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                                                                                                                                            Date : 20020301

                                                                                                                                       Dossier : T-1418-01

                                                                                                               Référence neutre : 2002 CFPI 230

Entre :

                                                                 ÉRIC TURCOTTE

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                              - et -

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         La présente demande de contrôle judiciaire vise l'annulation de la décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la « Section d'appel » ) rendue le 23 juillet 2001 par les commissaires M. Charbonneau et A. Bachand confirmant l'interdiction de la mise en liberté du demandeur.

[2]         Le demandeur est détenu au pénitencier à sécurité maximale de Port-Cartier. Il purge actuellement une peine d'emprisonnement expirant le 8 juillet 2003, pour des délits de voies de fait et d'agression sexuelle.


[3]         La Commission nationale des libérations conditionnelles (la « CNLC » ) a ordonné le 5 juillet 2000 son maintien en incarcération et l'interdiction d'une remise en liberté avant l'expiration légale de sa peine, à titre de mesure d'exception au droit que confère l'article 127 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R. (1992), ch. 20 (la « Loi » ) d'être remis en liberté aux deux tiers de la peine.

[4]         Insatisfait de cette décision, le demandeur en a appelé devant la Section d'appel qui, le 1er novembre 2000, a confirmé la décision de la CNLC.

[5]         Aux termes du paragraphe 131(1) de la Loi, la CNLC a réexaminé le cas du demandeur dans l'année suivant la décision de maintien en incarcération du 5 juillet 2000.

[6]         Le 9 mai 2001, après qu'une audience eut été tenue, la CNLC a décidé de confirmer l'interdiction de mise en liberté du demandeur.

[7]         Insatisfait de cette décision, celui-ci en a appelé devant la Section d'appel qui, le 23 juillet 2001, a confirmé la décision de la CNLC et a conséquemment rejeté l'appel du demandeur.

                                                                 * * * * * * * * * * * *

[8]         Pour ordonner le maintien en incarcération au cours de la période de libération d'office, la CNLC doit, en vertu de l'alinéa 130(3)a) de la Loi, être convaincue qu'un délinquant commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, soit une infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant :


130. (3) On completion of the review of the case of an offender referred to in subsection (1), the Board may order that the offender not be released from imprisonment before the expiration of the offender's sentence according to law, except as provided by subsection (5), where the Board is satisfied

(a) in the case of an offender serving a sentence that includes a sentence for an offence set out in Schedule I, or for an offence set out in Schedule I that is punishable under section 130 of the National Defence Act, that the offender is likely, if released, to commit an offence causing the death of or serious harm to another person or a sexual offence involving a child before the expiration of the offender's sentence according to law,


130. (3) Au terme de l'examen, la Commission peut, par ordonnance, interdire la mise en liberté du délinquant avant l'expiration légale de sa peine autrement qu'en conformité avec le paragraphe (5) si elle est convaincue :

a) dans le cas où la peine d'emprisonnement comprend une peine infligée pour une infraction visée à l'annexe I, ou qui y est mentionnée et qui est punissable en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, que le délinquant commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, soit une infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant;


[9]         Après avoir acquis cette conviction et ordonné le maintien en incarcération au cours de la période de libération d'office, la CNLC doit, en vertu de l'article 131 de la Loi, réexaminer dans l'année qui suit son ordonnance, et tous les ans par la suite, le cas du délinquant à l'égard duquel une telle ordonnance est toujours en vigueur :


131. (1) The Board shall review every order made under subsection 130(3) within one year after the date the order was made, and thereafter within one year after the date of each preceding review while the offender remains subject to the order.

(2) The Board shall cause such inquiries to be conducted in connexion with each review under subsection (1) as it considers necessary to determine whether there is sufficient new information concerning the offender to justify modifying the order or making a new order.


131. (1) Dans l'année suivant la prise de toute ordonnance visée au paragraphe 130(3) et tous les ans par la suite, la Commission réexamine le cas des délinquants à l'égard desquels l'ordonnance est toujours en vigueur.

(2) Lors du réexamen, la Commission procède à toutes les enquêtes qu'elle juge nécessaires pour déterminer si de nouvelles informations au sujet du délinquant permettraient de modifier ou de prendre une autre ordonnance.


