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                                                                                                                                 Date : 20050323

                                                                                                                           Dossier : T-1549-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 400

ENTRE :

                                              CLUETT, PEABODY CANADA INC.

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                                                                   EFFIGI INC.

                                                                                                                                     Défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE de MONTIGNY

[1]                Il s'agit d'un appel de Cluett, Peabody Canada Inc. (l'appelante), en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi), à l'encontre d'une décision du 15 juin 2004 du registraire des marques de commerce. Cette décision concluait que la marque de commerce de Effigi Inc., (l'intimée) AEROPEAK BY DE UNGAVA, ne risquait pas de porter à confusion avec les marques de type ARROW de l'appelante.


Faits

[2]                Le 4 décembre 1998, Effigi présente une demande d'enregistrement pour la marque de commerce AEROPEAK BY DE UNGAVA (ci-après Aeropeak) fondée sur un emploi projeté en liaison avec des vêtements et divers produits.

[3]                Cette demande d'enregistrement fut publiée dans le Journal des marques de commerce le 16 août 2000.

[4]                Le 16 janvier 2001, Cluett Peabody produit une déclaration d'opposition à l'encontre de cette demande. Cette opposition était fondée sur trois motifs, à savoir : 1) la marque Aeropeak n'est pas enregistrable en vertu de l'article 12(1)(d) de la Loi puisqu'elle porterait à confusion avec ses marques Arrow (voir l'annexe 1 pour la liste des marques de commerce de la demanderesse); 2) Effigi ne serait pas la personne ayant droit à l'enregistrement en vertu de l'article 16(3)(a), et (3) la marque Aeropeak ne serait pas distinctive au sens de l'article 2.

[5]                Devant le registraire, l'appelante a produit un affidavit pour introduire les copies d'enregistrement de ses marques Arrow. Quant à l'intimée, elle a produit un affidavit concernant l'enregistrement de sa marque de commerce UNGAVA pour divers types de vêtements.


La décision du registraire

[6]                Le Registraire a d'abord rappelé que le fardeau de preuve initiale repose sur l'opposante, qui doit présenter suffisamment d'éléments concernant chacun de ses motifs d'opposition pour établir ses prétentions prima facie. Le fardeau se déplace subséquemment sur la requérante, qui devra convaincre le Registraire que ces motifs d'opposition ne devraient pas être retenus. Enfin, il ajoute que les dates pertinentes pour évaluer le bien-fondé des prétentions de l'opposante varient en fonction des motifs allégués; en l'occurrence, ces dates ont peu d'importance et les parties n'en ont d'ailleurs pas fait un enjeu.

[7]                Ensuite, le registraire a constaté l'absence de preuve d'emploi des marques de l'appelante. Puisqu'un opposant qui fonde son opposition sur la propriété et l'usage d'une série de marques se doit de prouver l'emploi de chacune des marques, les deuxièmes et troisièmes motifs d'opposition ont donc été rejetés.


[8]                Pour ce qui est du premier motif d'opposition, le registraire a conclu que l'emploi de la marque Aeropeak ne porte pas à confusion avec les marques Arrow après avoir analysé les critères décrits à l'article 6 de la Loi, sur lesquels nous reviendrons plus loin. Il établit d'abord que les deux marques possèdent un certain caractère distinctif; toutefois, en l'absence de preuve d'emploi de ces marques, le registraire n'a pas été en mesure de déterminer jusqu'à quel point ces marques sont connues. Puis, en se référant au certificat d'enregistrement pour les marques Arrow, le registraire précise que ces marques ont été en usage depuis 1949 et 1902 respectivement; il en conclut que ce second critère favorise Cluett Peabody.

[9]                Lors de l'audition devant le registraire, l'intimée a admis que les critères contenus aux alinéas c) (le genre de marchandises) et d) (la nature du commerce) de l'article 6(5) de la Loi favorisaient Cluett Peabody.

[10]            Enfin, le Registraire a considéré que le dernier critère (degré de ressemblance entre les marques) était le plus important, particulièrement lorsque les marchandises visées par les marques sont très similaires. À cet égard, il a fait les constatations suivantes. Au niveau visuel, Aeropeak se distingue des marques Arrow. Au niveau de la prononciation, il y a absence de preuve quant à la façon dont les mots ARROW et AERO sont prononcés par un anglophone, un francophone et une personne bilingue; également, il est possible de concevoir plus d'une prononciation pour chacun de ces mots. De plus, les idées suggérées par les marques sont différentes. Ce dernier critère favoriserait donc Effigi. Le registraire conclut que l'intimée s'est déchargée de son fardeau de démontrer que Aeropeak ne risque pas de porter à confusion avec les marques Arrow. L'opposition de Cluett Peabody est donc rejetée.


