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Date : 20050207

Dossier : IMM-1559-04

Référence : 2005 CF 181

Ottawa (Ontario), le 7 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU                                

ENTRE :

                                             THURAIVEERASINGAM KANDIAH

KUGANESWARY THURAIVEERASINGAM

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision rendue le 6 février 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans laquelle il a été décidé que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.


[2]                Malgré l'habile plaidoirie faite par l'avocat des demandeurs, je ne suis pas convaincu qu'il y ait un motif en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée, de modifier ou d'annuler la décision contestée en l'espèce. Selon moi, les erreurs soulignées par les demandeurs, s'il en est, ne sont pas importantes et elles n'affectent pas la conclusion générale de la Commission, laquelle n'est pas manifestement déraisonnable. Je suis convaincu que les motifs de contrôle invoqués par les demandeurs ne sont pas fondés et je suis satisfait des observations faites à cet égard par le défendeur dans son mémoire. Cela dit, je traiterai expressément ci-après de trois questions élaborées par l'avocat à l'audience.

Le retard

[3]                La Commission a souligné que les demandeurs ont accusé un retard de sept semaines avant de revendiquer le statut de réfugié. L'explication qu'ils ont donné quant à ce retard était qu'ils attendaient de voir si les choses se calmeraient. Bien que le retard ne fut pas long, compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, l'explication du demandeur principal, selon la Commission, dépassait l'entendement. La Commission a de plus souligné que les demandeurs avaient déjà envoyé des membres de leur famille en Suisse, en Italie (fille parrainée par le mari en Italie) et au Canada afin qu'ils revendiquent le statut de réfugié. La Commission a également tenu compte du fait que les demandeurs avaient demandé et avaient obtenu des visas de visiteur pour la Suisse et pour le Canada. Par conséquent, la Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la véritable intention des demandeurs était d'immigrer au Canada. S'ils craignaient vraiment pour leurs vies, ils auraient revendiqué le statut de réfugié dès leur arrivée au Canada ou peu de temps après.


[4]                Bien que la Commission ait pu se tromper sur le nombre d'enfants qui ont obtenu le statut de réfugié, cela n'est pas suffisant en soi pour rendre sa conclusion plus que manifestement déraisonnable. Il est vrai qu'une revendication du statut de réfugié dans un court délai n'est généralement pas considérée comme étant un facteur déterminant dans une décision défavorable quant à une revendication du statut de réfugié, pourvu que les revendicateurs aient une explication raisonnable (El-Naem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 185 (C.F. 1re inst.) (QL); Ilyas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1270, [2004] A.C.F. no 1522 (C.F.) (QL). Toutefois, en l'espèce, l'explication des demandeurs quant au retard a eu une grande incidence sur leur crédibilité et sur leur preuve quant à la crainte subjective de persécution.

[5]                Il faut se rappeler que, en l'espèce, les demandeurs ont demandé à la Commission de tenir compte de l'effet cumulé de l'ensemble des incidents qui se sont produits depuis 1989 et dont ils ont fait l'énumération dans leurs témoignages. Ils ont cependant déclaré que le retard de plusieurs semaines qu'ils ont accusé était dû au fait qu'ils voulaient voir si la paix était apparue au Sri Lanka. Je remarque également que, à la page 18 de la transcription, lorsqu'on lui a parlé de la possibilité que la paix apparaisse au Sri Lanka, le demandeur principal a déclaré ce qui suit : [traduction] « Cela n'arrivera jamais » . Lorsqu'on lui a parlé de sa connaissance quant au climat politique prévalant au Sri Lanka, il a affirmé ce qui suit : [traduction] « Je ne connais pas grand chose en politique, mais je crois que cette partie du problème ne se réglera jamais » . Ce témoignage ne concorde pas avec celui des personnes qui croyaient qu'il pourrait y avoir un règlement pacifique pendant qu'elles étaient en vacances à l'étranger et les conclusions de la Commission quant à la crédibilité sur ce point me semblent avoir un fondement solide.


Le caractère plausible de l'arrestation et de la détention en 2000 du demandeur principal

[6]                Le demandeur principal a prétendu qu'il avait 56 ans lorsqu'il a été arrêté, détenu et battu par la police. Lorsque la Commission lui a fait remarquer que la preuve documentaire ne faisait mention d'aucune arrestation de Tamouls avancés en âge en 2000, il a répondu que cela s'était produit dans le cadre de mesures d'urgence. La Commission a conclu, en se fondant sur la preuve documentaire, que les prétentions du demandeurs étaient fausses.

[7]                Les demandeurs prétendent que la Commission a préféré la preuve documentaire au témoignage du demandeur principal, et ce, sans donner de raison comme l'exige les décisions Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 157 N.R. 387, [1992] A.C.F. no 411 (C.A.F.) (QL) et Aligolian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 484 (C.F. 1re inst.) (QL). Plus particulièrement, les demandeurs prétendent que la Commission (i) n'a pas mentionné le nom du document dans lequel il était mentionné qu'aucun Tamoul avancé en âge n'avait été arrêté en 2000 et (ii) qu'elle n'a pas expliqué pourquoi elle avait préféré ce document de préférence à tout autre.


