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Date : 20200305


Dossier : T-1564-19

Référence : 2020 CF 338

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2020

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

INGURAN LLC DBA STGENETICS

demanderesse

et

COMMISSAIRE AUX BREVETS

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu et résumé

[1]  Il s’agit d’une demande présentée en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, dans laquelle la demanderesse sollicite la modification de quatre brevets canadiens – brevets nos 2,518,882, 2,752,218, 2,752,244 et 2,752,247 [les brevets en cause] – en vue de radier les noms de six personnes inscrites comme inventeurs, qui, selon la demanderesse, ne sont pas des inventeurs.

[2]  Les brevets en cause ont été préparés à partir de la demande fondée sur le Traité de coopération en matière de brevets [le PCT] no WO2004/088283 publiée, qui mentionnait douze inventeurs [les inventeurs inscrits sur les demandes PCT] et est entrée en phase nationale au Canada en tant que demande de brevet canadien no 2,518,882 [CA 2,518,882].

[3]  À la suite d’une division du brevet CA 2,518,882 exigée par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada [l’OPIC], chaque inventeur inscrit sur les demandes PCT demeurait inscrit comme inventeur dans toutes les demandes de brevet parentes et divisionnaires, y compris les brevets en cause.

[4]  Certains inventeurs inscrits dans les brevets en cause, à savoir David R. Helbing, Muhammad Anzar, Kathleen S. Crowley, Bradley Didion, Jeffrey A. Graham et Cindy L. Ludwig, ont contribué à l’objet revendiqué dans d’autres brevets divisionnaires découlant du brevet CA 2,518,882.

[5]  Toutefois, j’ai conclu, selon la prépondérance des probabilités, que ces personnes n’ont pas contribué au développement des inventions revendiquées qui sont l’objet des brevets en cause, et qu’elles ont été inscrites comme inventeurs par inadvertance pendant le processus de division. Par conséquent, elles ne devraient pas être inscrites dans les registres de l’OPIC en tant qu’inventeurs des brevets en cause.

[6]  La demanderesse demande une ordonnance enjoignant que l’inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant les brevets en cause soit modifiée par la radiation des noms de David R. Helbing, de Muhammad Anzar, de Kathleen S. Crowley, de Bradley Didion, de Jeffrey A. Graham et de Cindy L. Ludwig à titre d’inventeurs inscrits.

[7]  Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

[8]  Je fais remarquer que personne ne s’est opposé à la présente demande. Le commissaire aux brevets a été informé, mais n’a pas pris position. Dans les circonstances, j’examinerai les faits et le droit invoqués par la demanderesse pour tirer les conclusions nécessaires au cours de l’examen.

II.  Contexte

[9]  La demande PCT no WO2004/088283, intitulée « Dispositifs, procédés et processus permettant de trier des particules et d’obtenir du sperme animal produisant une progéniture de sexe donné » [la demande PCT], est entrée en phase nationale au Canada le 9 septembre 2005 en tant que demande de brevet CA 2,518,882.

[10]  La demande PCT a revendiqué la priorité sur les demandes de brevet nos 60/458,607 et 60/458,731, qui ont été déposées aux États-Unis.

[11]  Le 28 mars 2003, Monsanto Technology LLC [Monsanto], le prédécesseur en titre de la demanderesse à l’égard des brevets et des demandes de brevet en cause en l’espèce, a déposé la demande de brevet américain no 60/458,607, intitulée [traduction] « Dispositifs et procédés permettant de trier des particules », qui mentionnait huit inventeurs : Bradley Dididion, Gary Durack, Jeremy Hatcher, Lon Westfall, David Helbling, Jeffrey Wallace, Gary Vandre et Niraj Nayak.

[12]  En vertu de leur entente de travail respective en vigueur au moment de l’invention, sept des huit inventeurs inscrits dans le brevet américain no 60/458,607 ont cédé à iCyt Visionary Bioscience, Inc. [iCyt] leur droit, leur titre et leur intérêt à l’égard du brevet no 60/458,607, y compris toute demande connexe provenant de l’étranger pour ladite invention, et ce, aux États‑Unis et dans le monde.

