Date : 20040211
Dossier : IMM-615-03
Ottawa (Ontario), le 11 février 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN
ENTRE :
MUNAWAR AHMAD CHEEMA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur est un chiite du Pakistan âgé de 30 ans. De 1999 à 2000, il prétend avoir été harcelé par des membres du Sipah-i-Sahaba (SSP) en raison de sa religion. En mars 2000, il a ouvert une école pour les enfants chiites. Le demandeur prétend que, par la suite, le SSP, à prédominance sunnite, l'a agressé, lui a fait des menaces de mort et a causé des dommages matériels à son école. Il croyait que la police ne voulait pas l'aider. Il a donc décidé de s'enfuir au Canada.
[2] Dans une décision datée du 9 janvier 2003, la Commission a jugé non crédible la demande du demandeur. Elle a jugé peu plausible que le demandeur ait fondé une école pour enfants, et ce, parce qu'il avait une formation scolaire limitée et qu'il ne disposait d'aucun document de nature administrative ou autre qui aurait confirmé l'existence de l'école. En outre, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas réussi à fournir suffisamment d'éléments de preuve pour établir que la police était ou serait incapable de le protéger.
[3] Dans ses motifs, la Commission a fait les observations suivantes en ce qui concerne l'école qu'aurait dirigée le demandeur :
La présumée école
Le demandeur a allégué avoir fait don d'un immeuble qu'il a rénové pour qu'il serve d'école et qui a été baptisé « Jaffria Cambridge School » . Il n'a toutefois pu produire un acte de transfert ou un document montrant que le bien existait et a bien été donné pour servir d'école.
Après l'audience, le demandeur a présenté un acte de transfert indiquant que la propriété lui avait été vendue en 1999.
Le tribunal considère que, s'il est authentique, le document qui a été présenté montre simplement que le bien était au nom du demandeur. Le document ne montre pas que le bien a en fait été transféré à une école. Selon la prépondérance des probabilités, le tribunal considère que le document n'est pas authentique. La preuve documentaire6 indique qu'il est possible d'acheter des documents.
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6 Pièce R-1.
[4] Pour ce qui est du certificat d'études, la Commission a dit :
Le demandeur a ensuite présenté le certificat, qui a été déposé après l'audience. Il est indiqué qu'il s'agit d'un duplicata et que ce document a été obtenu le 27 juillet 2002. Le jour de l'audience, le demandeur avait fait savoir qu'il demanderait le certificat et qu'il faudrait deux à trois mois pour l'obtenir, mais le certificat est daté du 17 juillet 2002, soit dix jours après l'audience. Je trouve invraisemblable que le demandeur ait produit le certificat dix jours après l'audience, alors qu'il avait lui-même témoigné qu'il lui faudrait deux mois pour l'obtenir. Je considère que le document a été produit pour les besoins de l'audience et qu'il n'est pas authentique. Une preuve documentaire5 présentée au tribunal indique que de tels documents peuvent être achetés.
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5 Pièce R-1.
[5] La preuve documentaire à laquelle a fait référence la Commission (la pièce R-1 selon les notes en bas de page de ses motifs) ne faisait pas partie du dossier du tribunal. À la page 59 du dossier du tribunal, on ne renvoie qu'à des renseignements généraux relatifs à des documents frauduleux (les points 3.1, 3.2 et 3.3). À l'audience, j'ai donné aux deux parties un mois et demi pour produire la preuve documentaire visée aux points 3.1 à 3.3 ainsi que des observations quant à savoir si elle appuyait ou non les conclusions de la Commission.
[6] Le demandeur n'a présenté que des observations portant que la preuve documentaire visée aux points 3.1 à 3.3 ne concernait aucunement la falsification d'actes de vente ou de certificats et qu'elle portait plutôt principalement sur les passeports et les cartes d'identité nationale. Le défendeur a déposé la preuve documentaire demandée en retard et, dans sa lettre datée du 6 février qu'il a fait parvenir à la Cour, il a écrit :
[traduction] Bien qu'il n'y ait aucune mention précise en ce sens, une idée générale se dégage de la preuve documentaire, savoir qu'il est possible de se procurer des faux documents au Pakistan. Cela est confirmé à la page 11-12, où l'Office fédéral dit détenir des renseignements suivant lesquels il y a au Pakistan des groupes de trafiquants bien organisés qui fournissent aux demandeurs d'asile des faux documents. Ces trafiquants pouvaient fournir au demandeur des faux documents, y compris un acte de vente et un certificat d'études. En conséquence, il n'était pas déraisonnable pour la Commission en l'espèce de conclure que le demandeur pouvait obtenir des faux documents.
[7] Les documents produits par le demandeur peuvent fort bien être des faux. Toutefois, la preuve d'une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n'est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu'il s'agit de faux. Comme l'a souligné le défendeur, la preuve d'une pratique répandue de fabrication de faux documents démontre uniquement que le demandeur pouvait se procurer des faux documents.
[8] Dans la décision Halili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1335, la juge Heneghan a fait remarquer aux paragraphes 4 et 5 :
Le demandeur prétend notamment que la Commission a commis une erreur de droit en rejetant un document officiel sans disposer d'une preuve de son invalidité. Il se fonde à cet égard sur la décision Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (8 janvier 1998), IMM-1298-97 (C.F. 1re inst.), où la Cour a dit, au paragraphe 6 :
En l'espèce, la Commission a contesté la validité du certificat de naissance sans produire d'autre élément de preuve à l'appui de sa prétention et, manifestement, la question des documents étrangers n'est pas un domaine que la Commission peut prétendre connaître tout particulièrement. À mon avis, cela constitue une erreur susceptible de révision de la part de la Commission.
En l'espèce, la Commission se serait fondée sur une preuve démontrant que la contrefaçon de documents officiels était très répandue en Albanie. Bien qu'il soit question d'une telle preuve dans une note en bas de page figurant dans les motifs, il n'y a dans le dossier du tribunal aucune preuve appuyant cette conclusion de la Commission. Le dossier n'indique pas non plus que la Commission possède des connaissances ou une expertise particulières qui lui permettent de juger de la validité de documents délivrés en Albanie.
[9] Ce raisonnement s'applique également en l'espèce. En n'étayant pas ses conclusions de falsification de documents, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en l'espèce.
[10] En conséquence, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour qu'il procède à un nouvel examen.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La décision de la Commission datée du 9 janvier 2003 est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu'il procède à un nouvel examen.
« K. von Finckenstein »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-615-03
INTITULÉ : MUNAWAR AHMAD CHEEMA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 17 DÉCEMBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE von FINCKENSTEIN
DATE DES MOTIFS : LE MERCREDI 11 FÉVRIER 2004
COMPARUTIONS :
Michael Crane POUR LE DEMANDEUR
Marcel Larouche POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Crane POUR LE DEMANDEUR
Avocat
166, rue Pearl, pièce 100
Toronto (Ontario) M5H 1L3
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada