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                                                                                                                                 Date : 20050425

                                                                                                                    Dossier : IMM-5565-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 557

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                           NIMOTA SHOKUNBI

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                Dans une décision rendue à l'audience le 30 avril 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse, Nimota Shokunbi, n'était pas une « réfugiée au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » parce qu'elle n'a pas établi son identité et que sa preuve concernant la violence physique que son mari aurait exercée contre elle n'était pas crédible. La demanderesse demande le contrôle judiciaire de cette décision au motif qu'en interprétant et en comprenant mal la preuve la Commission a rendu une décision abusive et arbitraire.

[2]                La demanderesse, une citoyenne du Nigeria, prétend qu'à l'âge de 17 ans, en 1991, elle a accepté de vivre avec le fils de l'ami de son père, celui-ci devant se charger de son éducation. Après la naissance de son deuxième enfant, son mari aurait commencé à la maltraiter physiquement et à amener d'autres femmes à la maison. La demanderesse aurait fui le Nigeria lorsque son mari a insisté pour qu'elle marque ses enfants de signes tribaux. Avec l'aide d'un passeur, elle est arrivée au Canada le 2 novembre 2003 et a demandé l'asile le jour suivant.

[3]                La demanderesse a demandé l'asile en qualité de réfugiée au sens de la Convention et en qualité de personne à protéger, en vertu de l'article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[4]                Outre le témoignage de la demanderesse, la Commission disposait des éléments de preuve suivants : son Formulaire de renseignements personnels (FRP), des documents personnels, notamment son permis de conduire, son certificat de naissance et des photographies, les certificats de naissance de ses enfants et des documents sur les conditions existant au Nigeria.


[5]                La Commission n'a accordé aucune valeur probante aux pièces d'identité produites par la demanderesse, à savoir son permis de conduire, son certificat de naissance, les certificats de naissance de ses enfants et certaines photographies. Elle a conclu que la demanderesse n'avait pas établi son identité comme elle avait l'obligation de le faire.

[6]                En ce qui concerne la crédibilité, la Commission a indiqué que la demanderesse a tenu des propos vagues et évasifs pendant tout son témoignage et tout particulièrement lorsqu'il lui a été demandé d'expliquer à quel moment et dans quelles circonstances elle avait été rouée de coups. La Commission a jugé que ses réponses étaient superficielles et qu'elle semblait donner une description improvisée des événements. De plus, elle a estimé qu'il était très peu probable qu'aucun agent d'immigration ne l'ait interrogée à Amsterdam ou au Canada. Enfin, elle a rappelé que la demanderesse n'avait été en mesure de produire ni son billet d'avion, ni sa carte d'embarquement, ni le passeport avec lequel elle avait voyagé, et qu'il n'était pas possible de savoir d'où elle venait ou bien où elle vivait avant son arrivée au Canada.

[7]                Enfin, ayant considéré que la demanderesse n'était pas crédible, la Commission n'a pas appliqué les directives sur les femmes victimes de mauvais traitements car celles-ci s'appliquent uniquement aux victimes crédibles.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]                Deux questions se posent en l'espèce : la Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la demanderesse n'a pas établi son identité et ses conclusions relatives à la crédibilité sont-elles erronées?


NORME DE CONTRÔLE

[9]                La norme de contrôle qui s'applique aux conclusions relatives à l'identité est celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir Gasparyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 863; Adar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 695 (QL); Mbabazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CF 1191. La même norme s'applique aussi aux conclusions concernant la crédibilité. Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL); R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 116; Khaira c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 62.

ANALYSE

Identité

[10]            L'identité de la demanderesse est l'élément fondamental dans le présent contrôle judiciaire. Après les avoir examinés, la Commission n'a accordé aucune valeur au permis de conduire de la demanderesse, à son certificat de naissance et à ceux de ses enfants. Je traiterai maintenant de chacune de ces pièces d'identité.


[11]            En ce qui concerne le permis de conduire, la Commission a rappelé qu'après avoir indiqué dans son témoignage qu'elle n'avait qu'un permis de conduire la demanderesse a avoué en avoir deux. La Commission a aussi constaté que la date de délivrance et le nom de la demanderesse qui figurent sur les copies de ces permis de conduire sont différents. Elle a conclu que le permis de conduire de la demanderesse ne pouvait pas être considéré comme une preuve de son identité pour plusieurs raisons :

-           le fait que la demanderesse ne connaissait pas bien les règles élémentaires de la circulation routière;

-           son explication selon laquelle elle a rempli un formulaire et son école a ensuite obtenu le permis de conduire;

-           son explication selon laquelle elle a pris elle-même la photographie figurant sur son permis de conduire, avant de déclarer qu'elle avait été prise dans un bureau du gouvernement;

-           le fait que la signature sur le permis de conduire ne ressemble pas à sa signature sur le FRP.


