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Date : 19981008


Dossier : IMM-2565-97

ENTRE :

     GEOFFREY ONONO ONGANDA,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

(Prononcés à l'audience à Winnipeg (Manitoba),

le 7 octobre 1998)

LE JUGE HUGESSEN

[1]      Il s'agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre prise en vertu de l'article 70(5) de la Loi sur l'immigration :

                 70.(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :                 
                      a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;                 
                      b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;                 
                      c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.                 

[2]      Le demandeur est un citoyen du Kénya. Il est noir. Après avoir obtenu le droit d'établissement au Canada, il a été reconnu coupable de trois infractions de trafic de cocaïne. Il a commis les trois infractions à peu près à la même époque et il n'a fait l'objet que d'une seule arrestation relativement à celles-ci. Il a comparu plusieurs fois devant les tribunaux et il a plaidé coupable. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement. Il a obtenu une libération de jour, à laquelle il a manqué en s'absentant après seulement deux jours. Il a donc été de nouveau arrêté et emprisonné.

[3]      À l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève deux arguments. Le premier est fondé sur l'article 15 de la Charte et le deuxième vise l'annulation de la décision du ministre au motif qu'elle est abusive.

[4]      L'argument fondé sur l'article 15 comporte deux volets. Premièrement, le demandeur prétend que le paragraphe 70(5) ainsi que la disposition connexe énoncée à l'alinéa 46.01(1)e)iv) de la Loi sur l'immigration sont invalides et devraient être annulés au motif que ces dispositions risquent de façon inacceptable d'être appliquées de manière discriminatoire.

[5]      Deuxièmement, le demandeur soutient que le paragraphe 70(5) a effectivement été appliqué d'une manière discriminatoire en l'espèce.

[6]      Le premier volet de l'argument fondé sur l'article 15 est entièrement nouveau. Les avocats n'ont pas réussi à identifier de précédent en ce sens. En fait, le demandeur voudrait pouvoir invoquer l'article 15 de la Charte de façon préventive, au motif qu'une loi neutre, à sa face même, risque d'être appliquée de manière discriminatoire. Je doute sérieusement que l'article 15 ait une telle portée et, à mon sens, on pourrait prétendre que pratiquement toutes les lois en vigueur risquent d'être appliquées de manière discriminatoire. Il ne s'agit certainement pas d'un motif d'annulation des lois.

[7]      Toutefois, il n'est pas nécessaire, à mon avis, de trancher cette question d'une manière définitive. Même si l'article 15 devait avoir l'application préventive recherchée par le demandeur en l'espèce, j'estime qu'aucun tribunal ne pourrait exercer un tel pouvoir sans qu'on ne lui ait au préalable soumis des éléments de preuve qui établissent que la loi a été effectivement appliquée d'une manière discriminatoire ou, éventuellement, qui montrent l'intention de l'appliquer d'une manière discriminatoire. Il n'existe pas, en l'espèce, de preuve de cette intention.

[8]      Cela m'amène au deuxième volet de l'argument du demandeur fondé sur l'article 15, à savoir l'argument selon lequel la loi a effectivement été appliquée de manière discriminatoire. À l'appui de son point de vue, le demandeur a présenté certains éléments de preuve, que j'estime largement insuffisants.

[9]      On m'a soumis des données brutes sur le nombre de personnes considérées dangereuses en vertu du paragraphe 70(5), qui précisent le pays d'origine de ces personnes ou le pays dans lequel elles ont été renvoyées. Ces données, affirme le demandeur, montrent que jusqu'à 75 % des personnes qui sont considérées dangereuses, sont originaires de pays où la population est principalement noire, hispanique, sémite ou asiatique. Bien entendu, cette affirmation est loin d'établir que 75 % des personnes faisant l'objet d'une opinion fondée sur le paragraphe 70(5) sont noires, hispaniques, sémites ou asiatiques. Premièrement, les pays d'origine dont la population présente, selon le demandeur, de telles caractéristiques, n'ont pas des populations homogènes; la Jamaïque, par exemple, a une importante population de race blanche. En outre, les pays mentionnés par le demandeur qui, selon lui, sont peuplés de personnes d'une autre race, vraisemblablement blanche, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, ont de très importantes populations d'origine noire, hispanique, sémite et asiatique.