[8]                Là encore, je suis incapable de conclure que cette conclusion devrait faire l'objet d'un contrôle. Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce ainsi que du profil des demandeurs, cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable. Quoi qu'il en soit, selon moi, l'argument est mal choisi. Il ne s'agit pas de savoir si la Commission a choisi un document plutôt qu'un autre mais de savoir si la Commission a examiné l'ensemble de la « preuve documentaire » avant de conclure que l'on y faisait aucune mention d'arrestation en 2000 de Tamouls avancés en âge.

[9]                Si les demandeurs prétendent que la Commission était tenue d'expliquer pourquoi elle avait préféré la preuve documentaire à leur témoignage, alors la Commission s'est acquittée de cette tâche. La crédibilité était en litige au début de l'audience et elle l'est demeurée jusqu'à sa conclusion. Il est bien établi en droit qu'une conclusion défavorable quant à la crédibilité peut amener la Commission à ne pas croire une partie du récit d'un demandeur. Il en va de même du fait que le récit ne soit pas étayé par la preuve documentaire (Tekin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 357, [2003] A.C.F. no 506 (C.F.P.I.) (QL)). En l'espèce, la Commission avait déjà conclu que le témoignage du demandeur n'était pas crédible quant à d'autres points, et ce, en raison d'omissions et de contradictions.

L'article 97 de la Loi


[10]            Les demandeurs prétendent que la Commission a omis de faire une évaluation séparée des revendications fondées sur l'article 97 de la Loi présentées par le demandeur comme l'exige la décision Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1211, [2003] A.C.F. no 1540 (C.F.) (QL). Les demandeurs prétendent également que malgré la jurisprudence existante sur ce sujet, une simple lecture de la Loi donne à entendre que le seuil est moins élevé en ce qui concerne l'article 97 et que cette question est défendable parce qu'elle fait partie d'une question certifiée dans la cause Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 1, [2005] A.C.F. no 1 (C.A.F.) (QL) (laquelle cause la Cour d'appel fédérale était saisie au moment de la présente demande). Les demandeurs prétendent également que la norme qui s'applique à l'alinéa 97(1)b) est moins élevée que celle qui s'applique à l'alinéa 97(1)a), et ce, sans que l'on ait besoin de prouver l'existence d'un risque « important » .

[11]            La Cour d'appel fédérale a répondu de façon concluante à la question de l'interprétation de l'article 97 dans la décision qu'elle a rendue dans l'arrêt Li, précité, le 5 janvier 2005. La norme à appliquer à l'alinéa 97(1)a) ainsi qu'à l'alinéa 97(1)b) est celle de la prépondérance des probabilités. Elle doit être appliquée en deux parties - la Commission utilisera cette norme pour évaluer la preuve qui lui a été soumise, puis, dès qu'elle aura tiré ses conclusions de fait, elle appliquera cette même norme pour établir si cette preuve démontre que, selon toute vraisemblance, le demandeur courrait le risque d'être tué, de se voir infligé un traitement cruel et inusité ou d'être torturé en cas de refoulement. Les différences qui existent entre l'article 96 et l'article 97, lesquelles ont été soulignées dans l'arrêt Li, précité, sont que, premièrement, dans le cas d'une décision rendue quant à une revendication fondée sur l'article 97, la preuve ne comporte pas de composante subjective; elle n'est fondée que sur la preuve objective. Deuxièmement, la revendication fondée sur l'article 97 n'a pas être liée à l'un des motifs énumérés à l'article 96.                  

[12]            La Commission a estimé que les demandeurs n'étaient pas crédibles. La Commission a estimé que les demandeurs ne correspondaient pas au profil décrit dans la preuve objective quant aux personnes qui seraient exposées à des risques à leur retour au Sri Lanka et que, selon la situation dans le pays, on pouvait croire que Colombo ne présenterait pas de risque pour eux. Après avoir tiré cette conclusion, elle a poursuivi en affirmant que la probabilité que les demandeurs soient exposés à une menace à leur vie, à la torture, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, n'avait pas été établie. Cette appréciation semble être conforme à l'approche exposée dans l'arrêt Li, précité.

[13]            Les demandeurs renvoient à la décision Bouaouni, précitée, quant à la proposition selon laquelle l'article 97 doit être examiné à la lumière de chaque cas. La conclusion tirée dans la décision Bouaouni, précitée, a été que le fait de ne pas examiner spécifiquement le risque objectif dont il est question à l'article 97 peut constituer soit une erreur pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire, soit une erreur peu importante selon la preuve déposée et cette décision doit être prise au cas par cas.

