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Date : 20050411

Dossier : IMM-8850-04

Référence : 2005 CF 477

Toronto (Ontario), le 11 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

                                                              CHUN JIU JIANG

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La revendication du statut de réfugié de madame Jiang est fondée sur le fait que, en tant qu'adepte pratiquante du Falun Gong, elle craint à juste de titre d'être victime de persécution dans son pays natal, la Chine. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a jugé qu'elle n'était pas une adepte du Falun Gong et qu'en conséquence, elle n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne ayant besoin de la protection du Canada. La présente instance porte sur une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de cette décision.


[2]                Madame Jiang est arrivée au Canada en 2003 munie d'un visa de tourisme d'une durée de trois mois, lequel a été renouvelé pour une période additionnelle de trois mois afin qu'elle puisse s'occuper du bébé de son fils à Montréal. Elle n'a revendiqué le statut de réfugié que quatre mois après son arrivée.

[3]                Elle affirme qu'elle a commencé à s'intéresser au Falun Gong vers la fin de 1998 et qu'elle s'est mise à pratiquer ouvertement jusqu'à ce que le groupe soit interdit, l'année suivante. Elle a continué à pratiquer en secret à la maison sans que personne ne soit au courant, hormis son mari.

[4]                Lors de son arrivée au pays, elle s'est jointe à un groupe d'adeptes du Falun Gong à Montréal et affirme avoir participé à l'envoi de documents et de vidéodisques en Chine et s'être retrouvée mêlée à une manifestation devant l'ambassade de Chine à Ottawa, où elle a vraisemblablement été photographiée et filmée. Dès le lendemain, elle a présenté sa revendication du statut de réfugié.


[5]                Elle communiquait régulièrement par téléphone avec son mari et quelques semaines plus tard, ce dernier lui a dit qu'il avait reçu la visite des autorités et que celles-ci étaient au courant des activités du Falun Gong au Canada. La police lui a intimé l'ordre de convaincre son épouse de lui communiquer le nom de ceux qui pratiquent le Falun Gong à Montréal et de désigner les dirigeants et les donateurs. Juste avant l'audition de la revendication, l'époux de la demanderesse lui a dit que les autorités continuaient à le « déranger » .

[6]                La preuve documentaire versée au dossier de la Commission indique que les familles des adeptes connus du Falun Gong sont sévèrement punies et font l'objet de fortes pressions. Le commissaire a accordé beaucoup d'importance au fait que le mari de madame Jiang n'avait apparemment subi aucune des conséquences graves que subissent généralement les membres de la famille. En outre, les « ordres » donnés par les autorités étaient verbaux alors que la preuve documentaire donne à penser qu'on aurait dû retrouver des « lettres de garantie » . Le commissaire a conclu que les autorités n'avaient pas identifié madame Jiang comme adepte du Falun Gong. C'est peut-être le cas mais l'instance repose sur cette affirmation : [traduction] « le Tribunal ne croit pas que la revendicatrice est une adepte du Falun Gong, comme on le prétend » .

[7]                Il est bien établi qu'il ne suffit pas de déclarer qu'un revendicateur n'est pas crédible, encore faut-il faut préciser pour quels motifs. Voici les motifs donnés par le commissaire :

[Traduction] La revendicatrice a témoigné qu'en dépit de l'interdiction du Falun Gong en juillet 1999, elle avait l'intention de retourner en Chine avant l'incident allégué de décembre 2003. Cela signifie qu'elle avait prévu de rentrer au pays, même si elle était au courant des persécutions dont étaient victimes les adeptes du Falun Gong. On a demandé à la revendicatrice si elle avait peur de retourner en Chine. Elle n'a pas donné de réponse pertinente à cette question. Le tribunal ne croit pas que si elle était réellement une adepte du Falun Gong, elle aurait pris le risque de retourner en Chine en connaissant la situation que vivent les adeptes du Falun Gong, à l'heure actuelle (...).

