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                                                                                                                                 Date : 20050725

                                                                                                                    Dossier : IMM-8350-04

                                                                                                                Référence : 2005 CF 1023

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                  CALLISTUS CHUMA EZEMBA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Le demandeur, Callistus Chuma Ezemba, sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 8 septembre 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a estimé qu'il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) et qu'il n'était donc pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


[2]                Le demandeur cherche à faire annuler la décision de la Commission et à faire renvoyer l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il tienne une nouvelle audience et rende une nouvelle décision.

LE CONTEXTE FACTUEL

[3]                Le demandeur est un citoyen du Nigéria. Il militerait au sein du Delta Youth Forum, un organisme qui lutte contre la pollution et les dommages causés à l'environnement par les sociétés pétrolières dans la région de l'État du Delta. Il craint d'être persécuté par les dirigeants des pétrolières et par les autorités gouvernementales à cause des ses activités politiques.

[4]                Sa mère a été tuée le 17 février 2000 par des hommes fortement armés qui cherchaient le demandeur et qui s'étaient présentés au domicile familial. Il affirme que ces hommes avaient été envoyés par des sociétés pétrolières. Après l'incident, il est retourné à l'université, où il a découvert qu'il était recherché par la police. Ses amis lui ont conseillé de quitter le pays. Ils lui ont demandé des photographies et lui ont fait signer une feuille en blanc. Ils lui ont ensuite remis un passeport qui portait un autre nom, celui d'Emeka Ike Emah, et ils l'ont aidé à fuir le pays. Il est arrivé au Canada le 20 mai 2001.

[5]                Le demandeur affirmait craindre d'être persécuté du fait de ses opinions politiques. Sa demande d'asile a été entendue le 5 août 2004. La Commission a rendu une décision défavorable le 8 septembre 2004. L'autorisation d'introduire la présente demande de contrôle judiciaire a été accordée le 10 février 2005.


LA DÉCISION CONTESTÉE

[6]                Le demandeur a revendiqué la protection prévue à l'article 96 et au paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[7]                Outre le témoignage du demandeur, la Commission disposait des éléments de preuve suivants : le formulaire de renseignements personnels du demandeur (le FRP), les notes prises au point d'entrée, le certificat général d'éducation du demandeur, son certificat d'éducation du Nigéria, son faux passeport, ainsi que des documents sur la situation qui règne au Nigéria.

[8]                La Commission a conclu que le demandeur avait une PRI à Lagos ou à Abuja et elle a par conséquent rejeté sa demande. Se fondant sur l'arrêt Kanagaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 75 (C.A.F.) (QL), la Commission « n'a pas tiré de conclusion au sujet de [la] crédibilité [du demandeur] ou de la crédibilité de ses allégations concernant ses activités dans le Delta du Niger, ni au sujet du bien-fondé de sa crainte de persécution ou de la gravité du préjudice qu'il craint dans l'État du Delta » .

[9]                La Commission a précisé qu'elle appliquait le critère à deux volets énoncé dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), en ce qui concerne les conclusions relatives à la PRI :

1)         Y a-t-il une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans les endroits suggérés comme PRI?


2)         Compte tenu des circonstances, serait-il indûment pénible pour le demandeur d'aller s'établir à l'endroit suggéré comme PRI?

[10]            En ce qui concerne le premier volet du critère, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu'aucune autorité, de quelque nature qu'elle soit, ni aucun service de police ou dirigeant d'une société pétrolière ne s'intéressait actuellement à lui et qu'il ne serait pas repéré ou recherché dans l'un ou l'autre des endroits suggérés comme PRI. Quant aux autres problèmes auxquels il pourrait faire face, le demandeur pourrait se réclamer de la même protection de l'État que celle qui est offerte à tous les citoyens de Lagos ou d'Abuja. De plus, la Commission n'a accordé aucune valeur à l'argument du demandeur suivant lequel sa famille vivait dans la clandestinité à Seme, dans l'État de Lagos, étant donné qu'il n'avait produit aucune preuve crédible et digne de foi pour étayer cette affirmation.