[13]  Le huitième inventeur inscrit dans le brevet américain no 60/458,607, Bradley Didion, a cédé à Monsanto son droit, son titre et son intérêt à l’égard du brevet no 60/458,607, y compris toute demande connexe provenant de l’étranger pour ladite invention.

[14]  Le 3 septembre 2004, Monsanto a acquis les droits d’iCyt et ceux découlant du brevet américain no 60/458,607, y compris toute demande provenant de l’étranger pour ladite invention.

[15]  Le 28 mars 2003, Monsanto a déposé la demande no 60/458,731 aux États-Unis, intitulée [traduction« Processus de coloration du sperme », en inscrivant les quatre inventeurs suivants : Muhammad Anzar, Cindy L. Ludwig, Jeffrey A. Graham et Jeannette A. Glaenzer.

[16]  Je suis convaincu que les quatre inventeurs inscrits dans le brevet américain no 60/458,731 ont cédé à Monsanto la totalité de leur droit, titre et intérêt à l’égard du brevet no 60/458,731, y compris toute demande provenant de l’étranger pour ladite invention.

[17]  Le 29 mars 2004, Monsanto a déposé la demande PCT, qui mentionne les douze inventeurs suivants (à savoir les inventeurs inscrits) :

Bradley Didion

Gary Vandre

Gary Durack

Niraj Nayak

Jeremy Hatcher

Muhammad Anzar

Lon Westfall

Cindy L. Ludwig

David Helbling

Jeffrey A. Graham

Jeffrey Wallace

Kathleen S. Crowley

[18]  Le 9 septembre 2005, la demande PCT est entrée en phase nationale au Canada en tant que brevet CA 2,518,882. Celui-ci mentionnait chaque inventeur inscrit comme inventeur.

[19]  Le 16 janvier 2008, la demanderesse a acquis les droits de Monsanto sur l’invention qui fait l’objet du brevet CA 2,518,882, y compris tous les droits de brevet connexes. Par conséquent, aucune modification des droits de propriété découlant des brevets en cause n’est demandée dans la présente demande. L’entente de cession entre Monsanto et la demanderesse prévoit ce qui suit :

[traduction

Monsanto a accepté de vendre, et vend par la présente, cède et transfère à Inguran, à ses successeurs et à ses ayants droit, tous les droits, titres et intérêts de Monsanto, partout dans le monde, découlant des demandes énumérées à la pièce A, y compris les demandes provisoires, non provisoires, divisionnaires, en cours ou de redélivrance pour toute invention, en tout ou en partie, qui y est divulguée, ainsi que de tous les brevets qui ont été ou peuvent être délivrés relativement à la demande ou pour lesdites inventions, en tout ou en partie.

[20]  Le 24 janvier 2011, la demande PCT pour le brevet CA 2,518,882 a fait l’objet d’une opposition de la part de l’OPIC au motif que la demande visait de multiples inventions. Cette opposition a entraîné la division du brevet CA 2,518,882, ce qui a donné lieu à une demande parente, CA 2,518,882, et au dépôt de plusieurs demandes divisionnaires, y compris les demandes de brevet canadien nos 2,752,218, 2,752,244, 2,752,247, 2,752,312 et 2,952,056.

[21]  En raison du dépôt du brevet CA 2,518,882 et des demandes divisionnaires que je viens de mentionner, ainsi que de ce que j’estime être une inadvertance, chacune des demandes, la demande parente et les demandes divisionnaires, ont été déposées en mentionnant chaque inventeur inscrit comme inventeur.

[22]  Les demandes de brevet canadien nos 2,518,882, 2,752,218, 2,752,244 et 2,752,247 ont depuis mené à la délivrance des brevets en cause.

[23]  La demande de brevet canadien no 2,752,312 a mené à la délivrance d’un brevet le 19 juin 2018. La demanderesse a été en mesure d’apporter les modifications nécessaires à la paternité de l’invention revendiquée dans le brevet CA 2,752,312 avant la délivrance du brevet. La demande de brevet canadien no 2,952,056 est toujours en instance et, à ce jour, aucune modification n’a été apportée à la paternité de l’invention.

