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2002 CFPI 918

T-551-99

Ragdoll Productions (UK) Limited et The Itsy Bitsy Entertainment Company et The Itsy Bitsy Entertainment Company (Canada), Inc. (demanderesses)

c.

M. Untel et Mme Unetelle et les autres personnes dont le nom est inconnu qui offrent en vente, vendent, importent, fabriquent, distribuent, annoncent ou font le commerce de marchandises Teletubbies non autorisées ou contrefaites, ainsi que les personnes énumérées à l'annexe « A » des présentes (défendeurs)

T-823-99

Nintendo of America Inc. et Nintendo of Canada Ltd. (demanderesses)

c.

M. Untel et Mme Unetelle et les autres personnes dont le nom est inconnu qui offrent en vente, vendent, importent, fabriquent, distribuent, annoncent ou font le commerce de marchandises Pokémon non autorisées ou contrefaites, ainsi que les personnes énumérées à l'annexe « A » de la déclaration (défendeurs)

T-1058-98

The Walt Disney Company (Canada) Limited et Disney Enterprises, Inc. (demanderesses)

c.

M. Untel et Mme Unetelle et les autres personnes dont le nom est inconnu qui offrent en vente, vendent, importent, fabriquent, distribuent, annoncent ou font le commerce de marchandises Disney non autorisées ou contrefaites, ainsi que les personnes énuméré es à l'annexe « A » de la déclaration (défendeurs)

Répertorié: Ragdoll Productions (UK) Ltd. c. Personnes inconnues (1re inst.)

Section de première instance, juge Pelletier--Toronto, 25 juin 2001; Ottawa, 28 août 2002.

Pratique -- Jugements et ordonnances -- Jugement par défaut -- Dans des requêtes en jugement par défaut, les demanderesses ont invoqué l'omission de contester la réclamation comme s'il s'agissait d'un aveu de responsabilité -- La déclaration en ce sens faite dans Viacom Ha! c. Jane Doe était fondée sur une mauvaise compréhension des Règles de la Cour fédérale (1998) -- Selon la règle 184, les allégations de fait contenues dans un acte de procédure qui ne sont pas admises sont réputées être niées -- Les demanderesses ne pouvait s'appuyer sur la seule existence d'un défaut pour contester une réclamation -- Elles devaient convaincre le juge selon la probabilité la plus forte qu'il y a eu contrefaçon -- Elles étaient autorisées à se fonder sur une ordonnance résultant d'un examen touchant l'exécution d'ordonnances Anton Piller pour établir la contrefaçon -- Les défendeurs n'ayant pas produit d'éléments de preuve en défense, les requêtes ont été accueillies.

Marques de commerce -- Contrefaçon -- Requêtes en jugement par défaut -- Les marchandises des défendeurs, saisies en vertu d'ordonnances Anton Piller renouvelables, porteraient atteinte aux marques de commerce et aux droits d'auteur des demanderesses -- Les défendeurs ont contesté la requête pour cause d'insuffisance de la preuve des demanderesses, mais n'ont eux-mêmes produit aucune preuve -- La preuve de la contrefaçon se trouvait dans l'affidavit de l'avocat des demanderesses et l'affidavit d'un employé des avocats des demanderesses -- Pour prouver la contrefaçon de façon adéquate, il faut convaincre la Cour de l'existence de la contrefaçon selon la probabilité la plus forte -- L'application de la norme relative à la nature de la preuve exigée pour établir la contrefaçon lors de l'audition de la requête en révision a été énoncée dans la décision Tommy Hilfiger Licensing, Inc. c. Jane Doe (C.F. 1re inst.) -- Les demanderesses ayant le droit d'invoquer l'ordonnance de révision, il appartenait aux défendeurs d'établir une défense sur le fond -- La contrefaçon des marques de commerce a été prouvée -- En l'absence d'une preuve permettant de rejeter la conclusion de contrefaçon inhérente à l'ordonnance de révision, les défendeurs étaient liés par cette conclusion -- Les demanderesses avaient droit à la réparation demandée.

