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Date : 20200310


Dossier : T-1673-17

Référence : 2020 CF 321

[TRADUCTION FRANÇAISE]

RECOURS COLLECTIF

ENTRE :

CHERYL TILLER, MARY-ELLEN COPLAND

ET DAYNA ROACH

demanderesses

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

(Approbation du règlement)

LE JUGE PHELAN

I.  Introduction

[1]  L’accord de règlement en cause en l’espèce fait suite à l’approbation du règlement dans la décision Merlo c Canada, 2017 CF 533 [Merlo-Davidson], qui portait sur la discrimination et le harcèlement fondés sur le sexe et l’orientation sexuelle de femmes ayant travaillé pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en tant que « membres régulières, civiles ou [...] fonctionnaires » depuis le 16 septembre 1974 – date à laquelle il a été permis aux femmes de se joindre à la GRC.

[2]  Bien que la question des honoraires juridiques soit incluse dans l’accord de règlement, elle est indépendante de la présente approbation et fait l’objet d’une décision distincte.

[3]  Le but de l’accord de règlement est d’examiner une conduite semblable dans un milieu de travail tenu par la GRC, subie par des femmes qui ont travaillé ou été bénévoles pour la GRC, mais dont la GRC n’était pas l’employeur. Ces personnes n’étaient donc pas des membres du [traduction] « recours collectif Merlo ».

[4]  Le 21 juin 2019, les représentantes des demanderesses et la défenderesse ont convenu d’un règlement pour ce groupe, tel qu’il est établi dans le « règlement » (y compris son préambule, ses annexes et ses appendices). Le 1er octobre 2019, les parties ont signé un accord supplémentaire comprenant les modalités de nomination de l’administrateur et de l’évaluateur (l’accord supplémentaire).

[5]  Aux fins des présents motifs et de l’ordonnance d’approbation, les deux accords, le règlement et l’accord supplémentaire, forment ensemble « l’accord de règlement », à moins d’indication contraire.

[6]  Un processus de réclamation confidentiel d’indemnisation allant de 10 000 $ à 220 000 $ est établi dans l’accord de règlement. Il doit s’agir d’un processus non contradictoire qui comprend l’élément d’une directive concernant l’absence de représailles, afin que les membres du groupe qui travaillent encore pour la GRC puissent présenter une réclamation sans craindre de représailles.

[7]  Les parties ont demandé à la Cour d’approuver l’accord de règlement, la forme, le contenu et le mode de distribution de l’avis d’approbation du règlement (l’avis), la nomination de Deloitte LLP pour administrer l’accord de règlement et la nomination de l’honorable Louise Otis, de l’honorable Pamela Kirkpatrick et de l’honorable Kathryn Neilson en tant qu’évaluatrices du processus de réclamation établi aux termes de l’accord de règlement.

[8]  Pour les motifs énoncés, la Cour approuve l’accord de règlement et les documents et nominations connexes, et par conséquent, le recours collectif sera rejeté.

II.  Contexte

A.  Aperçu

[9]  La présente action a été intentée le 2 novembre 2017. Les demanderesses allèguent que la GRC a fait preuve de négligence et violé l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11, en omettant de prendre des mesures raisonnables pour s’assurer que les « membres du groupe principal » pouvaient travailler dans un environnement exempt de discrimination et harcèlement fondés sur le sexe et l’orientation sexuelle. Les demanderesses allèguent par ailleurs que la Couronne défenderesse est responsable quant aux actes des personnes qui travaillaient pour la GRC et qui étaient, pendant toute la période pertinente, des préposés de la Couronne, aux termes de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC (1985), c C-50. Les demanderesses déclarent que cette conduite leur a causé des dommages physiques et psychologiques.

[10]  Après la signification de documents en mars 2018, relativement à une demande d’autorisation, les parties ont rapidement entamé des négociations en vue d’un règlement au cours d’une période de près d’un an, à compter du mois de juin 2018. Les discussions ont débouché sur le règlement.

[11]  Par conséquent, la réclamation a été modifiée aux fins du règlement et une déclaration modifiée a été déposée en avril 2019.

