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Date : 20200320


Dossier : IMM‑2564‑19

Référence : 2020 CF 398

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

AZHAR MOHAMMAD SAMAK

(alias AZHAR MOHAMMAD AZHER SAMAK)

BATOL ANAS ABDULRAHMAN

ABDULRAHMAN

AMER IBRAHIM MOHAMMAD MOHAMMAD

OLA AMER IBRAHIM IBRAHIM

ALI AMER IBRAHIM IBRAHIM

MUSTAFA AMER IBRAHIM IBRAHIM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La nature de l’instance

[1]  Dans la présente instance, les demandeurs font valoir que la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a commis huit erreurs susceptibles de contrôle. Selon le défendeur, il ne faut pas pour autant perdre de vue que l’élément essentiel à réfuter par les demandeurs est que l’État islamique en Iraq et au Levant [l’EIIL ou l’EI] (et ses groupes affiliés) ne contrôle plus Mossoul ni aucun territoire en Iraq. Le défendeur soutient en outre qu’aucune des difficultés soulevées ne l’emporte sur les nombreux éléments de preuve qui démontrent que les demandeurs ont travaillé, fréquenté l’école et vécu à Erbil, en Iraq, et qu’ils pourraient retourner dans la région.

[2]  Or, les conclusions de la SPR reposent sur une série d’incohérences et de modifications dans les témoignages qui ont amené la SPR à douter sérieusement de la crédibilité des demandeurs.

[3]  Pour les motifs qui suivent, les demandeurs ne m’ont pas convaincu de l’existence des erreurs alléguées ou de leur effet déterminant sur l’issue de l’affaire. Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Les faits

[4]  Les demandeurs sont la Dre Azhar Mohammad Samak [la demanderesse], son époux, le Dr Amer Ibrahim Mohammad Mohammad [le demandeur], leurs trois enfants mineurs et la fille adulte de la demanderesse issue d’un mariage antérieur. Ils sont tous des citoyens iraqiens. Le demandeur est chirurgien pédiatrique; la demanderesse est anesthésiste. Ils se sont mariés en 2003 et les enfants mineurs sont nés entre 2005 et 2009.

[5]  Le demandeur affirme être un musulman chiite, et son épouse affirme être une musulmane sunnite.

[6]  Le demandeur est né à Erbil, en Iraq, aujourd’hui la capitale régionale du Kurdistan, mais il a grandi à Mossoul, où il a fréquenté l’école secondaire et où son père est né et a travaillé pendant la jeunesse du demandeur.

[7]  Le demandeur a fait ses études à la faculté de médecine à l’Université de Bagdad et, après une série d’internats (notamment à l’Hôpital universitaire Al Jumhury à Mossoul, entre 2003 et 2005, et à l’hôpital de Shaqlawa à Erbil, entre 2006 et 2008), il a étudié la chirurgie pédiatrique au Collège de médecine de l’Université de médecine de Hawler à Erbil, de 2008 à 2011.

[8]  Le demandeur a été embauché par le ministère de la Santé du gouvernement régional kurde en qualité de médecin spécialiste en chirurgie pédiatrique à l’Hôpital universitaire Raparin, un hôpital public à Erbil, de 2015 à 2017.

[9]  De plus, entre 2001 et 2015, le demandeur a également exploité sa clinique privée dans le quartier Al‑Zuhour, dans la ville de Mossoul, à environ 100 km au nord‑ouest d’Erbil, dans le gouvernorat de Ninive ou la province d’Iraq.

[10]  La demanderesse est née et a grandi à Mossoul, où elle a fait ses études de médecine. Elle a travaillé à l’Hôpital universitaire Al Jumhury à Mossoul de 2001 à 2015 et, à un moment donné durant cette période, elle a commencé un programme d’internat à l’Hôpital de Shaqlawa à Erbil, a étudié l’anesthésiologie au Collège de médecine de l’Université de médecine de Hawler à Erbil et a suivi une formation comme anesthésiste de salle d’urgence à l’Hôpital universitaire Rizgary, un établissement public situé à Erbil et géré par le ministère de la Santé kurde.

[11]  En 2014, l’EI a pris le contrôle de la ville de Mossoul. Les chiites et des minorités ont été ciblés peu de temps après, les médecins étant par ailleurs particulièrement ciblés.

[12]  En 2015, alors que les tensions s’intensifiaient à Mossoul, la demanderesse a accepté un poste de spécialiste en anesthésie à l’Hôpital universitaire Rizgary à Erbil, où elle est restée jusqu’en 2017. Cette période coïncide avec celle où son époux a accepté un poste à l’Hôpital universitaire Raparin, également à Erbil, où il est resté jusqu’à ce que la famille quitte l’Iraq en 2017.

[13]  Le demandeur craignait d’être victime de représailles violentes en raison de sa foi musulmane chiite.

[14]  En 2015, le demandeur a été informé par un de ses anciens patients que son nom avait été inscrit sur une liste publique de personnes qui devaient être tuées par l’EIIL en raison de leur foi chiite. Le demandeur affirme avoir déménagé sa famille parce qu’il craignait pour sa propre vie et celle de sa famille : ils sont donc partis du quartier Al‑Zahra de Mossoul où ils habitaient, pour aller habiter dans un autre quartier de la ville, à savoir Al‑Zuhour, dans une maison située selon ce que je comprends près de la clinique privée du demandeur ou dans le même immeuble.

[15]  Les demandeurs affirment que plus tard la même année, leur maison dans le quartier d’Al‑Zahra a été détruite par l’EIIL.

[16]  Les demandeurs affirment qu’ils ont dû embaucher des chauffeurs privés pour leurs déplacements de Mossoul à Erbil, afin d’éviter les postes de contrôle de l’EIIL. Quelques fois par mois, les demandeurs se rendaient à leur hôpital respectif à Erbil et y restaient pendant plusieurs jours. Parfois, les demandeurs étaient hébergés par une famille d’Erbil. Ils ont pu obtenir un emploi à Erbil, entrer à Erbil et en sortir parce que le demandeur y est né. L’accès à Mossoul leur a été permis parce que la demanderesse était sunnite.

[17]  En juin 2017, des hommes vêtus de noir ont attaqué les demandeurs chez eux dans le quartier d’Al‑Zuhour. Les demandeurs se sont réfugiés chez un voisin et ont pu échapper à ces hommes. Les demandeurs croient que ces hommes ont été envoyés par l’EI pour cibler le demandeur (en raison de sa foi chiite) et les demandeurs mineurs (en raison de leur héritage mixte chiite/sunnite).

[18]  Le même voisin a aidé les demandeurs à se rendre dans un autre secteur de Mossoul, où ils se sont cachés jusqu’à ce qu’ils puissent fuir l’Iraq. Les demandeurs ont quitté leur emploi puis, en août 2017, grâce à un visa américain, ils se sont rendus d’abord à Chicago et ensuite à Buffalo, où ils ont traversé la frontière pour entrer au Canada le 13 septembre 2017. Ils sont arrivés à un point d’entrée officiel et ont présenté leur demande d’asile, affirmant être visés par l’une des exceptions prévues à l’Entente sur les tiers pays sûrs, étant donné que la demanderesse a un frère au Canada.

