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Date : 19991104

Dossier : T-2184-92

ENTRE :

                                              THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED

                                                        et GLAXO WELLCOME INC.,

                                                                                                                             demanderesses,

                                                                          - et -

                                                           NOVOPHARM LIMITED,

                                                                                                                                 défenderesse.

                                                       MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

1�           Le 19 avril 1999, le protonotaire adjoint Peter Giles (le protonotaire adjoint) a ordonné aux demanderesses, The Wellcome Foundation Limited et Glaxo Wellcome Inc. (Wellcome), de répondre à quatre questions refusées lors de l'interrogatoire préalable de Michael P. Jackson le 25 juin 1996. Le protonotaire adjoint n'a pas donné les motifs étayant sa décision. Wellcome a interjeté appel de cette ordonnance en application de la règle 51 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles).

CONTEXTE

            (i)         La déclaration

2�          En septembre 1992, Wellcome a intenté contre Novopharm Limited (Novopharm) une action en contrefaçon dans laquelle elle allègue que les revendications 39 et 97 du brevet d'invention canadien 907,014 (le brevet) délivré à Wellcome le 8 août 1972 ont été contrefaites.

3�          L'invention revendiquée dans le brevet correspond à un composé appelé TAA ainsi qu'à des méthodes permettant sa préparation; selon Wellcome, le TAA constitue un intermédiaire intéressant dans le cadre d'un procédé amélioré de préparation de la triméthoprime (TMP). La revendication 39 du brevet vise une méthode de préparation du TAA, et la revendication 97 une méthode permettant de préparer de la TMP par la réaction du TAA avec la guarudine. Wellcome affirme que la TMP est un médicament particulièrement utile pour traiter les infections bactériennes. Elle la commercialise au Canada en liaison avec la marque de commerce PROLOPRIM. Combinée à la sulfaméthoxazole (SMX), la TMP est un médicament antibactérien oralement actif qui sert au traitement d'un large éventail d'infections bactériennes. Cette combinaison est commercialisée par Wellcome au Canada en liaison avec la marque de commerce SEPTRA. Wellcome soutient qu'à tous les moments pertinents le TAA constituait une substance nouvelle et que l'invention visée par le brevet se rapporte à la production de cette substance nouvelle.

4�          Wellcome fait valoir que Novopharm a fabriqué, vendu et distribué au Canada, sous les appellations NOVO-TRIMEL et NOVO-TRIMEL DS (les comprimés de la défenderesse), des comprimés qui renferment une combinaison de TMP et de SMX. Wellcome affirme en outre que la TMP contenue dans les comprimés de la défenderesse a été préparée suivant une méthode qui utilise le TAA comme intermédiaire. Plus particulièrement, Wellcome avance qu'on a préparé les lots 60580 et 0704670 des comprimés de la défenderesse en utilisant le TAA comme intermédiaire dans le cadre d'une méthode prévue par la revendication 39 et que la TMP présente dans ces deux lots a été préparée au moyen de la méthode énoncée dans la revendication 97 du brevet.

5�          Wellcome allègue de plus que le TAA peut constituer une impureté dans la matière première TMP utilisée dans les préparations pharmaceutiques; un protocole expérimental a été élaboré afin d'établir si l'impureté sous forme de TAA excède un degré acceptable. Pour procéder à ces analyses, il est nécessaire, selon Wellcome, d'utiliser une solution contenant un échantillon de TAA étalon pour la comparaison. Wellcome affirme que, depuis le milieu de l'année 1984, Novopharm a procédé au Canada à l'analyse de la totalité de la matière première TMP qu'elle a acquise en vue de fabriquer ses comprimés en utilisant des échantillons de TAA étalon qu'elle a obtenus et employés sans le consentement ou l'autorisation de Wellcome.

6�          Wellcome dit ne pas être encore au courant de tous les actes de contrefaçon accomplis par Novopharm, mais elle les invoque néanmoins et demande un redressement à leur égard. Wellcome souhaite obtenir un jugement déclaratoire selon lequel les revendications 39 et 97 du brevet étaient valides à tous les moments pertinents et qu'elles ont été contrefaites par Novopharm. Wellcome réclame des dommages-intérêts pour contrefaçon ou la comptabilisation des profits, selon ce qu'elle choisira en temps opportun.