[12]  Par suite de nouvelles discussions avec la Cour et d’observations formulées devant elle, l’action a été autorisée aux fins de règlement le 5 juillet 2019. Comme nous le verrons plus loin, la description appropriée du groupe a été une question compliquée. Il est important de noter que le groupe a été défini et établi uniquement aux fins du règlement – un point réitéré par la défenderesse.

[13]  Merlo-Davidson offre un contexte essentiel et constitue un facteur déterminant en l’espèce. Aux termes de l’ordonnance d’autorisation, Klein Lawyers LLP et Higgerty Law ont été nommés procureurs au recours collectif. Les deux cabinets possèdent de l’expérience en matière de recours collectif et Klein Lawyers a été l’un des premiers procureurs au recours collectif dans Merlo-Davidson. Leur expérience et leurs recommandations sont un facteur que la Cour doit prendre en compte dans l’approbation du présent accord de règlement.

[14]  Bien que la présente affaire soit passée à la phase de négociation en vue d’un règlement très rapidement et après Merlo-Davidson, un procès n’était pas à envisager, les demanderesses ont donc entamé des démarches relatives à un processus d’autorisation de procédure contentieuse. À cet égard, deux experts ont apporté leur aide pour rédiger le règlement.

B.  L’accord de règlement – Modalités principales et dispositions

1)  Catégorie

[15]  Les des aspects les plus importants de l’accord de règlement et de l’ordonnance d’autorisation était le groupe, en particulier, la définition de « membres du groupe principal ». Mises à part les exclusions comme celle du groupe dans Merlo-Division de membres de la GRC, le but était d’inclure un groupe important de personnes non visées par l’exclusion. La procédure contentieuse est le résultat d’un constat : le personnel féminin qui n’est pas membre de la GRC et d’autres femmes ayant des liens avec la GRC, et qui ont été confrontés au même type d’abus et de discrimination que les membres de la GRC en poste, n’étaient pas visés par l’affaire Merlo-Davidson.

[16]  En matière d’exclusion (explicite ou implicite), en dépit du fait que la GRC est la force policière provinciale dans huit provinces, les employées provinciales sous la supervision, la direction de la GRC ou qui relève d’elle ne font pas partie de la présente action, car ces employées ont obtenu leur propre réparation aux termes des lois provinciales, comme nous le verrons plus loin.

[17]  Il était essentiel qu’il y ait un lien important et véritable avec la GRC. Avec le concours de la Cour, les parties ont défini ce lien non seulement en ce qui concerne la supervision et la direction, mais aussi par rapport aux circonstances dans lesquelles la GRC exerçait un contrôle sur le personnel pertinent : des employés rémunérés ou des bénévoles.

[18]  La définition au sens large du groupe principal vise à qualifier le grand groupe de femmes qui ont travaillé ou fait du bénévolat pour la GRC à divers titres, mais qui n’ont pas fait partie du règlement Merlo-Davidson.

2)  Période visée par le recours collectif

[19]  La période visée par le recours collectif dans l’accord de règlement va du 16 septembre 1974 au 5 juillet 2019, soit une période de plus de 45 ans.

3)  Niveaux d’indemnisation

[20]  Les six niveaux d’indemnisation prévus avaient pour but de reconnaître les différentes formes de discrimination et de harcèlement fondés sur le sexe et l’orientation sexuelle, et que chacune d’elles a des effets uniques sur la victime en cause.

[21]  Les niveaux d’indemnisation vont de 10 000 $ à 220 000 $ et sont les suivants :

  • Niveau 1 – Blessure minime – 10 000 $

  • Niveau 2 – Blessure légère – 35 000 $

  • Niveau 3 – Blessure modérée inférieure – 70 000 $

  • Niveau 4 – Blessure modérée supérieure – 100 000 $

  • Niveau 5 – Blessure majeure – 150 000 $

  • Niveau 6 – Blessure grave – 220 000 $

Le conjoint et les enfants des demanderesses, dont les réclamations ont été évaluées comme étant de niveau 5 ou 6, auront également droit à une indemnisation.

C.  Processus de réclamation

[22]  Le processus de réclamation doit être confidentiel et non contradictoire. Le processus est fondé sur un examen de documents, des entrevues des demanderesses et l’évaluation effectuée dans un environnement psychologique et émotionnel [traduction] « sécuritaire » pour les membres du groupe principal, afin de faciliter le récit d’histoires de harcèlement sexuel, d’abus et de discrimination.

