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Date : 20200310


Dossier : T‑1601‑18

Référence : 2020 CF 356

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

SUKHWINDER GREWAL

demandeur

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire concerne une décision du ministre du Revenu national (le ministre) d’imposer des pénalités pour faute lourde au demandeur au titre du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) (la Loi).

[2]  En 2014, le demandeur a présenté une demande relative au Programme des divulgations volontaires (le PDV) de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). Selon la politique de l’ARC et du ministre, lorsqu’une demande relative au PDV est acceptée, le ministre peut renoncer aux pénalités pour la divulgation faite par le contribuable.

[3]  L’ARC a accepté la demande du demandeur relative au PDV en 2015, et le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard du demandeur conformément à cette acceptation. Toutefois, en 2018, à la suite d’une vérification, le ministre a imposé au demandeur des pénalités au titre du paragraphe 163(2) de la Loi, sur le revenu qui, selon le demandeur, avait été divulgué dans le cadre du PDV, mais à l’inverse, le défendeur soutient qu’il n’avait pas été divulgué.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision du ministre d’imposer des pénalités pour faute lourde au demandeur était raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

II.  Faits

A.  Le Programme des divulgations volontaires

[5]  Le PDV fait la promotion de l’observation des lois fiscales du Canada en encourageant les contribuables à procéder à une divulgation volontaire afin de corriger des inexactitudes ou omissions antérieures dans leurs déclarations de revenus. Les contribuables qui font une divulgation volontaire valide devront payer les impôts ou les frais, plus les intérêts, sans pénalités ou poursuites auxquelles ils se verraient autrement assujettis en vertu de la Loi.

[6]  La circulaire d’information IC00‑1R4 (la circulaire d’information) s’applique en l’espèce et était en vigueur au moment où le demandeur a fait une divulgation dans le cadre du PDV. La circulaire d’information est un document de l’ARC qui fournit des renseignements sur le pouvoir discrétionnaire du ministre d’accorder un allègement aux contribuables, y compris un allègement des pénalités dans le cas d’une divulgation valide dans le cadre du PDV. Conformément à la circulaire d’information, le ministre examinera les demandes, présentées dans le cadre du PDV, d’annuler les pénalités ou d’y renoncer et d’éviter les poursuites si les quatre conditions suivantes sont réunies :

  • a) la divulgation est volontaire;

  • b) la divulgation est complète;

  • c) la divulgation concerne l’imposition d’une pénalité ou cette possibilité;

  • d) la divulgation comprend des renseignements dont la production est en retard d’au moins un an, ou de moins d’un an, si la divulgation est présentée en vue de corriger une déclaration précédemment produite.

B.  Le demandeur et la chronologie des événements

[7]  Le 4 avril 2014, M. Sukhwinder Grewal (le demandeur) a présenté une demande d’allègement au ministre en vertu du PDV avec divulgation volontaire anonyme pour ses années d’imposition 2004 à 2013. Le demandeur a indiqué que la divulgation [traduction] « devait principalement comporter des redressements d’une T1 indiquant le revenu d’entreprise non déclaré au Canada auparavant ». Le 14 avril 2014, l’avocat du demandeur a identifié le demandeur par son nom.

[8]  Dans une lettre du 14 juin 2014, un agent du PDV a informé le demandeur que les déclarations de revenus ou les demandes de redressement remplies et signées seraient nécessaires pour effectuer un examen de la divulgation. Dans une lettre du 9 septembre 2014, le demandeur a demandé une prolongation au motif qu’il ne disposait pas de renseignements complets parce que ses anciens partenaires commerciaux n’étaient pas disposés à communiquer des renseignements. Dans une lettre du 15 septembre 2014, un agent du PDV a accordé la prolongation et a reformulé la demande de demandes de redressement d’une T1 pour les années d’imposition 2006 à 2013 et les déclarations de renseignements T1135 pour les années d’imposition 2006 à 2013.