(ii)La défense

7�           Novopharm a déposé une nouvelle défense, modifiée, le 17 avril 1997. Elle nie, pour l'essentiel, les allégations de fond formulées dans la déclaration.

8�          Plus particulièrement, Novopharm soutient que le TAA presque entièrement exempt d'impuretés comportant un isomère de benzal constituait une substance nouvelle, mais elle nie que le TAA lui-même était une substance nouvelle. Novopharm admet avoir fabriqué et vendu des comprimés NOVO-TRIMEL et NOVO-TRIMEL SD, mais elle nie avoir eu besoin du consentement ou de l'autorisation de Wellcome pour le faire. Novopharm soutient que ses comprimés ne renferment pas de TMP produite à l'aide d'un procédé divulgué et revendiqué dans le brevet. Elle reconnaît avoir accolé à un lot de comprimés NOVO-TRIMEL la désignation 13R605 et avoir vendu des comprimés NOVO-TRIMEL dont le numéro de lot était 60580, mais elle nie que, parmi ses comprimés, des produits compris dans le lot 60590 ou le lot 0704670 renfermaient de la TMP préparée à l'aide d'une méthode utilisant le TAA comme intermédiaire. Novopharm ajoute qu'elle n'a aucune connaissance précise du procédé employé pour produire les divers lots de TMP qu'elle a importés et elle nie qu'il soit fait usage, dans ces procédés, de TAA presque entièrement exempt d'impuretés comportant un isomère de benzal comme produit intermédiaire. Elle nie que ce TAA a été produit à l'aide de la méthode visée par la revendication 39 et que la TMP employée a été préparée grâce à la méthode énoncée dans la revendication 97. Elle nie en outre que Wellcome puisse bénéficier de l'application du paragraphe 39(2) de la Loi sur les brevets.

9�          En ce qui concerne la question des analyses, Novopharm soutient avoir obtenu tous les échantillons de TAA étalon dont elle a fait usage d'une ou de plusieurs personnes ayant l'autorisation de les lui vendre, soit la société U.S.P. Convention Inc. Elle affirme que ces produits ont été fabriqués par des personnes ayant obtenu de Wellcome, directement ou indirectement, expressément ou implicitement, l'autorisation de les fabriquer en vue de les vendre à des tiers, notamment la société affiliée de Wellcome établie aux États-Unis. Novopharm ajoute qu'elle n'a pas été informée des restrictions applicables à l'utilisation du produit et qu'elle en ignorait l'existence. Novopharm invoque en outre le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale ainsi que les dispositions de la Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, ch. L-15. Selon elle, la Cour n'a pas compétence pour ordonner la comptabilisation des profits. Novopharm ajoute enfin que, en raison de la licence obligatoire qui lui est accordée en vertu de certains autres brevets de Wellcome touchant la TMP, d'une part, et du retard de Wellcome à introduire la présente action, d'autre part, Wellcome n'a pas droit à la comptabilisation des profits.

(iii)L'ordonnance de référence

10�        Le 30 septembre 1993, dans le cadre de la présente instance, le protonotaire adjoint a rendu, avec le consentement des parties et en application de l'ancienne règle 480 des Règles de la Cour fédérale, une ordonnance de référence qui, pour l'essentiel, reprend le libellé de cette règle :

[TRADUCTION] [...] que la présente affaire soit instruite sans que les parties n'aient à présenter de preuve concernant

a) un point relatif à la mesure dans laquelle la défenderesse a porté atteinte aux droits découlant du brevet en cause,

b) un point relatif aux dommages qui découlent de l'atteinte à ces droits, et

c) un point relatif aux profits tirés de l'atteinte à ces droits.

                        IL EST EN OUTRE ORDONNÉ que toute question de fait touchant chacun des points susmentionnés fasse, après l'instruction, l'objet d'une référence en vertu des règles 500 et suivantes s'il paraît à ce moment-là qu'il faut statuer sur cette question.

