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Date : 20200311


Dossier : IMM‑1777‑19

Référence : 2020 CF 361

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

HARDEV SINGH SAHOTA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire concerne la décision d’un agent d’immigration (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) de refuser une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Le demandeur est un citoyen de l’Inde âgé de 41 ans qui a été déclaré interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, à la suite d’une déclaration de culpabilité au criminel. Après avoir été visé par une mesure d’expulsion, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui a été refusée au motif qu’il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de celle-ci.

[3]  Le 29 août 2017, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire. Le demandeur conteste les conclusions de l’agent et soutient que ce dernier n’a pas été [traduction« suffisamment réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants.

[4]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, la décision de l’agent est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Les faits

A.  Le demandeur

[5]  M. Hardev Singh Sahota (le demandeur) est un citoyen de l’Inde âgé de 41 ans. Il est arrivé au Canada le 5 décembre 2001 en qualité de résident permanent, après avoir été parrainé par son épouse, Mme Rupinder Sahota, qui est citoyenne canadienne. Le demandeur et son épouse ont trois enfants qui sont nés au Canada : des fils jumeaux, Harman et Harjot (âgés de 16 ans), et une fille, Kiran (âgée de 15 ans). Le demandeur et sa famille vivent dans un logement aménagé au sous-sol de la résidence du beau-frère du demandeur, à Surrey, en Colombie‑Britannique.

[6]  Le 22 avril 2010, le demandeur a été intercepté par des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) à son arrivée à l’aéroport international de Vancouver après un vol en provenance de l’Inde ayant fait escale à Francfort, en Allemagne. L’ASFC a découvert que la valise du demandeur avait un double fond, sous lequel avaient été dissimulés environ deux kilogrammes d’héroïne. Le demandeur a affirmé qu’il transportait cette drogue à la demande de Kuldip Takher, un chanteur pendjabi connu sous le nom d’artiste « K.S. Makhan ».

[7]  Le 3 juillet 2015, le demandeur a été déclaré coupable d’un chef d’importation illégale d’une substance au Canada, infraction prévue au paragraphe 6(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19 (la LRCDAS), et d’un chef de possession illégale d’une substance en vue d’en faire le trafic, infraction prévue au paragraphe 5(2) de la LRCDAS.

[8]  Le 23 septembre 2015, le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans pour l’infraction d’importation prévue au paragraphe 6(1) de la LRCDAS et à une peine d’emprisonnement de cinq ans pour l’infraction de possession prévue au paragraphe 5(2) de la LRCDAS. Ces peines devaient être purgées concurremment. Lors de sa détention à l’Établissement Mission, un pénitencier fédéral à sécurité minimale, le demandeur a été un détenu exemplaire, effectuant des travaux communautaires et suivant des cours d’anglais langue seconde. Il a purgé environ un an de sa peine, puis, le 22 septembre 2016 ou vers cette date, il a été libéré dans le cadre d’une procédure d’examen expéditif, sous le régime de l’article 125 (abrogé) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, qui permet à la Commission des libérations conditionnelles d’octroyer la libération conditionnelle totale à un délinquant avant la date de son admissibilité en fonction des antécédents sociaux et criminels du délinquant, de l’information portant sur sa conduite pendant la détention et de tout autre renseignement révélant une propension à la violence de sa part. Comme le demandeur le fait remarquer, le recours à la procédure d’examen expéditif est rare. Depuis sa libération, le demandeur travaille à temps plein comme électricien.

B.  Les antécédents en matière d’immigration du demandeur

[9]  Le 2 mars 2016, un agent d’exécution de la loi de l’ASFC a établi, au titre du paragraphe 44(1) de la LIPR, un rapport d’interdiction de territoire pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Le 10 mars 2016, un rapport d’interdiction de territoire pour criminalité organisée aux termes de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR a été établi. Le délégué du ministre a établi que la nature des infractions sur lesquelles se fondaient les rapports établis au titre du paragraphe 44(1) était grave et que les motifs d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur la gravité des infractions. Le dossier du demandeur a été déféré à la Section de l’immigration (la SI) pour enquête.

[10]  Le 17 juillet 2017, la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Une mesure d’expulsion a été prise à son endroit.

[11]  Le 2 août 2017, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi, qui a été refusée le 8 janvier 2018. Le 6 février 2018, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire pour contester cette décision, mais la demande a été rejetée le 15 mai 2018.

[12]  Le 29 août 2017, le demandeur a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, dans une décision datée du 5 janvier 2018, cette demande a été rejetée.

