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Date : 20051109

Dossier : IMM-2341-05

Référence : 2005 CF 1521

ENTRE :

HARJINDER SINGH JANJUA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La SAI a rejeté l'appel du demandeur contre la décision d'un agent des visas qui a refusé la demande parrainée de résidence permanente au Canada présentée par l'épouse du demandeur. L'agent des visas a conclu que l'épouse du demandeur fait partie d'une catégorie de personnes non admissibles. Le président de l'audience de la SAI a conclu :

J'en arrive à la conclusion que le mariage entre l'appelant [le demandeur en l'espèce] et la demandeure [l'épouse du demandeur en l'espèce] n'est pas authentique et qu'il a été conclu principalement pour l'acquisition d'un statut ou d'un privilège aux termes de la [Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés].    

La décision qui fait l'objet du contrôle judiciaire est datée du 30 mars 2005.

[2]                J'estime qu'il n'est pas nécessaire, pour les besoins des présents motifs, d'exposer en détail les faits quelque peu complexes à l'origine de la décision sous examen. Il suffit de savoir que le demandeur, citoyen de l'Inde, s'est marié pour la première fois en janvier 1999. Il a obtenu le droit d'établissement en décembre 1999 et a rejoint son épouse au Canada. Le demandeur et sa première épouse se sont séparés en février 2000 et ont divorcé en novembre 2001. Le demandeur est néanmoins demeuré au Canada. En février 2002, il s'est marié en Inde avec son épouse actuelle et a parrainé la demande d'immigration au Canada de celle-ci. C'est ce parrainage qui a donné lieu à la décision contestée en l'espèce.

[3]                Après une brève introduction de deux paragraphes, le président d'audience de la SAI a écrit ce qui suit dans les motifs de la décision dont est saisie la Cour :

Il s'agit d'un cas difficile étant donné qu'il existe des raisons valables de croire que l'appelant [le demandeur en l'espèce] a été mêlé à une certaine forme de fausses déclarations présentées délibérément plusieurs années auparavant dans le but de le faire admettre au Canada. À preuve, le témoignage de l'appelant à l'audience qui, selon moi, cherchait à dessein à embrouiller les circonstances entourant son premier mariage. Plus précisément, l'appelant a indiqué dans son témoignage qu'il est issu d'une famille aisée en Inde et que la seule raison qui l'a motivé à venir au Canada, d'ailleurs, c'était pour être avec sa première épouse. Et pourtant, il n'est demeuré avec elle que deux courts mois avant de la quitter pour aller vivre avec son frère. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il n'était pas retourné en Inde à ce moment, vu que la seule raison de sa venue au Canada était son mariage, il a répondu : « Comment pouvais-je quitter mon emploi? »

Au moment de son audition, l'appelant se retrouve empêtré dans le filet de tromperie tissé il y a plusieurs années, filet qu'il s'est senti obligé, malheureusement pour lui, d'agrandir.

Quoi qu'il en soit, si déplorable que puisse être son subterfuge, il ne s'agit pas de la principale affaire dont je suis saisi.

[...]

[Je] me fais l'écho de mon éminent collègue MacAdam dans l'arrêt Singh [...] en affirmant que ma tâche ne consiste pas à punir la demandeure ou l'appelant pour avoir induit en erreur les agents d'Immigration Canada au sujet de quelque aspect concernant son cas, mais à évaluer l'authenticité de ce mariage, comme le prescrit la Loi.                                                                             [référence omise]

[4]                Il est vain d'émettre une hypothèse sur la nature des « raisons valables » auxquelles réfère le tribunal au début du premier paragraphe de la citation reproduite ci-dessus; toutefois, si je devais le faire, je m'intéresserais à une « lettre de dénonciation » en la possession de la SAI, lettre écrite par la première épouse du demandeur[1]. La SAI a communiqué cette lettre au demandeur. La lettre se trouvait aussi au dossier de l'agent des visas qui a refusé la demande parrainée de résidence permanente au Canada de la seconde épouse du demandeur, mais l'agent ne l'a pas dévoilée au cours de son examen de la demande.

[5]                Le reste des motifs du président de l'audience de la SAI porte essentiellement sur l'appréciation de la preuve volumineuse dont le tribunal était saisi, pour ensuite mener très rapidement à la conclusion qui fait l'objet du présent contrôle. L'audience de la SAI a duré une journée entière; sa transcription compte 170 pages.

[6]                Le président de l'audience n'a pas évoqué en cours d'audience les préoccupations qu'il a exprimées dans les paragraphes de ses motifs reproduits ci-dessus. Cela dit, l'avocat du demandeur a relevé devant la Cour une série d'interventions effectuées par le président durant l'audience, qui semblent témoigner de la préoccupation de celui-ci quant au filet de tromperie dans lequel le demandeur s'était empêtré et qu'il « s'est senti obligé [...] d'agrandir » . Cette préoccupation semble s'être manifestée également dans les interventions du président d'audience lors de la déposition d'autres témoins devant la SAI et dans les remarques qu'il a formulées durant les observations finales de l'avocat du demandeur.