[23]  Le délai, relativement court, pour déposer une réclamation est de 18 mois à compter de la plus tardive de la date limite à laquelle il est possible d’interjeter appel (ou demander l’autorisation d’interjeter appel) de l’ordonnance d’approbation et de la date de la décision finale rendue à la suite de tout appel interjeté par une membre du groupe.

[24]  Le processus de réclamation est énoncé de manière claire et succincte dans l’accord de règlement et nécessite que des précisions soient apportées sur la conduite fautive et les blessures qu’elle entraîne.

[25]  Afin d’éviter toute possibilité de double indemnisation, la défenderesse est tenue de fournir à l’administrateur et aux évaluatrices, une liste des membres du groupe principal qui ont indemnisées par les Canada à l’issue d’une autre poursuite civile, d’un grief ou d’une plainte de harcèlement qui concernait le harcèlement ou la discrimination fondés sur le sexe ou l’orientation sexuelle, dans les circonstances énoncées dans la définition de membre du groupe principal, pendant la période visée par la réclamation (la liste d’indemnisation antérieure).

[26]  La défenderesse, par l’intermédiaire de la GRC, est aussi tenue de remettre à l’évaluatrice une liste des potentielles membres du groupe principal ayant déjà fait l’objet d’une identification dans le Système de gestion des ressources humaines. Le but d’une telle mesure est d’aider l’administrateur et les évaluatrices à vérifier que les membres font partie du groupe. Si le nom d’une demanderesse ne figure pas sur la liste des membres du groupe, l’administrateur demandera d’autres éléments de preuve à la demanderesse selon lesquels elle est membre du groupe.

[27]  Les dossiers de réclamation complets seront envoyés par l’administrateur aux évaluatrices et seront placés dans l’une de deux catégories : niveaux 1 et 2 ou niveaux 3 et au-delà. Les niveaux 1 et 2 commandent uniquement un examen sur dossier de la part des évaluatrices. Pour les niveaux 3 et au-delà, les évaluatrices examineront les documents, mais mènera aussi une entrevue en personne avec la demanderesse. Pour les deux catégories, les évaluatrices détermineront si la réclamation répond aux critères d’indemnisation et décidera du niveau pertinent d’indemnisation à verser.

D.  Confidentialité

[28]  En raison de la nature des actes reprochés et du souci de la protection de la vie privée, l’accord de règlement prévoit plusieurs dispositions visant à garantir la confidentialité du processus de réclamation. La confidentialité est tout particulièrement importante pour les membres du groupe travaillant encore pour la GRC et craignant des représailles ou des conséquences négatives d’une réclamation.

[29]  La GRC même a nécessairement rôle limité dans le processus de réclamation, généralement réduit à certaines fonctions administratives comme le versement de paiements à l’administrateur.

Les bureaux de l’administrateur et des évaluatrices sont et demeurent indépendants des parties, de la GRC et les uns des autres.

[30]  Une caractéristique particulière de l’accord de règlement pour garantir la confidentialité du processus de réclamation est le choix d’une « personne-ressource désignée ». Il s’agit d’une personne-ressource agissant à titre confidentiel à la GRC qui répond aux demandes de renseignements et de dossiers de l’administrateur et des évaluatrices. Même dans les locaux de la GRC, la personne-ressource désignée, qui est responsable de garantir la confidentialité de toutes les demandes et réponses échangées avec la GRC, doit se trouver dans un bureau sécurisé non désigné auquel elle seule pourra accéder.

E.  Paramètre du règlement

[31]  En tant que règlement fondé sur le principe des réclamations présentées, il n’y a pas de plafond au montant total du règlement pouvant être payé. Chaque réclamation admissible fera l’objet d’un versement sans égard au montant total d’indemnisation payé au groupe dans son ensemble. Ce processus permet d’éviter le risque de retards de paiement et d’indemnisation individuelle réduite si le nombre de réclamations est supérieur au taux « de participation » (estimation du nombre de demanderesses et nombre de ces réclamations).

