Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050512

Dossier : IMM-7931-04

Référence : 2005 CF 686

Ottawa (Ontario), ce 12e jour de mai 2005

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                     ABD DAYEM OULD LIMAN

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (le « tribunal » ) de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié ( « CISR » ), rendue le 29 juillet 2004, refusant au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention ainsi que celui d'une personne à protéger. Le demandeur réclame que cette Cour infirme la décision du tribunal et renvoie le dossier devant un nouveau tribunal différemment constitué.


QUESTION EN LITIGE

[2]                Est-ce que le tribunal a miné injustement la crédibilité du demandeur, ou encore est-ce que le tribunal a erré en droit ou en fait en concluant que le demandeur n'était pas crédible ou en rejetant en bloc une partie de la preuve documentaire produite par le demandeur?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que le tribunal n'a pas erré de façon déraisonnable dans son analyse de la preuve puisque sa conclusion est fondée sur une compréhension appropriée des faits. Toutefois, la Cour est préoccupée par le rejet en bloc de plus de neuf (9) documents sans explication sauf pour mentionner que le défendeur n'était pas crédible. Ayant dit ceci, cette préoccupation n'a pas une telle importance au point d'annuler la décision. Alors, la demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les raisons suivantes.

LES FAITS

[4]                Le demandeur, Abd Dayem Ould Liman (M. Liman, ou le « demandeur » ), est citoyen de la Mauritanie et a revendiqué l'asile au Canada en raison de ses opinions politiques. Comme membre actif de l'Union des Forces Démocratique ( « UFD » ), un parti politique en Mauritanie, il a été arrêté et détenu à deux reprises en 1993 et 1996. Lors de ces détentions, il a été torturé.


[5]                Après sa libération de prison, mais pendant qu'il était encore sous détention surveillée à la maison, le demandeur s'est enfui aux États-Unis le 13 juillet 1997, où il a revendiqué le statut de réfugié sans succès. Il a fait appel de cette décision et a déposé un dossier humanitaire sans obtenir de résultat positif. M. Liman est alors venu au Canada en février 2004 pour revendiquer l'asile.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[6]                Après un délibéré d'une quinzaine de minutes, le tribunal a rendu une décision orale à l'effet que le demandeur n'était pas crédible quant à son histoire et n'a accordé aucun poids à la majorité de la preuve déposée par le demandeur :

Lorsqu'un demandeur jure que certains faits son véridiques, il existe une présomption à l'effet qu'ils le sont, à moins qu'il y ait des raisons valables de douter de leur véracité. Or, un indicateur important de la crédibilité du témoin, est la cohérence de son récit. Spécifions dès le début que le tribunal a considéré le demandeur comme étant non crédible. Suivent, quelques exemples du pourquoi il considère que le témoignage a été non crédible.

Dans son histoire, le demandeur nous raconte qu'il a été arrêté deux fois alors que dans le « Schedule One » à la question 31, il répond qu'il a été arrêté une fois.

Lorsque le tribunal lui demande à plusieurs reprises le ou les motifs pour lesquels il craint un retour dans son pays, il répond qu'il craint le gouvernement et ses organes en général. Ce n'est que lorsque le tribunal lui rappelle qu'il aurait eu une incidence judiciaire depuis son départ qu'il a ajouté à ses réponses antérieures à l'effet qu'il a eu une condamnation de quinze ans de prison ferme dans son pays suite à son départ, malgré le fait qu'à la question 13 du « Protected A » , il répond qu'il n'est pas recherché dans son pays et à la Question 4A du « Schedule One » , il répond qu'il n'y a aucune accusation ou peine de déposer [sic] contre lui dans aucun pays.

Et lorsqu'on lui demande s'il a en sa possession cedit jugement de quinze ans, il répond par la négative et ses justifications quant à cette omission n'ont pas été crédibles.


Lorsqu'on lui demande comment une attestation médicale déposée sous la Pièce P-7 peut conclure qu'il a été victime de torture, il répond que c'était à cause de ses blessures à la tête alors que le document en question conclut qu'il est victime de torture par des blessures aux jambes. À aucun endroit dans ce document on mentionne des blessures à la tête.

Enfin, pour quels motifs ne pas avoir déposé devant ce tribunal les motifs de la demande d'asile aux États-Unis ainsi que les décisions le concernant alors que le tribunal estime qu'il aurait été aisé de se les procurer et de les déposer? Poser la question est y répondre.