Prétentions de l'appelante

[11]            L'appelante a produit des affidavits supplémentaires. D'abord, l'affidavit de Sheree Smyth qui introduit les enregistrements des marques de commerce de la série Arrow. Ensuite, l'affidavit de Ian Ross, président et directeur de Cluett Peabody qui explique la présence et la renommée des marques Arrow dans l'industrie canadienne, produit des exemples de publicité et souligne les revenus rattachés à ces marques ainsi que les endroits où elles sont vendues. À l'audition, l'avocate de l'appelante a indiqué que cette preuve n'avait pas été contestée. Pour ce qui est de l'affidavit de Brad Wiseman, il fait état des diverses prononciations des mots ARROW et AERO, selon neuf dictionnaires.

[12]            En ce qui concerne la norme de contrôle, l'appelante soutient que la nouvelle preuve soumise dans le cadre de cet appel est directement liée à la question de savoir si la marque projetée de l'intimée créerait de la confusion, et qu'il faut en conséquence appliquer la norme de la décision correcte. Elle prétend par ailleurs s'être déchargée de son fardeau de preuve, alors qu'Effigi n'a produit aucune preuve pour établir que sa marque de commerce ne prêterait pas à confusion.


[13]            Ensuite, l'appelante allègue que la confusion est au coeur des trois motifs d'opposition, et procède en conséquence à son analyse des critères contenus à l'article 6(5). Pour ce qui est du premier facteur, elle explique que ses marques Arrow ont un caractère distinctif inhérent et sont très connues au Canada, tel qu'établi par l'affidavit de Ian Ross. Ce même affidavit explique également que Cluett Peabody utilise la marque Arrow depuis 1902.

[14]            Pour les troisièmes et quatrièmes facteurs, l'appelante spécifie que la nature des marchandises visées par les deux marques de commerce est essentiellement similaire. Il en va de même pour la nature du commerce; les marchandises des parties pourraient être vendues dans les mêmes établissements commerciaux. Les quatre premiers éléments de l'article 6(5) joueraient donc en sa faveur.

[15]            Pour ce qui est du dernier élément, le degré de ressemblance entre les marques, l'appelante allègue qu'au Canada, tel qu'il ressort de l'affidavit de Brad Wiseman, les mots Arrow et Aero sont prononcés de la même façon. Cette preuve n'a pas été contredite par l'intimée. De plus, l'appelante soutient que Arrow et Aero sont identiques phonétiquement. Ces mots ont également des éléments visuels similaires. L'intimée a utilisé comme premier élément (le premier élément étant le plus important) de sa marque de commerce, l'équivalent phonétique de la marque de l'appelante.


[16]            Lors de l'audition, l'appelante insiste sur la relation entre les différents critères de l'article 6, invoquant d'abord la grande notoriété de sa marque. Puisque les marchandises visées par les marques sont identiques, les marques elles-mêmes ne doivent pas être trop semblables car le risque de confusion est plus important. Également, l'appelante met beaucoup d'emphase sur le fait que le premier élément de la marque est le plus important. Elle cite à cet effet la décision dans Conde Nest Publications inc. c. Union des éditions modernes ((1979) 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F.)).

[17]            Au surplus, l'appelante fait valoir qu'elle a établi être propriétaire d'une série de marques de commerce, ce qui lui confère une plus grande protection.

[18]            Donc, selon l'appelante, la marque Aeropeak n'est pas enregistrable en vertu des articles 12(1) d) et 16(3)a) de la Loi. L'intimée n'a pas rencontré son fardeau ni produit de preuve. De plus, la marque Aeropeak n'est pas distinctive selon les termes de l'article 2.