Dommages-intérêts -- Non-compensatoires -- Symboliques -- 1) La saisie, par les demanderesses, des marchandises des défendeurs en application d'ordonnances Anton Piller renouvelables et le prononcé d'une injonction interdisant le commerce de marchandises contrefaites étaient-ils incompatibles avec la demande de dommages-intérêts et emportaient-ils le choix d'une réparation? -- Les dispositions législatives touchant les droits d'auteur et marques de commerce prévoient la possibilité d'obtenir les deux réparations -- Rien dans la jurisprudence n'empêche les demanderesses de demander les deux réparations -- 2) Les demanderesses ont réclamé des dommages-intérêts conformément au barème appliqué par la Cour -- Lorsqu'un dommage est subi, mais que rien n'établit le montant de la perte, il arrive que des dommages-intérêts symboliques soient accordés -- Une fois la contrefaçon et le préjudice établis, les demanderesses avaient droit à une évaluation optimale des dommages-intérêts par la Cour sans devoir se contenter de dommages-intérêts symboliques -- L'emploi de l'expression « dommages-intérêts symboliques minimums » est malheureux et trompeur -- Le montant des dommages-intérêts, lorsqu'il y a cumul, n'est ni « symbolique » ni « minimum » .

Pratique -- Communication de documents et interrogatoire préalable -- Ordonnances Anton Piller -- Ordonnances Anton Piller renouvelables exécutées en faveur des demanderesses -- Les défendeurs n'ont pas contesté la légalité de l'exécution des ordonnances lors de l'audience en révision -- Les demanderesses ont demandé des jugements par défaut -- L'ordonnance de révision est une décision judiciaire constatant la contrefaçon -- Faute de preuve contraire, ce constat est probant -- Il appartenait aux défendeurs d'établir une défense sur le fond -- Comme les défendeurs n'ont produit aucune preuve, les requêtes ont été accueillies.

Il s'agit de requêtes en jugement par défaut présentées pour le compte de trois groupes distincts de demanderesses. En octobre 1999, trois ordonnances Anton Piller renouvelables ont été exécutées en faveur des demanderesses. Les représentants de ces dernières ont identifié et saisi un certain nombre de biens qui, selon eux, portaient atteinte aux marques de commerce et aux droits d'auteur des demanderesses. Lors de la révision de l'exécution des ordonnances, la Cour a rendu interlocutoire l'injonction provisoire interdisant aux défendeurs de faire le commerce de biens contrefaits. Les défendeurs n'ont pas comparu lors de la requête en révision. Une requête en jugement par défaut a été présentée pour le compte de chacune des demanderesses. Les défendeurs ont contesté le droit des demanderesses à la réparation demandée en produisant un dossier en réponse au dossier de la requête, mais ils n'ont ni produit un affidavit quant au fond, ni présenté une défense ni demandé un délai supplémentaire pour présenter une défense. Voici les questions en litige: 1) les demanderesses ont-elles présenté une preuve satisfaisante de la contrefaçon? 2) les demanderesses pouvaient-elles réclamer des dommages-intérêts après avoir saisi les biens des défendeurs conformément à une ordonnance Anton Piller? et 3) les demanderesses pouvaient-elles, sans prouver l'existence d'un véritable préjudice, demander des dommages-intérêts d'un montant arbitraire en les qualifiant de dommages-intérêts symboliques minimums?

Jugement: les requêtes doivent être accueillies.