Considérant ce qui précède, notamment et tel que mentionné plus haut, le tribunal n'accorde aucune crédibilité au demandeur et donc, n'accorde aucune valeur probante aux Pièces P-5, P-7, P-8, P-9, P-10, P-11, P-13, P-14 et P-15 pour le fait que le tribunal considère qu'il est aisé de se procurer ce genre de documents et que ces derniers ne sont certes pas suffisants pour dissiper ma conclusion quant à la non crédibilité du demandeur devant moi.

Dès lors, ce tribunal conclut de l'analyse ci-dessus que la demande d'asile est refusée.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le demandeur

[7]                Le demandeur croit que le tribunal a miné injustement toute sa crédibilité. Conclure que tous les documents déposés en preuve n'avaient aucune valeur probante était une erreur de fait et de droit. Il était donc manifestement déraisonnable pour le tribunal de conclure qu'il était possible pour le demandeur de se procurer de tels documents alors que les documents ne devraient pas être considérés. Il répond aux préoccupations du tribunal de cette manière :

<           Que l'agente qui remplissait son FRP ne lui a pas donné la chance de dire qu'il avait été arrêté une deuxième fois (c.-à-d., en 1996 ainsi qu'en 1993), et c'est pour ça qu'il est indiqué qu'il a été arrêté une seule fois;


<           Qu'il n'a pas compris la question 13; de plus, dans son FRP à la question 41, il dit qu'il est condamné à 15 ans de prison et à des travaux forcés;

<           Qu'il ne pouvait pas obtenir une copie dudit jugement sans mettre en danger la personne qui irait le chercher;

<           Qu'il a déposé tous les documents dont il disposait quant à sa demande de revendication aux États-Unis;

<           Que ses actions aux États-Unis et au Canada démontrent sa bonne foi et le bien-fondé de sa crainte subjective de persécution.

[8]                Quant au rejet en bloc des neuf (9) documents sur la base de la non-crédibilité de M. Liman, il fait valoir que le tribunal ne peut pas, à bon droit, les rejeter d'une telle manière sans indiquer sur quelle base il fonde cette décision.

Le défendeur


[9]                Le défendeur prétend que le demandeur ne fait qu'interpréter différemment la preuve et n'a pas établi que le tribunal a commis une erreur déterminante. Puisqu'il s'agit d'une décision concernant la crédibilité d'un revendicateur, la révision de cette décision se fait sur la norme de la décision manifestement déraisonnable, et le demandeur ne s'est pas déchargé de son fardeau de démontrer une telle erreur. Les conclusions du tribunal s'infèrent raisonnablement de la preuve. Le tribunal est le mieux placé pour apprécier les faits et déterminer la crédibilité du demandeur et, à moins qu'il ait tiré des conclusions déraisonnables, arbitraires ou encore ne reposant pas sur la preuve, la Cour ne peut pas intervenir.

ANALYSE

La norme de contrôle

[10]            Les questions portant sur la crédibilité d'un revendicateur dans le cadre d'une révision judiciaire sont assujetties à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable:

Les conclusions quant à la crédibilité fondées sur des contradictions, des incohérences et des dissimulations internes sont au coeur du pouvoir discrétionnaire des juges des faits (Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.)) et le tribunal, qui est un tribunal spécialisé, a le plein pouvoir de juger de la plausibilité de la preuve (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

La Cour ne doit pas revoir les faits et apprécier la preuve (Montréal (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, [1997] 1 R.C.S. 793, à la page 844).

[Voir Dhindsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. No. 2011 (1e inst.), le juge Lemieux, aux paras. 41-42.]

La décision du tribunal

[11]            J'accepte l'argument du défendeur que, de façon générale, le demandeur semble vouloir simplement réinterpréter la preuve. Cependant, la conclusion rejetant en bloc neuf (9) documents sans explication, sauf en invoquant la non-crédibilité du demandeur, me préoccupe mais pas au point d'annuler la décision. Je m'explique.    

