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Date : 20040531

Dossier : T-141-03

Référence : 2004 CF 789

Ottawa (Ontario), le 31e jour de mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                               GUY LEVESQUE

                                                                                                                                         Demandeur

et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA)

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Ne pas admettre une preuve admissible nécessite un réexamen du champ de vue. La justice est perpétuellement à la recherche de la preuve permise: une fenêtre pour voir plus clair du long au large...


LE FOND DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision rendue le 3 mars 2003 par le commissaire siégeant à titre d'arbitre de griefs (le « Commissaire » ) aux termes de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.[1]

FAITS

[3]                Selon des circonstances spécifiques, basé sur l'interaction entre certains individus, ceci est un cas d'espèce avec une preuve particulière liée à un individu et uniquement à un individu.

[4]                Pour toute la période pertinente, le demandeur, Guy Lévesque, était employé à l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « l'Employeur » ) et faisait partie du groupe CS (Système d'ordinateur). Il était couvert par la convention collective conclue entre le Conseil du trésor et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada ( « la convention » ).


[5]                Vers l'été 1999, Guy Lévesque a fait l'objet de plaintes de la part d'un chargé de projet et ce, en raison d'une confusion relative à la période au cours de laquelle le demandeur pouvait prendre ses vacances annuelles. Suite à ces plaintes, le climat s'est envenimé au point où la santé du demandeur en a été affectée. Guy Lévesque a consulté un psychiatre à partir du mois d'octobre pour des fins de traitement. La période de harcèlement par ses supérieurs se serait étalée du mois de septembre à la fin octobre 1999.

[6]                Le 13 octobre 1999, le demandeur déposait une plainte de harcèlement au travail.

[7]                Un rapport issu d'une enquête par une entreprise privée et faite à la demande de l'Employeur confirmait que le demandeur avait été victime de harcèlement durant la période en litige.

[8]                En raison des événements, Guy Lévesque a dû s'absenter à de nombreuses reprises, tant pour des congés de maladies, rendez-vous médicaux ou encore pour des rencontres avec des représentants syndicaux.

[9]                Le psychiatre de Guy Lévesque lui a conseillé de prendre un congé d'un an pour traiter ses problèmes de santé mentale. Le psychiatre a communiqué avec un agent de relations de travail chez l'Employeur pour lui décrire les besoins de M. Lévesque. L'agent de relations de travail a expliqué qu'il serait difficile d'accueillir une demande pour un congé d'un an, mais que l'Employeur autoriserait peut-être un congé de six mois.


[10]            Guy Lévesque, accompagné d'un représentant syndical, a tenu des discussions avec l'Employeur afin de régler sa demande. En avril 2002, l'Employeur a offert de rembourser les congés pris par M. Lévesque à partir du début de la période de harcèlement jusqu'au 31 mars 2001. Cependant, M. Lévesque devait, à compter d'avril 2002, puiser dans sa banque de congés de maladie pour toute absence liée à ses problèmes de santé.

[11]            Face à l'échec des discussions de règlement entre les parties, Guy Lévesque a déposé deux griefs, l'un alléguant que l'Employeur avait refusé de prendre des mesures correctives appropriées suite à sa plainte de harcèlement, contrairement à l'article 22 de la convention collective, l'autre alléguant que l'Employeur avait refusé sa demande pour un congé de six mois, en contravention de l'article 17.17 de la convention.

[12]            Lors de l'audition des griefs, le représentant du demandeur a tenté d'introduire en preuve plusieurs éléments, tous visant à démontrer la mauvaise foi de l'Employeur. Le Commissaire a refusé d'admettre les preuves ; il a expliqué qu'il aurait fallu déposer un grief portant spécifiquement sur la mauvaise foi de l'Employeur.

[13]            Lors du contre-interrogatoire d'un témoin, le représentant de Guy Lévesque a tenté de déposer en preuve, par le biais du témoin, un document adressé à ce dernier. Le Commissaire a statué qu'il était impossible d'admettre cette preuve puisque le témoin était présenté par l'Employeur.