[32]  Toutefois, les procureurs au recours collectif ont estimé que près de 5 % des membres du groupe principal présenteront des réclamations, que la valeur moyenne d’une réclamation est d’environ 50 000 $ et par conséquent, que le paiement total du règlement s’élèvera approximativement à 100 000 000 $.

F.  Avis

[33]  Un élément essentiel de tout recours collectif est la disposition d’exclusion permettant à une demanderesse potentielle de s’exclure de l’accord de règlement et de poursuivre seule. Il s’agit de l’ultime protection pour une personne qui n’est pas satisfaite du règlement d’un recours collectif.

Concernant l’audience devant la Cour, seules deux exclusions ont été déposées.

[34]  Les avis d’audience d’autorisation et d’approbation de règlement ont été distribués comme prévu.

[35]  L’avis de règlement sera traité selon le plan d’avis et comprendra des communiqués de presse, des publications dans les médias imprimés, numériques et sur les médias sociaux, les sollicitations par lettre, l’affichage sur le site Web des procureurs au recours collectif, l’affichage dans les locaux de la GRC ainsi que l’aide à la distribution demandée dans les municipalités où se trouvent des détachements de la GRC et dans les bureaux auxiliaires du Syndicat canadien de la fonction publique.

G.  Droits d’exclusion

[36]  Une disposition clé dans chaque règlement de recours collectif est celle relative aux droits d’exclusion.

[37]  Le délai d’exclusion est fixé à 70 jours à compter de la date de l’ordonnance d’autorisation, soit le 13 septembre 2019. À ce jour, deux avis d’exclusion ont été reçus.

[38]  Le seuil d’exclusion est établi à 50 membres. Comme ce seuil n’a pas été atteint, la disposition est théorique.

H.  Administrateur

[39]  Les parties ont demandé que Deloitte LLP soit nommé administrateur. Les devoirs de l’administrateur sont bien définis à l’article 6 et à l’annexe B de l’accord de règlement.

[40]  La Cour a connaissance et a la preuve de l’expérience de Deloitte LLP en matière d’administration de recours collectifs. Il incombe à la défenderesse de payer les coûts d’administration.

I.  Évaluateur

[41]  Les parties ont demandé que l’honorable Louise Otis, auparavant juge à la Cour d’appel du Québec, soit nommée évaluatrice. Elles ont ensuite demandé que deux autres évaluatrices soient nommées, l’honorable Pamela Kirkpatrick, auparavant juge à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, et l’honorable Kathryn Neilson, auparavant juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[42]  Les devoirs des évaluatrices sont également bien définis et sont principalement d’évaluer les réclamations, le cas échéant, d’établir le montant de l’indemnisation réclamée, de préparer un rapport à la GRC sur leurs observations générales concernant les réclamations et formuler des recommandations à la GRC pour contribuer à réduire au minimum le harcèlement sexuel et la discrimination en milieu de travail. La défenderesse est également responsable des coûts associés aux évaluatrices.

J.  Honoraires juridiques

[43]  La question de l’approbation des honoraires des procureurs au recours collectif fait l’objet d’une décision distincte. Toutefois, de manière générale, la défenderesse contribuera à hauteur de 6 millions de dollars et les procureurs au recours collectif demandent des honoraires fondés sur 15 % du montant d’argent perçu par chaque demanderesse. Par ce qui est de la répartition entre les procureurs au recours collectif, ils ont convenu de 70 % pour Klein Lawyers LLP et de 30 % pour Higgerty Law.

K.  Appui et opposition

[44]  Dans l’ordonnance d’approbation d’audience, une disposition prévoyait les expressions d’appui ou d’opposition à l’égard de l’approbation du règlement.

[45]  Aucune expression d’opposition n’a été reçue. Bien que la Cour n’ait reçu aucune expression d’appui, il est indiqué dans l’affidavit de Mme Santos que près de 575 personnes ont exprimé le souhait d’être incluses dans le processus d’indemnisation.

III.  Question en litige

[46]  La question en litige consiste à déterminer si l’accord de règlement (à l’exception des honoraires des procureurs au recours collectif qui seront jugés séparément) est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur du groupe. L’approbation de divers avis et nominations suivra cette décision.