[12]            La Cour a étudié attentivement les déterminations à la base de la conclusion de non-crédibilité du demandeur. Pour la Cour, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le tribunal de :

-           soulever la contradiction quant aux nombres d'arrestation en Mauritanie;

-           tirer une inférence négative à propos du fait que le jugement mauritanien le condamnant à quinze (15) ans de prison ferme n'a été mentionné par le demandeur que suite à des questions suggestives du tribunal;

-           noter que le certificat médical réfère à des blessures à la jambe alors que le témoignage du demandeur parle de blessures à la tête;

-           être insatisfait de la réponse du demandeur à l'effet qu'il ne pouvait pas obtenir le jugement mauritanien le condamnant à 15 ans pour les raisons données;

-           commenter négativement l'absence des documents concernant les motifs d'asile aux États-Unis ainsi que les décisions le concernant y incluant celle du 16 décembre 2002.

[13]            Ces déterminations ont une base factuelle démontrant la raisonnabilité de celles-ci. Il était loisible pour le tribunal de penser que les jugements mauritanien et américain étaient disponibles et auraient pu être déposés, compte tenu du fardeau qu'un demandeur doit assumer. Il était logique qu'une constatation négative soit faite concernant l'absence de ces documents.

[14]            Il était aussi acceptable de percevoir de la confusion découlant du nombre d'arrestations en Mauritanie et d'en tirer une conclusion négative à la lumière des explications du demandeur. Il semble qu'il y a, à sa face même, une différence entre une ou deux arrestations. Les explications données n'ont pas satisfait le tribunal.

[15]            Par ailleurs, le rejet en bloc de neuf (9) documents sans aucun commentaire sauf pour dire qu'ils avaient aucune valeur probante étant donné que le tribunal n'accordait aucune crédibilité au demandeur et qu'il est facile de se procurer ces documents, est préoccupant. Les documents (P-8, P-9, P-13, P-14) appuient l'affiliation politique du demandeur avec le parti UFD, ce que le tribunal reconnaissait étant donné qu'il acceptait que le demandeur était membre du parti (voir pièce P-6 : carte de membre de l'UFD du demandeur). Les autres documents (P-5, P-10) peuvent être reliés aux témoignages du demandeur mais leur rejet n'est pas expliqué sauf pour dire que le tribunal ne retenait pas la crédibilité du demandeur. Est-il suffisant de ne pas motiver plus amplement le rejet de ces documents dans les circonstances?

[16]            Compte tenu de l'ensemble de la décision, cette conclusion du tribunal est-elle manifestement déraisonnable de façon à entraîner le rejet de la décision dans son entièreté?

[17]            Il est reconnu dans la jurisprudence qu'un tribunal n'a pas à commenter chacun des documents déposés si, à la lumière de la preuve, la logique de la décision s'exprime grâce aux motifs présentés (voir Songue c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1020 (1e inst.), le juge Rouleau au para. 13). Toutefois, un rejet en bloc pour motif de non-crédibilité mérite des explications supplémentaires. Les documents rejetés en bloc concernant l'affiliation politique du demandeur, son arrestation, des lettres ainsi que des documents concernant sa demande d'asile aux États-Unis, méritaient certains commentaires si ce n'était simplement que pour mieux comprendre les raisons de leur rejet. En effet, il est difficile de comprendre de quelle façon la conclusion de non-crédibilité du demandeur justifie un rejet en bloc sans informations supplémentaires.

[18]            Toutefois, en ayant à l'esprit les autres déterminations commentées précédemment, on constate que le rejet en bloc des pièces n'affecte pas ces déterminations. Elles ont leur pleine existence en soi et à mon avis, elles suffisent à miner la crédibilité du demandeur.

[19]            Tel que mentionné précédemment, ces déterminations sont raisonnables. Le rejet en bloc crée une préoccupation mais pas au point d'engendrer l'annulation de la décision. Certes, il aurait été approprié d'expliquer le rejet en bloc des neuf (9) documents, mais ce n'est pas fatal et il n'y a pas lieu que la Cour intervienne pour les raisons précédemment mentionnées. Dans son ensemble, la décision et les déterminations qui en font partie sont raisonnables.


[20]            Les parties ont été invitées à soumettre des questions à certifier mais elles ont décliné.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

­            La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.

                "Simon Noël"                 

         Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7931-04

INTITULÉ :                                      

ABD DAYEM OULD LIMAN

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :               3 MAI 2005


MOTIFS :                                          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                     12 MAI 2005

COMPARUTIONS:

Me Eveline Fiset                                  POUR DEMANDERESSE

Me Michel Pépin                                  POUR DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Eveline Fiset                                                            POUR DEMANDERESSE

Montréal, Québec

John H. Sims, Q.C,                                                       POUR DÉFENDERESSE


Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.