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Date : 20010510

Dossier : IMM-1446-00

Référence neutre: 2001 CFPI 462

Entre :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                         Demandeur

et:

                                                       Isabella ROITMAN

                                                     Alexander ROITMAN

                                                                                                                          Défendeurs

                                              MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                Le demandeur cherche à faire annuler la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « section du statut » ) rendue le 9 mars 2000, selon laquelle les défendeurs Isabella Roitman et son fils Alexander sont des réfugiés.


[2]                La demande de statut a été entendue par les commissaires Me Auguste Choquette et Me Stéphane Handfield. À la fin de l'audition tenue le 9 mars 2000, Me Choquette a conclu que les défendeurs étaient des réfugiés. Quant à Me Handfield, il a pris l'affaire en délibéré. Vu le paragraphe 69.1(10) de la Loi sur l'immigration (la « Loi » ), qui se lit comme suit,


69.1 (10) Sous réserve du paragraphe (10.1), en cas de partage, la section du statut est réputée rendre une décision en faveur de l'intéressé.

69.1 (10) Subject to subsection (10.1), in the event of a split decision, the decision favourable to the person who claims to be a Convention refugee shall be deemed to be the decision of the Refugee Division.


la décision du Me Choquette constitue la décision de la section du statut.

[3]                Suite à la décision du 9 mars 2000, aux termes du paragraphe 69.1(11) de la Loi, qui se lit comme suit,


69.1 (11) La section du statut n'st tenue de motiver par écrit sa décision que dans les cas suivants:

a) la décision est défavorable à l'intéressé, auquel cas la transmission des motifs se fait avec sa notification;

b) le ministre ou l'intéressé le demande dans les dix jours suivant la notification, auquel cas la transmission des motifs se fait sans délai.

69.1 (11) The Refugee Division may give written reasons for its decision on a claim, except that

a) if the decision is against the person making the claim, the Division shall, with the written notice of the decision referred to in subsection (9), give written reasons with the decision;

b) if the Minister or the person making the claim requests written reasons within ten days after the day on which the Minister or the person is notified of the decision, the Division shall forthwith give written reasons.


le ministre a demandé à Me Choquette de motiver par écrit sa décision. Par conséquent, le 19 juin 2000, Me Choquette signait ses motifs. Quant à Me Handfield, ce dernier signait des motifs dissidents le 7 juillet 2000.


[4]                À la fin de l'audition, le 1er mai 2001 à Montréal, j'avisais les procureurs que la demande de contrôle judiciaire serait accueillie. Voici les motifs de l'ordonnance que je rendais le 1er mai.

[5]                La défenderesse Isabella Roitman, née en Russie le 23 octobre 1958, est citoyenne d'Israël. Son fils Alexander, né le 20 juillet 1989 en Moldavie, est aussi citoyen d'Israël. Ils sont arrivés au Canada, pour la première fois, le 24 décembre 1992, et ils ont déposé une demande de statut de réfugié. Celle-ci a été refusée le 12 août 1996, et leur demande de contrôle judiciaire a été rejetée par le juge Richard de cette Cour le 18 février 1997.

[6]                Au mois d'août 1997, les défendeurs sont revenus au Canada et ont déposé une nouvelle demande de statut de réfugié. En juin 1999, ils renonçaient à cette demande et quittaient le Canada pour l'Israël. Finalement, le 23 novembre 1999, les défendeurs revenaient au Canada pour revendiquer à nouveau le statut de réfugié.

[7]                Comme je l'ai déjà indiqué à la fin de l'audition du 9 mars 2000, Me Choquette rendait une décision favorable aux défendeurs. Voici comment il s'exprimait aux pages 97 et 98 de la transcription:

PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant à la revendicatrice)

[...]


-               Bon. Alors, qu'est-ce que vous voulez, là, il y a des situations où des fois il faut ... alors, on avance dans la vie, puis que la tête grisonne, on réalise des fois qu'il y a des principes qui sont sévères ou on devient ... sais pas, on devient sceptique devant l'application des principes qu'il faut appliquer, mais il y a des circonstances où il faut ... je le sais pas, faire preuve d'une ... d'une largeur de vue qui n'est pas toujours appréciée, faire preuve d'une magnanimité qui n'a pas l'heure de plaire à bien des gens parce que que le Canada a le droit d'être protégé contre les abus d'un système.