Prétentions de l'intimée

[19]            Relativement à la norme de contrôle applicable en l'espèce, l'intimée prétend que, puisque l'ensemble de la preuve additionnelle produite par l'appelante n'aurait eu aucun effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de sa discrétion, la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[20]            D'abord, le Registraire avait déjà apprécié les éléments relatifs au type de produits et à la nature du commerce et il avait fait état de l'emploi de la marque Arrow pour les chemises depuis 1902, pour conclure que ces éléments favorisaient l'appelante. Par conséquent, l'affidavit de Ian Ross n'aurait pu avoir quelque impact que ce soit sur la décision du Registraire.


[21]            Quant à l'affidavit de Sheree Smyth, l'intimée soutient que les documents introduits avaient déjà été produits par le biais d'un autre affidavit. Par ailleurs, cet affidavit ajoute des marques de commerce qui n'avaient pas été alléguées dans la déclaration d'opposition, et seraient donc non pertinentes. Dans le cas de l'affidavit de Brad Wiseman, il confirmerait la conclusion du Registraire que plusieurs prononciations étaient possibles pour ces mots; quoi qu'il en soit, l'intimée ajoute que la prononciation n'est qu'un des éléments de l'article 6(5)e).

[22]            En accordant une importance déterminante au facteur de ressemblance, le Registraire n'aurait fait que se conformer à la jurisprudence. Il a appliqué le test approprié de confusion et savait que le fardeau appartenait à l'intimée. Cette dernière s'est d'ailleurs déchargée de son fardeau de prouver que sa marque Aeropeak ne portait pas à confusion avec les marques Arrow.


[23]            Selon l'intimée, la marque Aeropeak se distingue des marques Arrow. D'abord, il y a plus d'une prononciation pour les mots Arrow et Aero; d'ailleurs cette question est de moindre importance puisque les marques de l'appelante figurent de façon importante sur ses produits. Ensuite, la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale est à l'effet que c'est la marque dans son ensemble qui doit être considérée, et non seulement ses premiers éléments, comme le voudrait l'appelante. Au surplus, les idées suggérées par les marques seraient différentes : le mot « flèche » n'aurait en effet rien à voir avec la combinaison des mots AERO, qui signifie « aéronautique » , et PEAK, qui signifie « sommet » . Également, même si le registraire n'a décidé que du motif d'opposition basé sur l'article 12 (1) d) de la Loi, cette conclusion doit être la même à l'égard des autres motifs d'opposition puisque la question de la confusion est centrale pour les trois motifs.

[24]            Finalement, l'intimée ajoute que Aeropeak by de Ungava est lié à la marque de commerce UNGAVA. Aeropeak incorporerait donc une marque enregistrée qui existe déjà, et suggérerait l'idée de biens provenant de Ungava.

Analyse

1) Dispositions législatives pertinentes

[25]            Les articles suivants de la Loi sont utiles pour l'étude de ce dossier.


Article 2

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

Section 2

"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them.



Article 6

(1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(. . .)

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

Section 6

(1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person whether or not the wares or services are of the same general class.

(. . .)

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

Article 12

(1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :

(. . .)

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

Section 12

(1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

(. . .)

(d) confusing with a registered trade-mark;

Article 16

(. . .)

(3)Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 30 en vue de l'enregistrement d'une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard des marchandises ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n'ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

Section 16

(. . .)

(3) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a proposed trade-mark that is registrable is entitled, subject to sections 38 and 40, to secure its registration in respect of the wares or services specified in the application, unless at the date of filing of the application it was confusing with

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;


Article 56(. . .)

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

Section 56

(. . .)

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.


2) Quelle est la norme de contrôle applicable?

[26]            Dans l'arrêt John Labatt c. Les Brasseries Molson ([2000] 3 C.F. 145, par. 51 (C.A.F.) (autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada rejetée : [2000] S.C.C.A. no 161), la Cour d'appel fédérale a énoncé la norme de contrôle applicable lors de l'appel de la décision du registraire des marques de commerce :

Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald's Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

-         Voir aussi, au même effet : Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd., [2002] C.F. 405, par. 8 (C.A.F.)

-         Novopharm Ltd. c. Astra Zeneca AB, [2002] C.F. 148, par. 25 (C.A.F.); autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada rejetée : [2001] S.C.C.S. no 646 (QL).


