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Date : 20060509

Dossier : IMM‑2500‑05

Référence : 2006 CF 576

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

SANDRA WILLIAMS ET

LIONEL WILLIAMS

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]        Les demandeurs sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’immigration, en date du 12 mai 2003, qui a refusé de leur accorder une dispense, fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, de l’obligation de présenter depuis l’extérieur du Canada leur demande de résidence permanente.

 

[2]        Dans leur avis de demande, les demandeurs sollicitent les redressements suivants :

1.         un bref de certiorari annulant la décision de l’agente d’immigration;

2.         un bref de mandamus ordonnant qu’il soit donné suite dans le respect de la loi à la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire;

3.         les dépens de la demande de contrôle judiciaire.

 

Les faits

 

[3]        Les demandeurs sont des ressortissants de Saint‑Vincent. Sandra Williams est arrivée au Canada la première fois en 1988 en tant que visiteur. Elle est restée au Canada après l’expiration de son visa de visiteur et elle en a été expulsée le 26 mars 1989. Elle est revenue au Canada le 5 juillet 1991 à titre de visiteur et elle est depuis restée au Canada. Un rapport d’interdiction de territoire a été émis contre elle en vertu de l’article 44 le 13 mai 2003 parce qu’elle n’avait pas quitté le Canada après l’expiration de son visa de visiteur le 5 janvier 1992.

 

[4]        Le fils de Sandra, Lionel, fait des allées et venues au Canada pour demeurer avec sa mère depuis qu’il a huit ans. Le 15 décembre 1999, il est arrivé au Canada en tant que visiteur et y est resté après l’expiration de son visa le 14 juin 2000. Lionel était à la charge de sa mère. Quand leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a été présentée, il était âgé de 16 ans. Quand leur demande a été refusée, il était âgé de 19 ans. Il est actuellement âgé de 22 ans.

 

[5]        Le 5 décembre 2002, Lionel a été l’objet d’un rapport selon l’article 44 pour cause de criminalité. L’agente d’immigration a relevé qu’il avait été déclaré coupable d’agression et de vol, et coupable de deux chefs d’accusation d’avoir proféré des menaces le 22 novembre 2002, et qu’il avait été condamné à deux mois d’emprisonnement et à 45 jours de détention préventive. Abstraction faite de ces condamnations, Lionel était adapté à la vie au Canada. Un bulletin scolaire daté du 24 août 2000 et des rapports provisoires datés d’octobre 2002 délivrés par l’école de Lionel ont été présentés pour l’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

[6]        Sandra travaille comme gouvernante depuis son arrivée au Canada. Elle a produit des lettres élogieuses de recommandation rédigées par ses employeurs. Ses lettres indiquent que ses états de service vont de trois mois à huit ans. Elle a aussi apporté la preuve qu’elle a des épargnes.

 

[7]        Le 12 mai 2003, une agente d’immigration a refusé la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Il s’agit ici du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[8]        Lionel a été expulsé du Canada en décembre 2005, entre le dépôt de la demande d’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire et l’ordonnance accordant l’autorisation.

 

Les motifs de la décision

 

[9]        Après un bref examen de la preuve, l’agente d’immigration a exposé ainsi les motifs de sa décision :

 

[TRADUCTION]

M. Lionel Williams‑Alexander a montré un niveau limité d’établissement au Canada et a produit des bulletins scolaires de l’institution Sir Sanford Fleming Academy. Il a été déclaré coupable le 22 novembre 2002 en vertu du Code criminel des infractions suivantes : menaces, agression et vol.

 

Mme Williams a fait valoir qu’elle occupait une fonction rémunératrice à Saint‑Vincent avant son arrivée au Canada. Elle a conservé des liens avec Saint‑Vincent puisque sa mère et son frère y demeurent. Le père de Lionel Williams‑Alexander habite lui aussi à Saint‑Vincent.

 

Tous les arguments de Sandra Williams et de Lionel Williams‑Alexander ont été examinés. On peut comprendre que Mme Williams aimerait rester au Canada, et elle a montré un certain niveau d’établissement depuis son arrivée. Elle a aussi contrevenu aux lois sur l’immigration en restant au Canada après l’expiration de son visa de visiteur, et en revenant au Canada sans autorisation après en avoir été expulsée. Lionel Williams‑Alexander est resté au Canada après l’expiration de son visa de visiteur, il a montré un niveau limité d’établissement et il a été déclaré coupable de trois infractions criminelles au Canada.

 

Sandra Williams et Lionel Williams‑Alexander pourraient connaître des difficultés personnelles s’ils devaient retourner à Saint‑Vincent et présenter une demande de résidence permanente de la manière habituelle. Après examen de la preuve, je ne suis cependant pas persuadée que telles difficultés seraient inhabituelles, injustes ou indues. Les motifs d’ordre humanitaire sont insuffisants pour justifier l’autorisation du dépôt d’une demande de résidence permanente depuis le Canada. La demande est refusée.