1) La preuve de la contrefaçon consistait en l'affidavit de signification de l'un des avocats des demanderesses, auquel étaient joints le rapport de l'avocat énumérant les biens saisis, les observations de celui-ci ainsi que l'affidavit d'un employé des avocats des demanderesses. Ces dernières ont soutenu que l'aveu de responsabilité pouvant être déduit de l'omission de produire une défense leur permettait de s'acquitter du fardeau de la preuve. Cet argument se fondait sur une assertion tirée de la décision Viacom Ha! c. Unetelle, laquelle s'appuyait sur une interprétation erronée des Règles de la Cour fédérale (1998). Selon la règle 184(1), les allégations de fait contenues dans un acte de procédure qui ne sont pas admises sont réputées être niées. Par conséquent, en l'absence d'une défense, les allégations doivent toutes être tenues pour niées. Ainsi, le demandeur doit prouver par affidavit qu'il a droit à la réparation demandée. Les demanderesses ne peuvent avoir gain de cause du simple fait que les défendeurs ont omis de produire une défense. Le demandeur doit convaincre le juge, selon la probabilité la plus forte, qu'il a droit à la réparation demandé. Les ordonnances Anton Piller visent à protéger les documents et les éléments qui font l'objet d'une poursuite lorsqu'il y a une solide preuve prima facie de contrefaçon. Les personnes chargées de l'exécution de ces ordonnances ont l'expertise nécessaire pour identifier la marchandise contrefaite. Mais la Cour ne saurait s'en remettre à leurs seules assertions en ce qui concerne la contrefaçon. C'est pour cette raison que la Cour a précisé la nature de la preuve exigée pour établir la contrefaçon lors de la présentation de la requête en révision dans l'affaire Tommy Hilfiger Licensing, Inc. c. Jane Doe. Une norme de preuve ne devrait pas être moins stricte dans le cas d'une demande de jugement par défaut que dans celui d'une requête en révision où une preuve de contrefaçon vérifiable s'impose. Le critère est le suivant: après avoir examiné la preuve, le juge est-il convaincu, selon la probabilité la plus forte, qu'il y a eu contrefaçon? L'ordonnance de révision est une décision judiciaire constatant la contrefaçon et, faute de preuve contraire, ce constat est probant. La requête en jugement par défaut a été contestée, ce qui était inhabituel. Les défendeurs n'ont présenté aucun élément de preuve, mais se sont contentés de faire valoir l'insuffisance de la preuve des demanderesses. Comme ces dernières pouvaient invoquer l'ordonnance de révision, il appartenait aux défendeurs de présenter une défense sur le fond. En l'absence d'une preuve permettant de rejeter la conclusion de contrefaçon inhérente à l'ordonnance de révision, les défendeurs étaient liés par cette conclusion.

2) Les dispositions législatives en matière de droits d'auteur et de marques de commerce prévoient expressément la possibilité d'obtenir à la fois une injonction et des dommages-intérêts. Rien dans la jurisprudence citée n'étayait la conclusion voulant que le demandeur puisse demander soit une injonction, soit des dommages-intérêts, mais pas les deux. De plus, il n'existe aucune décision dans laquelle des dommages-intérêts ont été refusés parce qu'une injonction avait été accordée. Dans la mesure où l'octroi de l'injonction vise le préjudice ultérieur, rien n'empêche la réparation du préjudice antérieur. La thèse des demanderesses n'était ni injuste ni mal fondée.