[9]  Le 24 octobre 2014, le demandeur a fourni à l’ARC une observation comprenant une lettre du 24 octobre 2014 (la lettre) et une feuille de calcul détaillant les redressements d’une T1 du revenu du demandeur pour les années 2004 à 2013 (la feuille de calcul). La lettre contenait des renseignements sur les relations d’affaires du demandeur, sa participation dans des sociétés panaméennes et canadiennes, et les relations d’affaires entre les sociétés dans lesquelles le demandeur avait des intérêts. La lettre faisait mention d’un certain nombre de prêts consentis entre des sociétés panaméennes dans lesquelles le demandeur détenait des actions tout comme divers particuliers et entités. Certains des montants des prêts ont été inclus à titre de revenus, mais à l’exception des éléments énumérés dans la feuille de calcul, le demandeur n’a pas divulgué les avantages qu’il a reçus, directement ou indirectement, à l’égard des prêts.

[10]  Dans une lettre du 18 juin 2015, un agent du PDV a demandé des renseignements supplémentaires au demandeur au sujet des redressements d’une T1 et des déclarations T1. Dans une lettre du 17 juillet 2015, le demandeur a fourni les documents demandés.

[11]  Dans une lettre du 31 juillet 2015 (la lettre de décision relative au PDV), le ministre a avisé le demandeur que sa divulgation faite en vertu du PDV avait été acceptée.

[12]  Le demandeur a fait l’objet d’une nouvelle cotisation pour ses années d’imposition 2006 à 2012 et d’une nouvelle cotisation pour son année d’imposition 2013 (les nouvelles cotisations initiales). Le 26 juillet 2016, le ministre a émis des avis de nouvelle cotisation. Le ministre n’a imposé aucune pénalité pour les nouvelles cotisations initiales.

[13]  Après l’acceptation relative au PDV, le demandeur a fait l’objet d’une vérification pour ses années d’imposition 2007 à 2013 en même temps qu’une vérification de Solaris Pharmaceuticals Inc. (Solaris), dont le demandeur était le dirigeant principal des finances (le DPF). Solaris se consacre à la vente de produits pharmaceutiques, c’est‑à‑dire des médicaments d’ordonnance; les ventes se font principalement par vente en ligne à des clients aux États‑Unis, et les produits sont expédiés par la poste. Le demandeur est un actionnaire indirect de Solaris. Le défendeur soutient que la vérification a permis de découvrir 670 784,13 $, 647 575,35 $, 1 994 844,51 $, 684 327,15 $, 3 993 090,94 $, 6 802 133,48 $ et 242 241,76 $ de revenu supplémentaire pour les années d’imposition respectives 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013 du demandeur. Le défendeur soutient que ces montants n’ont pas été divulgués au moyen de la divulgation faite par le demandeur dans le cadre du PDV.

[14]  Dans une lettre du 26 février 2018, le ministre a proposé d’établir une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2007 à 2013 du demandeur et d’imposer, au titre du paragraphe 163(2) de la Loi, des pénalités pour faute lourde sur les autres rajustements au motif que le demandeur a sciemment ou, dans des circonstances équivalant à une faute lourde, fait un faux énoncé dans ses déclarations de revenus mises à jour pour ces années.

[15]  Dans une lettre du 5 avril 2018, le demandeur a répondu au ministre qu’il s’opposait à l’imposition de pénalités et a demandé un examen au deuxième palier de la décision d’imposer des pénalités au motif que la décision d’imposer des pénalités constituait un rejet d’une divulgation volontaire faite par le demandeur.

[16]  Dans une lettre du 2 août 2018, le ministre a confirmé sa décision d’imposer des pénalités pour faute lourde au demandeur (la décision relative aux pénalités) et a rejeté la demande du demandeur d’un deuxième examen administratif de la décision relative aux pénalités. Le ministre a informé le demandeur que la vérification de ses déclarations de revenus pour la période de 2007 à 2013 était terminée et que des pénalités, au titre du paragraphe 163(2) de la Loi, seraient imposées sur les montants que le ministre avait déjà jugés « non divulgués ». Le ministre a écrit qu’un examen de deuxième palier n’était pas un recours pour un cas de vérification et que le demandeur devait déposer un avis d’opposition s’il s’opposait aux rajustements après la vérification.