(3)The Board, on completing a review under subsection (1), shall

(a) with respect to an order made under subsection 130(3) or paragraph 130(3.3)(b),

(i) confirm the order,

(ii) order the statutory release of the offender subject to the condition that the offender reside in a community-based residential facility, psychiatric facility or, subject to subsection (4), a penitentiary designated pursuant to subsection (5), where the offender has been detained for a period during statutory release and the Board is satisfied that the condition is reasonable and necessary in order to protect society and to facilitate the successful reintegration into society of the offender, or

(3) Au terme de chaque réexamen, la Commission, selon le cas :


a) soit reconduit l'interdiction de mise en liberté visée au paragraphe 130(3) ou à l'alinéa 130(3.3)b), soit ordonne la libération d'office en l'assortissant d'une assignation à résidence dans un établissement communautaire résidentiel, un établissement psychiatrique ou, sous réserve du paragraphe (4), un pénitencier désigné au titre du paragraphe (5), si elle est convaincue qu'une telle condition est raisonnable et nécessaire pour protéger la société et faciliter la réinsertion sociale du délinquant après son incarcération au cours de la période prévue pour la libération d'office, soit ordonne la libération d'office sans l'assortir d'une assignation à résidence;


(iii) order the statutory release of the offender without such a residence requirement; or

(b) with respect to an order made under subparagraph (3)(a)(ii),

(i) confirm or modify the order, or

(ii) order the statutory release of the offender without such a residence requirement.

(4) A condition under subparagraph (3)(a)(ii) that an offender reside in a penitentiary designated pursuant to subsection (5) is valid only if consented to in writing by the Commissioner or a person designated, by name or by position, by the Commissioner.

(5) The Commissioner may designate penitentiaries for the purposes of orders made under subparagraph (3)(a)(ii).


b) confirme ou modifie l'ordonnance d'assignation à résidence imposée conformément à l'alinéa a) ou ordonne la libération d'office sans l'assortir d'une assignation à résidence.

(4) Toute assignation à résidence - dans un pénitencier désigné en application du paragraphe (5) - ordonnée par la Commission est subordonnée, pour devenir opérante, au consentement écrit du commissaire ou de la personne qu'il désigne nommément ou par indication de son poste.

(5) Le commissaire peut désigner un pénitencier pour l'assignation à résidence prévue à l'alinéa (3)a).



                                                                 * * * * * * * * * * * *

[10]       Cette demande de contrôle judiciaire soulève simplement la question de savoir si la Section d'appel a commis une erreur de droit dans son interprétation et son application de la règle audi alteram partem.

[11]       Il importe de reproduire ici l'extrait suivant de la décision en cause :


Suite à l'écoute attentive de l'audience, la Section d'appel constate que vous avez choisi de faire porter l'audience sur les commentaires de votre équipe de gestion de cas et la manière dont ladite gestion est faite de votre cas par vos intervenants. Après vous avoir entendu à titre de remarques préliminaires sur ce qui (sic) vous aviez à dire sur le résumé de votre cas par l'ALC en début d'audience, la Commission a insisté à plusieurs reprises, sans succès, avec la participation de chacun des trois commissaires, aux fins de savoir de vous personnellement quels étaient les changements que vous auriez faits depuis la décision antérieure de juillet 2000 qui militeraient en faveur de la levée de l'interdiction de mise en liberté. Il vous a été dit que la Commission n'était pas intéressée, parce ce n'est pas de son ressort, d'une discussion sur l'évaluation de la gestion de votre cas et de celle de vos intervenants mais qu'elle souhaitait plutôt vous entendre sur les résultats de votre cheminement depuis l'an dernier.

La Section d'appel conclut que la Commission vous a accordé effectivement le droit d'être entendu mais que vous n'avez pas su exercer ce droit de façon à faire en sorte de cibler vous-même, pour le compte de la décision, les changements pertinents que vous auriez pu avoir faits depuis la dernière audience et ce, malgré les invitations répétées à le faire.

Par ailleurs, après avoir analysé la décision rendue à partir des éléments du dossier et ce qui est ressorti de l'audience, il nous apparaît manifeste que la Commission n'avait d'autre option que de rendre la décision dont vous faites appel. La décision articule très bien les motifs qui l'appuient et nous ne croyons pas nécessaire d'en faire ici un compte rendu d'analyse dans les détails. La décision parle d'elle-même et est pleinement justifiée.

Conclusion:

La Section d'appel conclût (sic) que la décision du 9 mai 2001 est juste et raisonnable et qu'elle est appuyée par de l'information jugée pertinente, crédible et convaincante. Contrairement à vos prétentions, la Loi et les politiques de la Commission ont été respectés (sic), en particulier, votre droit d'être entendu. Par ailleurs, dans le même contexte, nous jugeons que l'audience a été tenue dans le respect des principes de justice fondamentale.