[24]  En m’appuyant sur les affidavits qui sont à ma disposition, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que David R. Helbing, Muhammad Anzar, Kathleen S. Crowley, Bradley Didion, Jeffrey A. Graham et Cindy L. Ludwig [les non-inventeurs] n’ont pas contribué au développement des inventions revendiquées dans les brevets en cause. Par conséquent, ils ne sont pas des inventeurs. Ces non-inventeurs ont été inscrits, à tort et par inadvertance, dans les registres de l’OPIC à la suite de la division de la demande de brevet parent.

[25]  Au moment de l’invention, les non-inventeurs étaient employés par Monsanto et occupaient divers postes techniques. Sur les six non-inventeurs, trois ont produit des affidavits sous serment à l’appui de la présente demande. Plus précisément, les non-inventeurs Crowley, Graham et Ludwig ont consenti à ce que leur nom soit radié à titre d’inventeurs inscrits dans les brevets en cause parce qu’ils n’étaient pas des inventeurs. La demanderesse n’a pas réussi à localiser les non-inventeurs Anzar, Didion et Helbling, qui avaient cédé leurs droits d’inventeurs à des prédécesseurs en titre de la demanderesse.

[26]  Je conclus que les inventeurs correctement inscrits des revendications autorisées des brevets en cause sont Gary Durack, Jeremy T. Hatcher, Niraj Nayak, Gary P. Vandre, Jeffrey D. Wallace et Lon A. Westfall [les inventeurs]. Sur ces six inventeurs, quatre ont examiné les brevets en cause et fourni des affidavits établissant que les inventeurs, et non les non-inventeurs, ont contribué au développement des inventions revendiquées qui sont l’objet des brevets en cause. À mon avis, seuls les inventeurs sont correctement inscrits comme inventeurs dans les brevets en cause.

[27]  La demande PCT porte sur des objets électromécaniques et biologiques, tandis que les revendications délivrées des brevets en cause ne concernent que des objets électromécaniques. Par contre, les revendications de la demande divisionnaire de brevet canadien no 2,952,056 portent précisément sur des objets biologiques. Par conséquent, au moment de la présente demande, les non-inventeurs demeurent inscrits comme inventeurs dans la demande de brevet canadien no 2,952,056.

[28]  Les éléments de preuve des inventeurs Durack, Vandre, Westfall et Nayak sont corroborés par les affidavits des non-inventeurs susmentionnés, dont les éléments de preuve établissent qu’ils ne sont pas des inventeurs.

[29]  La demanderesse n’a pas été en mesure de localiser les inventeurs Jeremy T. Hatcher et Jeffrey D. Wallace, malgré une enquête. Comme je l’ai déjà mentionné, ces deux inventeurs ont cédé à iCyt leur droit, leur titre et leur intérêt à l’égard du brevet no 60/458,607, y compris toute demande connexe provenant de l’étranger pour ladite invention, et ce, aux États-Unis et dans le monde; iCyt a par la suite cédé ses droits, titre et intérêts à Monsanto, qui est le prédécesseur en titre de la demanderesse.

III.  Questions en litige

[30]  La question en l’espèce est celle de savoir si les registres de l’OPIC concernant les brevets en cause devraient être modifiés pour corriger les noms des inventeurs en radiant les noms des six non-inventeurs.

IV.  Analyse

[31]  L’article 52 de la Loi sur les brevets confère à la Cour fédérale la compétence exclusive de modifier les inscriptions concernant le titre à un brevet, y compris la paternité de l’invention :

Juridiction de la Cour fédérale

Jurisdiction of Federal Court

52 La Cour fédérale est compétente, sur la demande du commissaire ou de toute personne intéressée, pour ordonner que toute inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre à un brevet soit modifiée ou radiée.

52 The Federal Court has jurisdiction, on the application of the Commissioner or of any person interested, to order that any entry in the records of the Patent Office relating to the title to a patent be varied or expunged.

[32]  Je suis convaincu que la demanderesse est la propriétaire légitime des brevets en cause et qu’elle est donc une « personne intéressée » au sens de l’article 52 de la Loi sur les brevets : Micromass UK Ltd c Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 117, la juge Layden‑Stevenson, au paragraphe 14 [la décision Micromass].