[17]  Le 22 août, le ministre a émis des avis de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2007 à 2013 du demandeur (les nouvelles cotisations de pénalité). Dans les nouvelles cotisations de pénalité, le ministre a imposé au demandeur, au titre du paragraphe 163(2) de la Loi, des pénalités pour faute lourde totalisant 3 341 383,67 $ pour les années d’imposition 2007 à 2013. Les pénalités pour faute lourde ont été appliquées uniquement aux avantages imposables supplémentaires ayant fait l’objet d’une nouvelle cotisation dans le cadre des nouvelles cotisations de pénalité, et non au revenu imposable supplémentaire que le demandeur avait déclaré sur ses formulaires T1 rajustés dans la demande relative au PDV.

[18]  Le revenu supplémentaire imposé au demandeur au titre des nouvelles cotisations de pénalité a été « divulgué » dans la demande du demandeur relative au PDV au sens large du terme, mais n’a pas été déclaré dans ses formulaires T1 rajustés dans le cadre de sa demande. Le demandeur avait qualifié ces montants de prêts non imposables. Le ministre a soutenu que ces montants représentaient des avantages imposables au sens du paragraphe 246(1) de la Loi.

[19]  Le 31 août 2018, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision relative aux pénalités.

[20]  Le 20 novembre 2018, le demandeur a déposé un avis d’opposition auprès de l’ARC pour s’opposer aux nouvelles cotisations de pénalité émises au titre du paragraphe 163(2) de la Loi.

III.  Les dispositions législatives

[21]  Le paragraphe 220(3.1) de la Loi confère au ministre un grand pouvoir discrétionnaire pour renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente Loi. La disposition est libellée ainsi :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

220(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour‑là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

Waiver of penalty or interest

220(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

[22]  Le paragraphe 163(2) de la Loi impose des pénalités aux contribuables pour faute lourde. Voici un extrait libellé ainsi :

Faux énoncés ou omissions

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

[...]

False statements or omissions

163(2) Every person who, knowingly, or under circumstances amounting to gross negligence, has made or has participated in, assented to or acquiesced in the making of, a false statement or omission in a return, form, certificate, statement or answer (in this section referred to as a “return”) filed or made in respect of a taxation year for the purposes of this Act, is liable to a penalty of the greater of $100 and 50% of the total of

[...]

[23]  Le paragraphe 246(1) de la Loi dispose que, lorsqu’une personne confère un avantage à un contribuable, la valeur de cet avantage doit être incluse dans le revenu du contribuable. La disposition est libellée ainsi :

Avantage conféré à un contribuable

246 (1) La valeur de l’avantage qu’une personne confère à un moment donné, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit à un contribuable doit, dans la mesure où elle n’est pas par ailleurs incluse dans le calcul du revenu ou du revenu imposable gagné au Canada du contribuable en vertu de la partie I et dans la mesure où elle y serait incluse s’il s’agissait d’un paiement que cette personne avait fait directement au contribuable et si le contribuable résidait au Canada, être :

a) soit incluse dans le calcul du revenu ou du revenu imposable gagné au Canada, selon le cas, du contribuable en vertu de la partie I pour l’année d’imposition qui comprend ce moment;

b) soit, si le contribuable ne réside pas au Canada, considérée, pour l’application de la partie XIII, comme un paiement fait à celui‑ci à ce moment au titre de bien ou de services ou à un autre titre, selon la nature de l’avantage.

