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Date : 20051101

Dossier : T-2108-04

Référence : 2005 CF 1479

ENTRE :

SCOTT SLIPP NISSAN LIMITED

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise le 23 novembre 2004 par des fonctionnaires du ministre du Revenu national au sujet de la façon dont le ministre divulguerait des renseignements confidentiels à la demanderesse. Dans la décision à l'examen, la Cour avait infirmé la décision du 24 octobre 2003 de refuser la divulgation, ainsi qu'il est plus amplement expliqué dans le jugement Scott Slipp Nissan Limited c. Procureur général du Canada, 2005 CF 1477. La demanderesse soutient que la façon dont le ministre entend procéder à la divulgation va à l'encontre des dispositions de l'article 295 de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi), car elle révélera de façon irrégulière certains renseignements au sujet de la demanderesse. Voici la définition de l'expression « renseignements confidentiels » :

« renseignement confidentiel » Renseignement de toute nature et sous toute forme concernant une ou plusieurs personnes et qui, selon le cas :

a) est obtenu par le ministre ou en son nom pour l'application de la présente partie;

b) est tiré d'un renseignement visé à l'alinéa a).

N'est pas un renseignement confidentiel le renseignement qui ne révèle pas, même indirectement, l'identité de la personne en cause.

"confidential information" means information of any kind and in any form that relates to one or more persons and that is

(a) obtained by or on behalf of the Minister for the purposes of this Part, or

(b) prepared from information referred to in paragraph (a),

but does not include information that does not directly or indirectly reveal the identity of the person to whom it relates;

GENÈSE DE L'INSTANCE

[2]                La genèse du présent aspect du litige opposant la demanderesse au ministre du Revenu national est exposée dans le jugement Scott Slipp Nissan Limited c. Procureur général du Canada, précité. Le point litigieux dans cette décision était le refus initial du ministre de communiquer à la demanderesse le dossier de vérification de l'Agence des douanes et du revenu du Canada en vue de traiter l'avis d'opposition formulée par la demanderesse concernant la cotisation de la taxe d'accise imposée au titre de la taxe de vente harmonisée (TVH). Le dossier de vérification renfermait des « renseignements confidentiels » (des renseignements que le ministre avait obtenus de tiers et dont il s'était servi pour établir la cotisation).

[3]                Après que la demanderesse eut introduit une instance en contrôle judiciaire pour contester le refus de communiquer les renseignements en question, instance au cours de laquelle le nom de la demanderesse et l'existence du différend fiscal ont été divulgués, le ministre a décidé de divulguer les renseignements contenus dans le dossier de vérification qui étaient réclamés.

[4]                Aux termes de cette décision (dont la date précise est inconnue mais qui a été communiquée pour la première fois le 23 novembre 2004), le ministre a préparé 40 lettres, dont 31 ont été envoyées et qui donnaient aux tiers concernés 30 jours pour empêcher la divulgation des renseignements. Les lettres en question prévoyaient aussi que le tiers pouvait consentir à la divulgation et que tout défaut de répondre dans les 30 jours serait interprété comme un consentement. Des copies des documents qui devaient être divulgués ont été jointes à la lettre.

[5]                La demanderesse s'est opposée à la méthode employée par le ministre pour mettre en oeuvre sa décision de communiquer les renseignements en question. La demanderesse se plaint essentiellement du fait que le ministre a divulgué sans son consentement des renseignements confidentiels la concernant - le nom de la demanderesse et l'existence de la cotisation contestée.

[6]                Un autre aspect particulier du présent contrôle judiciaire est le fait que les deux parties se fondent sur le paragraphe 295(6) de la Loi :

(6) Un fonctionnaire peut fournir un renseignement confidentiel :

a) à la personne en cause;

b) à toute autre personne, avec le consentement de la personne en cause.

(6) An official may provide confidential information relating to a person

(a) to that person; and

(b) with the consent of that person, to any other person.

[7]                Le ministre a invoqué le paragraphe 295(6) pour solliciter le consentement du tiers à la communication des renseignements confidentiels. La demanderesse soutient qu'à moins d'obtenir le consentement de la demanderesse, le ministre ne peut demander le consentement d'un tiers si cette mesure a pour effet de divulguer des renseignements confidentiels la concernant.

[8]                Dans le jugement Scott Slipp Nissan Limited c. Procureur général du Canada, précité, notre Cour a jugé que le ministre a le pouvoir, en vertu des alinéas 295(5)a) et b) de la Loi, de divulguer à la demanderesse les renseignements confidentiels pertinents pour l'établissement de la cotisation. Les alinéas 295(5)a) et b) sont ainsi libellés :

(5) Un fonctionnaire peut :

a) fournir à une personne un renseignement confidentiel qu'il est raisonnable de considérer comme nécessaire à l'application ou à l'exécution de la présente loi, mais uniquement à cette fin;

b) fournir à une personne un renseignement confidentiel qu'il est raisonnable de considérer comme nécessaire à la détermination de tout montant dont la personne est redevable ou du remboursement ou du crédit de taxe sur les intrants auquel elle a droit, ou pourrait avoir droit, en vertu de la présente loi;

(5) An official may

(a) provide such confidential information to any person as may reasonably be regarded as necessary for the purpose of the administration or enforcement of this Act, solely for that purpose;

(b) provide to a person confidential information that can reasonably be regarded as necessary for the purposes of determining any liability or obligation of the person or any refund, rebate or input tax credit to which the person is or may become entitled under this Act;

ANALYSE

[9]                En l'espèce, le débat tourne essentiellement autour de la question de savoir si les lettres qui ont été envoyées aux tiers étaient nécessaires à l'application ou à l'exécution de la Loi ou pour déterminer le montant dont la demanderesse était redevable et, dans l'affirmative, si la divulgation contestée était justifiée. Il y a également lieu de s'interroger sur la question de savoir si la divulgation contestée portait sur des renseignements confidentiels ou si les renseignements en question faisaient partie du domaine public.