[19]  Ils admettent qu’ils n’ont jamais voulu rester aux États‑Unis et qu’ils ont obtenu le visa américain pour faciliter l’obtention de l’asile au Canada.

[20]  Lorsque les demandeurs ont demandé des visas américains dans le but de fuir l’Iraq vers les États‑Unis, ils ont précisé que Erbil était leur lieu de résidence.

[21]  Avant leur départ de l’Iraq, les demandeurs ont déposé une plainte auprès d’un tribunal d’instruction concernant la destruction de leur maison (survenue en 2015). Les demandeurs ont porté plainte afin de protéger leurs droits de propriété et de recevoir une indemnisation pour les dommages.

[22]  Selon les demandeurs, l’EI les a ciblés pour de nombreuses raisons, notamment la foi chiite du demandeur, le statut que lui confère le fait d’être marié à une sunnite et la carrière de médecin des demandeurs adultes.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[23]  Dans une décision rendue le 2 avril 2019, la SPR a rejeté la demande d’asile présentée par les demandeurs.

[24]  La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Elle a rendu cette décision après avoir conclu que le récit du demandeur sur les événements qui ont mené à son départ de l’Iraq n’était pas crédible.

[25]  La SPR a également conclu que les demandeurs ne sont pas actuellement exposés à un risque de la part de l’EI et qu’ils n’ont pas besoin d’une protection internationale. La SPR a aussi conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne vivaient pas à Mossoul durant la présence de l’EI dans cette ville et que, contrairement à ce qu’ils affirmaient, ils n’étaient pas la cible de violence fondée sur le sexe de la part de l’EI ni exposés au risque de subir une telle violence, mais qu’ils vivaient et travaillaient à Erbil et que leurs enfants y fréquentaient l’école. Par conséquent, Erbil était pour eux une possibilité de refuge intérieur [une PRI] valable.

IV.  Les questions en litige

[26]  Les demandeurs soulèvent huit questions en litige; cependant, après avoir examiné la décision de la SPR, lu la transcription de l’audience et entendu les observations des conseils, j’estime que seulement trois doivent être examinées :

  1. L’analyse de la SPR quant à l’origine ethnique du demandeur constituait‑elle une atteinte aux principes d’équité procédurale, étant donné que le demandeur ne savait pas que son appartenance à l’ethnie arabe était mise en doute?

  2. La SPR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son appréciation de la crédibilité?

  3. La SPR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a examiné l’existence d’une possibilité de refuge intérieur à Erbil?

[27]  Je répondrai brièvement aux autres points soulevés par les demandeurs dans les paragraphes qui suivent.

[28]  J’ai examiné le point soulevé par les demandeurs selon lequel la SPR n’a pas tenu compte de la preuve médicale établissant que l’un des demandeurs mineurs a des problèmes d’énurésie nocturne découlant du traumatisme que lui et sa famille ont subi, et qu’en conséquence elle a commis une erreur susceptible de contrôle. Toutefois, les demandeurs ne m’ont pas convaincu qu’une telle erreur justifie un contrôle judiciaire, car la santé mentale du demandeur mineur ne constitue pas un élément de fond dans la décision quant à la demande d’asile.

[29]  Les demandeurs soutiennent que la SPR n’a pas évalué l’effet cumulatif des risques auxquels ils sont exposés du fait qu’ils sont des médecins arabes et qu’ils sont, avec les enfants, membres de la famille d’un chiite. Je ne suis pas de cet avis. Dans sa décision, la SPR a tenu compte des arguments des demandeurs concernant l’effet cumulatif des risques. La SPR a conclu que « les éléments de preuve n’étayent pas une conclusion selon laquelle la discrimination qu’ils ont vécue ou qu’ils vivraient les exposerait à des préjudices graves correspondant à de la persécution ». Quoi qu’il en soit, les demandeurs ont principalement fondé leurs demandes d’asile sur l’existence de la menace posée par l’EI et ses groupes affiliés. Dans le cadre de son analyse, la SPR a examiné le principal motif invoqué par les demandeurs et a conclu que l’EI ne constituait pas un risque pour les demandeurs (d’après la preuve documentaire) et que la façon dont les demandeurs adultes se sont comportés avant de quitter l’Iraq n’étayait pas leur argument selon lequel ils étaient exposés à un risque important.

[30]  Selon les demandeurs, la SPR ne s’est pas prononcée sur la demande d’asile de la fille adulte de la demanderesse ni sur celles de leurs enfants mineurs. Je ne suis pas d’accord; les demandes d’asile des enfants étaient, tout comme celles des demandeurs adultes, fondées sur l’existence de la menace posée par l’EI et ses groupes affiliés. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la SPR a examiné leur préoccupation et a conclu qu’il ne s’agit plus d’une menace importante. Les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments établissant que les enfants sont exposés à des risques particuliers en raison de leur profil, en plus des risques généraux auxquels sont également exposés leurs parents. La SPR a mentionné à plusieurs reprises la situation des enfants. La SPR a consacré un paragraphe à la situation des enfants sur le plan scolaire et à la question de savoir s’ils avaient fréquenté l’école à Erbil. La SPR a examiné le témoignage du demandeur selon lequel les enfants se sont rendus à Erbil pour passer des examens. La SPR a examiné le risque que posaient les déplacements des enfants du fait que leur père est chiite. La SPR a également conclu qu’aucun élément de preuve n’établissait que les enfants pourraient être admis à Erbil en raison du statut de leur père. L’examen des faits et les constatations de la SPR démontrent qu’elle a examiné les demandes d’asile des enfants.

[31]  S’agissant de l’argument des demandeurs selon lequel la SPR n’a ni tenu compte des Directives no 4 du président intitulées « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe » [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, ni évalué leur crainte de persécution fondée sur le sexe. Je ne suis pas d’accord. La SPR a reconnu dans sa décision qu’elle « a tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe en l’espèce ». En tout état de cause, l’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe a peu d’incidence sur ma décision. La crainte des demandeurs de persécution fondée sur le sexe est liée à l’EI, une organisation connue pour avoir commis des actes de violence sexuelle et des viols pour atteindre ses objectifs. Vu la conclusion de la SPR selon laquelle l’EI ne présente plus un risque dans la région, je ne vois pas pourquoi la SPR devrait se livrer à un examen distinct pour évaluer le risque lié au sexe que présente ce groupe.

[32]  S’agissant de la question de savoir si la SPR a appliqué le critère énoncé à l’article 97 à la situation particulière des demandeurs, j’estime que la SPR a examiné les faits qui sous-tendent les allégations des demandeurs. Les demandeurs appuient leurs demandes d’asile présentées sur le fondement de l’article 97 sur la présence de l’EI. La SPR a conclu que l’EI ne contrôle plus la région. Il serait inutile pour la SPR de se livrer à une analyse distincte en ce qui concerne un risque qui n’existe plus dans la région visée.

V.  La norme de contrôle judiciaire

[33]  Les demandeurs affirment que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique à la première question (mémoire des demandeurs, aux par. 21 et 23), et je suis d’accord (Garces Caceres c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2020 CF 4, aux par. 18, 20 et 23; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux par. 55 et 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au par. 43; Mcintyre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1351, au par. 16; Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548, au par. 22; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au par. 53; Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250, au par. 27).