[33]  Il est bien établi que les pouvoirs conférés à la Cour fédérale par l’article 52 de la Loi sur les brevets sont vastes. À cet égard, la Cour peut ordonner que les registres soient corrigés pour accomplir la mesure qu’aurait prise le commissaire si la modification de la paternité de l’invention avait été déposée avant la délivrance du brevet : Micromass, au paragraphe 15, citant Clopay Corporation and Canadian General Tower Ltd c Metalix Ltd (1960), 34 CPR 232 (C. de l’É.) :

[traduction

[15]  L’article 52 confère des pouvoirs très étendus à la Cour. Dans Clopay, le juge Cameron a donné la description suivante de l’article 54 (aujourd’hui l’article 52) de la Loi :

[...] Je crois, par conséquent, que l’article 54 a été édicté dans le but de permettre à la Cour de rectifier les registres du Bureau des brevets ayant trait au titre de façon à ce que les droits des parties ayant droit à la délivrance du brevet ou celui d’être inscrites en qualité de cessionnaires du brevet, puissent être régulièrement inscrits [...] (page 235).

[...]

Je suis toutefois d’avis que les dispositions de l’article 54 de la Loi sur les brevets ont en elles‑mêmes une portée assez large pour s’appliquer à la présente espèce, où le breveté a été dissous avant l’octroi du brevet, et que la Cour est habilitée à ordonner que les registres soient corrigés afin d’accomplir la mesure qu’aurait prise le commissaire si les deux cessions qui sont actuellement inscrites avaient été enregistrées avant l’octroi (page 236).

[Non souligné dans l’original.]

[34]  Il est également bien établi en droit que l’article 52 de la Loi sur les brevets autorise la Cour fédérale à modifier ou à radier toute inscription dans les registres du Bureau des brevets, ce qui comprend la modification des inventeurs inscrits pour identifier les bons inventeurs. Comme le juge O’Keefe l’a déclaré dans la décision Segatoys Co, Ltd c Canada (Procureur général), 2013 CF 98, au paragraphe 13 [la décision Segatoys], en citant Micromass :

[13]  Par ailleurs, le mot « titre » qui figure à l’article 52 de la Loi sur les brevets englobe la paternité, qui est la « source » du titre. L’article 52 confère à la Cour de [traduction] « très larges » pouvoirs afin qu’elle puisse accomplir la mesure qu’aurait prise le commissaire aux brevets (voir la décision Micromass, précitée, aux paragraphes 13 et 15).

[35]  La demanderesse soutient, et je suis de son avis, que, dans le cadre d’une demande présentée en vertu de l’article 52, comme en l’espèce, la Cour peut appliquer les critères énoncés à l’intention du commissaire aux brevets, qui sont établis aux paragraphes 31(3) et 31(4) de la Loi sur les brevets : Pharma Inc c Canada (Commissaire aux brevets), 2019 CF 208, le juge Pentney, au paragraphe 5; Gilead Sciences, Inc c Canada (Commissaire aux brevets), 2019 CF 70, le juge Grammond, au paragraphe 2; Qualcomm Incorporated c Canada (Commissaire aux brevets), 2016 CF 1092, le juge Southcott, au paragraphe 11 [la décision Qualcomm 1092]. Ces paragraphes disposent ce qui suit :

Procédure quand un codemandeur se retire

Procedure when one joint applicant retires

(3) Lorsqu’une demande est déposée par des codemandeurs et qu’il apparaît par la suite que l’un ou plusieurs d’entre eux n’ont pas participé à l’invention, la poursuite de cette demande peut être conduite par le ou les demandeurs qui restent, à la condition de démontrer par affidavit au commissaire que le ou les derniers demandeurs sont les seuls inventeurs.

(3) Where an application is filed by joint applicants and it subsequently appears that one or more of them has had no part in the invention, the prosecution of the application may be carried on by the remaining applicant or applicants on satisfying the Commissioner by affidavit that the remaining applicant or applicants is or are the sole inventor or inventors.