C.  La décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[13]  L’agent a refusé la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au motif que ceux-ci étaient insuffisants pour justifier que soit accueillie la demande, particulièrement en ce qui a trait aux difficultés auxquels le demandeur serait exposé s’il devait être renvoyé en Inde.

(1)  L’établissement et l’intégration

[14]  En ce qui a trait à l’établissement, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que le demandeur était bien établi du point de vue économique. L’agent a conclu que le demandeur n’avait fourni aucune preuve démontrant des antécédents de travail stables ou un revenu stable, que sa famille et lui vivent dans un appartement aménagé dans un sous-sol et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant l’acquisition de biens.

[15]  L’agent a fait remarquer qu’il y avait peu de renseignements à propos des efforts déployés par le demandeur pour s’intégrer à la communauté, à part ceux déployés pendant sa période d’incarcération, et il a conclu que cela révélait un degré minimal de participation communautaire et d’intégration à la société canadienne.

[16]  L’agent a fait état des nombreuses lettres présentées par des amis et par le président d’un temple sikh à l’appui de la bonne moralité du demandeur, mais il a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir un degré quelconque d’interdépendance entre le demandeur et ces personnes.

(2)  L’intérêt supérieur des enfants

[17]  En ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a fait observer que le demandeur avait joué un rôle actif dans l’éducation de ses enfants, qui lui ont rendu régulièrement visite à l’Établissement Mission, et que les enfants avaient exprimé leur dépendance affective et financière à l’égard du demandeur. L’agent a aussi reconnu qu’il serait extrêmement difficile pour les enfants de rendre visite au demandeur en Inde de façon régulière et pour des périodes prolongées en raison de la situation économique de la famille. Bien que l’agent ait admis que les enfants seraient confrontés à certaines difficultés émotionnelles si le demandeur retournait en Inde, il a précisé que [traduction« les enfants ont déjà vécu l’expérience de l’absence physique de leur père au quotidien ».

[18]  L’agent a fait remarquer que peu de renseignements avaient été fournis au sujet des effets négatifs qu’aurait le renvoi sur le bien-être psychologique des enfants, p. ex. des changements dans leurs résultats scolaires, ou au sujet des services de counseling qu’ils auraient obtenus pour leur permettre de surmonter ces difficultés d’ordre psychologique. Après avoir fait remarquer qu’il y avait peu d’éléments de preuve amenant à penser que Mme Sahota aurait de la difficulté à assumer son rôle parental, si ce n’est la lettre des enfants selon laquelle leur mère était stressée en raison de difficultés financières, l’agent a conclu que tout effet préjudiciable sur les enfants pourrait être atténué grâce au soutien de leur mère.

[19]  L’agent a aussi conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements pour établir que le renvoi du demandeur risquait d’avoir des effets négatifs à long terme sur le développement émotif, scolaire et social des enfants. Par ailleurs, l’agent a conclu que les enfants seraient en mesure de rester en contact avec leur père en échangeant avec lui des courriels, des lettres et des appels téléphoniques, ainsi qu’en communiquant avec lui au moyen des réseaux sociaux. L’agent a conclu que la famille pourrait bénéficier de mécanismes de soutien efficaces au Canada si le demandeur retournait en Inde.

(3)  Les difficultés financières

[20]  L’agent a fait remarquer qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements au sujet des difficultés financières auxquelles la famille du demandeur avait été confrontée pendant l’incarcération de celui-ci, ni au sujet des effets négatifs des difficultés financières sur les enfants. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de croire que Mme Sahota ne pourrait pas demander l’aide sociale et a laissé entendre qu’il s’agit là d’une option pour la famille.

(4)  Les autres difficultés

[21]  En ce qui concerne la crainte du demandeur de retourner en Inde et des difficultés qui en découleraient en raison des menaces de Kuldip Takher, l’agent a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour corroborer la crainte du demandeur. L’agent a aussi conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements permettant de croire que le demandeur ne pourrait compter sur aucun soutien familial s’il était renvoyé ou qu’il ne serait pas en mesure d’exploiter ses nouvelles compétences acquises au Canada pour faciliter sa réintégration en Inde.

[22]  En somme, bien que l’agent ait reconnu que le demandeur avait été un prisonnier exemplaire, ayant bénéficié d’une libération conditionnelle anticipée, et qu’il éprouvait des remords, il a fini par conclure que la gravité des infractions et leur effet sur la société canadienne jouaient fortement contre le demandeur.