(iv)Questions auxquelles Wellcome a refusé de répondre

11�         En 1982 et 1984, avant l'introduction de son action, Wellcome a acheté et soumis à des analyses en Angleterre des échantillons provenant de certains lots de comprimés NOVO-TRIMEL de Novopharm vendus sur le marché canadien. Ces analyses ont incité les agents de brevets canadiens de Wellcome à écrire à Novopharm en 1984 pour l'informer que l'analyse de comprimés de Novopharm provenant des lots 510637 et 007887 avait révélé la présence de TAA. De plus, avant cette constatation, Wellcome avait produit des documents laissant entendre qu'elle avait acheté et soumis à des analyses au Canada des échantillons d'autres lots de comprimés NOVO-TRIMEL de Novopharm, soit les lots A-025, 1521770, 10571, R-60580 et 0704670.

12�        Lors de l'interrogatoire préalable de M. Jackson, l'avocat de Novopharm lui a posé en vain les questions suivantes :

(i)Question 113 - produire le dossier de Wellcome relatif au produit NOVO-TRIMEL;

(ii)Question 127 - produire les résultats de toutes les analyses effectuées par Wellcome à l'égard du produit NOVO-TRIMEL, qui emporterait la contrefaçon du brevet;

(iii)Question 159 - produire les résultats des analyses du lot 1521770 effectuées par Wellcome;

(iv)Question 222 - produire les résultats des analyses du lot 10571 effectuées par Wellcome.

13�        Comme il a déjà été signalé, Wellcome, dans sa déclaration, mentionne ce qui suit :

[TRADUCTION] 13.     La TMP présente dans les comprimés de la défenderesse a été préparée à l'aide d'une méthode utilisant le TAA comme intermédiaire plus particulièrement dans les lots suivants de comprimés de la défenderesse : 60580 et 0704670 :

14�        L'examen de la transcription de l'interrogatoire préalable de M. Jackson révèle que l'avocat de Wellcome a refusé de répondre aux questions et de produire les documents demandés pour des raisons liées à la pertinence. L'échange suivant a eu lieu entre les avocats :

[TRADUCTION]    Me GOLDSMITH : Nous vous avons donné les renseignements relatifs aux échantillons sur lesquels nous fondons notre action.

Me DEETH : Me Goldsmith, j'ai le droit d'obtenir tout ce qui concerne le produit qui, selon vos allégations, contrefait le brevet.

Me GOLDSMITH : Il n'y en a qu'un à l'heure actuelle.

Me DEETH : Très bien, permettez-moi de préciser, les deux seuls lots que Novopharm a fabriqués au cours des seize dernières années et qui, selon vous, constituent une contrefaçon, les deux lots mentionnés dans la déclaration?

Me GOLDSMITH : Non, ce n'est pas exact, nous nous appuyons, pour les besoins de la présente action, sur ces deux lots.

Me DEETH : Bien, alors qu'arrive-t-il, Me Goldsmith, si vous réussissez à établir que l'un de ces lots, ou les deux, portent atteinte aux droits découlant du brevet? Allez-vous revenir et demander davantage?

Me GOLDSMITH : S'ils constituent une contrefaçon, vous devez alors produire le reste, certainement.

Me DEETH : Bien, dans ces conditions, j'aimerais avoir [...]

Me GOLDSMITH : Nous vous avons demandé de produire d'autres échantillons, vous avez refusé de le faire.

Me DEETH : J'aimerais avoir les résultats des analyses qui figurent sur cette feuille, s'il vous plaît, de même que toute autre analyse du produit Novo-trimel que vous avez effectuée.

QUESTION EN LITIGE

15�        Wellcome invoque les motifs d'appel suivants :

a)En ce qui concerne la question 113, le protonotaire adjoint a commis une erreur de droit lorsqu'il a ordonné la production de documents dont on n'a pas établi la pertinence au regard d'une question en litige dans la présente action.

b)En ce qui concerne les questions 127, 159 et 222, le protonotaire adjoint a commis une erreur de droit lorsqu'il a ordonné la production des résultats de l'analyse d'autres lots de comprimés fabriqués par la défenderesse que ceux expressément mentionnés dans l'action, malgré l'ordonnance de référence datée du 30 septembre 1993, rendue conformément à la règle 480 et selon laquelle l'affaire devait procéder à l'instruction sans que les parties n'aient à produire des éléments de preuve sur un point touchant l'étendue de la contrefaçon du brevet en cause par la défenderesse.