Codemandeurs

Joining applicants

(4) Lorsque la demande est déposée par un ou plusieurs demandeurs et qu’il apparaît par la suite qu’un autre ou plusieurs autres demandeurs auraient dû se joindre à la demande, cet autre ou ces autres demandeurs peuvent se joindre à la demande, à la condition de démontrer au commissaire qu’ils doivent y être joints, et que leur omission s’est produite par inadvertance ou par erreur, et non pas dans le dessein de causer un délai.

(4) Where an application is filed by one or more applicants and it subsequently appears that one or more further applicants should have been joined, the further applicant or applicants may be joined on satisfying the Commissioner that he or they should be so joined, and that the omission of the further applicant or applicants had been by inadvertence or mistake and was not for the purpose of delay.

[36]  Dans l’arrêt Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77 [l’arrêt Apotex], le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a statué que la « question qu’il faut se poser en définitive » concernant la paternité de l’invention est « [q]ui est l’auteur de l’idée originale? » Par contre, une personne dont la seule contribution était d’« aid[er] à compléter l’invention » plutôt qu’à réaliser l’idée n’est pas un inventeur. Voir l’arrêt Apotex, aux paragraphes 96 à 99 :

[96]  L’expression « paternité de l’invention » n’est pas définie dans la Loi, et sa définition doit, par conséquent, être inférée de divers articles. Par exemple, la définition du mot « invention », à l’art. 2, nous permet d’inférer que l’inventeur est la personne ou les personnes qui ont conçu la réalisation, le procédé, la machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, « présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». Par conséquent, la question qu’il faut se poser en définitive est la suivante : Qui est l’auteur de l’idée originale?

[97]  Aux termes du par. 34(1), il faut à tout le moins qu’au moment du dépôt de la demande de brevet, le mémoire descriptif « décri[ve] d’une façon exacte et complète l’invention [...] qui permett[e] à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention [...] [d’]utiliser l’objet de l’invention ». Il ne suffit donc pas d’avoir une bonne idée (ou, pour reprendre l’expression utilisée dans l’arrêt Christiani, précité, p. 454, [traduction] « de dire qu’une idée nous est venue à l’esprit »); cette idée lumineuse doit prendre « une forme définie et pratique » (ibid.). Il va sans dire que, dans l’intervalle qui sépare la conception et la brevetabilité, l’inventeur peut avoir recours aux services d’autres personnes qui peuvent être très compétentes, mais ces autres personnes ne seront des coïnventeurs que si elles ont participé à la conception de l’invention plutôt qu’à sa vérification. Comme le juge Jenkins le fait remarquer dans l’affaire May & Baker Ltd. c. Ciba Ltd. (1948), 65 R.P.C. 255 (Ch. D.), p. 281, la [traduction] « découverte des qualités utiles », que doit avoir une invention, [traduction] « doit être faite par l’inventeur, par opposition à la simple vérification par ce dernier de prédictions antérieures ».

[98]  Plus récemment, dans la décision Henry Brothers (Magherafelt) Ltd. c. Ministry of Defence and the Northern Ireland Office, [1997] R.P.C. 693 (Pat. Ct.), le juge Jacob a répondu de la manière suivante à l’argument voulant qu’une invention puisse être divisée en contributions et en brevets délivrés en conséquence (à la p. 706) :

[traduction

Je ne crois pas qu’on ait raison de diviser la revendication d’une invention qui est une combinaison d’éléments, pour ensuite tenter d’identifier l’auteur de chaque contribution. J’estime qu’il faut se poser une question plus fondamentale. On doit chercher à déterminer qui a essentiellement effectué la combinaison. Qui est l’auteur de l’idée originale, à savoir la combinaison? [Je souligne.]

[99]  La distinction entre la conception et la vérification est compatible avec la doctrine et la jurisprudence canadiennes, notamment Fox, op. cit., p. 225; Kellogg Co. c. Kellogg, [1942] R.C. de l’É. 87, p. 97; Ernest Scragg & Sons Ltd., précité, p. 676-677; H. Fisher et R. S. Smart, Canadian Patent Law and Practice (1914), p. 27‑29. La ligne de démarcation n’est peut‑être pas claire dans la décision Gerrard Wire Tying Machines Co. of Canada c. Cary Manufacturing Co., [1926] R.C. de l’É. 170, où on cite l’ouvrage américain Walker on Patents, à la p. 186 :