Benefit conferred on a person

246 (1) Where at any time a person confers a benefit, either directly or indirectly, by any means whatever, on a taxpayer, the amount of the benefit shall, to the extent that it is not otherwise included in the taxpayer’s income or taxable income earned in Canada under Part I and would be included in the taxpayer’s income if the amount of the benefit were a payment made directly by the person to the taxpayer and if the taxpayer were resident in Canada, be

(a) included in computing the taxpayer’s income or taxable income earned in Canada under Part I for the taxation year that includes that time; or

(b) where the taxpayer is a non‑resident person, deemed for the purposes of Part XIII to be a payment made at that time to the taxpayer in respect of property, services or otherwise, depending on the nature of the benefit.

[24]  Le PDV est décrit dans la circulaire d’information. Nous reprenons les dispositions les plus pertinentes ci‑après :

Principes du PDV

8. Le PDV fait la promotion de l’observation des lois fiscales du Canada en encourageant les contribuables à procéder à une divulgation volontaire afin de corriger des omissions passées dans le cadre de leurs transactions avec l’ARC. Les contribuables qui font une divulgation volontaire valide devront payer les impôts, plus les intérêts, sans pénalités ou poursuites auxquelles ils se verraient autrement assujettis en vertu des lois mentionnées ci‑dessus.

9. Le PDV ne sert pas de moyen de permettre aux contribuables d’éviter intentionnellement leurs obligations légales en vertu des lois administrées par l’ARC.

[...]

Allègement accordé dans le cadre du PDV

Allègement des pénalités

11. Si l’ARC accepte qu’une divulgation soit valide puisqu’elle remplit les conditions établies dans la présente politique, il s’agira d’une divulgation valide, et le contribuable ne se verra pas imposer de pénalités et ne sera pas poursuivi par rapport à cette divulgation.

[...]

Conditions d’une divulgation valide

31. Une divulgation doit remplir les quatre conditions suivantes afin d’être considérée comme une divulgation valide :

[...]

ii) Complète

35. Le contribuable doit présenter des faits et des documents complets et exacts pour toutes les années d’imposition ou les périodes de déclaration au cours desquelles il y a eu des renseignements inexacts, incomplets ou non déclarés concernant tous les comptes fiscaux liés au contribuable. Alors que la divulgation est évaluée par l’ARC, l’agent du PDV peut demander des documents particuliers supplémentaires afin de vérifier certains détails, tels que les montants de recettes divulgués, les crédits d’impôt ou les dépenses demandées. Le contribuable doit se conformer à de telles demandes dans les délais stipulés (lisez les paragraphes 50 à 54) et fournir suffisamment de détails pour permettre la vérification de tous les faits du dossier. Vous trouverez des renseignements supplémentaires sur les exigences liées à la tenue des livres comptables dans la version actuelle de la circulaire d’information IC 78‑10, Conservation et destruction des registres comptables (pour l’impôt sur le revenu), dans le Mémorandum sur la TPS/TVH 15‑1, Exigences générales relatives aux livres et registres (rév. Juin 2005) (pour la TPS/TVH), dans le mémorandum sur les droits d’accise 9.1.1, Exigences générales en matière de livres et de registres (pour les droits d’accise) et dans le mémorandum sur les taxes d’accise et les prélèvements spéciaux 6.1, Livres et registres (pour les taxes d’accise).

36. En raison de la nature d’une divulgation particulière, des renvois à d’autres programmes de l’ARC peuvent être considérés comme nécessaires afin d’analyser entièrement une divulgation.

37. Bien que les renseignements fournis dans une divulgation doivent être complets, la divulgation ne sera pas rejetée tout simplement parce qu’elle contient des erreurs ou des omissions mineures. Chaque présentation sera examinée au mérite.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[25]  La question qui se pose dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si le ministre a agi de façon déraisonnable en rendant la décision relative aux pénalités et, en particulier, si :

  1. Le ministre n’a pas respecté l’obligation d’équité procédurale lorsqu’il a pris la décision d’imposer des pénalités;

  2. Le ministre est empêché de rendre la décision relative aux pénalités et de l’appliquer.

[26]  Avant l’arrêt rendu par la Cour suprême dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Canlii) [Vavilov], la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions discrétionnaires prises au titre du paragraphe 220(3.1) de la Loi était la norme de la décision raisonnable (Easton c Canada (Agence du revenu), 2017 CF 113 (Canlii), au paragraphe 41; Worsfold c Canada (Revenu national), 2012 CF 644 (Canlii), au par. 104). Il n’y a toutefois pas lieu de déroger à la norme de contrôle suivie dans la jurisprudence, étant donné que l’application du cadre d’analyse suivant l’arrêt Vavilov aboutit à la même norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable.