[11]            Au sujet du second volet du critère, la Commission a conclu que le demandeur était un jeune homme en bonne santé qui compte douze années de formation post-secondaire et qui est membre de la tribu Igbo, l'un des plus grands groupes ethniques du Nigéria. La Commission a estimé que le fait qu'il s'était établi au Canada où il habite depuis septembre 2001 témoignait de son esprit d'initiative, de son ingéniosité et de sa souplesse. La Commission a fait remarquer qu'il ne saurait être suffisant pour un demandeur de dire qu'il n'y a pas d'amis ou de parents, ou qu'il risque de ne pas y trouver un emploi qui lui convienne à l'endroit suggéré comme PRI. Elle a déclaré ce qui suit : « Le fait qu'un demandeur puisse avoir au Canada une meilleure vie sur les plans physique, financier et émotif que dans un endroit sûr dans son propre pays n'est pas un facteur dont il faut tenir compte » . La Commission a par conséquent conclu qu'il ne serait pas indûment pénible pour le demandeur d'aller s'établir à l'endroit suggéré comme PRI.

[12]            Sur le fondement de ces éléments, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas démontré qu'il existait des motifs sérieux de croire qu'il est une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

LA QUESTION EN LITIGE

[13]            La question litigieuse soulevée en l'espèce est la suivante : la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur au Nigéria?

LA NORME DE CONTRÔLE

[14]            La norme de contrôle appropriée lorsqu'il s'agit des conclusions de fait tirées par la Commission au sujet d'une PRI est celle de la décision manifestement déraisonnable : Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 361 (QL); Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 673; [2003] A.C.F. no 878, en ligne : QL; Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 999; [2003] A.C.F. no 1263 (QL). La question de savoir si la Commission a bien appliqué ce critère en concluant qu'il existait une PRI est une question de droit à laquelle la norme applicable est celle de la décision correcte.


[15]            Il est de jurisprudence constante qu'en tant que tribunal spécialisé, la Commission a pleine compétence pour apprécier la crédibilité des témoignages. Dans la mesure où les conclusions tirées par la Commission ne sont pas déraisonnables au point de justifier une intervention, elles sont à l'abri du contrôle judiciaire (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL); R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116; [2003] A.C.F. no 162 (QL)).

ANALYSE

1)         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur au Nigéria?

[16]            Le concept de la PRI est inhérent à la définition de réfugié au sens de la Convention. Comme le réfugié au sens de la Convention doit provenir d'un pays et non d'une sous-région d'un pays, le demandeur d'asile qui dispose d'une PRI ne peut se voir reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention. S'il leur est possible de chercher refuge dans leur propre pays, il n'y a aucune raison de conclure que les demandeurs d'asile ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays (Rasaratnam, précité).

[17]            C'est au demandeur d'asile qu'il incombe d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque d'être persécuté partout dans son pays (Karthikesu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 772 (QL)).


[18]            Le critère applicable pour déterminer s'il existe une PRI a été énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Rasaratnam, précité, et a été repris dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589. Dans l'arrêt Rasaratnam, précité, le juge Mahoney écrit ce qui suit :

À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge. [Non souligné dans l'original.]

[19]            En ce qui concerne le second volet du critère, il est de jurisprudence constante que, pour qu'une PRI soit jugée déraisonnable, il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un demandeur d'asile tentant de se déplacer ou de se relocaliser temporairement en lieu sûr (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164) (C.A.). De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions.

[20]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il avait une PRI au Nigéria :

1.          en ne tirant pas de conclusions claires au sujet des éléments de preuve qu'elle retenait et de ceux qu'elle écartait;

2.          en ne motivant pas sa conclusion que le demandeur ne serait pas persécuté à Lagos ou à Abuja;


3.         en écartant certains éléments de preuve documentaire et en les utilisant de façon sélective ainsi qu'en ne tenant pas compte des circonstances particulières du demandeur pour examiner les lieux possibles de refuge intérieur.

Je vais traiter à tour de rôle chacun des points soulevés par le demandeur.         