[traduction

Un brevet délivré à des coïnventeurs n’est pas non plus invalidé par le fait que l’un d’eux seulement a perçu au départ la forme rudimentaire des éléments et la possibilité de les adapter pour atteindre le résultat souhaité. En fait, la conception du dispositif dans son entier peut être l’œuvre d’un seul, mais si l’autre fait des suggestions valables sur le plan pratique qui aident à réaliser l’idée principale ou à la mettre à exécution, ou s’il apporte à l’ensemble de l’invention une contribution indépendante qui aide à réaliser le tout, il est un coïnventeur même si sa contribution est peu importante.

Je souscris à cet extrait dans la mesure où il laisse entendre qu’un individu qui aide à réaliser l’idée originale peut être un coïnventeur sans être le principal auteur de cette idée. Toutefois, dans la mesure où il peut être interprété comme englobant parmi les inventeurs ceux qui aident à compléter l’invention, mais qui consacrent leur ingéniosité à la vérification plutôt qu’à la réalisation de l’idée originale, je ne puis, en toute déférence, y souscrire pour les motifs déjà exposés.

[Non souligné dans l’original.]

[37]  Dans la décision Imperial Oil Resources Ltd c Canada (Procureur général), 2015 CF 1218, le juge Leblanc [la décision Imperial Oil], la Cour expose deux critères énoncé au paragraphe 31(3) en ce qui a trait à la suppression d’inventeurs inscrits :

[15]  Le paragraphe 31(3) de la Loi énonce les deux critères suivants en ce qui a trait à la suppression d’inventeurs désignés :

i.  Apparaît‑il que l’un ou plusieurs des inventeurs désignés n’ont pas participé à l’invention?

ii.  A‑t‑on produit un affidavit démontrant à la Cour que les derniers inventeurs sont les seuls?

[38]  La demanderesse invoque une jurisprudence antérieure et je conviens que les éléments de preuve non contestés produits par des inventeurs et des non-inventeurs attestant leur rôle dans les revendications admises peuvent suffire à satisfaire au critère énoncé au paragraphe 31(3), tel qu’indiqué dans la décision Segatoys, aux paragraphes 14 à 18 :

[14]  Le paragraphe 31(3) de la Loi sur les brevets a trait à la suppression des inventeurs inscrits. Il comporte deux critères :

1.  Apparaît-il que l’un ou plusieurs des inventeurs désignés n’ont pas participé à l’invention?

[15]  En l’espèce, les inventeurs inscrits étaient responsables de l’aspect du produit fini, mais ils n’ont aucunement participé à la conception ou à la mise au point du brevet 539. Ce fait n’est contesté ni par les inventeurs véritables ni par l’inventeur inscrit, Wataru Sato, qui a produit une déclaration. Comme il a été mentionné, plus tôt, il a été impossible d’entrer en contact avec l’autre inventeur inscrit, Noriyoshi Matsumura.

2.  A-t-on produit un affidavit démontrant à la Cour que les derniers inventeurs sont les seuls?

[16]  MM. Yamada et Nobata ont produit des déclarations notariées établissant qu’ils sont les coinventeurs du brevet 539, et cela est corroboré par une déclaration de M. Arai, directeur des Services juridiques et de la propriété intellectuelle auprès de Sega.

[17]  Par ailleurs, comme il a été mentionné plus tôt, l’un des inventeurs inscrits a produit une déclaration indiquant que ni lui ni l’autre inventeur inscrit (avec lequel il a été impossible d’entrer en contact) n’ont participé de quelque manière à l’invention du brevet 539.

[18]  Ces déclarations ne sont pas qualifiées d’affidavits (le terme utilisé au paragraphe 31(3) de la Loi sur les brevets), mais elles sont notariées. À mon avis, elles remplissent donc la même fonction qu’un affidavit et il serait par trop formaliste de les rejeter à cause du nom qu’on leur donne.

[Souligné dans l’original.]