[8]                Un simple examen du dossier permet de constater que madame Jiang a expliqué clairement et en des termes pertinents la raison pour laquelle elle craignait de retourner en Chine :

[Traduction]

Q :            (...) Pourquoi, lorsque vous êtes arrivée au Canada, envisagiez-vous de retourner en Chine, alors que vous êtes une adepte du Falun Gong?

R :           Parce qu'au début, j'étais déjà une adepte du Falun Gong, je n'étais pas... les autorités chinoises n'avaient pas découvert que j'étais une adepte du Falun Gong. Et j'avais compris également que je pouvais pratiquer le Falun Gong, ici au Canada, en toute sécurité. C'est la raison pour laquelle je pensais que je pouvais retourner en Chine sans problème.

[9]                Sa crainte était fondée sur le fait que les autorités chinoises l'avaient « découverte » . De fait, il aurait été difficile pour les autorités de ne pas la découvrir alors qu'elle déambulait ouvertement devant leur ambassade.

[10]            Même si la Commission n'est pas liée par des règles de preuve strictes, elle doit néanmoins faire la différence entre la preuve directe et la preuve indirecte. Par exemple, au paragraphe 1.06 de la 15e édition de Phipson on Evidence, l'auteur souligne que la preuve indirecte ou par inférence correspond à un fait que l'on peut logiquement déduire à partir de faits avérés. La preuve directe revêt évidemment une plus grande valeur en ce qu'elle contient une seule source d'erreur possible : la « faillibilité de l'affirmation » , tandis que la preuve indirecte recèle une autre possibilité d'erreur : la « faillibilité de la déduction » . En l'espèce, la déduction est manifestement déraisonnable. La question en cause consiste à se demander ce qu'il arriverait à madame Jiang, si elle retournait en Chine, et non ce qui est prétendument arrivé à son mari.


[11]            Le commissaire aurait très bien pu conclure, en s'appuyant sur d'autres motifs, que madame Jiang n'est pas une adepte du Falun Gong ou en tout état de cause, qu'elle n'a pas une crainte subjective de persécution. D'un autre côté, les nombreux mois qui se sont écoulés avant qu'elle ne dépose sa revendication laissent la Cour perplexe. Par ailleurs, elle a déposé sa revendication avant que son mari n'ait prétendument confirmé (et nous devons nous contenter de ses dires, à cet égard) que les autorités chinoises l'avaient repérée. Il aurait peut-être été opportun de se demander si elle n'était pas « une réfugié sur place » ou, puisque la seule manifestation publique de son appartenance au Falun Gong qu'il est possible de prouver a eu lieu au Canada, si elle ne s'est pas convertie par simple souci de commodité.

[12]            Dans R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, bien qu'il s'exprime dans le contexte des cours de justice pénale, le juge Binnie affirme ce qui suit, à la page 879, paragraphe 15 :

Les tribunaux de première instance, à qui il revient de tirer les conclusions de fait et les inférences essentielles, ne s'acquittent convenablement de leur obligation de rendre compte que si les motifs de leurs décisions sont transparents et accessibles au public et aux tribunaux d'appel.

[13]            En l'espèce, les motifs donnés par la Commission sont manifestement déraisonnables. Il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre de ce contrôle judiciaire, de décider s'il aurait été possible de suivre d'autres avenues plus raisonnables pour parvenir à la même conclusion.

[14]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée pour un nouvel examen par un tribunal différemment constitué. Aucune question d'intérêt général n'est certifiée.

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision rendue le 5 octobre 2004 par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans son dossier n ° MA4-00928, est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

« Sean Harrington »

                                                                                                     Juge                   

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-8850-04

INTITULÉ :                                                    CHUN JIU JIANG

ET

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 7 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE HARRINGTON

DATE :                                                             LE 11 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Michael N. Bergman                                          POUR LA DEMANDERESSE

Andrea Shahin                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bergman & Associate                                        POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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