[34]  Les demandeurs soutiennent que la norme de la décision raisonnable s’applique aux autres questions (mémoire des demandeurs, aux par. 21 à 22), et je suis d’accord (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 25).

VI.  L’analyse

A.  L’analyse de la SPR quant à l’origine ethnique du demandeur constituait‑elle une atteinte aux principes d’équité procédurale, étant donné que le demandeur ne savait pas que son appartenance à l’ethnie arabe était mise en doute?

[35]  La SPR a indiqué clairement au cours de l’audience et dans sa décision que les principales questions en litige que soulevaient les demandes d’asile présentées par les demandeurs portaient sur la crédibilité, sur l’existence d’une PRI à Erbil et sur les risques prospectifs compte tenu de l’évolution de la situation en Iraq.

[36]  La SPR a tiré une conclusion défavorable concernant l’origine ethnique du demandeur dans le cadre de son évaluation d’une PRI valable. Au paragraphe 28 de sa décision, la SPR a tiré la conclusion suivante :

En outre, le tribunal prend note du fait que le demandeur d’asile adulte est né à Erbil. Même s’il dit être un Arabe chiite, les éléments de preuve qui appuieraient cette allégation sont son propre témoignage, qui a été jugé dépourvu de crédibilité, et un permis de conduire sur lequel il est impossible de s’appuyer, lequel contient un nom tribal arabe chiite. Le tribunal a mentionné plus haut ses préoccupations en ce qui concerne la fiabilité de ce document. Le tribunal n’est pas convaincu que le demandeur d’asile n’est pas, en fait, Kurde, puisqu’il est né à Erbil, a fréquenté l’école là‑bas, a travaillé dans la région et parle la langue. À tout le moins, le tribunal estime que ces aspects personnels de son histoire donnent à penser qu’il est en mesure d’entrer et de rester dans la région avec sa famille. Le demandeur d’asile lui‑même a laissé entendre par écrit et dans son témoignage que l’accès à la région est facilité par le fait que son lieu de naissance est Erbil.

[Non souligné dans l’original.]

[37]  Les demandeurs font valoir que l’origine ethnique n’était pas en cause lors des audiences tenues devant la SPR ou dans les observations des conseils. Les demandeurs soutiennent que cette conclusion déroge aux principes d’équité procédurale parce que la SPR a choisi de rejeter leurs demandes d’asile pour ce motif sans les avoir prévenus de sa préoccupation concernant l’origine ethnique.

[38]  Selon le défendeur, les demandeurs ont mal interprété l’analyse faite par la SPR sur ce point. Il soutient que la SPR a tenu pour acquis, dans son analyse des arguments du demandeur, que celui-ci pouvait, en tant qu’Arabe, se réinstaller à Erbil.

[39]  Selon mon interprétation de la décision, la SPR s’est fondée sur les six facteurs suivants pour tirer sa conclusion sur l’origine ethnique du demandeur :

  • (i) La SPR a jugé que le demandeur n’était pas un témoin crédible, vu que son témoignage était changeant, qu’il présentait des incohérences et qu’il avait eu des hésitations, et vu que le demandeur avait livré un récit « incroyable » au sujet des deux années passées à faire des allers et des retours entre Mossoul et Erbil avant de quitter l’Iraq. La SPR n’a pas non plus ajouté foi au permis de conduire, présenté par le demandeur, délivré à son nom tribal arabe chiite.

  • (ii) Le demandeur est né à Erbil.

  • (iii) Le demandeur a fréquenté l’école à Erbil.

  • (iv) Le demandeur a travaillé dans la région kurde pendant plusieurs années.

  • (v) Le demandeur parle le kurde, son niveau de compétence étant toutefois faible.

  • (vi) Le demandeur a un accès plus facile à la région kurde, vu qu’Erbil est son lieu de naissance.

[40]  Même si le demandeur avait su dès le début de l’audience que la SPR avait des préoccupations sur son origine ethnique, il n’en demeure pas moins que les questions posées par la commissaire de la SPR et sa conseil ont permis de dégager chacun des facteurs susmentionnés. Certes, le demandeur a mentionné 12 fois à l’audience qu’il était arabe chiite et non kurde. À mon avis, si la SPR doutait que le demandeur soit vraiment chiite, elle aurait dû faire part de ses préoccupations à l’audience et donner au demandeur l’occasion d’y répondre. Comme la SPR ne l’a pas fait, je conclus qu’elle a manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs.

[41]  Cela dit, je dois toutefois ajouter que la conclusion de la SPR quant à l’origine ethnique n’a pas eu un effet déterminant sur la décision principale de la SPR. La question de l’origine ethnique s’est posée lorsque la SPR a examiné plus généralement si Erbil pouvait constituer une PRI valable pour les demandeurs. Certes, je reconnais que la SPR a précisé qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur n’était pas kurde, mais ce sont les emplois des demandeurs ainsi que leurs études et leur vécu à Erbil qui l’ont amenée à conclure qu’ils pourraient continuer d’y vivre et j’estime que ces éléments suffisent pour justifier sa conclusion selon laquelle Erbil constitue une PRI valable.

[42]  Quoi qu’il en soit, la crédibilité est fondamentale en l’espèce.

B.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son appréciation de la crédibilité?

[43]  J’estime qu’il s’agit d’un élément fondamental de la décision de la SPR.

[44]  Les demandeurs soutiennent que l’évaluation de la crédibilité faite par la SPR contredit les éléments de preuve et repose sur des hypothèses. Plus particulièrement, les demandeurs contestent les conclusions suivantes concernant la crédibilité :

  • (i) Les demandeurs, qui vivaient en permanence à Erbil, pouvaient revenir à Erbil.

  • (ii) Les documents et le permis de conduire présentés par les demandeurs n’étaient pas authentiques.

  • (iii) Les demandeurs n’ont pas précisé, dans la plainte déposée devant le tribunal d’instruction iraqien, quand et comment leur maison a été détruite.

  • (iv) La façon dont les demandeurs ont décrit leurs allers et retours entre Mossoul et Erbil n’est pas plausible.

[45]  Ils soutiennent en outre que la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de tous les demandeurs à partir du témoignage du demandeur.

[46]  La SPR s’est livrée à une analyse approfondie de la crédibilité des demandeurs et a relevé la présence de plusieurs lacunes qui faisaient douter de la crédibilité des allégations des demandeurs.

[47]  Premièrement, les demandeurs ont apporté des modifications importantes à leurs formulaires Fondement de la demande d’asile. Dans les formulaires qu’ils avaient présentés initialement, les demandeurs ont déclaré qu’ils vivaient et travaillaient à Mossoul lorsqu’ils vivaient en Iraq et pendant la période où l’EI avait pris le contrôle. Ils ont également précisé avoir déménagé dans différentes parties de Mossoul [traduction] « parce qu’il n’était pas possible de déménager dans une autre ville ». Or, cette déclaration ne concordait pas avec celle qui figurait dans les demandes de visa des demandeurs aux États‑Unis, selon laquelle les demandeurs adultes vivaient à Erbil (dans la région du Kurdistan en Iraq).