[21]            Le demandeur fait valoir que la Commission doit tirer des conclusions claires au sujet des éléments de preuve qu'elle accepte et de ceux qu'elle rejette (Rahman c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 525 (QL), et Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 497 (QL)). Il explique que la Commission a choisi de ne pas aborder la question de sa crédibilité mais qu'elle a discrédité son témoignage dans son analyse de la PRI en déclarant qu'il n'avait produit aucune preuve documentaire corroborante concernant ses activités et son profil au sein de l'organisation en question. Le demandeur soutient que le témoignage d'un demandeur d'asile n'a pas à être corroboré. À moins que la Commission n'ait des raisons valables de mettre en doute la crédibilité du demandeur d'asile, c'est une erreur d'exiger des éléments de preuve corroborants pour ajouter foi au témoignage du demandeur d'asile.


[22]            À mon avis, si la Commission n'est pas légalement tenue de se demander si le demandeur d'asile était persécuté dans sa région d'origine avant de se demander s'il existait une PRI ailleurs dans le pays, a fortiori, la Commission n'est pas obligée d'apprécier la crédibilité des éléments de preuve portant sur l'existence d'une persécution dans la région d'origine. Il était donc loisible à la Commission, comme elle l'a fait, d'examiner les éléments de preuve portant sur la PRI et d'en apprécier la crédibilité. La question de savoir si elle a commis une erreur dans le traitement de ces éléments de preuve est une autre question.

[23]            En ce qui concerne le premier volet du critère de la PRI, le demandeur affirme que la Commission n'a pas expliqué pourquoi elle concluait que le demandeur ne serait pas persécuté à Lagos ou à Abuja. La Commission n'a pas analysé la situation qui existe dans ces États et elle n'a invoqué aucun élément de preuve - documentaire ou autre - pour démontrer que le demandeur serait en sécurité dans ces deux régions, contrairement à ce que notre Cour a établi dans la décision Rabbani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 47 (QL), au sujet de la façon de tirer des conclusions en matière de PRI. Le demandeur ajoute que la Commission n'a pas tenu compte de la décision de la Cour dans l'affaire Thirunavukkarasu, précitée, comme le démontre le fait qu'elle n'a pas analysé la situation locale et qu'elle ne s'est pas demandée si le choix de Lagos ou d'Abuja constituait pour le demandeur une option réaliste et abordable. Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission est arbitraire en ce que la Commission n'a pas procédé à l'analyse exigée par la loi.


[24]            Le demandeur affirmait craindre d'être persécuté par les autorités du fait de ses opinions politiques. Or, la Commission n'a tiré aucune conclusion au sujet de la crédibilité des prétentions du demandeur pour ce qui est de la région de l'État du Delta, au Nigéria. Il n'est par ailleurs pas contesté que la police de l'État est un des agents de persécution en l'espèce. La Commission a cependant conclu dans les termes les plus nets, selon la prépondérance des probabilités, qu'aucune autorité, de quelque nature qu'elle soit, ni aucun service de police ou dirigeant d'une société pétrolière ne s'intéressait actuellement au demandeur et que ce dernier ne serait pas repéré ou recherché dans l'un ou l'autre des endroits suggérés comme PRI, en l'occurrence à Lagos ou à Abuja. La Commission a longuement motivé cette conclusion en expliquant notamment ce qui suit :

1.          Le demandeur fréquentait l'université d'Enugu, de sorte qu'il ne participait qu'à des activités politiques locales et ce, uniquement les week-ends;

2.          Il n'a jamais été arrêté ni officiellement accusé de quelque infraction que ce soit;

3.          Il n'a produit aucune preuve documentaire corroborante concernant ses activités et son profil au sein de l'organisation et ce, malgré le fait que la Commission avait expressément réclamé avant l'audience des renseignements au sujet du Delta Youth Forum;

4.          Il n'y a aucune preuve que la police s'intéresse à lui;

5.          Il a témoigné qu'il « soupçonne » tout simplement que la police s'intéresse encore à lui;

6.          Il a quitté l'État du Delta, tout comme sa famille, en février 2000. Depuis plus de quatre ans, il n'est pas retourné dans cette région, où il était actif.


