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Date : 20050202

Dossier : IMM-1286-04

Référence : 2005 CF 164

Toronto (Ontario), le 2 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                        SYED SIBTE ALI NAQVI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, aux termes de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 20 novembre 2003, dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi.

[2]                Le demandeur, âgé de 32 ans, est un citoyen pakistanais d'obédience chiite. Il allègue craindre avec raison d'être persécuté par un groupe de musulmans sunnites intégristes (le Anjuman-e-Sipah-i-Sahaba Pakistan ou ASSP) opposés aux musulmans chiites, du fait qu'il est un Mohajir et qu'il appartient à la confession chiite. Le 9 mai 2002, le demandeur est entré au Canada et a demandé l'asile.

[3]                Au soutien de sa demande d'asile, le demandeur fait valoir qu'il vient d'une famille chiite connue qui descend du prophète Mahomet. Le demandeur prétend qu'en 1987, il a joint les rangs de la All Pakistan Mohajir Student Organization (APMSO), puis, en 1988, du Mohajir Quami Movement (MQM), afin de s'attaquer aux problèmes de discrimination que subissent les chiites de sa collectivité. Il ajoute toutefois qu'à la suite de la scission du MQM en deux groupes qui se sont ensuite livrés à des actes de violence entre eux, il a cessé ses activités au sein du MQM en 1992, tout en continuant à aider les chiites. Ses activités à titre de bénévole consistaient principalement à [traduction] « obtenir la permission du gouvernement pour nos émissions religieuses » et à [traduction] « enregistrer sur bandes vidéos » l'enseignement d'érudits religieux.

[4]                Le demandeur affirme que deux personnes l'ont attaqué durant la nuit du 8 décembre 1992. Il précise que ses agresseurs étaient des membres du Sipah-e Sahaba Pakistan (le SSP), un groupe sunnite extrémiste, et qu'ils ont tenté de l'enlever. Toutefois, le cousin du demandeur et un voisin ont réussi à lui porter secours avant qu'il ne soit trop tard. Le lendemain, le demandeur a porté plainte contre le ASSP et a demandé qu'on le protège, mais sans succès. Il allègue qu'à compter de ce jour, il a reçu de nombreuses menaces de mort et que le mois suivant, le Allied Picture Studio, où il copiait ses vidéos, a été réduit en cendres. Il affirme avoir quitté le Pakistan pour Bangkok durant la troisième semaine de décembre 1992 et avoir plus tard quitté Bangkok en direction des État-Unis, où il est arrivé le 16 juillet 1993 et où il a présenté une demande d'asile. Cette demande a été rejetée. En 1996, le demandeur a demandé un visa d'immigrant pour le Canada, qui lui a été refusé. Le 9 mai 2002, il est arrivé au Canada et a présenté une demande d'asile. Sa demande d'asile a été rejetée.


[5]                La Commission a conclu, en substance, que le demandeur n'a pas établi de façon crédible ou digne de foi qu'il est un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger, que l'État pourrait lui accorder une protection adéquate s'il retournait au Pakistan et que la situation a changé depuis son départ du Pakistan. La Commission a jugé que la preuve du demandeur était émaillée d'importantes incohérences, omissions, contradictions et invraisemblances. De plus, la Commission a conclu que la crainte de persécution alléguée par le demandeur ne trouvait pas appui dans la preuve documentaire objective et que le demandeur n'avait pas présenté une preuve claire et convaincante du fait qu'il ne pourrait compter sur la protection de l'État s'il retournait au Pakistan.

[6]                Le demandeur ne m'a pas convaincu que les conclusions de la Commission sont abusives ou arbitraires ou que la Commission a omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents ou a autrement agi de manière manifestement déraisonnable. Dans l'ensemble, je suis d'avis que les conclusions de la Commission sont étayées par la preuve et que la Commission pouvait raisonnablement conclure comme elle l'a fait.