[10]      Mais, il ne s'agit pas là du principal problème posé par les pièces qui m'ont été soumises en l'espèce. Même si je devais présumer que 75 % personnes qui sont considérées dangereuses, sont en réalité noires, hispaniques, sémites ou asiatiques, cela ne me permettrait pas d'affirmer que l'article est appliqué d'une manière discriminatoire. Par définition, l'article 70(5) est applicable aux résidents permanents qui n'ont pas encore obtenu le statut de citoyen, et qui ont été reconnus coupables de crimes graves. Vraisemblablement, nous parlons ici de personnes qui ont immigré au Canada de façon assez récente, puisque celles-ci n'ont pas encore obtenu le statut de citoyen. On ne nous a présenté aucunes pièces montrant dans quelle proportion la population immigrante n'ayant pas encore obtenu le statut de citoyen est composée de noirs, d'hispaniques, de sémites ou d'asiatiques. Bien entendu, même si cette proportion tend vers le 75 % invoqué par le demandeur, les pièces présentées ne nous permettent pas de conclure qu'il y a discrimination.

[11]      De même, l'exigence d'une déclaration de culpabilité relative à un crime grave soulève des questions sur les immigrants reconnus coupables de tels crimes. Un nombre disproportionné d'immigrants noirs, hispaniques, sémites et asiatiques ont-ils été reconnus coupables de crimes graves ? Dans l'affirmative, le problème provient non pas de l'article 70(5) de la Loi sur l'immigration mais bien de l'administration du système de justice pénale, une question à l'égard de laquelle la Cour ne peut intervenir.

[12]      Le demandeur mentionne également le fait historique (il s'agit sans aucun doute d'un fait) que constituent les déplorables antécédents racistes dans la politique canadienne de l'immigration. Une telle allégation n'est d'aucune utilité pour le demandeur relativement à sa contestation de dispositions de la Loi sur l'immigration en l'espèce. La loi canadienne sur l'immigration est maintenant, affirme-t-on, à l'abri des politiques discriminatoires. Bien entendu, cela n'enraye pas toute possibilité de discrimination. Toutefois, une telle possibilité ne fournit pas, à mon avis, la justification suffisante pour annuler une disposition législative, et permet encore moins à un tribunal de conclure, en l'absence d'éléments de preuve portant expressément sur la situation du demandeur, que ce dernier a été victime de discrimination raciale.

[13]      Autrement dit, le fait qu'il puisse être difficile (et effectivement ça l'est) de prouver la présence de discrimination raciale ne permet pas à la Cour de présumer son existence.

[14]      Cela m'amène enfin au deuxième argument soulevé par le demandeur, à savoir que la décision du ministre est abusive. Sur ce point, tout ce que je peux dire c'est que les pièces soumises à la ministre lui permettaient sans aucun doute de conclure que le demandeur constituait un danger inacceptable. La question de savoir si j'aurais émis la même opinion est non pertinente. La loi confère au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire et, tel que l'a mentionné la Cour d'appel dans l'arrêt Williams, il s'agit d'un pouvoir dans l'exercice duquel des considérations politiques peuvent à bon droit entrer en ligne de compte.

[15]      Pour convaincre la Cour, il faudrait à mon avis que le demandeur établisse l'absence d'éléments de preuve sur lesquels tout ministre aurait pu raisonnablement se fonder pour tirer la conclusion tirée dans la présente affaire. Les pièces qui m'ont été soumises sont bien loin de montrer qu'il s'agit du cas en l'espèce.

[16]      En conséquence, la demande sera rejetée. Toutefois, avant de signer l'ordonnance, j'inviterais les avocats à proposer, le cas échéant, des questions importantes aux fins de certification.

[17]      [Plus tard] Les avocats m'ont demandé de certifier la question de l'application préventive de l'article 15 pour contester les articles 70(5) et 46.01 de la Loi sur l'immigration. Non sans hésitation, je refuse d'accéder à cette demande. Le jugement que je viens de rendre est fondé sur le fait que les pièces établissant la discrimination en l'espèce sont tout simplement insuffisantes pour mener à bien une contestation fondée sur la Charte. Je n'exclus pas la possibilité d'une telle contestation si elle était appuyée des pièces suffisantes présentées à la Cour, mais, en l'absence de preuves appropriées, j'estime que la présente affaire ne soulève pas de question de portée générale et je refuse de certifier la question.

     "James K. Hugessen"

                                         Juge

WINNIPEG (MANITOBA)

8 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE GREFFE :                  IMM-2565-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Geoffrey Onono Onganda c. Le ministre de la
                         Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE :              7 octobre 1998
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN
EN DATE DU :                  8 octobre 1998

ONT COMPARU :

M. David Davis                  pour le demandeur

Mme Sharlene Telles-Langdon

Ministère de la Justice

301, Broadway, bureau 310

Winnipeg (Manitoba)

R3C 0S6                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David H. Davis Law Office

310, Broadway, bureau 800

Winnipeg (Manitoba)

R3C 0S6                      pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada                      pour le défendeur

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


Date : 19981008


Dossier : IMM-2565-97

ENTRE :

GEOFFREY ONONO ONGANDA,

     demandeur,

     - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

    

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

    

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