L'appel est donc rejeté et la décision du 9 mai 2001 est confirmée.

[12]       Il est bien établi que les règles de justice naturelle sont des normes variables. Le contenu de ces règles est déduit en tenant compte de toutes les circonstances dans lesquelles fonctionne le tribunal en question. Dans l'arrêt S.E.P.Q.A. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, aux pages 895 et 896, le juge Sopinka a exprimé l'opinion suivante en ce qui à trait à l'applicabilité de la justice naturelle :

. . . Aussi bien les règles de justice naturelle que l'obligation d'agir équitablement sont des normes variables. Leur contenu dépend des circonstances de l'affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher. La distinction entre elles s'estompe donc lorsqu'on approche du bas de l'échelle dans le cas de tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires et du haut de l'échelle dans le cas de tribunaux administratifs ou exécutifs. C'est pourquoi on ne détermine plus maintenant le contenu des règles à suivre par un tribunal en essayant de le ranger dans la catégorie de tribunal judiciaire, quasi judiciaire, administratif ou exécutif. Au contraire, on décide du contenu de ces règles en tenant compte de toutes les circonstances dans lesquelles fonctionne le tribunal en question. . . .


[13]       Il est aussi bien établi que l'équité de procédure inclut au minimum le droit de chaque partie de présenter sa cause et une occasion d'être entendue. Aux pages 238 et 239 de l'oeuvre Principles of Administrative Law, 3e éd. (Scarborough: Carswell, 1999), rédigé par David Jones et Anne de Villars, les auteurs notent ce qui suit :

The content of the audi alteram partem principle is difficult to determine in particular circumstances, and what fairness requires has altered over time and circumstance.

At the very least, the rule requires that the parties affected be given adequate notice of the case to be met, the right to bring evidence and to make argument. . . .

[14]       Il ne fait pas de doute enfin que l'équité de procédure doit généralement être respectée en milieu carcéral (voir Cardinal c. Directeur de l'Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643).

[15]       En l'espèce, la CNLS a souligné en début d'audience que le demandeur avait signé un formulaire de partage indiquant qu'il comprenait tous les renseignements dont elle tiendrait compte dans sa décision. La CNLC a donc bien résumé son rôle et expliqué les facteurs qui seraient analysés lors de l'audience. De plus, le demandeur a eu l'occasion, tel qu'en font foi les pages 6 à 11 de la transcription de l'audience, de formuler ses remarques préliminaires sur son équipe de gestion, même si le but de cette audience n'était pas d'évaluer ce groupe. À plusieurs reprises, le demandeur a été invité à présenter sa cause, mais ne s'est simplement pas prévalu de ce droit, tel que le démontre finalement l'extrait suivant (pages 12 et 13) :

CNLC - C'est pas le rapport. On vient voir si vous avez changé, puis là vous nous dites à quel point les autres devraient changer. Nous, on veut bien entendre ça là, mais on reste un peu sur notre appétit, sur les changements. . . .

CNLC - À la fin de l'audience, la question qu'on va devoir se poser c'est M. Turcotte, comment a-t-il changé et comment peut-il nous convaincre qu'il a réduit le risque au point où on pourrait relever à l'interdiction de mise en liberté. Puis, c'est là-dessus qu'on aimerait maintenant vous entendre.

CNLC - Exact.

CNLC - Vous avez bien compris.

ET - Non. Non, parce que j'ai euh...

[. . .]


CNLC - Écoutez, les questions que la Commission vous pose clairement, c'est quels changements pensez-vous vous avez effectués depuis la dernière rencontre? Depuis la dernière audience, l'avez-vous mentionné?

ET - Oui.

CNLC - Dites-le.

ET - Avant d'arriver à ça, comme je vous ai dit tantôt...

CNLC - Alors, on vous a offert, bien entendu, quelque chose de bien clair, on vous demande de vous retirer avec vos effets personnels, et on va vous rendre la décision dans quelques minutes.

[16]       La preuve me satisfait donc que la Section d'appel pouvait raisonnablement conclure comme elle l'a fait, et ce, dans le respect de l'équité de procédure et en particulier de la règle audi alteram partem.

[17]       En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 1er mars 2002


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE LA COUR: T-1418-01

INTITULE: Éric Turcotte c. Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE : le 27 février 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU: L'honorable juge Pinard

EN DATE: le 1 mars 2002

COMPARUTIONS

Me Daniel Royer pour le demandeur

Me Michelle Lavergne pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Labelle, Boudeault, Coté et Associés

Montréal (Québec) pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario) pour le défendeur

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