16�        Me Shereen Hamdy, des services juridiques de Novopharm, a témoigné par affidavit dans le cadre de l'appel. Selon sa déposition, l'avocat de Wellcome a affirmé, lors d'une conférence téléphonique avec le juge Hugessen le 24 mars 1999, que seuls les deux lots explicitement mentionnés dans la déclaration, c.-à-d. les lots 60580 et 0704670, étaient alors visés par l'allégation de contrefaçon, mais que, si les demanderesses établissaient à l'instruction que l'un ou l'autre de ces lots portait atteinte aux droits découlant du brevet, Wellcome aurait alors le droit d'obtenir une référence touchant tous les lots de comprimés NOVO-TRIMEL de Novopharm fabriqués à partir de 1986 (y compris, on peut le supposer, les lots qui ne font l'objet d'aucune allégation ou preuve de contrefaçon).

17�         Afin de préciser davantage le contexte, je signale que les questions liées au TAA et à la TMP visés par le brevet en cause ainsi que par un autre brevet de Wellcome (brevet canadien no 741,825), le MTDP étant employé comme intermédiaire pour fabriquer la TMP, ont fait l'objet d'une action en contrefaçon devant la Cour et, par voie de demande reconventionnelle, d'une action visant à faire invalider le brevet. Wellcome était la demanderesse et Apotex Inc., la défenderesse. Comme en l'espèce, dans l'affaire Wellcome/Apotex, en vertu de l'ancienne règle 480, une ordonnance de référence a été rendue avant l'instruction. Le jugement rendu en première instance est publié dans (1991) 39 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.) et (1992) 40 C.P.R. (3d) 301 (C.F. 1re inst.), pour les questions touchant la teneur du jugement officiel, et dans (1997) 82 C.P.R. (3d) 466, pour les questions touchant l'étendue de la contrefaçon et la comptabilisation des profits qui ont été soulevées lors de la référence.

CRITÈRE D'EXAMEN

18�        De toute évidence, l'ordonnance rendue par le protonotaire adjoint relève du pouvoir discrétionnaire de ce dernier et ne soulève pas de question essentielle au règlement définitif de l'affaire. Par conséquent, à l'occasion d'un examen par un juge de la Cour, selon le critère énoncé dans la décision Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, on ne peut infirmer une ordonnance de cette nature en appel que si elle est manifestement erronée, c.-à-d. que l'exercice du pouvoir discrétionnaire se fonde sur un mauvais principe ou une mauvaise compréhension des faits. Comme le protonotaire adjoint n'a pas motivé son ordonnance par écrit, je suis dans l'obligation de poursuivre l'analyse de manière plus approfondie qu'il n'aurait été nécessaire autrement.

EXAMEN

19�        L'argument avancé par Wellcome dans le cadre de l'appel visant l'ordonnance du protonotaire adjoint est d'une grande simplicité. En effet, Wellcome soutient que la seule question fondamentale en litige est celle de la contrefaçon (et non celle de la validité du brevet); la seule allégation de contrefaçon formulée contre Novopharm vise deux lots précis de comprimés fabriqués par cette dernière, [TRADUCTION] « bien qu'il soit clair [...] que les demanderesses [Wellcome] ont l'intention d'invoquer tous les actes de la défenderesse [Novopharm] emportant contrefaçon » ; une ordonnance de référence, rendue avec le consentement des parties, fait en sorte que l'action doive procéder à l'instruction sans que les parties n'aient à produire des éléments de preuve quant à l'étendue de la contrefaçon et, à vrai dire, l'ancienne règle 466 interdit même que la communication ou l'examen porte sur cette question de fait. En ce qui concerne la référence, Wellcome prétend que la question de savoir s'il y a ou non d'autres lots contrefaits de Novopharm est une pure question de fait, tout comme celle de savoir si les analyses effectuées ont permis de déceler la présence de TAA dans ces autres lots. Aux fins du présent appel, Wellcome reconnaît avoir un dossier sur le produit NOVO-TRIMEL, mais ajoute que rien ne permet de déterminer à l'égard de quelle question en litige le contenu de ce dossier est pertinent. Quant aux analyses des lots de NOVO-TRIMEL, Wellcome affirme qu'elles ne sauraient être pertinentes aux fins de juger si les deux lots mentionnés dans la déclaration de Wellcome portent ou non atteinte aux droits découlant du brevet.