DÉCISION DE LA COMMISSION

[14]            Le Commissaire, dans sa décision, a disposé en premier du grief fondé sur l'article 22 de la convention collective en soulignant, quant aux mesures correctives appropriées :

Je me dois de disposer en premier lieu du grief 166-34-31394 portant sur l'article 22 de la convention. Cet article traite de sécurité et d'hygiène et parle de collaboration entre l'employeur et le syndicat pour prévenir ou réduire les risques d'accident de travail.

Aucune preuve ne me fut présentée relativement à l'application de cet article et je déclare le grief sans fondement.[2]

[15]            Quant au second grief, référant à une demande de congé payé et s'appuyant sur la clause 17.17 de la convention collective, le Commissaire a conclu que la décision du défendeur de rejeter la demande de congé n'avait pas été déraisonnable, dans les termes suivants :

... Dans les circonstances, je crois que, dans le présent dossier, l'employeur avait raison d'assimiler la demande de M. Lévesque à une demande de congés de maladie additionnels et qu'il a correctement appliqué la clause 17.17.

Il est bien évident comme je l'ai exprimé précédemment, que mon rôle consiste à déterminer si la décision de refus de l'employeur était bien fondée et que je ne peux substituer ma décision à la sienne. Je trouve cependant dommage que les parties n'aient pas pu trouver de terrain d'entente.[3]

[16]            Guy Lévesque ne conteste pas la décision à l'égard du grief 166-34-31394, mais seulement la décision à l'égard du deuxième grief.


QUESTIONS EN LITIGE

[17]            Quelle est la norme de contrôle ?

[18]            Est-ce que le Commissaire a fait erreur en n'admettant pas la preuve de Guy Lévesque ?

ANALYSE

Quelle est la norme de contrôle ?

[19]            Guy Lévesque prétend qu'en ce qui trait au défaut du Commissaire d'admettre des éléments de preuve pertinente, la norme de contrôle est celle de la décision correcte ; quant au défaut du Commissaire de considérer des faits pertinents, la norme de contrôle serait plutôt celle de la décision manifestement déraisonnable.


[20]            Par contre, le défendeur soutient, correctement, que la question de la norme de contrôle des décisions sur l'admission de la preuve a été décidée dans l'affaire Teeluck c. Canada (Conseil du Trésor).[4] Dans Teeluck, le juge de première instance a déclaré : « ...Les décisions des arbitres quant aux éléments de preuve ne peuvent généralement faire l'objet d'un contrôle que s'il est démontré qu'elles sont manifestement déraisonnables ou irrationnelles. » [5] La décision a été confirmée par la Cour d'appel.

Est-ce que le Commissaire a fait erreur en n'admettant pas la preuve de Guy Lévesque ?

[21]            L'article 17.17 de la convention se lit comme suit : « L'Employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention. » [6]

[22]            Le représentant de Guy Lévesque, lors de l'audition, a déclaré qu'il avait tenté d'introduire en preuve plusieurs éléments afin d'établir la mauvaise foi de l'Employeur lorsque celui-ci procédait à l'examen de la demande de congé de Guy Lévesque en vertu de l'article 17.17.[7] Le représentant a déclaré : « Devant l'objection de la représentante de l'employeur quant à l'admissibilité de la preuve le commissaire... a refusé que je dépose ladite preuve sur la prémisse qu'un autre grief portant sur cette question aurait dû être déposé. » [8] Le défendeur ne conteste pas cette affirmation.

[23]            Guy Lévesque prétend que le fait de rejeter la preuve tendant à établir la mauvaise foi de l'Employeur dans l'application de sa discrétion, qui était non seulement cruciale à la lumière de l'article pertinent de la convention collective mais aussi dans le contexte du harcèlement au travail, constitue une erreur.

