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Date : 20050531

Dossier : IMM-6328-04

Référence : 2005 CF 784

Toronto (Ontario), le 31 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                        MIROSLAW PITROWSKI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Miroslaw Pitrowski est citoyen polonais. Il est également homosexuel. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa revendication du statut de réfugié, concluant que son récit de persécution en Pologne du fait de son orientation sexuelle n'était pas crédible. La Commission a également conclu, subsidiairement, que les homosexuels et les lesbiennes peuvent se prévaloir de la protection de l'État en Pologne et que M. Pitrowshi avait également une possibilité de refuge intérieur valable à Varsovie.


[2]                M. Pitrowski demande maintenant un contrôle judiciaire de la décision de la Commission, prétendant que la conclusion de la Commission relative à la crédibilité est sans fondement. Il prétend également que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il existe une possibilité de refuge intérieur et que la protection de l'État est offerte en Pologne aux homosexuels et aux lesbiennes, en examinant de manière sélective les renseignements relatifs aux conditions du pays. Chacun de ces arguments sera traité à son tour.

Est-ce que la Commission a fait une erreur en concluant que M. Pitrowski n'est pas crédible?

[3]                Bien que la Commission ait accepté que M. Pitrowski soit homosexuel, elle n'a pas accepté sa prétention d'avoir été persécuté en Pologne en raison de son orientation sexuelle. La conclusion de la Commission que son récit n'est pas crédible repose sur un certain nombre d'incohérences et d'invraisemblances dans le témoignage de M. Pitrowski, ainsi que d'incohérences entre son témoignage à son audience sur le statut de réfugié et les renseignements qu'il a donnés au point d'entrée et dans son formulaire de renseignements personnels (FRP).

[4]                Par exemple, M. Pitrowski allègue qu'en octobre 2000, il a été agressé et battu en raison de son orientation sexuelle. Dans son FRP, M. Pirowski dit qu'il y avait deux agresseurs, alors qu'à un moment donné dans son témoignage, M. Pirowski a déclaré qu'il y en avait trois. Plus tard, il a déclaré qu'il y avait cinq ou six agresseurs.


[5]                La commission a confronté M. Pitrowski à ces incohérences. M. Pitrowski a expliqué que cet incident avait eu sur lui un effet traumatique et qu'il avait essayé de l'oublier. La Commission n'a pas accepté cette explication et a conclu que cet incident n'avait pas eu lieu. Après avoir examiné la preuve, je suis convaincu que la Commission pouvait tirer cette conclusion et que celle-ci n'était pas manifestement déraisonnable.

[6]                De même, il n'y avait rien de déraisonnable dans la conclusion de la Commission que les coups que M. Pitrowski déclare avoir reçus en août 2001 ne sont pas non plus réels, compte tenu des incohérences dans la description qu'il donne de cet événement. M. Pitrowski a déclaré à un moment donné qu'à cette occasion, lui et ses amis ont été agressés et battus par 12 hommes. À une autre occasion, il dit qu'ils ont été menacés par deux hommes et trois femmes, mais pas battus.

[7]                Je suis aussi convaincu que la Commission a raisonnablement conclu qu'un incident s'étant, d'après M. Pitrowski, passé en mars 2002 était peu vraisemblable. M. Pitrowski prétend qu'alors que son partenaire et lui marchaient dans un parc plein de voyous une nuit, ils se sont arrêtés pour s'embrasser. Ils ont ensuite été agressés et battus par certains de ces voyous. La Commission a jugé peu vraisemblable qu'une personne alléguant avoir été battue auparavant en raison de son orientation sexuelle se mette dans une situation aussi dangereuse.

[8]                M. Pitrowski allègue que dans ce cas, la Commission _ blâmait en fait la victime _. Je ne suis pas d'accord. M. Pitrowski prétend avoir une crainte subjective d'être persécuté dans son pays natal du fait de son orientation sexuelle. Le comportement qu'il décrit est incompatible avec une telle crainte. À mon avis, la Commission pouvait raisonnablement inférer que cet aspect de l'histoire de M. Pitrowski n'était pas plausible.