3) Les demanderesses ont réclamé des dommages-intérêts en fonction du barème appliqué par la Cour (dommages-intérêts symboliques minimums). Les défendeurs ont soutenu que les sommes accordées n'avaient aucun lien avec la quantité ou la valeur des biens saisis. En l'absence de registres comptables, on ne peut se fier à la quantité de biens saisis pour établir l'ampleur de l'activité commerciale du défendeur. Les éléments de preuve justifiaient la conclusion de contrefaçon d'une marque de commerce. Une fois la contrefaçon et le préjudice établis, les demanderesses avaient droit à une évaluation optimale des dommages-intérêts par la Cour sans devoir nécessairement se contenter de dommages-intérêts symboliques. Le recours au barème des dommages-intérêts appliqué par la Cour au cours des dernières années serait injuste parce que le montant des dommages-intérêts adjugés contre les défendeurs ne tient pas compte des activités d'un défendeur en particulier. Faute de registres comptables détaillés, les demanderesses ne sauraient faire avec une précision mathématique la preuve des pertes qu'elles ont subies. Lorsque les pratiques commerciales du défendeur et son omission de produire une défense ont rendu impossible l'évaluation du préjudice, il est plus équitable pour le défendeur d'appliquer le barème établi que d'examiner chaque affaire comme si elle était unique en son genre et de fixer des dommages-intérêts sans se référer à des affaires similaires. L'emploi de l'expression « dommages-intérêts symboliques minimums » était, dans ce contexte, malheureux et trompeur. Le montant des dommages-intérêts, particulière-ment lorsqu'il y a cumul comme en l'espèce, ne peut raisonnablement être considéré comme « symbolique » , et encore moins comme « minimum » . Les demanderesses ont démontré qu'elles avaient droit à la réparation demandée.

lois et règlements

Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 , art. 34(1) (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20).

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 , art. 53.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 234).
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 184, 363.
Saskatchewan, Queen's Bench Rules (The), règle 156.

jurisprudence

décision appliquée:

Tommy Hilfiger Licensing, Inc. c. Unetelle (2000), 8 C.P.R. (4th) 194; 188 F.T.R. 68 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées:

Viacom Ha! c. Unetelle (2000), 199 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.); Chase Manhattan Corp. c. 3133559 Canada Inc., 2001 FCT 895; [2001] A.C.F. no 1626 (C.F. 1re inst.); Aluminum Co. of Canada Ltd. et al. c. Tisco Home Building Products (Ontario) Ltd. et al. (1977), 33 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.); Institut National des appellations d'origine des Vins et Eaux-de-Vie et al. v. Andres Wines Ltd. et al. and two other actions (1987), 60 O.R. (2d) 316; 40 D.L.R. (4th) 239; 41 C.C.L.T. 94; 14 C.I.P.R. 138; 16 C.P.R. (3d) 385 (H.C.); Société pour l'expansion des tissus fins c. Marimac, Inc. (1984), 78 C.P.R. (2d) 112 (C.S. Qué.).

décisions citées:

Oakley, Inc. c. Unetelle (2000), 8 C.P.R. (4th) 506; 193 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.); Montres Rolex S.A. c. Canada, [1988] 2 C.F. 39; (1987), 14 C.E.R. 309; 19 C.I.P.R. 294; 17 C.P.R. (3d) 507 (1re inst.); Cutter Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada, Ltd. et al. (1980), 47 C.P.R. (2d) 53 (C.A.F.); Institut national des appellations d'origine des vins et eaux-de-vie c. Andres Wines Ltd. (1990), 74 O.R. (2d) 203; 71 D.L.R. (4th) 575; 30 C.P.R. (3d) 279; 6 C.C.L.T. (2d) 117 (C.A.); British Columbia Automobile Assn. c. O.P.E.I.U., Local 378, [2001] 4 W.W.R. 95; (2001), 85 B.C.L.R. (3d) 302; 10 C.P.R. (4th) 423 (C.S. C.-B.); Rose et al. c. Fraternité interprovinciale des ouvriers en électricité (1984), 1 C.P.R. (3d) 34 (C.F. 1re inst.); Marc-Aurele c. Ducharme (1976), 34 C.P.R. (2d) 155 (C.F. 1re inst.).

doctrine

Dictionary of Canadian Law, 2e éd., Toronto, Carswell, 1995. « nominal damages » .

REQUÊTES en jugement par défaut présentées pour le compte de trois groupes distincts de demanderesses qui invoquent la contrefaçon de leurs marques de commerce et droits d'auteur. Requêtes accueillies.

ont comparu:

Lorne M. Lipkus et Thomas M. Slahta pour les demanderesses.