[48]  Les demandeurs ont ensuite modifié leurs formulaires Fondement de la demande d’asile en fournissant un nouveau récit. Cette fois‑ci, les demandeurs adultes ont déclaré qu’ils avaient travaillé dans des hôpitaux à Erbil, de 2015 à 2017, en plus d’avoir fait des études et suivi une formation à Erbil.

[49]  La SPR a repéré d’autres indices qui montraient qu’en réalité les demandeurs vivaient peut‑être à Erbil. La demande de visa aux États‑Unis indiquait Erbil comme lieu de résidence des demandeurs, bien que les demandeurs affirment avoir utilisé une fausse adresse pour avoir de meilleures chances d’obtenir l’asile. Le demandeur a travaillé pendant plusieurs années dans deux hôpitaux à Erbil. Les documents montrent que les deux demandeurs adultes occupaient un emploi à temps plein dans la région du Kurdistan. Compte tenu de ces facteurs, la SPR a conclu que les demandeurs vivaient vraisemblablement à Erbil.

[50]  La SPR a expliqué qu’elle avait plusieurs raisons de douter de la fiabilité des pièces d’identité des demandeurs. Elle avait des doutes au sujet de la carte d’identité nationale du demandeur parce qu’il n’a pas spontanément révélé le lieu où il l’a obtenue.

[51]  La SPR a également conclu que le lieu de délivrance des passeports des demandeurs appuyait la conclusion selon laquelle ils vivaient probablement à Erbil :

Le tribunal a souligné que les passeports des demandeurs d’asile adultes avaient été délivrés à Erbil en 2012. Tenu d’expliquer pourquoi cela avait été fait à Erbil, plutôt qu’à Mossoul, le demandeur d’asile a répondu que c’était parce que son registre familial se trouvait à Erbil. Le tribunal a ensuite fait observer que le demandeur d’asile avait en fait fourni le registre familial de son père, et que celui‑ci disait que les demandeurs d’asile étaient enregistrés à Mossoul. Il lui a donc demandé une nouvelle fois pourquoi son passeport avait été délivré à Erbil en 2012, ce à quoi il a répondu que le bureau des passeports et d’autres ministères étaient ciblés à Mossoul, et qu’il craignait donc de se rendre au bureau là‑bas. Le tribunal est d’avis que le témoignage changeant du demandeur d’asile sur la raison pour laquelle il s’est vu remettre un passeport à Erbil en 2012 mine davantage la crédibilité de ses allégations concernant les liens des demandeurs d’asile avec Erbil et Mossoul et sa crédibilité générale.

[Renvoi omis.]

[52]  La SPR a également exprimé plusieurs réserves concernant le permis de conduire du demandeur, délivré à Mossoul en octobre 2015; il s’agissait du seul document présenté par le demandeur montrant son nom tribal arabe chiite. Voici un extrait de la transcription de l’audience, où il était question de la délivrance de ce document :

[traduction]

COMMISSAIRE : Quelles étaient les personnes, au bureau du gouvernement ouvert à Mossoul, qui délivraient des permis de conduire?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Tous les bureaux du gouvernement exerçaient leurs activités à l’époque, mais ils étaient un peu comme Al‑Qaïda ou y étaient liés.

CONSEIL : Comme quoi?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Al‑Qaïda, l’EI.

CONSEIL : L’EI, d’accord.

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Ils recevaient leurs directives de l’EI, mais ils exerçaient leurs activités (inaudible) à Mossoul.

COMMISSAIRE : Avez‑vous d’autres pièces d’identité établies à votre nom tribal?

DEMANDEUR D’ASILE I : Non, mais c’est ma tribu.

COMMISSAIRE : Comment ce nom a‑t‑il été utilisé pour votre permis de conduire si aucun autre de vos documents n’est établi à ce nom?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Ce permis de conduire a été délivré en 1985 et, à l’époque, c’est ce nom qui était utilisé pour nos documents.

COMMISSAIRE : Vous avez fourni le registre familial de votre père?

DEMANDEUR 1 : Oui.

COMMISSAIRE : Ibrahim Mohammad Zaffuk (ph).

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Oui.

COMMISSAIRE : Pourquoi ce nom de tribu ne figure‑t‑il pas dans le registre familial?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Ce document a également été délivré en 2006. À cette époque, il n’était pas sécuritaire d’établir un document sous un nom tribal.

COMMISSAIRE : D’accord. Je veux m’assurer de bien comprendre. Pendant que Mossoul était sous le contrôle de l’EI, vous et votre épouse occupiez des emplois à temps plein à Erbil, vos enfants étaient inscrits dans des écoles à Erbil, mais vous n’y viviez pas, vous avez choisi de continuer à vivre à Mossoul, est‑ce bien ce que vous avez déclaré?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Oui, nous sommes restés à Erbil temporairement pendant une courte période, mais nous allions fréquemment à Mossoul et, si je possède toujours cette maison, nous l’avons toujours à Mossoul et elle nous servait de refuge. Donc, au cas où l’on nous expulse du Kurdistan, nous ne pouvions aller nulle part, sauf à Mossoul.

[Non souligné dans l’original.]

[53]  La SPR donne les explications suivantes au paragraphe 15 de sa décision :

Le demandeur d’asile a ensuite affirmé qu’il cachait son permis de conduire, qui était la seule pièce d’identité montrant son nom tribal, le nom qui révélait qu’il était chiite. Le tribunal a de nombreuses préoccupations concernant ce permis, mais il souligne particulièrement que, même s’il a affirmé qu’il devait cacher ce document, le permis qu’il a présenté dans la demande d’asile lui a été délivré à Mossoul en octobre 2015. Il a dit n’avoir pas utilisé ce permis et l’avoir renouvelé en raison de la forte amende qu’il encourrait s’il conduisait sans permis. Toutefois, à Mossoul, aucune police de la circulation ne demandait le permis, et il ne le portait donc pas. Il est inconcevable qu’un demandeur d’asile ait renouvelé son permis de conduire à Mossoul en octobre 2015, après que l’EI eut pris le contrôle de la ville, quand il s’agit du seul document montrant censément son origine chiite, particulièrement vu qu’il ne l’utilisait pas durant cette période. En plus des préoccupations générales quant à la crédibilité que cela soulève, le tribunal constate que cela mine la fiabilité du seul document que le demandeur d’asile a fourni pour soutenir son association avec une tribu chiite, comme il l’a prétendu. Le tribunal rejette l’explication du demandeur d’asile selon laquelle il a été en mesure de se déplacer en toute sécurité entre Mossoul et Erbil parce qu’il cachait un permis, qui avait en fait été délivré à Mossoul durant la période où la ville était occupée par l’EI.