IV.  Analyse

A.  Cadre législatif

[47]  Le critère à appliquer pour l’approbation d’un règlement d’un recours collectif est bien établi et présenté dans des décisions comme Merlo-Davidson, aux paragraphes 16 à 19, Toth c Canada, 2019 CF 125, aux paragraphes 37 à 39 et Condon c Canada, 2018 CF 522 [Condon].

[48]  Le critère consiste à déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, le règlement [traduction] « est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe ».

[49]  Lorsqu’elle applique ce critère, la Cour doit prendre en compte divers facteurs.

[50]  Voici la liste non restrictive de facteurs, comme elle figure dans Condon, au paragraphe 19 :

a.  la probabilité de recouvrement ou de réussite;

b.  l’ampleur et la nature des éléments de preuve issus des interrogatoires préalables, des témoignages ou de l’enquête, et la nature de ceux-ci;

c.  les modalités et conditions du règlement proposé;

d.  les dépens ultérieurs et la durée probable du litige;

e.  les recommandations des parties neutres;

f.  le nombre d’opposants et la nature des oppositions;

g.  la conduite de négociations sans lien de dépendance et l’absence de collusion;

h.  les renseignements éclairant la Cour quant à la dynamique des négociations et aux positions prises par les parties;

i.  l’importance et la nature des communications des avocats et des représentants demandeurs avec les membres du groupe pendant le litige;

j.  les recommandations et l’expérience des avocats.

[51]  Dans la jurisprudence récente de la Cour et d’autres cours supérieures (voir la décision Manuge c Canada, 2013 CF 341 [Manuge]), l’accent a été mis sur le fait que le règlement d’un recours collectif doit être examiné dans son ensemble et plus particulièrement sur le fait qu’il n’incombe pas à la Cour de réécrire les modalités de fond d’un règlement. Il s’agit vraiment d’une proposition « à prendre ou à laisser » (à l’exception de la question des honoraires).

[52]  En l’espèce, la décision est relativement simple et directe, compte tenu du règlement dans Merlo-Davidson. La défenderesse, par l’intermédiaire de la GRC qui a établi la responsabilité des membres de la GRC en poste pour harcèlement et discrimination, pourrait difficilement éviter de faire une offre de règlement relativement à des travailleurs civils et à des personnes dans la même situation subissant la même conduite reprochée de la part de membres de la GRC.

[53]  En outre, j’admets qu’il existe une forte présomption d’équité lorsqu’un règlement a été négocié sans lien de dépendance par des avocats expérimentés, comme c’est le cas en l’espèce (voir la décision Riddle c Canada, 2018 CF 641).

[54]  L’inconvénient théorique de l’approbation du règlement est l’incidence du rejet d’un accord de règlement proposé par la Cour. Comme conclu dans Manuge, au paragraphe 6 : « Le rejet d’un règlement comportant de multiples aspects, comme celui négocié en l’espèce, entraîne aussi le risque de déraillement du processus de négociation et de la perte de l’esprit de compromis. »

[55]  Compte tenu de la situation analogue relativement aux membres de sexe féminin de la GRC dont le règlement a été approuvé dans Merlo-Davidon, refuser aux personnes qui ne sont pas membres de la GRC, visées dans le présent groupe, un règlement raisonnable de leur réclamation serait une parodie de justice.

[56]  Comme dans le cas de nombreux règlement, « c’est au fruit qu’on juge l’arbre ». Par veiller à ce que les objectifs et les mécanismes de l’accord de règlement soient respectés, les parties consentent à ce que la Cour maintienne son rôle de supervision. Ce rôle est essentiel, tel qu’il est affirmé dans la décision de la Cour suprême dans l’arrêt J.W. c Canada (Procureur général), 2019 CSC 20.

[57]  Pour décider si le règlement est [traduction] « est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe », la Cour abordera les facteurs énoncés dans Condon.

B.  Facteurs

1)  Probabilité de recouvrement ou de réussite

[58]  Bien que les procureurs des demanderesses aient précisé qu’il s’agit d’une procédure contentieuse complexe, avec une myriade de moyens de défense possibles pour la défenderesse, ce qui pourrait être le cas si la question était portée devant les tribunaux, la probabilité qu’un procès se tienne était faible. La GRC avait réglé le même genre de réclamations pour ses membres et le Commissaire avait fait des déclarations dans lesquelles il reconnaissait l’inconduite et concluait à la nécessité de changements dans la culture de travail au sein de la GRC.