III.  La question en litige et la norme de contrôle

[23]  L’unique question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable et, en particulier, si l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants en omettant d’apprécier correctement la preuve et en ne tenant pas compte des éléments de preuve contradictoires.

[24]  Avant l’arrêt récent Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) [Vavilov], rendu par la Cour suprême du Canada, la norme de contrôle qui s’appliquait à la décision d’un agent d’immigration dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était la norme de la décision raisonnable : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (CanLII) [Kanthasamy], au par. 44. Il n’y a pas lieu de déroger en l’espèce à la norme de contrôle suivie dans la jurisprudence antérieure, étant donné que le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov mène à l’application de la même norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable.

[25]  Comme l’ont souligné les juges majoritaires dans l’arrêt Vavilov« une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). De plus, « la cour de révision doit être convaincue [que la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).

IV.  Analyse

[26]  Le demandeur soutient que l’agent n’a pas bien évalué l’intérêt supérieur des enfants et qu’il n’a pas examiné les éléments de preuve avec le soin voulu. Bien que le demandeur ait présenté plusieurs lettres de soutien de la part de ses enfants dans lesquelles ceux‑ci exprimaient leur dépendance affective et financière à son égard, le demandeur affirme que l’agent a porté son attention sur ce qui était absent de la preuve plutôt que sur ce qu’elle contenait. Le demandeur fait valoir que l’agent « devait déterminer et définir l’intérêt supérieur de l’enfant et examiner cet intérêt “avec beaucoup d’attention” à la lumière de tous les éléments de preuve », ainsi que l’a déclaré la Cour dans la décision Ondras c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 303 (CanLII) [Ondras], au par. 11, citant le paragraphe 39 de l’arrêt Kanthasamy. Compte tenu de cela, le demandeur invoque la décision Cerezo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1224 (CanLII), au par. 10, et soutient que l’agent n’a pas fait preuve de la sensibilité requise dans son analyse des lettres des enfants et dans son évaluation des difficultés éventuelles auxquelles les enfants pourraient être confrontés si le demandeur était renvoyé en Inde.

[27]  Le demandeur soutient que le raisonnement de l’agent est intrinsèquement contradictoire puisque, bien que l’agent ait reconnu le rôle actif que joue le demandeur dans la vie de ses enfants, il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant les répercussions négatives qu’aurait le renvoi du demandeur sur la vie de ceux-ci. De plus, le demandeur soutient qu’en écartant les éléments de preuve relatifs aux difficultés financières et en concluant que Mme Sahota pouvait faire appel à l’aide sociale, l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de la possibilité que l’intérêt supérieur des enfants puisse être mieux servi par le maintien du statu quo (Alagaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 381 (CanLII), au par. 32; Jimenez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 527 (CanLII), aux par. 27 et 28). Le demandeur affirme que l’agent n’a pas analysé l’intérêt supérieur des enfants, qu’il a plutôt énoncé de nouveau les facteurs pris en compte, et qu’il a omis de définir clairement l’intérêt supérieur des enfants au vu de leur âge, de leur niveau d’instruction et de leur degré d’interdépendance (Bajraktarevic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 123 (CanLII), aux par. 18 à 20).

[28]  De surcroît, le demandeur soutient que l’agent a omis de tenir compte de façon appropriée de deux rapports du Service correctionnel du Canada (SCC), qui contenaient de nombreux éléments de preuve relatifs à la relation des enfants avec leur père. Le demandeur s’appuie sur la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) [Cepeda‑Gutierrez], au par. 17, pour affirmer que plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs est importante, plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que le décideur a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait. Le demandeur soutient que l’agent a omis d’expliquer pourquoi peu d’importance avait été accordée aux rapports du SCC alors que ceux‑ci tiraient clairement une conclusion contraire et contredisaient carrément les conclusions de fait de l’agent.

[29]  Le défendeur soutient qu’il incombe au demandeur d’établir l’existence de circonstances « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » et d’établir les motifs exceptionnels pour lesquels il devrait lui être permis de demeurer au Canada (Kanthasamy, aux par. 21 à 23; Bakal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 417 (CanLII), aux par. 13 et 14; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265, aux par. 17 à 25). Le défendeur fait valoir qu’il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve à l’appui de l’incidence qu’aurait son renvoi du Canada sur son épouse et ses enfants (Perez Fernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 628 (CanLII), aux par. 22 à 26). Il soutient que le demandeur a omis de présenter des rapports psychologiques ou d’autres éléments de preuve permettant d’établir les répercussions psychologiques sur les enfants et soutient que l’agent a tiré la conclusion raisonnable selon laquelle il n’y avait pas suffisamment de renseignements pour établir qu’il s’ensuivrait des répercussions négatives à long terme sur le développement des enfants du demandeur. Le défendeur fait valoir que l’agent a tenu compte, de manière détaillée et rigoureuse, de l’intérêt supérieur des enfants.