[39]  En outre, lorsqu’on demande la radiation du nom d’un inventeur parce que ce dernier n’a pas contribué à la réalisation de l’invention, la Cour n’exige pas un affidavit de toutes les parties intéressées affirmant que les autres inventeurs étaient les seuls inventeurs, comme l’exige le paragraphe 31(3). Cela a été observé dans la décision Segatoys, au paragraphe 17, ainsi que dans la décision Qualcomm Incorporated c Canada (Commissaire aux brevets), 2016 CF 499, la juge Simpson, aux paragraphes 7 à 11 :

[7]  Je suis convaincue que la première partie du critère établi au paragraphe 31(3) est pertinente et qu’on y a satisfait; de toute évidence M. Palanki n’a pas participé à l’invention décrite dans le brevet 309. Toutefois, la seconde partie du critère décrit au paragraphe 31(3) n’a pas été satisfaite, puisque les affidavits mentionnés ci-dessus ne précisent pas clairement que les derniers coinventeurs dont les noms figurent dans le brevet 309 sont les seuls inventeurs.

[8]  Dans les présentes circonstances, je dois décider si un affidavit est exigé.

[9]  À mon avis, l’affidavit mentionné au paragraphe 31(3) est essentiellement une exigence d’ordre administrative afin de favoriser le traitement efficace des demandes de brevet en instance au Bureau des brevets. Si un demandeur de brevet a commis une erreur dans une demande en instance, il est fondé que le commissaire veuille s’assurer que la demande modifiée ne contient plus d’erreurs. Pour ce faire, on a exigé des demandeurs qu’ils examinent les noms des inventeurs figurant dans la demande et qu’ils confirment dans un affidavit que ces noms étaient correctement énumérés.

[10]  Cependant, ces facteurs ne sont pas pertinents lorsqu’un brevet délivré est examiné par la Cour en vertu de l’article 52 de la Loi.

[11]  Par conséquent, la requête sera accueillie malgré le fait que la requérante n’a pas fourni l’affidavit mentionné au paragraphe 31(3) déclarant que les derniers coinventeurs dont les noms figurent dans le brevet 309 sont les seuls inventeurs.

[40]  Voir aussi la décision Qualcomm 1092, aux paragraphes 12 à 15 :

[12]  La demanderesse remarque que la juge Simpson a également jugé dans Qualcomm que, bien que le paragraphe 31(3) de la Loi exige une preuve par affidavit selon laquelle les inventeurs restants sont les inventeurs uniques, cela n’est pas nécessaire lorsque la Cour examine, en vertu de l’article 52 de la Loi, un brevet délivré. Néanmoins, en l’espèce, M. Rychlik a déclaré sous serment qu’il était l’unique inventeur de l’invention faisant l’objet du brevet 594 et que tous les droits, titres et intérêts relatifs à l’invention avaient été cédés à la demanderesse. M. Rychlik a également affirmé qu’il consent à être nommé à titre d’unique inventeur concernant le brevet 594.

[13]  M. Babbar et M. Kapoor ont tous deux déclaré sous serment qu’ils ne sont pas inventeurs de l’invention faisant l’objet du brevet 594 et qu’ils sont d’accord pour retirer leurs noms à titre d’inventeurs.

[14]  La demanderesse a également déposé un affidavit de Paul Holdaway, son conseiller principal en matière de brevet, qui a déclaré sous serment que l’appellation incorrecte des inventeurs avait été faite par inadvertance ou par erreur et non pas dans un but dilatoire. L’affidavit de M. Holdaway explique comment l’erreur s’est produite, comme il a été expliqué précédemment dans la section « Contexte » des présents motifs, dont la preuve appuie son affirmation selon laquelle l’erreur est survenue par inadvertance ou par erreur et non dans un but dilatoire.

[15]  Ma conclusion est donc que les affidavits fournis par la demanderesse répondent aux exigences des paragraphes 31(3) et (4) de la Loi. Par conséquent, les registres du Bureau des brevets relatifs au brevet 594 devraient être modifiés tel qu’il a été demandé afin d’ajouter Bohuslav Rychlik comme inventeur et de supprimer Uppinder Singh Babbar et Rohit Kapoor à titre d’inventeurs.