20�       L'interrogatoire préalable de M. Michael Jackson s'est déroulé sous le régime des anciennes règles de la Cour. Je reprends le texte de deux de ces règles. L'étendue de ce genre d'interrogatoire était précisée à la règle 465(15) :

465. (15) À un interrogatoire préalable autre qu'un interrogatoire en vertu de l'alinéa (5), l'individu qui est interrogé doit répondre à toute question sur tout fait que la partie interrogée au préalable connaît ou a les moyens de connaître et qui peut soit démontrer ou tendre à démontrer ou réfuter ou tendre à réfuter une allégation de fait non admis dans une plaidoirie à la cause de la partie qui est interrogée au préalable ou de la partie qui procède à l'interrogatoire.

21�        Quant à la référence prévue par les anciennes règles, voici le texte de l'ancienne règle 466 :

466. Lorsque, avant le moment auquel un interrogatoire préalable a lieu ou avant le moment auquel une communication ou un examen de documents s'effectue en vertu des présentes règles, une ordonnance a été rendue en vertu de la règle 480 à l'effet qu'une question de fait soit référée, après l'instruction, l'interrogatoire, la communication ou l'examen ne doivent pas s'étendre à cette question de fait.

22�        L'actuelle règle 240 définit l'étendue de l'interrogatoire préalable de la façon suivante :


240. A person being examined for discovery shall answer, to the best of the person's knowledge, information and belief, any question that :

(a) is relevant to any unadmitted allegation of fact in a pleading filed by the party being examined or by the examining party; or

(b) concerns the name or address of any person, other than an expert witness, who might reasonably be expected to have knowledge relating to a matter in question in the action.


240. La personne soumise à un interrogatoire préalable répond, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, à toute question qui :

a) soit se rapporte à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure déposé par la partie soumise à l'interrogatoire préalable ou par la partie qui interroge;

b) soit concerne le nom ou l'adresse d'une personne, autre qu'un témoin expert, dont il est raisonnable de croire qu'elle a connaissance d'une question en litige dans l'action.


23�        À mon sens, la règle 240 codifie l'ancienne règle 465 portant sur l'interrogatoire préalable ainsi que la jurisprudence relative à la pertinence aux fins d'un tel interrogatoire. Dans l'arrêt Everest and Jennings Canadian Ltd. c. Invacare Corporation, [1984] 1 C.F. 856, 79 C.P.R. (2d) 138 (C.A.F.), qui porte sur la contrefaçon d'un brevet, la Cour s'est penchée sur le refus du juge des requêtes d'ordonner la production des autres documents faisant partie d'un dossier mentionné dans une lettre concernant la contrefaçon. Le juge Urie, au nom de la Cour d'appel fédérale, a affirmé ce qui suit à la page 857 :

Selon nous, le critère qu'il convient d'appliquer pour établir la pertinence aux fins d'un interrogatoire préalable est celui qu'a posé le juge en chef McEachern dans la décision Boxer and Boxer Holdings Ltd. v. Reesor, et al. (1983), 43 B.C.L.R. 352 (C.S.C.-B.), où il dit, à la page 359 :

[TRADUCTION] Les demandeurs ont incontestablement le droit de consulter tout document susceptible de les lancer dans une enquête qui pourra, directement ou indirectement, bénéficier à leur cause ou nuire à celle du défendeur, particulièrement sur [une] question vitale [...]

La production des documents compris dans le dossier pourra aider l'appelante dans sa défense. Peut-être aussi que ces documents ne l'aideront pas et qu'ils sont, comme l'affirme l'intimée, complètement dénués de pertinence. Quoi qu'il en soit, la question pourra être plus facilement résolue au procès, la pertinence et l'importance de ces documents étant à déterminer par le juge de première instance.

                                                                                                                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

24�        Dans l'arrêt Everest and Jennings, précité, la Cour d'appel fédérale a ordonné la production de la totalité du dossier pour le motif que les documents compris dans celui-ci étaient pertinents.