[27]  Comme l’a fait remarquer la majorité des juges dans l’arrêt Vavilov, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). De plus, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).

[28]  Lorsque des questions de droit se posent quant au processus décisionnel, la norme de la décision correcte s’applique à ces questions de droit : Williams c Canada (Revenu national), 2011 CF 766 (Canlii), au par. 13; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 (Canlii), au par. 53. Il en va de même après Vavilov.

[29]  Cependant, compte tenu des circonstances en l’espèce et des instructions formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 144, la Cour a estimé qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de formuler des observations supplémentaires au sujet de la norme de contrôle.

V.  Analyse

A.  Caractère raisonnable et équité procédurale

[30]  Le demandeur soutient que le ministre a une obligation d’équité procédurale à son égard, car il s’attendait de façon légitime à ne pas se voir imposer des pénalités après l’acceptation de sa demande relative au PDV. Le demandeur soutient qu’il s’attendait de façon légitime à ce que sa divulgation soit complète avec la lettre de décision relative au PDV. Le demandeur fait valoir que la circulaire d’information est une communication publique à l’intention des contribuables selon laquelle, lorsqu’une demande relative au PDV est acceptée, le contribuable ne se verra pas imposer des pénalités.

[31]  Le demandeur est également d’avis que le principe de dessaisissement empêche le ministre, une autorité publique, de réexaminer une décision antérieure et affirme qu’il s’agit d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale. J’estime toutefois que le principe de dessaisissement ne s’applique pas en l’espèce.

[32]  Le demandeur soutient que ce principe empêche le ministre de « changer d’avis » quant à la question de savoir si sa demande relative au PDV était complète. Toutefois, il serait erroné d’affirmer que la vérification est un « réexamen d’une décision antérieure » simplement en établissant un lien avec le fait que le contribuable qui a reçu une décision rendue relativement à sa demande de PDV a fait l’objet d’une vérification. Comme le fait remarquer le défendeur, il n’est pas interdit au ministre d’entreprendre des procédures de vérification même après l’acceptation relative au PDV, ce qui s’est produit en l’espèce. Ce fait a également été communiqué au demandeur dans la lettre de décision relative au PDV :

[TRADUCTION]

Notre acceptation de la divulgation ne porte pas sur les années indiquées ci‑dessus. Veuillez noter que le PDV n’a pas vérifié l’exactitude des renseignements que vous avez fournis dans cette divulgation et que l’Agence du revenu du Canada se réserve le droit d’ouvrir ces années aux fins de vérification ou de vérification à l’avenir.

[33]  Les pénalités découlant de la nouvelle cotisation de pénalité ont été imposées lorsque l’ARC a exercé ultérieurement son droit de soumettre le demandeur à une vérification, et qu’elle a déterminé que le demandeur avait reçu un revenu imposable sous forme d’avantages qui lui avaient été accordés et qui avaient été déclarés comme étant un prêt non imposable par le demandeur dans sa demande relative au PDV. Si, comme il le prétend, le demandeur s’attendait de façon légitime à ce que les pénalités ne soient pas imposées sur le revenu imposable divulgué dans la demande relative au PDV après son acceptation, il semble malhonnête de sa part d’avoir inclus les avantages imposables au titre de prêts non imposables dans divulgation afin d’éviter des pénalités sur ces montants.