 

Les points litigieux

 

[10]      Les demandeurs ont soumis les points suivants pour examen :

1.         L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur de Lionel Williams en sa qualité d’enfant?

2.         L’agente a‑t‑elle commis une erreur en refusant la demande à cause des condamnations criminelles de Lionel William, et cela sans notifier au demandeur les renseignements reçus de tiers?

3.         L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans le nombre des déclarations de culpabilité?

 

Les conclusions des demandeurs

 

[11]      Selon les demandeurs, les notes manuscrites de l’agente d’immigration reconnaissaient que Lionel était un enfant à charge de Sandra. Par ailleurs, Lionel n’a pas présenté une demande distincte fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, et l’agente n’a pas délivré une lettre de refus distincte pour lui.

 

[12]      Les demandeurs disent que, puisque Lionel était enfant, l’agente aurait dû tenir compte de son intérêt supérieur, conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR, et la décision doit donc être annulée (Joseph c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 344). Selon les demandeurs, l’agente a simplement écrit que Lionel [traduction] « a montré un niveau limité d’établissement au Canada », ce qui n’est pas le critère applicable.

 

[13]      Selon les demandeurs, l’agente a sans doute commis une erreur de fait à propos du casier judiciaire de Lionel. Ils disent que l’agente a écrit que Lionel avait été déclaré coupable de certaines infractions criminelles le 22 novembre 2002 et condamné à deux mois d’emprisonnement et à 45 jours de détention préventive. Ils disent aussi que les pages 24 et 83 du dossier certifié du tribunal ne contiennent pas les mêmes renseignements sur les accusations criminelles et que l’agente d’immigration a peut‑être tiré une conclusion de fait erronée, parce qu’elle n’a pas cherché à éclaircir le doute.

 

[14]      Les demandeurs disent aussi qu’on leur a refusé l’équité procédurale en ne leur donnant pas l’occasion de répondre à la preuve que détenait l’agente à propos des condamnations criminelles de Lionel.

 

Les conclusions du défendeur

 

[15]      Le défendeur dit que les demandeurs n’ont pas prouvé que la décision de l’agente était déraisonnable ou qu’elle était fondée sur une appréciation abusive de la preuve.

 

[16]      Selon le défendeur, il n’est nullement établi que le casier judiciaire du fils adulte a été déterminant dans la décision de l’agente. Il fait aussi valoir que les demandeurs ne devraient pas pouvoir plaider un manquement à l’équité procédurale puisque, lorsqu’elle a invoqué l’intérêt de son fils, la demanderesse aurait dû savoir que ses condamnations criminelles seraient prises en compte.

 

[17]      Le défendeur dit que, selon la Convention relative aux droits de l’enfant, un enfant est une personne âgée de moins de 18 ans. Par conséquent, Lionel n’est pas un enfant. Selon le défendeur, l’analyse faite par l’agente s’accordait avec les arguments avancés par la demanderesse à propos de son fils de 19 ans. L’agente ne pouvait se prononcer sur l’intérêt supérieur de l’enfant qu’en fonction de la preuve produite (voir Anaschenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1328).

 

Les dispositions légales applicables

 

[18]      Une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est autorisée par le paragraphe 25(1) de la LIPR, ainsi rédigé :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

Analyse et décision

 

[19]      Le paragraphe 25(1) de la LIPR oblige l’agente saisie d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire à tenir compte de l’intérêt supérieur de tout enfant qui est directement concerné. L’agente a traité Lionel Williams comme un enfant aux fins de sa décision. Elle devait donc prendre en compte l’intérêt de l’enfant eu égard aux renseignements qui lui avaient été soumis.

 

[20]      J’ai examiné la décision rendue par l’agente dans la présente affaire, et il m’est impossible d’y voir une quelconque analyse de l’intérêt supérieur de Lionel Williams. Il était établi que, au moment de la décision de l’agente, Lionel Williams était âgé de 19 ans, qu’il fréquentait l’école et qu’il dépendait de sa mère. N’ayant procédé à aucune analyse de l’intérêt supérieur de Lionel Williams, l’agente a commis une erreur sujette à révision.

 

[21]      La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

[22]      Il ne m’est pas nécessaire d’examiner les questions restantes soulevées par les demandeurs.

 

[22]      Aucune des parties n’a proposé que soit certifiée une question grave de portée générale.

 

JUGEMENT

 

[23]      LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          IMM‑2500‑05

 

 

INTITULÉ :                                                         SANDRA WILLIAMS ET

                                                                              LIONEL WILLIAMS

                                                                              c.

                                                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                              ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 LE 4 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 9 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mary Lam

 

            POUR LES DEMANDEURS

Jamie Todd

 

            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mary Lam

Toronto (Ontario)

 

            POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

            POUR LE DÉFENDEUR

 

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