25�       À mon avis, la question fondamentale qui doit être tranchée en l'espèce consiste à déterminer si le protonotaire adjoint a manifestement commis une erreur de droit lorsqu'il a ordonné au témoin de Wellcome de répondre aux questions refusées et de produire les documents connexes lors de l'interrogatoire préalable. Selon moi, mis à part l'ordonnance de référence, les questions posées par l'avocat de Novopharm sont manifestement pertinentes au regard des questions soulevées dans la déclaration et la défense puisqu'il s'agit de savoir si les comprimés de Novopharm portent atteinte à la revendication 39 du brevet de Wellcome (méthode permettant de préparer du TAA) et à la revendication 97 de ce brevet (méthode permettant de préparer de la TMP par la réaction du TAA avec la guarudine). Même si elle reconnaît que le TAA presque entièrement exempt d'impuretés comportant un isomère de benzal constitue une substance nouvelle, Novopharm nie que le TAA constitue lui aussi une nouvelle substance. Wellcome fait valoir que Novopharm a fabriqué de la TMP à l'aide d'une méthode suivant laquelle le TAA est utilisé comme intermédiaire, méthode visée par la revendication 39. Novopharm nie cette assertion. Wellcome allègue en outre que la TMP de Novopharm a été préparée selon une méthode visée par la revendication 97, ce que conteste Novopharm.

26�       Wellcome possède un dossier sur les produits NOVO-TRIMEL de Novopharm. De toute évidence, elle a établi et tenu à jour ce dossier en vue d'intenter la présente action en contrefaçon. Wellcome a soumis à des analyses certains lots de produits NOVO-TRIMEL qui ne sont pas en cause dans le cadre de la présente action.

27�        À mon avis, le fait que Wellcome ne fonde pas son action sur d'autres lots de produits NOVO-TRIMEL qui ont fait l'objet d'analyses n'est pas le critère déterminant en ce qui a trait à la pertinence. Le critère applicable à cet égard est celui énoncé dans l'arrêt Everest and Jennings, précité : il faut se demander si les renseignements demandés sont susceptibles de lancer Novopharm sur une piste qui pourrait, directement ou indirectement, faire avancer sa cause ou nuire à celle de Wellcome. Selon moi, les renseignements que souhaite obtenir Novopharm sont tout à fait pertinents au regard de l'action en contrefaçon intentée par Wellcome et ils ont un lien direct avec les faits non admis dans la défense.

28�       Qui plus est, les motifs donnés par le juge MacKay à l'appui du jugement qu'il a rendu en première instance dans l'affaire Wellcome/Apotex, précitée, étayent encore davantage ma conclusion. Dans cette instance, pour établir la contrefaçon, Wellcome devait prouver la validité des analyses de différents lots de produits d'Apotex qui, selon ses allégations, portaient atteinte aux droits découlant de son brevet. Des questions ont donc été soulevées, dans ce contexte, quant à l'échantillonnage, à l'authenticité des échantillons, à l'appareillage et aux modalités d'analyse de Wellcome, de même qu'à la sensibilité de ces modalités. À l'instar de la présente instance, la Cour a dû se pencher, dans cette affaire, sur des questions touchant le caractère approprié ou non des analyses visant à établir la présence d'un isomère de benzal du TAA (BTAA) dans les comprimés de Novopharm.

29�       L'ordonnance de référence peut-elle, dans la présente action en contrefaçon (responsabilité), soustraire Wellcome à son obligation de répondre aux questions posées en interrogatoire préalable pour le motif que « l'étendue de la contrefaçon » doit être déterminée dans le cadre d'une référence? J'estime que l'ordonnance de référence n'accorde pas à Wellcome la protection qu'elle invoque. Si elle réussit à prouver la contrefaçon du brevet par un seul lot de NOVO-TRIMEL (comme ce fut le cas dans l'affaire Wellcome/Apotex), Wellcome ne fera pas l'objet d'un interrogatoire préalable plus approfondi sur la question de la responsabilité. Comme dans l'affaire Wellcome/Apotex, si la contrefaçon est établie par Wellcome, il sera ordonné à Novopharm de remettre des échantillons représentatifs de la totalité du NOVO-TRIMEL TMP pour que Wellcome puisse les soumettre à des analyses et procéder à la comptabilisation des profits, la question de la responsabilité ayant été tranchée. En d'autres termes, en ce qui touche la contrefaçon, il s'agit de la seule occasion où Novopharm peut nuire à la cause de Wellcome. Dans ce contexte, l'ordonnance de référence, en ce qui a trait à l'étendue de la responsabilité, vise à établir dans quelle mesure la contrefaçon a porté atteinte aux droits découlant du brevet et non l'existence même de cette contrefaçon.