[25]            Vu l'ensemble de la preuve, je suis d'avis qu'il était loisible à la Commission de conclure que les autorités ne s'intéressaient pas au demandeur et qu'il ne serait pas pourchassé à Lagos ou à Abuja. Il n'appartient pas à la Cour d'apprécier à nouveau la preuve. Il ressort de l'arrêt Thirunavukkarasu, précité, de la Cour d'appel fédérale que, s'il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs d'asile sont tenus de s'en prévaloir. C'est au demandeur d'asile qu'il incombe de démontrer qu'il s'expose à un risque sérieux d'être persécuté dans l'un ou l'autre des endroits suggérés comme PRI. La preuve ne permet pas de penser que le rôle que la police joue auprès des sociétés pétrolières s'étend au-delà du delta du Niger. Le demandeur n'a fourni aucun élément de preuve convaincant à l'appui de son affirmation qu'il serait persécuté à Lagos ou à Abuja, ni d'ailleurs à d'autres endroits au Nigéria.

[26]            Le demandeur soutient qu'on ne trouve dans la décision de la Commission aucune analyse de la situation qui règne dans les endroits suggérés comme PRF. À l'appui de cet argument, le demandeur invoque la décision Rabbani, précité, dans lequel le juge Marc Noël écrit : « La conclusion quant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur exige plus que la simple identification d'une région approximative où l'agent de persécution est présumé exercer le contrôle et plus qu'une conclusion générale indiquant que le requérant est libre de s'enfuir ailleurs. Il faut identifier un lieu géographique précis où la situation est telle que ce lieu puisse constituer un asile sûr réalistement accessible. En retour, il faut discuter de la situation qui existe dans ce lieu identifié. » Dans cette affaire, la preuve démontrait que le contrôle sur les régions indiquées à la Commission passait d'un protagoniste à l'autre de sorte que la Commission n'avait pas mis le doigt sur un lieu précis. Les faits de la présente affaire sont différents. Les problèmes du demandeur sont nettement associés à l'État du Delta. La région géographique en litige est donc nettement précisée. La Commission a implicitement reconnu ce fait dans ses motifs.


[27]            La Commission a toutefois conclu que la preuve ne justifiait pas la prétention du demandeur qu'il serait recherché par les autorités ailleurs au Nigéria, et en particulier à Lagos et à Abuja. Ainsi qu'il a déjà été dit, la preuve permettait à la Commission de tirer cette conclusion.

[28]            J'accepte l'argument du demandeur suivant lequel la Commission n'a pas mentionné Abuja à l'audience à titre d'éventuel endroit suggéré comme PRI. Le défendeur ne conteste pas cette affirmation. Je reconnais aussi qu'à l'audience, Lagos n'a été évoquée que brièvement par la Commission à titre d'éventuelle PRI. Le demandeur avait toutefois été avisé que la question de la PRI serait débattue à l'audience, ainsi qu'il ressort nettement des documents préalables à l'audience qui lui avaient été remis. À mon avis, le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau qui lui incombait au sujet du premier volet du critère relatif à la PRI. Il n'a pas démontré qu'il risquait sérieusement d'être persécuté dans l'un ou l'autre des endroits suggérés comme PRI. La Commission n'a par conséquent commis aucune erreur susceptible de révision dans la façon dont elle a traité la preuve et dans celle dont elle a appliqué le premier volet du critère relatif à la PRI.

[29]            En ce qui concerne le second volet du critère, j'estime que le demandeur voudrait que la Cour apprécie à nouveau la preuve. Le témoignage que le demandeur a donné pour démontrer qu'il lui serait indûment pénible d'aller s'établir à un des endroits suggérés comme PRI reposait entièrement sur les difficultés financières et émotives que ce déménagement lui causerait. La Commission a souligné, à juste titre, que ces difficultés ne satisfaisaient pas au critère juridique à remplir pour démontrer que la réinstallation serait indûment pénible (Ranganathan, précité).