-               Bon, trêve de discours. Simplement vous dire Madame que nous sommes deux ici et nos opinions sont aussi valables l'une que l'autre. Mon collègue est un Commissaire de grande réputation et il fait un travail extraordinaire ici, nous essayons tous de faire notre devoir. Alors, il s'agit d'un cas où il y a une divergence de vue et je respecte ça fondamentalement.

PAR LE COMMISSAIRE [Me Handfield] (s'adressant au président)

-               Mais pour l'instant, Monsieur le Président, je vais réserver ...

R.            Merci.

-               ... ma décision.

PAR LE PRÉSIDENT (s'adressait à la revendicatrice)

-               Alors, ma décision est positive. [...]

[8]                Les remarques ci-haut de Me Choquette doivent évidemment être lues avec les motifs écrits qu'il a signés le 19 juin 2000. À mon avis, Me Choquette a commis plusieurs erreurs qui justifient une intervention de ma part.


[9]                En premier lieu, Me Choquette a fait fi du principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans Ward c. Canada (P.G.), [1993] 2 R.C.S. 689, selon lequel un revendicateur du statut de réfugié doit démontrer, de façon claire et convaincante, l'incapacité de son pays d'assurer sa protection. En l'absence d'une telle preuve, un revendicateur de statut de réfugié ne peut réussir, puisque son pays est présumé être en mesure de le protéger.

[10]            Dans Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Kadenko (1997), 206 N.R. 272, une affaire impliquant une revendication de statut de réfugié à l'encontre d'Israël, la Cour d'appel fédérale a conclu que dans le cas d'un pays démocratique, comme Israël, un revendicateur devait démontrer qu'il avait tenté d'épuiser les recours disponibles. À la page 274, le juge Décary, au nom de la Cour, s'exprimait comme suit:

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause: plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui. [...]

[11]            Sur cette question, Me Choquette a émis les propos suivants à la page 7 de ses motifs:

Il faut signaler enfin que le passeport israélien comporte désormais une inscription servant à indiquer si quelqu'un a fait à l'étranger une demande de statut de réfugié.

Le peuple d'Israël est un grand peuple; l'État d'Israël, souvent en état de belligérance, est hautement respecté; toutefois, dans toute démocratie, il existe un « establishment bureaucratique » qui ne saurait être sympathique à quiconque s'est repris à trois fois pour critiquer le système en vue d'obtenir ailleurs l'asile, surtout quand viendra le moment de requérir l'aide des forces de sécurité contre les menaces environnantes.

[12]            Je suis entièrement d'accord avec la soumission de Me Moreau, procureur du demandeur, selon laquelle Me Choquette ne s'est nullement penché sur la question à savoir si l'état d'Israël était en mesure de protéger les défendeurs. Sauf pour le passage ci-haut de ses motifs, Me Choquette est silencieux concernant le principe énoncé par la Cour suprême dans Ward, supra. À mon avis, Me Choquette devait s'attarder à cette question et il ne l'a pas fait. Cette erreur est suffisante, à mon avis, pour me permettre d'intervenir et de casser la décision de la section du statut.

[13]            De plus, le passage ci-haut des motifs de Me Choquette n'est aucunement basé sur la preuve. Au contraire, la pièce A-5 i) est à l'effet qu'une mention dans son passeport qu'une personne a réclamé le statut de réfugié à l'étranger n'a aucune incidence sur le retour de cette personne en Israël, ou sur ses droits. À tout le moins, Me Choquette aurait dû considérer cette pièce.