30�       Si la responsabilité est établie, les renseignements demandés par Novopharm à Wellcome dans le cadre de l'action en responsabilité risquent de chevaucher ceux que Wellcome demandera à Novopharm dans le cadre de la référence aux fins de déterminer « l'étendue de la contrefaçon » . Ce chevauchement n'est pas irrégulier puisque Novopharm tente actuellement d'obtenir les renseignements à une autre fin que celle qui sous-tend la référence.

31�        Ce double objet a été reconnu par Madame le juge Reed dans l'affaire Geo Vann Inc. v. N.L. Industries, Inc. (1985), 4 C.P.R. (3d) 19. Voici ce qu'elle affirme à la page 24 :

                        [TRADUCTION] En ce qui concerne le premier point, la défenderesse signale qu'une ordonnance de référence a été rendue de sorte que les dommages-intérêts puissent, s'il y a lieu, être établis après l'instruction et que c'est dans ce contexte, non pas à l'instruction, que l'étendue de la contrefaçon est pertinente. La demanderesse a réussi à me convaincre de la pertinence des documents. L'ordonnance de référence touchant les dommages-intérêts - y compris l'étendue de la contrefaçon qui est pertinente à cet égard - n'empêche pas cette étendue de la contrefaçon (dans un sens différent) d'être également pertinente dans le cadre de l'instruction. À mon avis, l'expression « étendue de la contrefaçon » peut être utilisée pour signifier deux aspects différents de l'atteinte présumée à un droit (l'un que j'appellerai l'étendue quantitative et l'autre l'étendue qualitative). L'étendue de la contrefaçon au sens quantitatif fait partie de l'évaluation des dommages-intérêts. Mais l'étendue de la contrefaçon au sens qualitatif (p. ex. établir ce qui constitue une contrefaçon de l'essentiel sans être une contrefaçon textuelle; établir si une ou plusieurs revendications, mais non toutes, ont été contrefaites) fait partie des conclusions qui doivent, à juste titre, être tirées à l'égard de la contrefaçon dans le cadre de l'instruction.

32�        Dans l'affaire Geo Vann, le deuxième moyen avancé par la défenderesse consistait à soutenir que le document demandé était dénué de pertinence parce que la demanderesse alléguait qu'il y avait eu atteinte à un de ses droits uniquement en rapport avec un puits. Madame le juge Reed a rejeté cet argument pour les motifs susmentionnés. Je suis d'accord avec le raisonnement qu'elle a suivi.

CONCLUSION

33�        Pour tous ces motifs, j'arrive à la conclusion que, loin d'être manifestement mal fondée, l'ordonnance rendue par le protonotaire adjoint était clairement justifiée. L'appel interjeté par Wellcome est donc rejeté avec dépens. Le témoin de Wellcome devra se présenter à nouveau pour subir un interrogatoire préalable, répondre immédiatement aux questions refusées et produire les documents connexes demandés par Novopharm.

                                                                                                                                                                     « François Lemieux »          

                                                                                                                                                                                                                                                            

                                                                                                                                                                                                   J U G E                  

OTTAWA (ONTARIO)

LE 4 NOVEMBRE 1999

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL. B.


                                                                            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                      AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :T-2184-92

INTITULÉ DE LA CAUSE :THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED ET AL. c. NOVOPHARM LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :Le 10 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX en date du 4 novembre 1999.

ONT COMPARU :

Me I. Goldsmith, c.r.POUR LA DEMANDERESSE

Me J.R. Morrissey

Me M.G. Biernacki

Me Douglas Deeth                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Me Shereen Hamdy

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & BiggarPOUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Deeth Williams WallPOUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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