[30]            En fait, dans l'arrêt Ranganathan, précité, la Cour a expliqué, comme nous l'avons déjà dit, qu'il fallait placer la barre très haute lorsqu'il s'agissait de déterminer ce qui est déraisonnable :

[...] Il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions. L'absence de parents à l'endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d'autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d'un emploi ou d'une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d'une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d'une personne.

[31]            Dans le cas qui nous occupe, lorsque la Commission lui a demandé s'il pouvait s'établir ailleurs au Nigéria, le demandeur a répondu qu'il lui serait bien difficile de le faire parce qu'il n'a ni emploi ni argent et aucun moyen de s'établir dans une nouvelle région. Ce sont précisément les facteurs envisagés par le principe posé par la Cour dans l'arrêt Ranganathan, précité. La Commission n'a pas commis d'erreur en estimant qu'il ne serait pas indûment pénible pour le demandeur d'aller s'installer dans le lieu proposé comme PRI.


[32]            Enfin, le demandeur affirme que la Commission a procédé à un traitement sélectif de la preuve documentaire et qu'elle n'a pas tenu compte des circonstances particulières du cas du demandeur. Le demandeur fait notamment valoir que la Commission a déduit à tort d'un rapport récent du Département d'État des États-Unis sur la situation au Nigéria que le demandeur jouirait de la liberté de mouvement au Nigéria. Le demandeur affirme que la Commission n'a pas tenu compte du passage suivant de ce rapport du Département d'État qui traite expressément des faits de la présente affaire et qui en arrive à une conclusion opposée à celle qu'a tirée la Commission :

[TRADUCTION] Les sociétés pétrolières multinationales et les sociétés nationales productrices de pétroles ont recouru à la sous-traitance en dépêchant des policiers et des soldats provenant notamment des unités de la région pour protéger les installations pétrolières dans l'instable région du delta du Niger. Les forces de sécurité indépendantes et d'anciennes forces de sécurité sont responsables d'une partie des crimes violents commis au cours de l'année. Les policiers ont reçu l'ordre de recourir à la force meurtrière contre les personnes soupçonnées de crimes ou de vandalisme près des oléoducs dans la région du delta du Niger.

Je ne partage pas l'avis du demandeur. Le passage précité n'est pas incompatible avec la conclusion de la Commission. C'est un élément de preuve qui parle expressément de l'État du Delta et non des endroits suggérés comme PRI. À mon avis, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur jouissait d'une certaine liberté de mouvement au Nigéria. Le demandeur a d'ailleurs lui-même déclaré dans son témoignage qu'il pouvait sans trop de difficulté se déplacer d'une région du pays à l'autre. Même après l'incident au cours duquel sa mère a été agressée puis assassinée, le demandeur avait pu quitter l'État du Delta sans difficulté. Bien que le demandeur cite d'autres documents qui font état de troubles et de tensions entre les diverses factions et les autorités, ces rapports aussi se limitent essentiellement à l'État du Delta.


[33]            Il est admis qu'un tribunal administratif n'a pas à citer explicitement dans ses motifs tous les éléments de preuve documentaire dont il dispose au sujet de la situation du pays. La Cour suppose que la Commission a apprécié et examiné tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que ceux-ci concernent exclusivement le cas du demandeur ou suggèrent une conclusion différente de celle qu'a tirée la Commission (Osayande c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 368). Le contraire n'a pas été démontré en l'espèce. En conséquence, la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de révision dans la façon dont elle a traité la preuve documentaire.

CONCLUSION

[34]            Pour les motifs qui ont été exposés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[35]            Les parties ont eu l'occasion de soulever une question grave de portée générale au sens de l'alinéa 74d) de la LIPR et elles ne s'en sont pas prévalues. Je n'ai pas l'intention de certifier une question grave de portée générale.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 8 septembre 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée;

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »          

                                                                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-8350-04

INTITULÉ :                                                                CALLISTUS CHUMA EZEMBA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 11 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                               LE 25 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Odaro Omonuwa                                                          POUR LE DEMANDEUR

Sharlen Telles-Langdon                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Odaro Omonuwa                                                          POUR LE DEMANDEUR

557, avenue Ellice

Winnipeg (Manitoba) R3B 3C6

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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