[7]                Le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur comportait de nombreuses incohérences, omissions ou invraisemblances au sujet de l'identité des prétendus agents persécuteurs impliqués dans l'incident du 8 décembre 1992 et du voyage du demandeur vers le Canada, et en ce qu'il ne comportait aucune allégation de crainte à l'égard du MQM. Plus particulièrement, le demandeur n'avait aucune connaissance du fait que ses agresseurs étaient bien des membres du ASSP. Ses prétentions s'appuyaient donc sur de simples hypothèses. De plus, la Commission a conclu à juste titre que la preuve relative aux déplacements du demandeur est contradictoire et déconcertante. La Commission a relevé de nombreuses incohérences quant aux dates indiquées par le demandeur concernant son départ du Pakistan et son arrivée en Amérique. À ce sujet, le demandeur a inscrit dans sa demande d'asile aux autorités américaines qu'il avait quitté le Pakistan vers le milieu ou la fin de novembre 1992, ce qui pourrait signifier qu'il n'était pas présent lors de l'incident du 8 décembre 1992. En outre, le demandeur a consigné dans son FRP qu'il avait travaillé à Karachi entre novembre 1991 et juin 1993, ce qui mène à la même déduction. De surcroît, le demandeur a omis dans son FRP toute mention de sa crainte d'être persécuté par le MQM. À vrai dire, il n'a signalé sa crainte du MQM qu'après que l'agent de protection des réfugiés lui eut expressément demandé s'il craignait qui que ce soit d'autre que le SSP, au Pakistan.

[8]                De plus, la preuve soumise par le demandeur au soutien de sa demande d'asile au Canada est totalement incompatible avec celle qu'il a présentée pour étayer sa demande d'asile aux États-Unis. De fait, sa demande d'asile aux État-Unis n'est même pas fondée sur des motifs d'ordre religieux. Le demandeur n'y a pas mentionné qu'il était un adepte chiite, mais a seulement allégué craindre d'être persécuté du fait de ses opinions politiques au sujet du MQM et des autorités pakistanaises, un motif qu'il a par ailleurs omis de faire valoir dans le cadre de sa présente demande devant la Commission.

[9]                À mon avis, la Commission a offert au demandeur plusieurs occasions de modifier son récit et de transmettre toute l'information relative à sa demande d'asile, mais le demandeur a été incapable de fournir quelque explication satisfaisante que ce soit. Par conséquent, la Commission pouvait valablement conclure que le demandeur n'avait pas présenté une preuve crédible ou digne de foi au soutien de sa demande d'asile et n'avait pas satisfait à son fardeau de prouver qu'il craignait avec raison d'être persécuté s'il retournait au Pakistan.

[10]            Je souligne, en outre, que le manque de crédibilité d'un demandeur est susceptible d'influer sur la valeur probante accordée à la preuve documentaire et peut permettre à la Commission, dans les circonstances appropriées, de faire abstraction de cette preuve. Le statut de réfugié n'existe pas dans l'abstrait, et le demandeur doit démontrer de manière crédible que les agents de persécution s'en prennent à lui personnellement (Songue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1020 (C.F. 1re inst.) (QL); Hossain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 160 (C.F. 1re inst.) (QL); Nasim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1199, [2003] A.C.F. no 1624 (C.F. 1re inst.) (QL); Waheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 329, [2003] A.C.F. no 466 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[11]            Je ne vois pas non plus de motif d'infirmer la conclusion de la Commission selon laquelle il n'existe pas une possibilité sérieuse que le demandeur soit exposé au risque de subir quelque préjudice grave au Pakistan comme il le soutient. Ainsi, le demandeur n'a présenté à la Commission aucun élément de preuve digne de foi qui le distinguerait des 27 millions de citoyens d'obédience chiite du Pakistan de façon à établir qu'il était personnellement visé par le SSP. À ce sujet, la Commission a conclu que le demandeur ne fait pas l'objet de persécution, puisqu'il est un professionnel modeste qui a offert des services bénévoles limités à la collectivité chiite, il y a de cela plus de dix ans, et qu'il n'a occupé aucune position en vue au sein de cette collectivité.

[12]            En conclusion, la Commission a tenu compte de toute la preuve dont elle était saisie avant de rendre sa décision et a conclu, notamment, que le demandeur n'a pas présenté une preuve crédible ou digne de foi suffisante pour étayer sa demande d'asile ou qu'il ne serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Ces conclusions de fait, auxquelles la Commission pouvait raisonnablement arriver, sont déterminantes et suffisent pour trancher la demande d'asile en l'espèce. Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'examiner si la Commission a commis une erreur en concluant également que l'État est en mesure d'offrir une protection adéquate au demandeur s'il retourne au Pakistan. Les parties n'ont soulevé aucune question de portée générale, et aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                                                                _ Luc Martineau _               

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-1286-04

INTITULÉ :                                              SYED SIBTE ALI NAQVI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 1ER FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                             LE 2 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

MAK SULTAN                                                                        POUR LE DEMANDEUR

MARGHARITA BRACCIO                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MAK SULTAN                                                                        POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

JOHN H. SIMS, C.R.                                                               POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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