Susan D. Beaubien pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Kestenberg Siegal Lipkus, Toronto, pour les demanderesses.

Borden Ladner Gervais LLP, Ottawa, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Pelletier:

Les faits

[1]Le 10 octobre 1999, u ne équipe d'avocats et d'autres représentants a exécuté trois ordonnances Anton Piller renouvelables contre les défendeurs Knowing Collections Inc. et Tzym Yin Alice Wang. Les ordonnances avaient été rendues en faveur de The Walt Disney Company (Canada) Li mited et de Disney Enterprises Inc. (les demanderesses Disney), de Ragdoll Productions (UK) Limited, d'Itsy Bitsy Entertainment Company et de The Itsy Bitsy Entertainment Company (Canada) Limited (les demanderesses Ragdoll) ainsi que de Nintendo of America Inc. et de Nintendo of Canada Ltd. (les demanderesses Nintendo) (collectivement, les demanderesses). Les représentants des demanderesses ont identifié et saisi un certain nombre de biens qui, selon eux, portaient atteinte aux droits d'auteur et aux marque s de commerce des demanderesses. L'exécution des ordonnances a fait l'objet d'une révision le 25 octobre 1999, lorsqu'un juge de la Cour a rendu interlocutoire l'injonction provisoire interdisant aux défendeurs de faire le commerce de biens contrefaits et a ajouté les noms des défendeurs à l'annexe des défendeurs de la déclaration de chacune des demanderesses. Les défendeurs n'ont pas comparu lors de la requête en révision pour contester la légalité de l'exécution des ordonnances.

[2]En temps et lieu, chacune des demanderesses a présenté une requête en jugement par défaut. Les défendeurs en ont été informés et ont contesté par écrit le droit des demanderesses à la réparation demandée. Ils ont ainsi produit un dossier en réponse au dossier de l a requête en jugement par défaut des demanderesses. Les défendeurs n'ont ni produit d'affidavit quant au fond, ni présenté de défense ni demandé de délai supplémentaire pour présenter une défense. Les présents motifs s'appliqueront aux trois requêtes en ju gement par défaut étant donné que toutes les demanderesses ont fait valoir les mêmes arguments.

Questions en litige

[3]Les défendeurs ont soulevé les questions suivantes:

1) les demanderesses ont-elles établi l'existence d'une cause d'acti on en saisissant la Cour d'une preuve satisfaisante de la violation des droits qu'elles allèguent?

2) les demanderesses peuvent-elles réclamer des dommages-intérêts à titre de réparation après avoir saisi des marchandises conformément à une ordonnance Ant on Piller?

3) les demanderesses peuvent-elles, sans prouver l'existence d'un véritable préjudice, demander des dommages-intérêts d'un montant arbitraire en les qualifiant de dommages-intérêts symboliques minimums?

Arguments des parties

[4]En ce qui concerne la première question, la preuve de la contrefaçon consiste en l'affidavit de signification de Lorne Lipkus, l'un des avocats des demanderesses, auquel sont joints le rapport de l'avocat ainsi que ses observations. Le rapport de l'avocat, dont une partie est reproduite ci-après pour donner une idée du type de renseignements qu'on y retrouve, énumère les biens saisis chez les défendeurs.

NOMBRE D'OBJETS CONTREFAITS SAISIS:

[TÉLÉTUBBIES]    7 porte-clés
[DISNEY]         3 gadgets
[NINTENDO]         7 modèles en pièces détachées
[NINTENDO]         4 ensembles de jouets
[NINTENDO]         1 bouteille d'eau
[NINTENDO]         214 porte-clés avec figurines

[5]Somme toute, des 25 inscriptions, une seule se rattache aux demanderesses Ragdoll, une aux demanderesses Walt Disney et les autres aux demanderesses Nintendo.

