78]  Lorsqu’on considère la décision dans son ensemble, il ne fait aucun doute, selon moi, que la SPR dit que le demandeur n’a pas démontré que les autorités sri-lankaises montraient un intérêt à l’arrêter s’il retournait au Sri Lanka, étant donné qu’il a été remis en liberté après avoir été interrogé et qu’il a quitté le pays avec son propre passeport, sans aucun problème. Si le demandeur ne figurait pas sur la liste quand il est parti, il n’est pas susceptible de s’y trouver à son retour. Il n’a tout simplement pas démontré qu’il était une personne d’intérêt pour les autorités. Compte tenu du profil au complet du demandeur et du temps passé en dehors du Sri Lanka en Inde (2007-2015), il a seulement proposé une raison pour laquelle les autorités pourraient avoir un intérêt à son égard. Il dit qu’après que son oncle a été tué, il a été interrogé par des officiers de l’armée et accusé d’avoir été impliqué dans la mort de son oncle. Les officiers de l’armée étaient manifestement satisfaits du fait qu’il n’était pas impliqué, parce qu’ils l’ont remis en liberté après l’avoir interrogé, et il n’existe aucune preuve selon laquelle ils ont tenté de le retrouver depuis lors. Il n’y a pas de preuve d’un intérêt continu envers lui; le fait qu’il a été en mesure de quitter le Sri Lanka en se servant de son propre passeport le donne à penser. La liste de personnes recherchées ou d’exclusion pourrait, ou non, contenir des renseignements sur toutes les personnes qui ont été arrêtées par la police ou l’armée, mais, si le demandeur n’est pas sur la liste, il n’y a donc pas d’autre preuve pour soutenir son affirmation selon laquelle la police ou l’armée avait un intérêt envers lui. Dans ce contexte général, et même s’il n’y a aucune garantie que la liste est complète, une inférence défavorable n’est pas déraisonnable.

E.  Les documents corroborants

[79]  Le demandeur dit que la SPR a commis une erreur en faisant [traduction« peu de cas » de nombreux documents corroborants.

(1)  La plainte à la Commission des droits de la personne

[80]  Le demandeur dit que la SPR a déraisonnablement conclu que ses plaintes relatives aux droits à la personne avaient été déposées pour donner plus de poids à ses allégations. Il dit que son oncle a été tué le 25 octobre 2015, et ses plaintes ont été déposées environ cinq semaines plus tard.

[81]  À l’appui de cet argument, le demandeur a dit qu’il a été interrogé par les autorités le 29 octobre 2015, et qu’il n’a pas porté plainte avant le 2 décembre 2015. Il a ensuite quitté le Sri Lanka le 18 janvier 2016.

[82]  La SPR n’a pas tiré une inférence défavorable sur cette question uniquement en raison des dates en cause :

[30]  Le tribunal prend note du document de la commission des droits de la personne, selon lequel le demandeur d’asile a déposé une plainte le 3 décembre 2016. Selon cette plainte, le demandeur d’asile craint [TRADUCTION] « que l’armée établisse un lien entre moi et le meurtre de mon oncle ».

[31]  Le tribunal estime que ces documents démontrent que le demandeur d’asile a attendu jusqu’à ce que son départ de Thondamanaru soit imminent avant de se plaindre, qu’il n’a pas déposé de plainte lorsqu’il a été questionné initialement, et qu’il ne demande pas la prise de mesures de réparation. Le tribunal juge, selon la prépondérance des probabilités et compte tenu des diverses préoccupations soulevées quant à la crédibilité, que le demandeur d’asile a déposé ces plaintes dans le but d’obtenir des documents pour étayer une demande d’asile et pour nulle autre raison.

[83]  Le demandeur n’a pas établi que ces contestations et conclusions étaient déraisonnables.

(2)  La preuve aux autorités américaines

[84]  Le demandeur se plaint que la SPR n’a pas expliqué ce qu’elle avait fait de sa preuve aux autorités américaines et qu’elle a commis une erreur, parce qu’elle était insensible à l’argument de l’avocat selon lequel la demande du demandeur au Canada était compatible avec sa preuve aux autorités américaines.

[85]  Le fait que le demandeur était cohérent dans sa demande aux autorités américaines ne corrobore rien, sinon qu’il a fait la même demande aux autorités américaines. La SPR est censée avoir lu tous les documents dont elle disposait, et je ne vois aucune raison pour laquelle elle devrait renvoyer aux documents américains. Compte tenu des importantes questions défavorables quant à la crédibilité qui ont été soulevées, je ne pense pas que la cohérence du demandeur dans les documents américains réfute ou atténue considérablement ces préoccupations. Par conséquent, je ne crois pas que cette mention précise par la SPR était nécessaire dans sa décision.

(3)  La lettre du Grama Niladhari sri-lankais

[86]  L’avocat du demandeur a également fait valoir que la lettre du Grama Niladhari corroborait la demande du demandeur, mais la SPR n’a pas expliqué ce qu’elle avait fait de ce document.

[87]  Le demandeur n’explique pas comment la lettre a corroboré sa demande ou comment l’omission de la mentionner était une erreur importante. La SPR est supposée avoir examiné tous les éléments de preuve et, à moins que la lettre contredise considérablement les constations et conclusions de la SPR, elle n’a pas à être expressément mentionnée. La préoccupation de la SPR était le moment des plaintes du demandeur relatives aux droits de la personne, et la lettre du Grama Niladhari révèle une étape préliminaire prise par le demandeur dans un processus qui a mené aux plaintes relatives aux droits de la personne. Encore une fois, la SPR n’avait pas à renvoyer expressément à la lettre du Grama Niladhari.

(4)  Le certificat de décès

[88]  Le demandeur dit que la SPR a commis une erreur en ne mentionnant pas le certificat de décès de son oncle, qui était également un élément de preuve corroborant.

[89]  La SPR n’a pas contesté le fait que l’oncle du demandeur était mort. Entre-temps, le certificat de décès n’a pas corroboré l’histoire du demandeur quant à ce qui lui était arrivé, et ne corrobore pas non plus le fait que les autorités sri-lankaises continuent de s’intéresser à lui.

F.  Conclusions

[90]  Je ne décèle rien de déraisonnable au sujet de la décision. Le demandeur a été interrogé une fois par l’armée concernant la mort de son oncle. Il a ensuite été remis en liberté. À partir de ce moment-là, il n’existe aucune preuve donnant à penser que l’armée ou les autorités sri-lankaises le cherchent ou ont un autre intérêt envers lui. Dans tout ce contexte général, la SPR avait inévitablement des soupçons à l’égard de ses allégations selon lesquelles les autorités avaient un intérêt envers lui, et elle a fourni des motifs raisonnables et suffisants pour appuyer les conclusions selon lesquelles l’allégation du demandeur n’était pas crédible.

IX.  CERTIFICATION

[91]  Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et la Cour est du même avis.


JUGMENT DANS LE DOSSIER IMM-4097-16

LA COUR STATUE :

  1. que la demande est rejetée;

  2. qu’il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de juin 2020

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4097-16

 

INTITULÉ :

MAJURAN SRIKANTHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Russell

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2020

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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