[59]  Cela étant dit, bien que le cas en l’espèce et son règlement présentaient des difficultés relativement aux questions d’adhésion syndicale, les procureurs au recours collectif m’ont convaincu que l’accord de règlement n’entrave pas le processus de règlement des griefs.

[60]  Dans des observations supplémentaires, les parties ont abordé la question de savoir si la Cour avait compétence en l’espèce comme l’affaire concerne sans doute, au moins en partie, des recours en application de régimes des relations de travail. Je conclus que la décision dans l’arrêt Rivers v Waterloo Regional Police Services Board, 2018 ONSC 4307 (maintenu par la Cour d’appel de l’Ontario), ne s’appliquait pas les circonstances. Le groupe principal n’a pas de relation employeur-employé avec la défenderesse, comme le cas de la décision de l’Ontario.

[61]  Bien définir le groupe était un point essentiel. Ce processus a nécessité du travail et ne pas réussir à s’entendre sur cette définition aurait donné lieu, à tout le moins, à un processus d’autorisation incertain et complexe, suivi d’inévitables appels et de potentiels conflits sur de nombreuses questions entre le recours collectif et les recours individuels.

[62]  J’admets que la définition large du groupe et la période visée par le recours collectif de plus de 45 ans représentent un avantage important dans l’accord de règlement qui n’est pas nécessairement possible d’obtenir lors d’un procès.

[63]  Il était fort probable qu’un règlement quelconque soit établi, toutefois, la nature et l’ampleur de l’accord de règlement en l’espèce constituent un avantage important pour le groupe et pour la défenderesse qu’il n’était pas si facile de prévoir.

2)  Interrogatoire préalable et éléments de preuve

[64]  Bien qu’il n’y ait jamais eu d’interrogatoire préalable ni d’autre procédure préalable, les procureurs au recours collectif ont bien obtenu des rapports auprès de la GRC et d’autres sources sur la culture de harcèlement fondé sur le sexe au sein de la GRC. Les procureurs au recours collectif ont retenu les services de deux experts pour mieux comprendre la nature de la conduite reprochée, adoptée à l’égard de personnes ne faisant pas partie de la GRC dans un environnement de travail.

[65]  En raison de la nature moins homogène du groupe principal, touchant diverses circonstances d’engagement au sein de la GRC par rapport à la situation dans Merlo-Davidson, les procureurs au recours collectif ont mené d’importantes discussions détaillées avec de potentielles membres du groupe pour garantir une meilleure compréhension des types de discrimination et des répercussions de cette conduite sur ce groupe principal pluriel.

3)  Modalités du règlement

[66]  Plusieurs éléments des modalités et conditions militent en faveur de l’approbation :

  • Une approche fondée sur le principe des réclamations présentées permet d’éviter les risques de retard et le risque de réclamations supérieures à l’indemnisation inhérents aux règlements forfaitaires.

  • La vaste période visée par le recours collectif commençant en 1974 permet d’éviter les difficultés liées aux délais de prescription.

  • Le processus de réclamation non contradictoire permet de réduire le risque d’un nouveau traumatisme et facilite l’élément essentiel de la confidentialité. La crainte de représailles ou de nouveaux actes de harcèlement était une préoccupation majeure que la confidentialité permet d’atténuer.

  • Les niveaux d’indemnisation correspondent aux dommages-intérêts accordés et prennent en compte le risque afférent à la procédure contentieuse et la simplicité du processus de réclamation. Ils sont aussi les mêmes dans Merlo-Davidson, en dépit de relations différentes établies avec la GRC et d’autres définitions de ce qui constitue un groupe.

4)  Expérience des procureurs et recommandations

[67]  Comme on s’y attendait, les procureurs au recours collectif recommandent l’accord de règlement. Point davantage pertinent, les deux cabinets offrent les services de procureurs au recours collectif expérimentés qui ont été chargés de diverses réclamations de la sorte. Klein Lawyers tire son expérience directe et très pertinente de Merlo-Davidson et connaît bien les questions et les difficultés du dossier, ainsi que les besoins du groupe.