[9]                Le récit de M. Pitrowski a été miné davantage par le fait qu'au point d'entrée, il a, selon ses dires, été menacé parce qu'il était homosexuel, mais n'a pas mentionné avoir été battu à plusieurs occasions. Je reconnais que le formulaire fourni aux demandeurs ne leur donne pas beaucoup d'espace pour raconter leur récit mais, à mon avis, cela n'explique pas les différences fondamentales entre les versions données par M. Pitrowski.

[10]            De même, les difficultés que M. Pitrowski dit avoir rencontrées avec l'interprète auquel il avait fait appel plus tôt dans la procédure n'expliquent pas les incohérences de son témoignage.

[11]            Finalement, la Commission a jugé que le fait que M. Pitrowski était arrivé au Canada plus de cinq mois avant de revendiquer le statut de réfugié était incompatible avec sa crainte subjective de persécution. Il est bien établi dans la jurisprudence que, bien qu'un retard dans la revendication ne soit pas déterminant, la Commission peut à juste titre tenir compte de ce facteur dans l'évaluation d'une demande : voir, par exemple, la décision Huerta c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 271 (C.A.F.).

[12]            Pour ces motifs, je suis convaincu qu'il n'y a pas de raison de modifier la décision de la Commission en ce qui concerne sa conclusion que M. Pitrowski n'était pas crédible.

[13]            Bien que l'on puisse prétendre que l'affaire s'arrête ainsi, M. Pitrowski allègue que, peu importe qu'il ait été persécuté ou non dans le passé, l'analyse du statut de réfugié est prospective. Étant donné que la Commission a accepté qu'il était homosexuel, M. Pitrowski dit qu'elle devait néanmoins établir la disponibilité de la protection de l'État et la possibilité d'un refuge intérieur et que, par conséquent, il faut également examiner les conclusions de la Commission à cet égard.

[14]            Bien qu'il n'ait pas utilisé cette expression, M. Pitrowski a, semble-t-il, soutenu essentiellement que son profil d'homosexuel est tel qu'il court des risques en Pologne, peu importe qu'il ait été persécuté ou pas dans le passé. Je vais par conséquent juger si la conclusion de la Commission relative à la protection de l'État peut résister à un examen minutieux.

Les conclusions de la Commission sur la question de protection de l'État sont-elles fondées sur un examen sélectif de la preuve?

[15]            D'après M. Pitrowski, la seule fois qu'il ait demandé l'aide de la police est survenue après l'agression d'octobre 2000. Il dit que la police a refusé de l'aider. Comme je l'ai noté plus haut, la Commission a conclu que cet incident ne s'est jamais produit.

[16]            Après avoir examiné la preuve documentaire qui lui a été présentée relativement aux conditions du pays en Pologne pour les homosexuels et les lesbiennes, la Commission a conclu que la Pologne est de plus en plus tolérante envers les homosexuels et les lesbiennes et que la police offre son aide aux victimes de violence.

[17]            M. Pitrowski affirme que la Commission a commis une erreur en concluant que les homosexuels et les lesbiennes peuvent se prévaloir de la protection de l'État en Pologne. À cet égard, il souligne un rapport de 2001 qui mentionne plusieurs incidents de dénigrement des homosexuels.

[18]            Il est bien établi qu'un tribunal n'a aucune obligation de mentionner tous les élément de preuve qui lui sont présentés : Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102. En l'espèce, la prépondérance accablante de la preuve devant la Commission soutient ses conclusions concernant la disponibilité de protection de l'État et je ne vois pas de raison de modifier les conclusions de la Commission à cet égard.

[19]            Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'examiner la possibilité de refuge intérieur.

Conclusion

[20]            Pour ces motifs, la demande est rejetée.


Certification

[21]            Aucune des parties n'a proposé de question aux fins de la certification, et aucune n'est en cause ici.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                                  _ A. Mactavish _                

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6328-04

INTITULÉ :                                                    MIROSLAW PITROWSKI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 31 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                   LE 31 MAI 2005

COMPARUTIONS :

David Yerzy                                                      POUR LE DEMANDEUR

Alexandre Tavadian                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Yerzy                                                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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