[27]            Ce principe n'est pas remis en question par les parties. Là où les parties divergent d'opinion, c'est sur son application dans le cadre du présent litige. Se prévalant de l'article 56(5) de la Loi, l'appelante a déposé une preuve additionnelle devant la Cour, sous forme d'affidavits, et ce sont ces trois affidavits qu'il nous faut maintenant analyser pour déterminer si elle aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[28]            Un examen attentif des affidavits de M. Ross et de Mme Smyth ne m'a pas convaincu qu'ils auraient pu avoir un impact sur la décision du Registraire. Ce dernier avait déjà constaté que la demanderesse utilisait la marque ARROW depuis 1902; plus important encore, le Registraire en est arrivé à la conclusion que les critères mentionnés aux paragraphes 6(5)(b), (c) et (d) favorisaient l'opposante. Par conséquent, la preuve relative à l'emploi et à la notoriété de la marque ARROW n'aurait pu que conforter le Registraire dans sa décision, du moins eu égard au premier motif d'opposition.

[29]            Quant à l'affidavit de Brad Wiseman, il met en preuve les différentes prononciations des mots Arrow et Aero selon de nombreux dictionnaires. Or, le Registraire a relevé l'absence de preuve sur ce point dans ses motifs. Mais encore une fois, cette nouvelle preuve ne remet pas en question les conclusions du Registraire sur ce point. Ce dernier, faut-il le rappeler, s'est dit d'avis qu' « il est possible de concevoir plus d'une prononciation pour chacun des mots » . Or, il ressort des différents dictionnaires canadiens qui ont été portés à notre attention que le mot AERO, lorsque joint à au autre mot, se prononce effectivement de différentes façons. L'affidavit de M. Wiseman ne vient donc qu'apporter de l'eau au moulin du Registraire.


[30]            Il en va évidemment autrement pour ce qui est des motifs d'opposition fondés sur les articles 16(3) et 2. Eu égard à ces deux motifs d'opposition, le registraire a noté qu'il n'y avait aucune preuve de l'emploi des marques de commerce de l'appelante. La preuve de M. Ross apporte donc des éléments nouveaux dont aurait pu tenir compte le Registraire. Mais dans l'hypothèse même où ce dernier aurait accepté de considérer ces deux motifs, force est d'admettre que la confusion serait demeurée l'élément central de l'analyse, tout comme pour le troisième motif d'opposition. Par conséquent, il est permis de croire que l'affidavit de M. Ross n'aurait eu que peu d'impact sur la décision finale du Registraire.

[31]            Quoi qu'il en soit, et même si je devais appliquer la norme de la décision correcte, je suis d'avis que le Registraire n'a pas commis d'erreur. Compte tenu des considérations qui suivent, j'estime que le Registraire a correctement appliqué les critères énoncés à l'article 6(5) de la Loi pour déterminer si l'emploi de la marque de commerce que voudrait enregistrer l'intimée créerait de la confusion.

3) La marque Aeropeak risque t-elle de porter à confusion avec la marque Arrow?

[32]            La Loi sur les marques de commerce prévoit à son article 6(2) de quelle façon des marques peuvent porter à confusion. La Cour d'appel fédérale l'explique en ces termes, dans l'arrêt Bohna c. Miss Universe Inc. ([1995] 1 C.F. 614, par. 9):


Pour décider si l'emploi d'une marque de commerce ou d'un nom commercial cause de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial, la Cour doit se demander si, comme première impression dans l'esprit d'une personne ordinaire ayant un vague souvenir de l'autre marque ou de l'autre nom, l'emploi des deux marques ou des deux noms, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l'impression que les services reliés à ces marques ou à ces noms sont fournis par la même personne, que ces services appartiennent ou non à la même catégorie générale. [références omises]

[33]            Lors de cette détermination, la Cour doit considérer toutes les circonstances, incluant les critères énumérés à l'article 6(5). La Cour d'appel fédérale dans Christian Dior c. Dion Neckwear ([2002] 3 C.F. 405) explique ces critères dont il doit être tenu compte pour déterminer si une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce selon l'article 12 (1)d) de la Loi :

[9] (¼)     Le juge Malone suggère certains points de repère pratiques au paragraphe 18 des motifs qu'il a rédigés dans l'affaire Polo Ralph Lauren (précité):

