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Date : 20200304


Dossier : IMM‑3588‑19

Référence : 2020 CF 333

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 4 mars 2020

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

UCHE JANE KAWEKWUNE

EMEKE KAWEKWUNE

PRINCESS AWELE KAWEKWUNE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Madame Uche Jane Kawekwune (la demanderesse principale), son mari, monsieur Emeke Kawekwune, et leur fille, Princess Awele Kawekwune (collectivement, les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la CISR. La SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]  Les demandeurs sont citoyens du Nigéria. Ils ont demandé l’asile au Canada parce qu’ils craignaient d’être persécutés au Nigéria en raison de leur soutien allégué envers le défunt frère homosexuel de la demanderesse principale et de l’opinion politique de celle-ci contre la loi nigériane interdisant les mariages entre personnes de même sexe (la Same-Sex Marriage (Prohibition) Act).

[3]  La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif que la preuve qu’ils avaient présentée n’était pas crédible. La SAR a rejeté leur appel, également pour des motifs de crédibilité.

[4]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité d’une lettre provenant d’un avocat nigérian sans leur donner la possibilité de répondre à ces conclusions. Ils soutiennent également que la SAR a commis une erreur en tirant d’autres conclusions quant à la crédibilité relativement à une question qui n’avait pas été abordée par la SPR; ils renvoient aux jugements Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 876, et Ehondor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1253.

[5]  De plus, les demandeurs allèguent que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la preuve. Ils affirment que la lettre de l’avocat, un affidavit souscrit par le père de la demanderesse principale et un affidavit de leur pasteur ont été évalués de façon déraisonnable. Ils ajoutent que la SAR a aussi commis une erreur en mettant en doute leur crédibilité du fait d’incohérences relevées par rapport à leurs demandes de visa antérieures, ce qui a amené la SAR à rendre une décision déraisonnable.

[6]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a conclu de façon déraisonnable que le fait que la demanderesse principale n’ait pas pris position, au Canada, contre la loi nigériane interdisant les mariages entre personnes de même sexe était un facteur qui minait sa crédibilité.

[7]  Les demandeurs soutiennent également que la SAR a commis une erreur susceptible de révision en ne tenant pas compte d’un élément de preuve corroborant, soit l’affidavit de l’oncle de la demanderesse principale.

[8]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) affirme qu’il n’y a pas eu manquement à l’obligation d’équité procédurale, que les demandeurs cherchent à contester le poids accordé par la SAR aux éléments de preuve et que la décision satisfait à la norme de la décision raisonnable.

[9]  Dans le récent arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême du Canada a déclaré que la norme de la décision correcte demeure la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale et que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer aux décisions rendues par les décideurs administratifs, à moins que l’intention du législateur ou la primauté du droit ne commande le contraire. Aucune des exceptions ne s’applique en l’espèce.

[10]  Le bien‑fondé de la décision de la SAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable; voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, [2016] 4 RCF 157 (CAF).

[11]  Dans l’arrêt Vavilov, précité, la Cour suprême du Canada a confirmé la teneur de la norme de la décision raisonnable, telle qu’elle a été énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190.

[12]  Selon l’arrêt Dunsmuir, précité, la norme de la décision raisonnable exige qu’une décision soit justifiable, transparente et intelligible, et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[13]  À mon avis, compte tenu des arguments avancés par les parties et de la jurisprudence pertinente quant au rôle de la SAR, aucun manquement à l’obligation d’équité procédurale ne découle du fait que la SAR n’a pas signifié ses conclusions de fait.

[14]  Les pouvoirs de la SAR sont ainsi énoncés au paragraphe 111(1) de la Loi :

Décision

Decision

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

BLANK

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

BLANK

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

BLANK

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

[15]  Dans l’arrêt Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, aux paragraphes 41 à 47, la Cour d’appel fédérale a examiné la portée des pouvoirs de la SAR. Aux paragraphes 41, 42 et 44, elle a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

[41]  L’objectif législatif visé par la création de la SAR a été abordé dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157 (Huruglica). Dans ce jugement, la Cour a renvoyé aux commentaires formulés en 2001 par le ministre responsable du projet de loi C‑11, à savoir que « [l]e but [de la SAR] est d’assurer que la bonne décision est prise » (au par. 87), ainsi qu’aux commentaires de Peter Showler, ancien président de la CISR, lequel a déclaré que la SAR pourra « de manière efficace, corriger les erreurs faites par la SPR » et agir comme un « filet de sécurité » (au par. 88). Après avoir étudié l’historique législatif, la Cour a conclu qu’« [e]ssentiellement, la SAR devait servir de filet de sécurité puisqu’elle devait rattraper les erreurs de droit ou de fait de la SPR » (au par. 98).

[42]  La SAR dispose de solides pouvoirs pour corriger les erreurs, lesquels pouvoirs sont conformes à son objectif législatif. À moins que la LIPR ne l’interdise, un demandeur débouté ou le ministre peut, de plein droit, interjeter appel d’une décision de la SPR devant la SAR sur des questions de droit, des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit.

[…]

[44]  Les décisions de la SPR sont examinées par la SAR selon la norme de la décision correcte (Huruglica, au par. 103). La SAR peut confirmer la décision de la SPR, la casser et y substituer sa propre décision, y compris octroyer l’asile, ou renvoyer, conformément à ses instructions, l’affaire à la SPR (LIPR, par. 111(1)). La SAR n’a pas le pouvoir de prendre une mesure de renvoi et ne rend aucune ordonnance en ce sens. Le renvoi est une mesure administrative prise par un fonctionnaire ministériel lorsqu’une demande d’asile est rejetée. La Cour fédérale, en revanche, peut surseoir à une mesure de renvoi ou l’annuler.

[…]

[16]  À mon avis, l’argument concernant l’équité procédurale soulevé par les demandeurs n’est pas convaincant. La SAR peut procéder à sa propre appréciation de la preuve, comme il a été mentionné dans l’arrêt Huruglica, précité, où la Cour d’appel fédérale lui a donné pour directive d’examiner les décisions de la SPR en fonction de la norme de la décision correcte, sauf dans les cas où la crédibilité des témoignages entendus est mise en doute.

[17]  La SAR était autorisée à tirer une « nouvelle » conclusion de fait sur une question déjà en cause, c’est‑à‑dire une question qui avait déjà été examinée par la SPR, soit la question concernant la lettre de l’avocat.

[18]  Quant aux autres conclusions de fait contestées par les demandeurs, je souscris aux observations du défendeur.

[19]  Il était loisible à la SAR de tirer ses conclusions de fait par suite de l’application de la norme de contrôle de la décision correcte.

[20]  Les conclusions de fait sont étayées par la preuve et satisfont aux critères de la norme de la décision raisonnable énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, précité : elles sont justifiables, transparentes et intelligibles, et elles appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[21]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[22]  Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3588‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’avril 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3588‑19

 

INTITULÉ :

UCHE JANE KAWEKWUNE, EMEKE KAWEKWUNE, PRINCESS AWELE KAWEKWUNE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 4 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Jared Will

POUR LES DEMANDEURS

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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