[14]            Le juge Blanchard a de plus conclu que dans les circonstances particulières de la décision Bouaouni, précitée, l'omission d'analyser spécifiquement la revendication fondée sur l'article 97 ne constituait pas une erreur pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire :


Mis à part les éléments de preuve déclarés non crédibles par la Commission, il n'y en avait pas d'autres dont celle-ci disposait et découlant de la documentation sur le pays ou de toute autre source qui aurait pu conduire la Commission à conclure que le demandeur était une personne à protéger. Dans ces circonstances, je conclus que la Commission a bien commis une erreur en omettant d'analyser spécifiquement la revendication fondée sur l'article 97. Je conclus toutefois également, exerçant à cet égard mon pouvoir discrétionnaire, que cette erreur n'a pas d'effet déterminant sur l'issue de l'affaire.

[15]            On a parfois conclu dans des causes ultérieures que l'absence d'une analyse distincte de l'article 97 pouvait faire l'objet d'un contrôle judiciaire et on a parfois conclu qu'elle ne pouvait pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire, selon les circonstances. Par exemple, on a conclu dans Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 84, [2004] A.C.F. no 84 (C.F.) (QL); Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1008, [2004] A.C.F. no 1242 (C.F.) (QL) et Mengistu c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2004 CF 901, [2004] A.C.F. no 1096 (C.F.) (QL) que cela pouvait faire l'objet d'un contrôle judiciaire et on a conclu dans Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2004 CF 808, [2004] A.C.F. no 995 (C.F.) (QL); Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2004 CF 635, [2004] A.C.F. no 771 (C.F. 1re inst.) (QL) et Yorulmaz c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2004 CF 128, [2004] A.C.F. no 193 (C.F.) (QL) que cela ne pouvait pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire. La distinction dépend expressément de la nature de la preuve présentée dans l'affaire.

[16]            Dans Ahmad, précitée, l'examen distinct exigé en vertu de l'article 97 a été souligné, mais le juge Rouleau a conclu que la preuve n'était pas assez liée à la situation personnelle du demandeur :


Tout d'abord, je tiens à souligner que le test pertinent en vertu de l'article 96 est effectivement bien distinct de celui en vertu de l'article 97. En effet, une revendication fondée sur l'article 97 appelle l'application par la Commission d'un critère différent, ayant trait à la question de savoir si le renvoi du revendicateur peut ou non l'exposer personnellement aux risques et menaces mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. Cependant, ce critère doit s'apprécier en tenant compte des caractéristiques personnelles du défendeur [...]

Ainsi, l'appréciation de la crainte chez le défendeur doit se faire in concreto, plutôt que dans une perspective abstraite et générale. Le fait que la preuve documentaire illustre de façon inéquivoque la violation systématique et généralisée des droits humains au Pakistan ne suffit absolument pas pour établir la crainte de persécution spécifique et individualisée chez le défendeur en particulier. En l'absence de la moindre preuve pouvant lier la preuve documentaire générale à la situation spécifique du demandeur, je conclus que la Commission n'a pas erré dans sa façon d'analyser la revendication du demandeur sous l'article 97.


[17]            Selon moi, une revendication fondée sur l'article 97 de la Loi doit être appréciée en fonction de l'ensemble des facteurs pertinents et en tenant compte du dossier du pays en matière de droits de la personne. Même si la Commission doit évaluer objectivement la revendication du demandeur, son analyse doit tout de même être individualisée. Il peut y avoir des cas où l'on conclut qu'un demandeur d'asile, dont l'identité n'est pas contestée, n'a aucune raison valable de craindre la persécution, mais que la situation dans le pays est telle que la situation particulière du demandeur fait de lui une personne à protéger. Il s'ensuit qu'une décision défavorable en vertu de l'article 96 quant à la crainte subjective, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié fondée sur l'article 96 de la Loi, ne sera pas nécessairement déterminante quant à une revendication fondée sur le paragraphe 97(1) de la Loi. Les éléments requis pour établir le bien-fondé d'une revendication fondée sur l'article 97 diffèrent de ceux requis au titre de l'article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas. Bien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux types de revendication, il est essentiel que chacune d'elles soit examinée séparément. Une revendication fondée sur l'article 97 de la Loi appelle l'application par la Commission d'un critère différent ayant trait à la question de savoir si le renvoi du revendicateur peut ou non l'exposer personnellement aux risques et menaces mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi.

[18]            Toutefois, dans le cas qui nous occupe, comme il a déjà été mentionné, la Commission a conclu que la situation personnelle des demandeurs ne correspondait pas au profil décrit dans la preuve objective.

[19]            Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Aucune question grave de portée générale n'a été proposée à la certification par l'avocat et aucune ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                   « Luc Martineau »                    

                                                                                                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

                                                                                                           


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                     IMM-1559-04

INTITULÉ :                                    THURAIVEERASINGAM KANDIAH et AUTRES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :            LE 2 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                   LE JUGE MARTINEAU

DATE DE L'ORDONNANCE : LE 7 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Micheal Crane                                  POUR LES DEMANDEURS       

Stephen Jarvis                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane                                  POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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