[34]  Le défendeur cite Ludco Enterprises Ltd c Canada, [1993] ACF no 1299 [Ludco] à l’appui de la thèse selon laquelle le ministre du Revenu national n’est pas lié par des décisions antérieures qu’il aurait pu prendre à l’égard d’un contribuable. Dans la décision Ludco, le ministre a déterminé, selon la nouvelle cotisation, que les intérêts réclamés par les demandeurs n’étaient pas déductibles. Les demandeurs ont allégué que les observations faites par le ministre au cours d’une vérification sur des années d’imposition antérieures les avaient amenés à croire qu’ils pouvaient déduire des frais d’intérêt semblables dans les années futures, et ont également soutenu que le ministre n’avait pas suivi sa propre politique connue et en vigueur pendant la période en question (Ludco, aux par. 2 à 4). Étant donné que le ministre avait indiqué la possibilité d’une vérification ou d’une vérification future de la demande relative au PDV acceptée en l’espèce, la décision rendue par la Cour dans Ludco ne fait que renforcer la conclusion selon laquelle le ministre n’est pas lié par des décisions antérieures, c.‑à‑d., qu’il ne lui est pas interdit d’entreprendre des procédures de vérification.

[35]  De plus, le ministre n’a pas fait fi de la décision antérieure d’accorder un allègement en vertu du PDV au moment d’imposer les pénalités découlant de la vérification. Le ministre n’a pas annulé la décision de renoncer aux pénalités qui auraient normalement été imposées sur le revenu du demandeur, comme il a été divulgué dans le cadre du PDV. Par conséquent, la décision du ministre d’imposer des pénalités n’était pas déraisonnable.

[36]  Le demandeur soutient que la décision du ministre d’imposer des pénalités aux contribuables après avoir accepté des demandes relatives au PDV va à l’encontre de la justification du PDV du point de vue de l’intérêt public. Le demandeur soutient que cela éliminerait l’incitatif encourageant les contribuables à faire une divulgation et pourrait constituer un « frein » pour le programme puisqu’ils pourraient toujours être assujettis à des pénalités après une acceptation relative au PDV. De plus, le demandeur soutient qu’il a fait preuve d’un certain degré de prudence et qu’il a fourni tous les renseignements dont il disposait au moment de la demande relative au PDV. Le demandeur soutient qu’il est déraisonnable d’utiliser les renseignements fournis dans sa demande relative au PDV pour le pénaliser d’avoir fait une divulgation.

[37]  Toutefois, l’argument du demandeur ne me convainc pas. Si les contribuables pouvaient redéfinir le revenu ou les avantages imposables comme des avantages non imposables dans leurs demandes relatives au PDV et ainsi échapper aux pénalités des vérifications futures pour avoir « divulgué » les montants dans cette demande, ils contreviendraient à l’objectif du PDV et à sa justification du point de vue de l’intérêt public, qui vise à promouvoir le respect des lois fiscales du Canada en encourageant les contribuables à se manifester volontairement et à corriger des omissions antérieures dans leurs transactions avec l’ARC. Contrairement aux observations formulées par le demandeur, l’évaluation possible des pénalités, même après l’acceptation relative au PDV, encouragera les contribuables à faire preuve d’une plus grande diligence dans leur demande relative au PDV, et à veiller à être extrêmement attentifs lorsqu’ils présentent leur demande relative au PDV afin d’en assurer l’exhaustivité et l’exactitude.

[38]  Je souscris à la position du défendeur selon laquelle interpréter la circulaire d’information comme une protection prometteuse contre les pénalités, même pour les montants non imposables divulgués par le contribuable, placerait le contribuable qui présente une demande relative au PDV en meilleure position que le contribuable ordinaire. De plus, le demandeur est un comptable professionnel chevronné qui possède de l’expérience au sein de KPMG, l’un des quatre grands cabinets comptables au Canada. C’est un homme d’affaires d’expérience, il avait des intérêts dans plusieurs entreprises et il était le DPF de Solaris. Bien que le demandeur soutienne que le paragraphe 246(1) est une « disposition obscure » de la partie 16 de la Loi et que tous les comptables ne connaissent pas bien l’ensemble de la Loi, les documents de vérification indiquent en outre que le demandeur et Solaris ont consulté plusieurs fiscalistes tout au long de la période de vérification au sujet des entreprises à l’étranger et des sociétés non résidentes. Compte tenu de ses antécédents, le demandeur connaissait bien les questions fiscales, et cela soulève des doutes quant à savoir s’il a pu tenter d’éviter les pénalités sur ses prêts en les qualifiant comme étant non imposables, mais en les incluant dans sa demande relative au PDV.