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[54]  La SPR a écarté la preuve fournie relativement à la destruction de la maison des demandeurs parce que le rapport ne permet pas vraiment de savoir exactement la date de l’incident et les motifs pour lesquels ils auraient été pris pour cible :

Le demandeur d’asile adulte a présenté un document concernant le dépôt d’une plainte auprès d’un juge d’instruction liée à sa maison, détruite selon lui par l’EI. À la question de savoir quelles preuves étaient exigées pour appuyer la demande, le demandeur d’asile a répondu que seules leurs propres déclarations et la déclaration d’une personne de la région étaient exigées. Les déclarations fournies ne contenaient aucune date concernant le moment de la destruction de sa propriété, sauf « 2015 », et elles ont été faites peu après le départ des demandeurs d’asile de l’Iraq. Tenu d’expliquer pourquoi il présenterait une telle plainte juste avant de quitter le pays, le demandeur d’asile a dit que cela visait à pouvoir peut‑être un jour demander une indemnisation. Or, à la date de la demande d’asile, il n’avait pas fait de suivi. Vu les questions importantes quant à la crédibilité dans la présente demande d’asile, le fait que la prépondérance de la preuve [sic] à l’appui de la plainte provienne des demandeurs d’asile eux‑mêmes ou de quelqu’un décrit comme un ami du demandeur d’asile et que la demande n’ait été présentée que quelques jours avant le départ pour demander l’asile, le tribunal estime qu’il ne peut pas croire que les déclarations du demandeur d’asile ont été produites dans le but d’obtenir une indemnisation future plutôt que pour appuyer une demande d’asile par ailleurs fausse. Qui plus est, même si les documents étaient exacts, ils n’établissent pas le moment, ni le motif de la destruction de la maison, ni le fait que les demandeurs d’asile y vivaient. À la lumière de la destruction généralisée à Mossoul, le tribunal est d’avis que le fait que les demandeurs d’asile possèdent des biens touchés par le conflit ne suffit pas à établir l’existence d’un risque dans l’avenir s’ils retournaient en Iraq.

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[55]  La SPR a également conclu que les déplacements des demandeurs entre Erbil à Mossoul pour travailler « dépass[aient] l’entendement ». Les échanges suivants sont tirés de la transcription de l’audience :

[traduction]

COMMISSAIRE : D’accord, dites‑vous que vous étiez moins en sécurité à Erbil qu’à Mossoul pendant la période où l’EI contrôlait cette ville? Vous avez écrit que vous avez été ciblé par l’EI, parce que votre nom était inscrit sur une liste de personnes à tuer, et qu’il a fait exploser votre maison, pourtant rien dans ce que vous décrivez maintenant ne ressemble à cela?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Oui, mais il y a tout de même eu de nombreuses explosions dans la ville d’Erbil.

COMMISSAIRE : D’accord, mais vous avez choisi de toujours retourner à Mossoul, c’est ce que vous tentez de nous faire croire. Je veux simplement m’assurer de bien comprendre votre explication. Dites‑vous que vous y retourniez tout le temps parce que ce n’était pas sécuritaire à Erbil?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Non, pour moi, Mossoul et Erbil étaient deux régions où je ne pouvais pas vivre indéfiniment et, pendant cette période, je tentais par tous les moyens de sortir du pays, je cherchais seulement à gagner un peu de temps […]

COMMISSAIRE : D’accord, pourquoi n’auriez-vous pas pu le faire en vivant à Erbil, en attendant de savoir si vous pouviez aller en Australie ou […] pourquoi continuiez‑vous […]?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Je n’étais pas le bienvenu à Erbil parce que je suis arabe, je le remarquais chaque fois que je me rendais à l’agence de sécurité pour renouveler ma résidence. Peut‑être parce que j’avais aussi l’impression qu’ils découvriraient que je suis chiite également à Erbil. La milice chiite a combattu les Kurdes pour libérer la ville de Kirkouk de l’emprise du gouvernement du Kurdistan. Il y a donc eu des attentats entre les Kurdes, la secte chiite et le gouvernement de Bagdad à cause de cela et, à Erbil, chaque fois qu’on apprenait que j’étais chiite, on m’excluait, on me renvoyait.

COMMISSAIRE : D’accord. Là encore, l’autre solution pour vous était Mossoul. En tant que personne née à Erbil, qui est identifiée comme chiite et qui, selon vous, est reconnue par l’EI comme étant chiite, je comprends dans ce contexte ce que vous dites au sujet des difficultés que vous aviez à Erbil. Je ne comprends pas toutefois pourquoi Mossoul était un meilleur choix, à tel point que vous continuiez à y retourner et à y vivre.

DEMANDEUR D’ASILE 1 : L’EI contrôlait Mossoul, mais la plupart du temps, ils n’étaient pas présents dans les rues; ils pouvaient attaquer une zone ou une maison parfois, ils n’étaient pas présents dans les rues. Il était donc possible de circuler d’une région à une autre et d’aller à Erbil, et je vivais en clandestinité dans les deux maisons dans lesquelles j’ai déménagé, même les voisins ne savaient pas que j’étais là et, parce que c’était ma ville, j’y étais habitué, c’est pourquoi je préférais y rester jusqu’à ce que je parte. J’avais la possibilité d’aller vivre à Bagdad, dans le sud de l’Iraq, mais la peur est omniprésente. Nous voulions quitter définitivement l’Iraq pour atteindre un refuge sûr, pas Erbil, Erbil n’était qu’un choix temporaire.

COMMISSAIRE : Avez‑vous dû franchir des postes de contrôle entre Mossoul et Erbil?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Oui.

COMMISSAIRE : Y compris les postes de contrôle de l’EI?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Les chauffeurs savent quelles routes emprunter pour éviter ces postes de contrôle.

COMMISSAIRE : Donc, au cours des deux années durant lesquelles vous avez fait le trajet quatre fois par mois entre Mossoul et Erbil, vous n’avez jamais franchi un poste de contrôle de l’EI?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Non.

COMMISSAIRE : Est‑ce que les autorités kurdes s’inquiétaient un peu de ces déplacements?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Elles savaient que j’habitais à Mossoul et quand elles me demandaient si j’allais à Erbil, je leur répondais que j’avais du travail à Erbil, que je travaillais à Erbil.

[Non souligné dans l’original.]

[56]  Dans sa décision, la SPR a exprimé ses préoccupations de la façon suivante :

De l’avis du tribunal, le fait que les demandeurs d’asile se soient déplacés de cette manière entre Mossoul et Erbil pendant deux ans, au plus fort des activités de l’EI et du contrôle de Mossoul, dépasse l’entendement. Le tribunal constate que, durant cette période, il y avait un conflit actif entre l’EI et les forces de sécurité établies à Erbil, et l’EI était connu pour son traitement brutal des populations locales sous son emprise. Le déploiement de mines, de dispositifs explosifs improvisés, de kamikazes et d’autres armes de guerre et de contrôle a été utilisé par l’EI pour commettre des actes de violence à grande échelle. Dans ce contexte, il serait excessivement improbable qu’il suffise de connaître un chauffeur qui sait quelle route emprunter pour se déplacer entre les deux villes.

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[57]  Je dois donner raison à la SPR. Je ne doute pas que la vie des demandeurs à Erbil n’était pas idéale, mais j’ai moi aussi de la difficulté à comprendre pourquoi le demandeur aurait risqué sa vie et celle de sa famille en continuant de circuler –notamment en franchissant les postes de contrôle de l’EI – entre une ville où il travaillait et avait un semblant de vie normale et une autre où, dit‑il, il aurait été tué par l’EI s’il avait été repéré.