[12]            La preuve dont dispose la Cour au regard du permis de conduire de la demanderesse n'est vraiment pas claire. Le dossier du tribunal contient deux copies de très mauvaise qualité de ce qui semble être deux permis de conduire différents. L'un est censé être la photocopie d'un permis de conduire qu'Immigration Canada aurait saisi entre les mains de la demanderesse au point d'entrée. La Commission disposait de la copie contenue dans le dossier du tribunal et non de l'original. Le deuxième document contenu dans le dossier du tribunal est une copie du deuxième permis de conduire transmise par télécopieur. La qualité de cette copie est si mauvaise qu'elle est presque illisible. Compte tenu de la piètre qualité des copies de ces documents, il est impossible de déterminer la date à laquelle ils ont été délivrés et de connaître les autres renseignements qui y figurent. On peut dire cependant sans se tromper qu'il s'agit de deux documents différents. La Commission a considéré que le fait que la demanderesse a dit dans son témoignage qu'elle n'avait qu'un seul permis de conduire minait sa crédibilité, et elle n'a accordé aucune valeur probante au permis de conduire en ce qui concerne l'établissement de l'identité de la demanderesse.

[13]            Il est vrai que la demanderesse a répondu à une question directe en disant qu'elle avait un seul permis de conduire, mais un examen attentif de la transcription de son témoignage révèle clairement qu'elle faisait référence à deux documents différents : un permis temporaire délivré [traduction] « pour un certain temps » , suivi d'un permis permanent. Il n'y a pas de contradiction importante dans le témoignage de la demanderesse, et la Commission n'était pas justifiée de considérer que le permis de conduire ne prouvait pas son identité.

[14]            Ayant examiné minutieusement la preuve et la transcription du témoignage de la demanderesse devant la Commission, en particulier au regard de sa capacité de conduire et de sa connaissance des règles de la circulation routière, je suis convaincu que la décision de la Commission de rejeter son permis de conduire parce qu'il ne constituait pas une preuve de son identité était manifestement déraisonnable.


[15]            La Commission a aussi rejeté le certificat de naissance de la demanderesse et ne lui a accordé aucune valeur probante parce que « le nom qui y figure n'est pas tout à fait le même que le nom sur son FRP » . Selon la demanderesse, il s'agissait d'un diminutif qu'elle utilisait parce que son nom, « Nimotallahi » , est long et compliqué. La Commission a rejeté cette explication sans préciser pourquoi elle n'était pas acceptable. Elle a simplement déclaré que la demanderesse n'avait pas prouvé son identité comme elle devait le faire. Or, étant donné que les six premières lettres du nom figurant sur le certificat de naissance correspondent au nom de la demanderesse, son explication semble non seulement plausible, mais également raisonnable. La Commission n'a relevé aucun autre problème concernant le certificat de naissance de la demanderesse. À mon avis, il était manifestement déraisonnable que la Commission considère que le certificat de naissance ne constituait pas une preuve probante de l'identité de la demanderesse et qu'elle le rejette pour les raisons qu'elle a données.

[16]            Je reconnais que la Commission pouvait raisonnablement tirer les autres conclusions auxquelles elle est arrivée concernant les certificats de naissance des enfants de la demanderesse et l'incapacité de cette dernière de produire ses documents de voyage.

[17]            Cependant, la Commission a fondé en grande partie ses conclusions concernant la crédibilité sur le fait que la demanderesse n'avait pas, à son avis, produit une preuve crédible de son identité. Étant donné qu'elle a commis une erreur dans son traitement de deux documents fondamentaux - le permis de conduire et le certificat de naissance de la demanderesse -, la Commission aurait pu arriver à une décision différente relativement à la demande si elle avait apprécié correctement ces documents devant établir l'identité de la demanderesse. Il n'appartient pas à la Cour saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'émettre des hypothèses sur le résultat.


[18]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour faire l'objet d'un nouvel examen.

[19]            Les parties avaient la possibilité de soulever une question grave de portée générale au sens de l'alinéa 74d) de la LIPR et elles ne l'ont pas fait. Aucune question semblable ne sera certifiée en l'espèce.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour faire l'objet d'un nouvel examen.

2.          Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »          

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-5565-04

INTITULÉ :                                                            NIMOTA SHOKUNBI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 17 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                       LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                           LE 25 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Claudette Menghille                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Daniel Latulippe                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Claudette Menghille                                                   POUR LA DEMANDERESSE

10, rue Notre-Dame Est, bureau 700

Montréal (Qc) H2Y 1B7

Tél. : 514-289-9611

Téléc. : 514-289-9885

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Qc) H2Z 1X4

Tél. : 514-283-6484   

Téléc. : 514-496-7876


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