[41]  À cet égard, je fais également remarquer que, dans la décision Copperhead Industrial Inc c. Canada (Procureur général), 2018 CF 311, le juge Gleeson a soutenu que, bien que l’on fournisse couramment des éléments de preuve par affidavit de toutes les parties intéressées, la jurisprudence ne fait pas de cette exigence une norme de preuve à laquelle un demandeur doit satisfaire :

[23]  J’ai examiné chacune des décisions sur lesquelles se fonde l’intervenante et j’ai reconnu que la preuve par affidavit des parties intéressées est couramment fournie, et est utile à la Cour. Néanmoins, je ne peux conclure que la jurisprudence établit cela comme une norme de preuve à laquelle un demandeur doit satisfaire.

[24]  Dans Segatoys, l’un des deux inventeurs à être retiré des dossiers du brevet ne pouvait pas être retrouvé. Cette situation n’a pas empêché la Cour de conclure que la preuve non contredite d’autres auteurs d’affidavits est suffisante pour accorder la réparation demandée. Dans Qualcomm Inc c Canada (Commissaire des brevets), 2016 CF 499, la juge Simpson a statué au paragraphe 11 que la preuve par affidavit de toutes les parties n’était pas requise à l’application de l’article 52 où la Cour était par ailleurs convaincue que la réparation devrait être accordée.

[25]  Je n’accepte pas non plus l’avis de l’intervenante selon lequel la demande en l’espèce abaisse la barre de la preuve ou incite le méfait. Cet argument est hypothétique et suppose que la Cour approuvera sans discussion les demandes sans examen poussé de la preuve.

[42]  En l’espèce, les inventeurs qui ont déposé des affidavits ont affirmé (1) qu’ils ont contribué au développement des inventions revendiquées qui sont l’objet des brevets en cause et (2) que les non-inventeurs n’ont pas contribué au développement des inventions revendiquées qui sont l’objet des brevets en cause. Les non-inventeurs qui ont déposé des affidavits ont affirmé qu’ils n’étaient pas les inventeurs des inventions revendiquées qui sont l’objet des brevets en cause.

[43]  À mon avis, ces éléments de preuve satisfont aux critères établis dans l’arrêt Apotex et sont conformes à la jurisprudence de la Cour que je viens de mentionner au sujet de la présentation et de la forme des éléments de preuve présentés au titre de l’article 52.

[44]  Il convient de souligner qu’aucune autre partie n’est directement touchée par l’ordonnance demandée, autre que le commissaire aux brevets, qui n’a pas pris position. De plus, les avocats de la demanderesse ont informé la Cour qu’il n’y avait aucun litige en instance concernant les brevets en cause.

V.  Conclusion

[45]  Par conséquent, le critère de la paternité de l’invention établi dans l’arrêt Apotex est satisfait, de sorte que les noms des six non-inventeurs devraient être radiés des inventeurs inscrits dans les brevets en cause; ils ne sont pas correctement inscrits comme inventeurs. Ils ont été inscrits comme inventeurs par inadvertance. Leurs noms auraient dû être radiés au moment de la division de la demande parente, et je suis persuadé que le commissaire l’aurait fait si cela avait été porté à son attention à ce moment-là. Par conséquent, les registres du Bureau des brevets concernant les brevets en cause devraient être modifiés pour permettre la radiation de leurs noms en vertu de l’article 52, et le jugement sera rendu en conséquence.

VI.  Dépens

[46]  Il n’y a pas lieu d’adjuger de dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1564-19

LA COUR STATUE que :

  1. Le commissaire aux brevets doit modifier toutes les inscriptions dans les registres du Bureau des brevets concernant la paternité de l’invention revendiquée dans chacun des brevets canadiens délivrés énumérés ci-dessous en radiant les noms de David R. Helbing, de Muhammad Anzar, de Kathleen S. Crowley, de Bradley Didion, de Jeffrey A. Graham et de Cindy L. Ludwig comme inventeurs :

    1. brevet canadien no 2,518,882;

    2. brevet canadien no 2,752,218;

    3. brevet canadien no 2,752,244;

    4. brevet canadien no 2,752,247.

  2. Le tout sans dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de mai 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1564-19

 

INTITULÉ :

INGURAN LLC DBA STGENETICS c COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 MARS 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Nathaniel Lipkus

Kenza Salah

POUR LA DEMANDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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