[30]  De plus, le défendeur soutient que l’intérêt supérieur des enfants n’est pas déterminant pour décider si un parent doit être tenu de quitter le Canada (Kanthasamy, au par. 23; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817, au par. 75; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 (CanLII), [Legault], au par. 12). Le défendeur affirme que, bien qu’il existe des difficultés inhérentes au renvoi, cela ne suffit pas pour justifier une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR (Legault, aux par. 15, 19, 21 et 23). Le défendeur soutient que le demandeur est simplement en désaccord avec l’importance qui a été accordée aux facteurs et avec les inférences tirées par l’agent.

[31]  Je suis d’avis que l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants en omettant d’apprécier correctement la preuve et en ne tenant pas compte de la preuve contradictoire (Cepeda‑Gutierrez, au par. 17). Par conséquent, l’agent a tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte de la preuve. Contrairement à ce qu’a conclu l’agent, à savoir que les enfants avaient déjà vécu l’expérience de l’absence physique de leur père au quotidien, les rapports du SCC révèlent que le demandeur a obtenu des laissez-passer de fin de semaine pour se rendre auprès de sa famille dès que cela lui en a été possible et qu’il n’a jamais cessé de se prévaloir de ce privilège. L’agent a minimisé le degré de détresse émotionnelle chez les enfants du demandeur et a omis d’expliquer pourquoi les fins de semaine passées par le demandeur auprès de ses enfants — élément de preuve qui contredit les conclusions de l’agent — n’ont pas été prises en compte ou pourquoi il ne leur avait été accordé aucun poids.

[32]  Bien qu’il ait reconnu que le demandeur a joué un rôle actif dans l’éducation de ses enfants (qu’il a vu régulièrement pendant son incarcération), que les enfants ont une dépendance affective et financière à l’égard du demandeur et qu’il serait extrêmement difficile pour les enfants de rendre visite au demandeur en Inde, l’agent a conclu de façon déraisonnable qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements pour établir que le renvoi de l’appelant risquait d’avoir des effets négatifs à long terme sur le développement émotif et social des enfants, sans examiner avec le soin voulu les autres éléments de preuve établissant la détresse émotionnelle et psychologique que subiraient les enfants. Comme dans la décision Ondras, où l’agent n’a pas tenu compte entièrement des éléments de preuve limités et où la décision a été jugée déraisonnable (Ondras, au par. 10), je conclus que les motifs de l’agent dans le présent dossier ne reflètent pas un examen complet de la preuve.

[33]  Lorsqu’il a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve établissant les effets négatifs du renvoi sur le bien-être psychologique des enfants ou indiquant qu’ils avaient obtenu des services de counseling, l’agent a omis d’analyser les rapports du SCC, selon lesquels le demandeur est [traduction« un père très attentif et compréhensif », qui a contribué aux dépenses du ménage et à l’ameublement de leur maison. Toujours selon les rapports du SCC, le demandeur [traduction] « est soucieux d’acheter à ses trois enfants tout ce dont ils ont besoin pour l’école ou des vêtements. Il se comporte comme un père attentif et ses enfants semblent être attachés à lui », ce qui révèle une dépendance affective et financière des enfants à l’égard de leur père.

[34]  Compte tenu des motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable.

V.  Question à certifier

[35]  Les avocats des deux parties ont été appelés à dire s’il y avait des questions à certifier. Ils ont tous les deux affirmé qu’il n’y en avait pas, et je suis d’accord avec eux.

VI.  Conclusion

[36]  L’agent n’a pas apprécié correctement les éléments de preuve dont il était saisi et a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve contradictoire. La décision de l’agent est déraisonnable.

[37]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1777‑19

LA COUR STATUE :

  1. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour d’avril 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1777‑19

INTITULÉ :

HARDEV SINGH SAHOTA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 SEPTEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

LE 11 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Erica Olmstead

Molly Joeck

 

Pour le demandeur

Keith Reimer

Pour le DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Co. Law Offices

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le DÉFENDEUR

 

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