[58]  J’estime que l’analyse de la SPR quant à la crédibilité n’est pas déraisonnable. La SPR a relevé des contradictions dans les documents présentés par les demandeurs et un certain nombre d’invraisemblances qui n’appuyaient pas leur allégation selon laquelle ils n’étaient pas établis à Erbil et leur allégation selon laquelle ils étaient ciblés par l’EI. Elle a tiré ses conclusions en se fondant sur les éléments de preuve versés au dossier, notamment ceux sur la situation dans le pays qui confirment les risques inhérents aux déplacements dans la région. Par conséquent, je ne vois aucune raison de modifier les conclusions de la SPR quant à la crédibilité.

[59]  Le témoignage du demandeur au sujet de l’éducation de leurs enfants posait également problème. Selon les observations présentées à l’audience, les enfants ne fréquentaient pas l’école à Erbil, où ils étaient inscrits, mais ils recevaient l’enseignement à la maison des demandeurs adultes lorsqu’ils étaient à Mossoul.

[60]  Le témoignage livré à l’audience était le suivant :

[traduction]

COMMISSAIRE : Est‑ce que ces dossiers indiquent qu’ils allaient à l’école à Erbil ou qu’ils ne faisaient que passer des examens?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Uniquement les résultats des examens.

COMMISSAIRE : Combien de fois, au cours de ces deux années, diriez‑vous que vos enfants sont allés à Erbil ou à Duhok pour passer leurs examens?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : La plupart du temps, lorsque nous allions à Erbil, ils étaient avec nous. Les jours où ils n’avaient pas d’école, nous y allions, mon épouse et moi seulement.

COMMISSAIRE : Donc, pour dire les choses clairement, dites‑vous que vos enfants vous accompagnaient environ quatre fois par mois lors de ces quatre voyages entre Mossoul et Erbil?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Oui.

COMMISSAIRE : Pourquoi continuiez‑vous d’y retourner – votre famille, votre épouse, vos enfants étaient régulièrement à Erbil, vous aviez des emplois à Erbil – pourquoi êtes‑vous retourné à Mossoul pendant deux ans lorsque l’EI contrôlait la ville?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : En ce qui concerne mon épouse, une Arabe sunnite, elle n’a aucun problème pour entrer à Mossoul. Environ un million d’Arabes sunnites sont restés à Mossoul, ils n’ont pas tous quitté la ville malgré le contrôle de l’EI (inaudible). J’étais le seul à avoir un problème parce que je suis chiite, je craignais ces problèmes, c’est pourquoi je cachais mon permis de conduire, je ne le montrais pas. À notre entrée à Mossoul, ma femme s’identifiait comme étant une Arabe sunnite et disait que nous étions établis à Mossoul, ville où nous vivions et où nous avions grandi – nous connaissions chaque ville, et dans chacune, nous y avons des amis, il est difficile de laisser tout cela facilement et nous espérions que les choses s’améliorent pour que nous puissions continuer d’y vivre.

[Non souligné dans l’original.]

[61]  Les échanges suivants figurent plus loin dans la transcription de l’audience :

[traduction]

CONSEIL DU MINISTRE : Et comment décririez‑vous votre niveau de compétence en kurde pour ce qui est de la lecture, de l’écriture et de la parole?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Débutant.

CONSEIL DU MINISTRE : Selon la page 133 de la pièce 15, je vois que votre fils [nom de l’enfant] a obtenu une note de 95 en kurde. S’il n’est scolarisé qu’à la maison, si vous n’êtes qu’un débutant et si sa mère ne le parle pas, comment a‑t‑il réussi à obtenir une note aussi bonne?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Mon fils est très intelligent et il apprenait cette langue à l’école, et il apprenait très rapidement, et il m’enseignait aussi quelques mots, alors je lui posais des questions, j’apprenais de lui. Oui, et quand ma fille est venue au Canadaelle a obtenu, après avoir suivi les cours de français pendant un an, une note de 90.

COMSEIL DU MINISTRE : 90?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : 90, 9‑0.

CONSEIL DU MINISTRE : Incroyable.

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Malgré le fait que mon épouse et moi‑même ne parlons pas un mot français.

CONSEIL DU MINISTRE : Donc, à quelle école vos enfants, les trois enfants, apprenaient‑ils le kurde?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Pardon?

COMMISSAIRE : Est‑ce qu’ils étudiaient le kurde, où étudiaient‑ils le kurde?

CONSEIL : Quelle école?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Vous voulez savoir le nom des écoles?

CONSEIL DU MINISTRE : Je voulais savoir à quel endroit, était‑ce à Erbil?

DEMANDEUR 1 : Oui, Erbil.

CONSEIL DU MINISTRE : D’accord, vous nous avez avant dit que vos enfants ne sont pas allés à l’école à Erbil, qu’ils sont simplement allés s’inscrire pour passer un examen, et maintenant, vous me dites qu’ils ont appris le kurde à l’école à Erbil, comment expliquez-vous ça?

DEMANDEUR 1 : Ils prenaient les livres et mon fils est très intelligent, de sorte qu’il était capable de lire les livres, il avait aussi ses dictionnaires avec lui. Nous avons également téléversé, pardonnez-moi, téléchargé des applications sur son iPad. Et ils devaient apprendre seulement les rudiments de la langue kurde, donc l’alphabet et les mots simples, et cette école est essentiellement une école anglaise, donc la langue kurde est considérée comme auxiliaire ou secondaire. Nous les avons inscrits dans des écoles anglaises parce que nous voulions partir et voyager. C’est pourquoi mon épouse et moi lui enseignions tous les deux l’anglais, les mathématiques et la biologie. Il nous importait peu qu’il apprenne le kurde ou non, parce que nous savions que nous allions bientôt quitter l’Iraq. Et j’insistais en quelque sorte sur ces trois matières, l’anglais, les mathématiques et les sciences, parce que je savais que lorsque nous voyagerions ou que nous partirions, ils devraient passer un examen.

CONSEIL DU MINISTRE : Lorsque j’ai demandé où ils avaient appris le kurde, vous avez répondu à l’école, puis j’ai demandé où était l’école et vous avez répondu à Erbil, est‑ce que j’ai bien compris, c’est bien ce que vous avez dit?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Oui.