[7]                L'avocat du demandeur a prié la Cour d'annuler la décision contestée au motif, notamment, que les paragraphes et la phrase précités de la décision du commissaire qui a présidé l'audience ainsi que les interventions de ce dernier durant l'audience donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[8]               Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2], la juge L'Heureux-Dubé, s'exprimant au nom de la majorité, a fait observer aux paragraphes 46 et 47 :

Le test de la crainte raisonnable de partialité a été exposé par le juge de Grandpré, dissident, dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie [...] :

...la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

Notre Cour a souvent souscrit à cette définition du test [...]

Il a été décidé que le test relatif à la crainte raisonnable de partialité pouvait varier, comme d'autres éléments de l'équité procédurale, selon le contexte et le genre de fonction exercée par le décideur administratif concerné : [...] Le contexte en l'espèce est que les agents d'immigration doivent régulièrement prendre des décisions qui ont une très grande importance pour les personnes visées, mais qui souvent ont aussi une incidence sur les intérêts du Canada comme pays. Ce sont des décisions de nature individuelle plutôt que générale. Elles exigent également une grande sensibilité. Le Canada est une nation en grande partie composée de gens dont les familles ont émigré dans les siècles derniers. Notre histoire démontre l'importance de l'immigration, et notre société est l'exemple des avantages de la diversité de gens originaires d'une multitude de pays. Parce qu'elles visent nécessairement des personnes de provenances diverses, issues de cultures, de races et de continents différents, les décisions en matière d'immigration exigent de ceux qui les rendent sensibilité et compréhension. Elles exigent qu'on reconnaisse la diversité ainsi qu'une compréhension des autres et une ouverture d'esprit à la différence.

[références omises]

Bien que la juge L'Heureux-Dubé, dans le second paragraphe précité, vise expressément les agents d'immigration, je suis convaincu que ce paragraphe vaut autant pour les commissaires qui président les audiences de la SAI.

[9]               J'estime également, vu ce qui précède et compte tenu de toute la documentation dont dispose la Cour en l'espèce, que les paragraphes et la phrase précités des motifs du président d'audience ainsi que les interventions de ce dernier au cours de l'audience conduiraient un membre bien informé de la communauté à penser qu'il a fait preuve de partialité. En conséquence, pour ce seul motif, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision contestée sera annulée et l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.

[10]           Le demandeur a soulevé deux autres questions lors de l'audience devant la Cour.

[11]            La première question a trait au défaut de l'agent des visas, dont le refus a fait l'objet d'un appel à la SAI, de dévoiler au demandeur la lettre « de dénonciation » mentionnée plus tôt et de lui offrir une occasion raisonnable d'y répondre. À mon avis, si le défaut de divulguer ce document a entraîné un manquement à l'équité, la SAI y a remédié lorsqu'elle a dévoilé la lettre au demandeur et lui a donné la possibilité d'y répondre au cours de l'audience devant ce tribunal.

[12]            La seconde question est celle de savoir si la SAI a fait abstraction d'éléments de preuve pertinents, a tenu compte de facteurs étrangers à la question en litige et a omis d'accorder au demandeur une véritable audience « de novo » . Au terme de l'audience devant la Cour, j'ai indiqué aux avocats, sans toutefois procéder à une analyse approfondie de la question, que de prime abord, compte tenu de la retenue judiciaire dont il convient de faire preuve à l'égard de la SAI en la matière, j'étais enclin à rejeter les prétentions du demandeur. Autrement dit, il m'a semblé que la SAI a bien tenu une audience de novo, que ce fait transparaît dans ses motifs et que la SAI, de plus, pouvait raisonnablement conclure comme elle l'a fait au regard de la preuve dont elle était saisie.

[13]            À la fin de l'audience sur la demande de contrôle judiciaire, j'ai informé les avocats que la demande serait accueillie et j'ai précisé le motif de cette décision. Ni l'une ni l'autre partie n'a recommandé qu'une question soit certifiée. La Cour elle-même est convaincue que la présente espèce ne soulève aucune question grave de portée générale dont l'issue serait déterminante dans le cas d'un appel. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

        « Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 9 novembre 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                 IMM-2341-05

INTITULÉ :                                                HARJINDER SINGH JANJUA

demandeur

                                                                    et

          

                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 2 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :           LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                               Le 9 novembre 2005

COMPARUTIONS :          

Mario D. Bellissimo                                       Pour le demandeur

Sharon Stewart Guthrie                                 Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ormston, Bellissimo, Younan             Pour le demandeur

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.,                                         Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)




[1] Dossier du tribunal, pages 41 et 42.

[2] [1999] 2 R.C.S. 817.

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