5)  Dépenses futures et durée du contentieux

[68]  Sans règlement, les demanderesses débattraient une réclamation visant une période de 45 ans et une conduite touchant des milliers de membres du groupe. Les possibilités d’appels à plusieurs des étapes clés d’un recours collectif sont réelles; la possibilité de la création de sous-groupes ou de réclamations individualisées est également réelle.

6)  Nombre d’opposants, d’oppositions et d’exclusions

[69]  Aucune opposition n’a été déposée. Il importe également de noter que seules deux potentielles membres du groupe se sont exclues. Avec un groupe de près de 41 000 membres, ce facteur milite en faveur du groupe relativement à l’accord de règlement.

7)  Bonne foi et absence de collusion

[70]  Il n’y a aucune preuve de collusion. Les négociations, qui ont duré un an, semblent, à tout point de vue, avoir été menées de bonne foi, avec l’intention de parvenir à une résolution.

[71]  La Cour n’a pas directement connaissance des négociations, toutefois, elle a instruit la présente affaire sous forme d’instance à gestion spéciale et rien, dans la manière dont l’affaire devant la Cour a été instruite, n’indique même qu’il a été question de négociations menées avec un lien de dépendance, dans le contexte desquelles il a fallu trouver des compromis.

8)  Communication avec les membres du groupe

[72]  Selon les témoignages par affidavit présentés à la Cour, les procureurs au recours collectif ont communiqué régulièrement avec les membres du groupe. Des centaines de femmes ont communiqué avec les procureurs au recours collectif. Les représentantes des demanderesses ont aussi personnellement communiqué avec les procureurs au recours collectif.

9)  Dynamique lors des négociations

[73]  Les étapes qui ont mené à l’accord de règlement ont été présentées dans l’affidavit de M. Tanjuatco.

[74]  L’avis de règlement est conforme aux exigences de la Cour et le plan d’avis est robuste et concret. Des responsables de la publication des avis, expérimentés dans le domaine, ont été nommés. La GRC et le Syndicat canadien de la fonction publique sont prêts à aider à la diffusion de l’information.

[75]  L’accord de règlement a été affiché sur le site Web des procureurs au recours collectif et sur celui du règlement même (rcmpsettlement.ca/accueil.php).

10)  Autres questions

[76]  L’administrateur proposé, Deloitte LLP, a une grande expérience en matière de règlement de recours collectifs, notamment le règlement dont il est question dans la décision McLean c Canada, 2019 FC 1075. La Cour est prête à approuver sa nomination.

[77]  Les évaluatrices proposées sont des juges possédant une expérience pertinente considérable, très compétente pour évaluer les réclamations au titre de l’accord de règlement.

[78]  Pour aider à déterminer le droit à une indemnisation des demanderesses – les membres du groupe qui ont touché une indemnisation relativement aux événements et aux blessures visées dans le présent recours collectif se voient interdites de faire une réclamation – la défenderesse doit préparer une liste d’indemnisation antérieure. Le but est ainsi d’éviter un double recouvrement, dans la mesure du possible.

[79]  La liste d’indemnisation antérieure doit être remise aux évaluatrices et à l’administrateur.

V.  Conclusion

[80]  Pour ces motifs, l’accord de règlement est jugé, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe.

[81]  La Cour rendra l’ordonnance requise avec les présents motifs.

[82]  La Cour demeure compétente relativement à la présente affaire, à l’ordonnance et à l’accord de règlement en particulier. L’ordonnance est susceptible de modification au besoin.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 10 mars 2020

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1673-17

 

INTITULÉ :

CHERYL TILLER, MARY-ELLEN COPLAND ET DAYNA ROACH c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 octobre 2019

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

le 10 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Angela Bespflug

David Klein

Janelle O’Connor

 

Pour les demanderesses

CHERYL TILLER ET MARY-ELLEN COPLAND

 

Patrick Higgerty, c.r.

POUR LA DEMANDERESSE

DAYNA ROACH

Donnaree Nygard

Mara Tessier

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Klein Lawyers LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les demanderesses

CHERYL TILLER ET MARY-ELLEN COPLAND

 

Higgerty Law

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

DAYNA ROACH

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

 

 

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