CONSEIL DU MINISTRE : J’ai une question à vous poser – et elle ne concerne ni l’anglais, ni les mathématiques, ni la biologie, mais le kurde – : je vous ai demandé à l’instant, et la commissaire vous l’a demandé plus tôt, si les enfants fréquentaient l’école, ce à quoi vous avez répondu non et dit qu’ils n’étaient inscrits que pour les examens, mais maintenant vous me dites qu’ils ont étudié le kurde à l’école. Vos réponses sont différentes et je ne comprends pas. Donc voici ma question : est‑ce qu’ils sont allés à l’école à Erbil, ont étudié et appris le kurde?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : C’est que nous, nous avions l’autorisation de fréquenter l’école, ils avaient – les enfants – l’autorisation de fréquenter l’école seulement certains jours ou quelques jours simplement, parce qu’ils comprenaient en quelque sorte notre situation, donc nous les amenions à l’école quelques jours seulement pour apprendre la langue. Ils avaient les livres et ils pouvaient lire à la maison, c’est tout. J’avais l’habitude de lire avec eux, et ils connaissaient certains mots, et je leur répétais que l’apprentissage du kurde n’était pas très important étant donné que nous allions partir. Le plus jeune n’a pas appris l’anglais, désolé, il n’a pas appris le kurde et quand il a commencé, je ne sais pas à quel moment, quand il a commencé, il a été accepté, puis quand nous avons demandé à l’école, désolé pas l’école, quand nous leur avons demandé de nous donner une attestation de son niveau, ils ont écrit son niveau pour les mathématiques, les sciences et l’anglais et, pour le kurde, ils ont simplement écrit acceptable, donc son niveau était tout simplement acceptable et cela nous était égal, car nous savions que nous allions voyager, mais son frère aîné est très intelligent, il a pu apprendre très rapidement les rudiments de la langue kurde.

[Non souligné dans l’original.]

[62]  Plus loin dans la transcription de l’audience, figurent les échanges suivants :

COMMISSAIRE : Vos enfants étaient inscrits dans des écoles à Erbil, nous le savons car nous avons les documents. Donc, ce que nous essayons de comprendre, c’est pourquoi vos enfants qui se trouvaient à Mossoul où ils ne fréquentaient pas l’école, étaient inscrits dans des écoles à Erbil. Il y a une différence ici, comment l’expliquez-vous, comment est-ce logique?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Il y a eu une entente entre le gouvernement central de l’Iraq et le gouvernement de la région du Kurdistan, et cette entente visait uniquement à aider les enfants à s’inscrire dans les écoles du Kurdistan. Ils n’étaient pas traités comme des élèves réguliers.

[…]

CONSEIL : D’accord. Si, par exemple vos enfants avaient voulu aller à l’école tous les jours de la semaine et si vous, vous vouliez qu’ils le fassent à Erbil, cela aurait‑il été possible?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Non, ils y étaient seulement en même temps que nous, quand nous étions nous-mêmes sur place à Erbil.

CONSEIL : D’accord. (inaudible) questions qui vous ont été posées la dernière fois que vous étiez ici. Puisque la ville dans laquelle vous viviez était si dangereuse et que les combattants de l’EI y étaient si présents, pourquoi n’avez‑vous pas continué de travailler à Erbil plutôt que d’y retourner tout le temps? Et pourquoi ne pas rester à Erbil tout le temps?

DEMANDEUR D’ASILE 1 : Parce que je n’ai pas obtenu la résidence permanente à Erbil. La résidence temporaire que j’ai obtenue là‑bas était liée à mon emploi et, s’il y avait eu un enjeu ou des problèmes au travail, nous aurions été mis à pied, ils nous auraient laissés partir, désolé, et ensuite nous n’aurions plus été en mesure de nous rendre à Erbil et, nous aurions même été expulsés du Kurdistan, donc il fallait que nous partions.

[Non souligné dans l’original.]

[63]  La transcription de l’audience démontre clairement qu’il était difficile pour la SPR de comprendre pourquoi les demandeurs adultes continuaient de vivre à Mossoul, une région où selon eux ils étaient exposés à un risque grave en raison du contrôle exercé par l’EI pendant un certain temps, et du fait qu’ils travaillaient à Erbil, où leurs enfants étaient aussi inscrits à l’école.

[64]  La SPR a conclu que le récit des demandeurs ne tenait tout simplement pas la route. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

C.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a examiné l’existence d’une possibilité de refuge intérieur à Erbil?

[65]  Au début de l’audience, le demandeur a confirmé que son lieu de naissance était Erbil. Le demandeur a également déclaré qu’il avait été formé dans plusieurs hôpitaux à Erbil. La commissaire de la SPR a ensuite demandé des précisions au sujet de la possibilité pour le demandeur d’entrer et de rester à Erbil, son lieu de naissance :

[traduction] Dans votre formulaire Fondement de la demande d’asile, vous avez écrit que votre ville de naissance était Erbil et qu’il vous était possible d’y entrer et d’y rester? Qu’est‑ce que cela veut dire?

[66]  Le demandeur a répondu qu’il était plus facile pour lui d’entrer et de rester à Erbil :

[traduction] Je veux dire que la possibilité pour moi d’y entrer et d’y rester est plus grande, ou que c’est plus facile, si je leur montre ma carte d’identité qui indique que mon lieu de naissance est Erbil, et au moins je voulais qu’ils sachent que dans les années 1960, quand je suis né, mon père vivait dans la ville d’Erbil.

[67]  Plus tard au cours de l’audience, la commissaire de la SPR a interrogé le demandeur sur les compétences linguistiques, en kurde, des demandeurs. Le demandeur a répondu que sa maîtrise de la langue kurde se situait au niveau « débutant ».

[68]  La conseil des demandeurs a ensuite interrogé le demandeur sur la possibilité de se réinstaller à Erbil :

[traduction] Supposons que vous retournez et que vous allez à Erbil, qu’arriverait-il à votre avis si vous tentiez de vous y intégrer et d’y vivre en permanence? Pensez‑vous pouvoir y vivre en permanence avec votre famille?

[69]  Le demandeur a répondu que seuls les Kurdes peuvent y résider à long terme :

[traduction] Erbil et d’autres villes de la province du Kurdistan sont des villes kurdes, les Kurdes ont le droit d’y vivre en permanence sans aucune condition. Il faudrait satisfaire à certaines conditions pour y retourner. Par exemple, pour les Arabes qui viennent de l’extérieur du Kurdistan et qui veulent obtenir leur résidence temporaire au Kurdistan, ils doivent soit être parrainés –le répondant doit être un citoyen kurde – soit être embauchés par le gouvernement.

[70]  La conseil a posé une question semblable au sujet de la possibilité d’une réinstallation permanente :

[traduction] Pourriez‑vous, même si vous y retourniez, vivre là‑bas de façon permanente, en auriez-vous automatiquement le droit?

[71]  Le demandeur a répondu que son épouse et lui n’ont pas le droit de vivre en permanence à Erbil en raison de leur identité arabe :

[traduction] Non. Les Arabes n’ont pas le droit de vivre en permanence au Kurdistan. Ils ont seulement le droit de vivre temporairement au Kurdistan, et ce, selon certaines conditions, et, à l’heure actuelle, nous ne répondons pas à ces conditions étant donné que nous avons perdu notre emploi, mon épouse et moi.

[72]  Le demandeur a également déclaré qu’il est peu probable qu’il soit parrainé dans le but d’obtenir la résidence permanente au Kurdistan parce qu’il n’a pas de parents kurdes :

[traduction] Il n’est pas facile d’obtenir l’engagement d’un répondant kurde parce que le répondant a l’obligation de répondre de tous mes actes, si jamais j’ai des problèmes, de nature juridique par exemple. Je n’ai pas de parents kurdes qui seraient capables de s’engager légalement à répondre pleinement de mes actes.

[73]  Selon les demandeurs, la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires sur la discrimination exercée envers les Arabes à Erbil et de la preuve selon laquelle les demandeurs ne peuvent obtenir la résidence permanente au Kurdistan. À l’audience, le demandeur a admis avoir vécu temporairement à Erbil pendant une courte période et s’être rendu fréquemment à Mossoul.