[39]  Le défendeur soutient que, comme l’indique la lettre de décision relative au PDV, le ministre a décidé de renoncer aux pénalités qui s’appliquaient normalement aux renseignements divulgués. Le contenu de la décision, lorsqu’il est lu au sens ordinaire, semble faire référence aux redressements d’une T1 et aux déclarations T1, qui sont les revenus non déclarés du demandeur divulgués dans le cadre du PDV. Je souscris à la thèse du défendeur selon laquelle aucune pénalité ne pourrait être « normalement appliquée » aux renseignements non imposables ou aux montants divulgués dans la demande relative au PDV, car ils n’auraient aucune conséquence fiscale.

B.  La préclusion promissoire

[40]  Pour établir la préclusion promissoire, il faut démontrer : (1) qu’il existe une promesse selon laquelle l’auteur de la promesse se comportera d’une certaine façon dans certaines circonstances; (2) que celui à qui cette promesse est faite se fonde sur cette promesse; (3) qu’il doit agir en se fondant sur cette promesse soit à son détriment, soit à l’avantage de l’auteur de la promesse (Wong c Canada (Revenu national), 2007 CF 628 (Canlii) [Wong] au par. 35; Aurchem Exploration Ltd c Canada (1992), 1992 Canlii 8524 (CF); W&R Plumbing and Heating Ltd c R, [1986] 2 CF 195 (1re inst.)).

[41]  Le demandeur soutient que le ministre ne pouvait pas rendre la décision relative aux pénalités, compte tenu des promesses publiques du ministre et des observations qu’il a faites au sujet du PDV (au moyen de la circulaire d’information) selon lesquelles le demandeur ne se verrait pas imposer de pénalités une fois sa demande relative au PDV acceptée. Le demandeur soutient qu’il s’est fié, à son détriment, à ces promesses et à ces observations. De plus, il soutient que l’ARC peut effectuer une vérification, mais sans imposer de pénalités relativement à la période visée dans la lettre de décision relative au PDV, puisqu’elle a déjà été « acceptée » dans le cadre du PDV et qu’elle est donc protégée contre de futures pénalités.

[42]  Le défendeur soutient que le ministre n’a pas été empêché de décider d’imposer des pénalités parce qu’il n’a jamais déclaré ou promis au demandeur que l’acceptation d’une demande de divulgation présentée dans le cadre du PDV constituait une protection générale contre toutes les pénalités qui pourraient s’appliquer « aux années d’imposition et aux questions visées par la divulgation ». Le défendeur ajoute que la lettre de décision relative au PDV traite clairement des « redressements d’une T1 » et des « déclarations de renseignements T1135 » par rapport aux années précisées. Il ne prétend pas que ce soit un énoncé général sur tous les montants divulgués pour ces années. Le défendeur fait remarquer que même si le demandeur croyait qu’il y avait une telle promesse, il n’y a pas donné suite à son détriment.

[43]  Je souscris à la thèse du défendeur sur cette question. La question doit être examinée en tenant compte de l’ensemble des dispositions. La mention des « montants » dans la circulaire d’information renvoie au revenu imposable. Cela est appuyé par le paragraphe 220(3.1) de la Loi, qui prévoit la renonciation aux pénalités sur les montants autrement payables. Cela laisse entendre que les pénalités ne s’appliquent qu’au revenu imposable et aux montants qui auraient été divulgués dans une demande de redressements d’une T1 et dans une déclaration de renseignements T1135.