[14]            En second lieu, il ne peut faire de doute, comme le suggère Me Moreau, que Me Choquette a conclu en faveur des défendeurs pour des motifs qui n'ont rien à voir avec la Convention. Je suis d'accord avec le demandeur que Me Choquette a fondé sa décision sur des considérations d'ordre humanitaire. Malheureusement pour les défendeurs, des motifs humanitaires ne sont pas, en soi, suffisants pour leur permettre de réussir sur leur demande de revendication. Ils doivent démontrer qu'il y a risque de persécution pour l'un des motifs énoncés à la Convention. Pour se convaincre que Me Choquette a fondé sa décision sur des considérations d'ordre humanitaire, quelques exemples suffiront. En premier lieu, les propos exprimés par Me Choquette à la fin de l'audience du 9 mars 2000 sont, à mon avis, sans équivoque. En second lieu, certains passages des motifs écrits de Me Choquette illustrent fort bien pourquoi Me Choquette a conclu de façon favorable:

[page 2]

Il est manifeste que les deux revendicateurs sont des êtres fragilisés, la mère ayant été victime de violence conjugale de la part du père de l'enfant avant de le divorcer, lequel l'a menacée de mort et de lui ravir son enfant.

Quant à Alexander, sa vie est bouleversée par les événements qu'il a vécus et il accuse un retard scolaire marqué, lui qui a déjà fait l'objet d'une expertise psychologique dont fait mention la décision de la CISR datée du 12 août 1996.

Le Tribunal estime que non seulement il s'agit d'un cas qui présente un caractère profondément humain, mais que, de surcroît et surtout, il s'agit d'un cas qui est présenté en conformité avec des critères établis par la Loi.

[page 6]

Si l'enfant Alexander doit retourner dans le pays où il a la citoyenneté, il est sérieusement exposé au risque de ne pas bénéficier des soins de santé et d'éducation, de même qu'il est sérieusement exposé à des traitements physiques et psychologiques cruels; il y a donc pour lui une possibilité sérieuse de persécution à cause de sa nationalité à titre d'ex-ressortissant de l'U.R.S.S.


[page 7]

Le Tribunal est convaincu que le présent dossier comporte une spécificité sur laquelle il faut se pencher favorablement.

[15]            Une autre erreur de Me Choquette, à mon avis, concerne sa conclusion relative à la crédibilité des défendeurs. À la page 2 des ses motifs, Me Choquette s'exprime comme suit:

D'entrée de jeu, le Tribunal n'hésite pas à déclarer que l'histoire, principalement récitée par la revendicatrice, est lanoquimement confirmée par l'enfant mineur, eu égard aux blessures personnelles qui lui ont été infligées à lui, est foncièrement honnête et crédible.

[16]            Il n'y a rien d'autre dans les motifs de Me Choquette concernant la crédibilité des défendeurs. Il y avait en preuve devant la section du statut plusieurs éléments qui pouvaient entacher leur crédibilité. Pour s'en convaincre, il suffit de lire les motifs dissidents de Me Handfield concernant les points suivants: le fait que les revendicateurs n'ont pas revendiqué le statut de réfugié lors de leurs séjours en Irlande, en Hollande et possiblement en France; le fait que la défenderesse ait indiqué dans son FRP que tous les membres de sa famille, sauf elle, demeuraient en Moldavie, alors qu'elle a témoigné viva voce que ses soeurs Irina et Anna, ainsi que sa mère, demeuraient aussi en Israël; le fait que le défendeur Alexander ne pouvait relater le nom de la ville où il avait vécu en Israël, et; le fait que la défenderesse ne pouvait se souvenir du nom de l'école où elle avait inscrit son fils en septembre 1999.


[17]            Il n'est nullement mon intention d'indiquer que Me Handfield a raison lorsqu'il conclut que les défendeurs ne sont pas crédibles. Cela n'est pas mon rôle comme juge siégeant en demande de contrôle judiciaire. Par ailleurs, il est clair que Me Choquette se devait de considérer toute la preuve devant lui et de discuter des éléments de preuve qui pouvaient affecter la crédibilité des défendeurs. Je ne peux que conclure, à la lumière des motifs de Me Choquette, qu'il a complètement ignoré tous les éléments de preuve qui n'étaient pas favorables aux défendeurs. Vu la preuve au dossier et vu le fait que Me Choquette a ignoré une bonne partie de la preuve, son affirmation selon laquelle l'histoire des défendeurs « est foncièrement honnête et crédible » , constitue une erreur justifiant une intervention.

[18]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire ne peut qu'être accueillie et le dossier sera retourné à la section du statut pour reconsidération par un panel différemment constitué.

                                                                                        Marc Nadon

                                                                                                     Juge

O T T A W A (Ontario)

Le 10 mai 2001

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