[10]            Sur cette question secondaire, le défendeur soutient que tous les renseignements en question font partie du domaine public parce qu'ils se retrouvent dans les pièces versées au dossier de l'affaire Scott Slipp Nissan Limited c. Procureur général du Canada, précité. Le défendeur soutient que les renseignements en question avaient perdu leur caractère confidentiel en raison des actes de la demanderesse.

[11]            Il n'y a aucun doute que les renseignements en question sur la demanderesse font maintenant partie du domaine public. Mais ce n'est pas parce qu'ils ont été communiqués que ces renseignements ne peuvent plus être considérés comme des « renseignements confidentiels » . Selon le paragraphe 295(1), ces renseignements sont confidentiels parce qu'ils ont été fournis au ministre ou ont été obtenus par celui-ci. Leur caractère confidentiel dépend de la façon dont ils ont été obtenus et non de leur valeur ou de leur nature intrinsèques.

[12]            L'affaire Diversified Holdings Inc. c. Canada 1990 Carswell Nat 512; [1991] 1 C.T.C. 118; 91 D.T.C. 5029; 34 C.P.R. (3d) 187; [1991] 1 C.F. 595; 121 N.R. 555; 41 F.T.R. 239 se distingue aisément de la présente espèce. Dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale avait statué que les renseignements en cause dans cette affaire n'étaient pas confidentiels en vertu de l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu parce qu'ils n'avaient pas été obtenus pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans le cas qui nous occupe, les renseignements ont été obtenus ou communiqués pour l'application de la Loi et ils ont nettement eu pour effet de révéler l'identité de la personne qu'ils concernent.

[13]            Bien qu'avec le recul on puisse dire qu'il y aurait peut-être eu lieu de rendre une ordonnance de mise sous scellés dans le cadre de la première demande de contrôle judiciaire, la demanderesse s'est aventurée en territoire inconnu en abordant ces questions. Les renseignements demeurent confidentiels, et il est inutile d'aggraver la situation en divulguant de nouveau des renseignements confidentiels, et ce, même si leur non-divulgation ne revêt pratiquement aucune utilité pratique.

[14]            Les lettres envoyées aux tiers ne visaient pas vraiment à obtenir leur consentement; le consentement n'était évoqué qu'à titre subsidiaire. Le ministre avait déjà estimé que la communication des renseignements confidentiels était nécessaire, sinon il n'aurait pas imposé un délai de 30 jours pour l'introduction d'une action en justice pour empêcher la divulgation. Le consentement n'était pas nécessaire.

[15]            Il convenait que le ministre avise les tiers et leur précise lesquels de leurs renseignements confidentiels respectifs seraient divulgués. Les principes d'équité exigeraient de façon générale qu'il procède de la sorte, car la décision du ministre de divulguer les renseignements en question risque de porter atteinte aux droits des tiers en question.

[16]            Le ministre n'a fourni aucune explication pour justifier sa décision de divulguer le nom de la demanderesse et l'existence du différend fiscal. Le ministre pourrait simplement préciser, dans un avis de communication projetée, qu'il a conclu qu'il serait raisonnablement nécessaire, pour l'application de la Loi, de divulguer et de communiquer aux tiers en question des copies des documents qu'il entend divulguer.

[17]            La Cour n'a pas l'intention d'expliquer comment le ministre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et encore moins de proposer la marche qu'il devrait suivre en matière de divulgation. Il y a lieu de faire preuve d'une retenue considérable envers la façon dont le ministre s'acquitte de cette obligation, mais la nécessité raisonnable de divulguer les renseignements en question portant sur la demanderesse n'a pas été démontrée en l'espèce.

[18]            Comme le ministre a décidé de divulguer les renseignements réclamés par la demanderesse, il convient de lui accorder un délai raisonnable mais bref pour exécuter cette décision, notamment en lui accordant du temps pour la modifier afin de la rendre conforme aux présents motifs et pour envoyer des lettres d'avis aux tiers.

DISPOSITIF

[19]            J'estime que le ministre a commis une erreur dans la façon dont il a exécuté sa décision de divulguer les renseignements. La Cour rendra donc une ordonnance annulant la partie de sa décision dans laquelle il a autorisé la divulgation de renseignements concernant la demanderesse, interdisant l'envoi des autres lettres selon la forme de la lettre du 23 novembre 2004 et renvoyant l'affaire au ministre pour qu'il réexamine la forme de l'avis à envoyer aux tiers en ce qui concerne la divulgation projetée, lequel avis devra être envoyé dans les 30 jours suivant la date des présents motifs.

[20]            La demanderesse a droit à ses dépens au tarif habituel. La demanderesse a affirmé que les agissements du ministre étaient fabriqués, inventés et arbitraires et qu'ils constituaient par ailleurs une violation délibérée des droits de la demanderesse. Cette allégation est injustifiée, selon moi, car il est évident que les fonctionnaires compétents ont suivi les conseils juridiques que leur ont donnés des avocats respectés. L'adjudication d'un montant plus élevé à titre de dépens n'est pas justifiée.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2108-04

INTITULÉ :                                        SCOTT SLIPP NISSAN LIMITED

                                                            c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 24 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 1er NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Bruce S. Russell, c.r.

                  POUR LA DEMANDERESSE

John Ashley

                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

McINNES COOPER

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

                  POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

                  POUR LE DÉFENDEUR

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