[24]            Le défendeur admet que la question de la mauvaise foi lors de l'exercice de la discrétion de l'Employeur est pertinente dans le contexte particulier de la clause 17.17 de la convention. Néanmoins, le Commissaire n'a pas fait erreur en n'admettant pas la preuve, car la décision du Commissaire que l'article 16 de la convention prévoit déjà le régime complet applicable à une demande de congé relative à une incapacité de travailler en raison d'une maladie ou d'une blessure était raisonnable. Cette disposition englobe toutes les situations d'incapacité à travailler et prévoit uniquement une comptabilisation spécifique en matière d'accident de travail, conformément à la clause 16.05. Le congé pour accident de travail est spécifiquement prévu à la clause 17.16 de la convention. La clause 17.17 n'était pas applicable et la question de la mauvaise foi lors de l'exercice de la discrétion de l'Employeur n'était donc pas pertinente.

[25]            Si l'on accepte cette prétention, le Commissaire aurait dû conclure que la clause 17.17 n'était pas applicable dans le cas du Guy Lévesque avant l'audience, et rejeté la preuve pour ce motif. Si, par contre, il était prêt à considérer l'application de la clause 17.17, la preuve était recevable.

[26]            La Cour accepte la prétention de Guy Lévesque, admise par le défendeur, que la mauvaise foi de l'Employeur est pertinente à l'application de la clause 17.17. De plus, la Cour accepte la prétention de Guy Lévesque qu'il est nécessaire de montrer que l'Employeur a abusé de sa discrétion pour qu'un demandeur puisse satisfaire aux exigences de la clause 17.17, et en conséquence, que la preuve visant à démontrer la mauvaise foi de l'Employeur était nécessaire. Il y a des situations où il serait loisible au Commissaire de ne pas admettre de la preuve même si elle était nécessaire. Pourtant, rejeter des éléments de preuve uniquement parce que la preuve aurait pu servir à d'autres fins n'est pas une raison adéquate. La Cour conclue que la décision du Commissaire de ne pas admettre la preuve était manifestement déraisonnable.

[27]            La prétention du défendeur est à l'effet que même si le Commissaire a fait erreur, cette erreur n'est pas importante. Si la clause 17.17 n'est pas applicable, même si le Commissaire avait accepté la preuve, elle n'aurait pas été pertinente. Pourtant, si l'Employeur agissait de mauvaise foi, cette attitude aurait remis en question toute sa décision, y compris celle que la clause 17.17 n'était pas applicable. Le Commissaire devait donc décider si l'Employeur agissait de mauvaise foi pour pouvoir rendre une décision complète ; il a fait erreur en n'acceptant pas la preuve sur ce sujet.

CONCLUSION

[28]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision du Commissaire soit annulée et que l'affaire soit remise à la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour que le dossier soit traité par un nouveau tribunal.

« Michel M.J. Shore »

                                                                                                                                                    Juge                            


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                      T-141-03

INTITULÉ :                                                    GUY LÉVESQUE et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(AGENCE DES DOUANES ET DU

REVENU CANADA)

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 25 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE               

ET ORDONNANCE:                                     L'HONORABLE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS DE                              LE 31 MAI 2004

L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE:                                          

COMPARUTIONS :

Me Sean T. McGee et

Me Annie G. Berthiaume                                   POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Hélène Brunelle                                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NELLIGAN O'BRIEN PAYNE                       POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Avocats

Ottawa (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

        



[1] L.R. 1985, ch. P-35 (la « Loi » ).

[2] Dossier du Demandeur, Décision du Commissaire, Onglet 2 aux pp. 12-13, paras. 44-45.

[3] Décision du Commissaire, précité à la p. 14, aux paras. 54-55.

[4] [2000] A.C.F. no 1748 (QL) (C.A.F.), conf. [1999] A.C.F. no 1544 (QL) (1ère inst.)

[5] Teeluck, précité au para. 24.

[6] Dossier du défendeur, Convention entre l'Agence des douanes et du revenu du Canada et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, Groupe: Systèmes d'ordinateurs (tous les employés), Onglet A.

[7] Dossier du demandeur, Affidavit de Martin Ranger assermenté le 30 avril 2003, Onglet 3, à la p. 17, au para. 8.

[8] Affidavit de Martin Ranger, précité, à la p. 17, au para. 9.

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