[74]  Les demandeurs soutiennent que leur capacité de demeurer à Erbil était liée à leur emploi. Sans emploi, la capacité des Arabes de rester au Kurdistan est au mieux précaire et ils risquent toujours de se faire dire de partir. Quant au fait que leurs enfants étaient inscrits dans des écoles à Erbil, le demandeur a déclaré qu’il y avait une entente selon laquelle ses enfants pouvaient s’inscrire dans des écoles à Erbil, mais qu’ils ne pouvaient pas assister régulièrement aux cours.

[75]  Toutefois, le fait que les demandeurs travaillaient à temps plein dans des hôpitaux à Erbil au moment où ils ont décidé de quitter l’Iraq est troublant. La demanderesse a précisé dans son témoignage que leur résidence à Erbil n’était que temporaire, et conditionnelle à leur emploi.

[76]  Les arguments présentés par les demandeurs après l’audience démontrent qu’ils étaient exposés à un risque continu à Erbil étant donné que l’EI pouvait les localiser dans cette ville. Ce point n’a pas été soulevé devant moi; je soupçonne que c’est parce que la présence de l’EI à Erbil, sans parler du reste de l’Iraq, a fortement diminué.

[77]  On a fait valoir devant moi que les demandeurs continueraient d’être persécutés du fait de leur religion même à Erbil si l’on apprenait qu’ils forment un couple chiite/sunnite. Je constate que cet argument n’a pas été soulevé devant la SPR ni dans le mémoire présenté par la conseil des demandeurs après l’audience. Le demandeur a également déclaré dans son témoignage que sa famille était constamment inquiète lorsqu’ils étaient à Erbil, parce qu’il est chiite.

[78]  Il se peut fort bien qu’il y ait eu des tensions politiques à Erbil, mais elles n’ont pas empêché les demandeurs d’y vivre pendant qu’ils y travaillaient; le risque imminent pour eux se pose à Mossoul.

[79]  Le défendeur soutient que la SPR a effectué un examen et une évaluation approfondis des éléments de preuve et qu’elle a tenu compte, dans son analyse de la PRI, des circonstances entourant les demandes d’asile des demandeurs et du risque auquel ils seraient exposés. Selon lui, il était loisible à la SPR de conclure que les demandeurs pouvaient s’établir à nouveau à Erbil.

[80]  L’argument des demandeurs repose sur trois éléments.

[81]  Le premier élément est un reportage de Vox Media selon lequel les Arabes n’ont pas le droit légal de vivre en permanence à Erbil. Toutefois, la page citée par les demandeurs n’appuie pas leurs affirmations, et le rapport de Vox Media résume simplement les tensions entre les Kurdes et le gouvernement central de l’Iraq.

[82]  Le deuxième élément est constitué des observations écrites de leur conseil, selon lesquelles les demandeurs ne peuvent vivre et travailler en permanence à Erbil qu’à la condition d’être parrainés et il n’est pas possible pour eux d’être parrainés. Toutefois, la SPR a examiné les éléments de preuve présentés par les demandeurs sur cette question et a conclu que ces éléments ne permettaient pas d’affirmer qu’ils ne pourraient pas vivre et travailler à Erbil :

Le tribunal reconnaît qu’il existe des restrictions liées à la résidence et au travail à Erbil, mais il estime que, dans la situation des demandeurs d’asile, où les deux adultes possèdent une vaste expérience de travail en tant que médecins dans des hôpitaux publics, où les enfants ont fréquenté des écoles et où le demandeur d’asile adulte est né dans la région, il est probable qu’ils soient en mesure de satisfaire aux exigences de la résidence (comme ils l’ont probablement fait dans le passé). Autrement dit, leurs antécédents personnels et importants dans la région donnent à penser qu’ils auraient la capacité de satisfaire aux exigences de la résidence, comme obtenir un emploi au gouvernement, solliciter des personnes locales pour parrainer leur résidence ou posséder des liens personnels importants, notamment parce qu’ils sont nés dans la région. Les éléments de preuve ne donnent pas à penser que cette capacité ne se transmettrait pas à leurs enfants, y compris à l’enfant adulte du demandeur d’asile principal. Le tribunal estime que, vu les préoccupations importantes quant à la crédibilité en l’espèce, il n’est pas prêt à accepter le témoignage des demandeurs d’asile et les éléments de preuve selon lesquels ils ne seraient pas en mesure de résider dans la région du Kurdistan iraquien, et il privilégie plutôt les éléments de preuve qui établissent des antécédents personnels importants et de longue date dans la région et une capacité d’y travailler et d’y vivre légalement et de façon continue comme preuve de la possibilité qu’ils puissent continuer de le faire s’ils y retournent. (Décision de la SPR, au par. 29).

[Renvoi omis.]

[83]  Le troisième élément est constitué des éléments de preuve concernant la traite des personnes à Erbil. S’il est vrai que la traite des personnes est un risque à Erbil et en Iraq en général, la SPR n’a pas examiné les risques associés à la traite des personnes parce que les demandeurs n’ont présenté aucune observation sur cette question ni dans leurs formulaires de demande d’asile, ni lors de l’audience devant la SPR, ni dans les observations qu’ils ont produites après l’audience. Les risques associés à l’EI étaient toutefois la principale préoccupation en l’espèce.

[84]  Par conséquent, je ne retiens pas l’argument des demandeurs selon lequel la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires.

[85]  L’audience a aussi clairement révélé que les demandeurs pouvaient demeurer et vivre à Erbil à la condition d’y travailler. Il y a donc lieu de se demander pourquoi ils ne se sont tout simplement pas réinstallés à Erbil après que le demandeur a été ciblé par l’EI étant donné que les deux demandeurs adultes travaillaient à Erbil.

[86]  La conseil des demandeurs a précisé à l’audience que ses clients ne se sont jamais sentis à l’aise à Erbil. C’est fort possible, mais ce sentiment ne constitue pas le critère qui permet de déterminer l’existence d’une PRI valable. Je reconnais que le fait pour un Arabe de vivre à Erbil a peut‑être été difficile à gérer, mais si je le compare aux risques inhérents qui se rattachent aux déplacements des demandeurs entre Erbil et Mossoul, je peux certainement comprendre pourquoi la SPR a mis en doute le récit des demandeurs.

[87]  Je ne suis pas convaincu que la conclusion de la SPR selon laquelle Erbil est une PRI valable est déraisonnable.

VII.  Conclusion

[88]  Par conséquent, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2564‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de juin 2020

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2564‑19

 

INTITULÉ :

AZHAR MOHAMMAD SAMAK

(alias AZHAR MOHAMMAD AZHER SAMAK), AMER IBRAHIM MOHAMMAD MOHAMMAD,

BATOL ANAS ABDULRAHMAN ABDULRAHMAN,

OLA AMER IBRAHIM IBRAHIM, ALI AMER IBRAHIM IBRAHIM, MUSTAFA AMER IBRAHIM IBRAHIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 20 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

Christian Julien

 

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Crossley Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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