[44]  Le demandeur s’appuie sur la décision Wong, aux paragraphes 34 à 41, pour faire valoir que, l’absence de mise en garde de la part de l’ARC indiquant au contribuable que sa divulgation pourrait ne pas être considérée comme volontaire, ainsi que la circulaire d’information pertinente, constituaient une promesse faite au contribuable que sa divulgation faite dans le cadre du PDV serait acceptée. Dans la décision Wong, la divulgation a été faite au détriment de M. Wong. Toutefois, la décision Wong se distingue de la présente affaire en raison de ses faits.

[45]  Dans la décision Wong, le contribuable avait fait l’objet d’une vérification pour l’année 2005 et on lui avait dit que, même s’il n’était pas admissible au PDV pour 2005, la divulgation pour les années antérieures à 2005 serait « correcte » (Wong, aux par. 12 et 13). De plus, lorsque le demandeur a informé l’ARC qu’il voulait faire une divulgation volontaire, il n’a pas été averti que le caractère volontaire pourrait être remis en cause, bien que les fonctionnaires de l’ARC aient été au courant de la vérification en cours de 2005 (Wong, au par. 14). Comme il n’avait reçu aucune indication de problèmes liés à son admissibilité au PDV, M. Wong a commencé à divulguer des revenus non déclarés — à son détriment — car il a découvert plus tard qu’il n’était pas admissible au PDV.

[46]  Contrairement à Wong, en l’espèce, l’ARC n’a pas fait la promesse implicite ou explicite au demandeur que sa demande relative au PDV serait acceptée. Le demandeur a compris que si sa demande était acceptée, les pénalités seraient annulées. Toutefois, j’estime que le demandeur ne s’était pas appuyé sur une promesse de renonciation aux pénalités au moment de la divulgation, puisqu’il n’aurait pas su si sa demande serait acceptée. Comme l’indique la circulaire d’information, il était loisible au ministre de rejeter la divulgation et d’utiliser quand même les renseignements divulgués par le demandeur pour établir une cotisation pour l’impôt et les pénalités.

[47]  Le demandeur s’appuie sur la décision Karia c Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 639 (Canlii) [Karia] à l’appui de la thèse selon laquelle les circulaires d’information de l’ARC, combinées aux actions ou aux observations de l’ARC, constituent des promesses contraignantes qui empêchent l’ARC ou le ministre d’agir par la suite de manière contraire, en vertu du principe de la préclusion promissoire. Toutefois, tout comme la décision Wong, la décision Karia peut se distinguer de l’affaire en l’espèce en raison de ses faits.

[48]  Dans la décision Karia, après que les demandeurs eurent avisé l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC) qu’ils étaient assujettis à une perquisition de la part d’un service de police non identifié, l’ADRC a écrit aux demandeurs en déclarant : « Compte tenu des circonstances dont vous nous avez fait part, nous considérons que la divulgation serait valide telle qu’elle est présentée » (Karia, au par. 9). La Cour a conclu que la lettre de l’ADRC, lue de concert avec la circulaire d’information, a donné lieu à une invitation à procéder à la divulgation et a fait naître la croyance que les autres divulgations seraient considérées comme volontaires. Les demandeurs ont agi en se fondant sur cette promesse à leur détriment (Karia, au par. 9).

[49]  Toutefois, en l’espèce, l’ARC n’a pas fait de telles déclarations ou promesses dans sa correspondance antérieure avec le demandeur avant qu’il fasse des divulgations.

VI.  Conclusion

[50]   Le ministre n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en prenant la décision d’imposer des pénalités, et rien ne l’empêchait de rendre la décision relative aux pénalités et de l’appliquer. Le ministre n’a pas agi de façon déraisonnable en rendant la décision relative aux pénalités.

[51]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑1601‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 6 970,90 $ sont adjugés au défendeur.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de mai 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1601‑18

INTITULÉ :

SUKHWINDER GREWAL c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 septembre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 10 mars 2020

COMPARUTIONS :

David R. Davies

Tyler Berg

Pour le demandeur

Selena Sit

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons, s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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