L'examen de certains arrêts-clés fournit également des principes directeurs pratiques. Par exemple, la Cour doit se [page 413] mettre à la place d'une personne ordinaire qui est familière avec la marque antérieure mais qui n'en a qu'un vague souvenir; la question à se poser est de savoir si un consommateur ordinaire, au vu de la marque postérieure, aura comme première impression que les marchandises avec lesquelles la seconde marque est employée sont en quelque façon associées à celles de la marque antérieure. S'agissant du degré de ressemblance dans la présentation, le son ou l'idée dont il est question à l'alinéa 6(5)e), les marques de commerce en cause doivent être examinées comme un tout. De la même façon, puisque c'est la combinaison des éléments qui constitue la marque de commerce et lui confère son caractère distinctif, il n'est pas correct, pour l'application du critère de la confusion, de placer les marques l'une en regard de l'autre et de comparer ou observer les ressemblances ou les différences des éléments ou des composantes de ces marques. En outre, les marques de commerce ne doivent pas être considérées séparément des marchandises ou services avec lesquels elles sont associées, mais en liaison avec ces marchandises ou services. Quant il s'agit de marques célèbres ou notoirement connues, il peut être plus difficile d'établir qu'il n'y a pas de probabilité de confusion, particulièrement quand le genre des marchandises est similaire. En dernier lieu, les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) ne doivent pas nécessairement se voir attribuer le même poids. Chaque cas de confusion peut justifier qu'on accorde plus d'importance à l'un de ces critères.


[18] (...)    Les facteurs qui favorisaient l'opposante étaient la durée de l'utilisation, la similitude des marchandises empruntant les mêmes réseaux de distribution et la ressemblance visuelle entre les marques. Bien que je sois conscient du fait que le premier élément de la marque de commerce est celui qui est le plus pertinent lorsqu'il s'agit de se prononcer sur le caractère distinctif de la marque en question (voir le jugement Pernod Ricard c. Brasseries Molson (1992), 44 C.P.R. (3d) 359 (C.F. 1re inst.), le juge Denault, à la page 370), il n'en demeure pas moins qu'il faut examiner les marques dans leur totalité et comparer leur effet ou leur idée dans leur totalité, même lorsque certains des mots qui les composent ne sont pas revendiqués. (Voir les décisions Standard Coil Products Can. Ltd. c. Standard Radio Corp., [1971] C.F. 106; conf. par [1976] 2 C.F. iv (C.A.); Sealy Sleep Products Ltd. c. Simpson's-Sears Ltd., [1956-60] R.C.É. 441, conf. par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ultravite Laboratories Ltd. v. Whitehall Laboratories Ltd., [1965] R.C.S. 734.) À défaut d'explications plus précises de sa part, j'ai la ferme conviction que le registraire s'en est exclusivement tenu à l'élément Dion de la marque « Dion Collection & Design » , et qu'il n'a pas considéré la marque dans sa totalité. La marque de commerce qui fait l'objet de la demande n'est pas la marque Dion. La ressemblance visuelle entre les marques, s'il en est, est au mieux négligeable.

[34]            Ainsi, les marques doivent être examinées comme un tout, du point de vue d'une personne ordinaire, familière avec la marque et ayant un souvenir imparfait de celle-ci. Également, les critères énumérés à l'article 6(5) ne se voient pas nécessairement attribuer le même poids. Le fardeau appartient à la partie qui tente d'enregistrer sa marque de commerce. Elle doit alors démontrer, selon la balance des probabilités, que la marque projetée ne créera pas de confusion avec une marque déjà employée (Bohna c. Miss Universe, inc., [1995] 1 F.C. 614, par. 11 (C.A.F.); réitéré dans Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear ltd., [2002] 3 C.F. 405 (C.A.F.), par. 15).

[35]            En l'espèce, les quatre premiers critères établis par l'article 6(5) ne posent pas problème et favorisent l'appelante. Cependant, le dernier critère est généralement considéré comme le plus important, particulièrement dans une situation comme en l'espèce où la similitude des marchandises visées par les marques de commerce est aussi évidente (Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstering Ltd., (1980) 47 C.P.R.(2d) 145, à la p. 149 (C.F.); confirmée par la Cour d'appel fédérale à (1982) 60 C.P.R.(2d) 70. Voir aussi Export/Import Clic Inc. c. Effem Foods Ltd., (1993) 53 C.P.R. (3d) 200, aux pp. 203-204 (C.F.)).


[36]            À mon avis, les marques ne se ressemblent pas, ni visuellement, ni au niveau des idées suggérées, ni au niveau de leur consonance. Non seulement ressort-il de la preuve que ces mots peuvent se prononcer différemment, mais il faut également éviter de s'en tenir aux premières syllabes et considérer la marque dans sa totalité. Or, il est indéniable que les mots « Aeropeak de by Ungava » ne ressemblent en rien, phonétiquement ou autrement, au mot « Arrow » .

[37]            La décision dans Dior (précitée) explique que le premier élément est le plus pertinent mais précise qu'il ne faut jamais perdre de vue que les marques doivent être analysées dans leur totalité. Cette décision réitère le critère adopté par la Cour d'appel fédérale dans des décisions antérieures à l'effet que les marques ne doivent pas être décortiquées puisque c'est la combinaison des différents éléments qui constituent la marque de commerce et lui donnent son caractère distinctif; il faut donc examiner l'effet de la marque dans son ensemble plutôt que de se concentrer sur un seul de ses éléments (Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd., [1991] A.C.F. no 546 (C.A.F.) et United States Polo Assn. c. Polo Ralph Lauren Corp., [2000] A.C.F. no 1472, par. 17 (C.A.F)). Il faut garder à l'esprit le test de l'article 6(2) qui réfère à la première impression d'un consommateur moyen, familier avec la marque, mais qui n'en a qu'un souvenir vague (Bohna c. Miss Universe, inc., [1995] 1 F.C. 614, par. 9 (F.C.A.)).


[38]            L'appelante a bien tenté de me convaincre, décisions de cette Cour à l'appui, qu'il faut accorder une importance toute particulière à la première partie de la marque de commerce. J'ai examiné avec soin chacune de ces décisions, et j'en suis venu à la conclusion qu'elles peuvent toutes être distinguées de la présente affaire. Dans certains cas, les requérantes avaient pris exactement le même mot que les marques des opposantes et y avaient adjoint un autre mot (voir Noma inc. v. Nomaco inc. (1999) 4 C.P.R. (4th) 388 (Trade marks Opposition Board); Bedessee Imports Ltd. v. Star Stabilimento Alimentare S.p.A, (1998) 85 C.P.R. (3d) 527 (Trade Marks Opposition Board); Conde Nest Publications Inc. c. Union des éditions modernes, (1979) 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F.); dans une autre affaire, la marque de la requérante était quasi-identique à celle de l'opposante, une seule lettre séparant les deux marques (Polysar Ltd. C. Gaesco Distribution, (1985) 6 C.P.R. (3d) 289 (C.F).

[39]            Cet argument de l'appelante ne peut donc pas être retenu. Le premier élément d'une marque est certes important mais il ne peut pas être déterminant lorsque la marque, prise dans son ensemble et sans la décortiquer, n'est pas similaire, tant au niveau de la présentation, des idées véhiculées et du son. En l'espèce, la combinaison de tous les éléments de la marque de l'intimée, « Aeropeak de by Ungava » n'est pas similaire à « Arrow » . Par conséquent, un consommateur moyen, voyant la marque Aeropeak de by Ungava n'aurait pas comme première impression que les marchandises associées à cette marque sont reliées à la marque Arrow.


[40]            J'en arrive donc à la conclusion que le Registraire a correctement appliqué les dispositions pertinentes de la Loi sur les marques de commerce et qu'il a rejeté à bon droit l'opposition de l'appelante. Comme lui, je suis convaincu selon la prépondérance des probabilités, que l'enregistrement de la marque « Aeropeak de by Ungava » n'est pas susceptible de créer de la confusion au sens de l'article 12(1)(d). Je rejetterais également les deux autres motifs d'opposition, en supposant même que l'on puisse les considérer compte tenu de la nouvelle preuve qui a été soumise, toujours en raison de l'absence de risque de confusion.

[41]            L'appel doit être rejeté.

                                                                                                                        (s) "Yves de Montigny"          

Juge


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                          T-1549-04

INTITULÉ:                                         CLUETT, PEABODY CANADA INC. c. EFFIGI INC.

LIEU DE L'AUDIENCE:                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE:                 Le 16 février 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:    Le juge de Montigny

DATE DE L'ORDONNANCE:         Le 23 mars 2005

COMPARUTIONS:


Me Monique Couture                                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Me Barry Gamache                                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gowling Lafleur Henserson LLP

Ottawa (Ontario)                                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Léger Robic Richard, S.E.N.C.

Montréal (Québec)                                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

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