[6]La preuve de la contrefaçon des biens est contenue dans les observations de l'avocat Lorne Lipkus. L'extrait suivant figure dans chacune des requêtes en juge ment par défaut:

[traduction] Lors de ma première rencontre avec la défenderesse, je lui ai demandé si le Pikachu en peluche était celui fabriqué par Nintendo. Elle a répondu que non. Elle a dit que les véritables, étiquetés comme tels, coûtaient plus che r. Elle a ajouté que ceux-ci coûtaient moins cher et qu'ils étaient fabriqués au même endroit que les vraies peluches Nintendo. Elle disposait d'importantes quantités de marchandises légitimement fabriquées sous licence.

Tel que le précise le rapport de l'avocat, j'ai confirmé que les biens saisis étaient contrefaits pour une ou plusieurs des raisons suivantes:

a) L'emballage n'était pas conforme aux exigences des demanderesses;

b) La qualité des produits était clairement inférieure à celle des produits authentiques;

c) L'identité du manufacturier, de l'importateur ou du licencié n'était pas indiquée;

d) la demanderesse ne fabrique pas l'objet en cause;

e) les peluches saisies ne portaient ni étiquette ni marque ni emballage conforme et, de plus, elles ne respectaient pas les dispositions en matière d'emballage selon lesquelles les matériaux de rembourrage employés doivent être des « Matériaux neufs seulement » .

[7]Les demanderesses ont ensuite déposé l'affidavit de Gary Osmond, un ancien membre de la GRC qui travaille maintenant pour les avocats des demanderesses. Son affidavit contient des copies de photos numériques des biens saisis et une liste des droits de propriété intellectue lle de chacune des demanderesses. Il précise ensuite ce qui suit:

[traduction] 8. J'ai examiné les photos numériques jointes à la pièce « A » . Je confirme par les photos digitales que les motifs et les logos des objets saisis ont été copiés ou reproduits de façon à semer la confusion en raison de leur similarité avec l'un ou plusieurs des droits de propriété intellectuelle des demanderesses, précisés dans le tableau ci-joint désigné comme étant la pièce « C » .

[8]En ce qui concerne les demanderesses Walt Disney, trois objets ont été saisis dans les locaux des défendeurs. La pièce A est une copie imprimée de la photo numérique d'une figurine Mickey Mouse. La pièce C renvoie aux droits des demanderesses Walt Disney découlant des enregistrements de droits d'auteur nos 419531, 419532 et R321298 et des enregistrements nos TMDA50760 et TMDA50892 de la marque de commerce Mickey Mouse. Le bien-fondé de la conclusion de contrefaçon ou de violation est énoncé comme suit:

[traduction] Les demanderesses exigent qu'un avis concernant le droit d'auteur soit apposé sur tous les produits vendus, sur la marchandise, l'emballage ou l'étiquette. Motif: Absence d'Untel avis sur les objets saisis--porte-clés.

[9]Des documents semblables sont fournis par chacune des demanderesses.


[10]Les défendeurs signalent que les demanderesses ont établi la liste des marques de commerce en cause, mais n'ont pas produit de copie de l'enregistrement des marques de commerce. Les marques de commerce étant employées en liaison avec les marchandises, les documents dont la Cour est saisie ne lui permettent pas de confirmer que les marchandises auxquelles les marques de commerce sont apposées sont celles pour lesquelles les demanderesses font valoir leur droit exclusif. De plus, aucune preuve n'établit que les objets saisis ne sont pas des marchandises d'occasion ou n'appartiennent pas au marché semi-clandestin. Les défendeurs prétendent que l'arrêt Tommy Hilfiger Licensing, Inc. c. Jane Doe (2000), 8 C.P.R. (4th) (C.F. 1re inst.) établit le critère à satisfaire pour prouver la contrefaçon et que la preuve présentée par les demanderesses ne respecte pas ce critère.

[11]Les demanderesses maintiennent que les défendeurs ne peuven t soulever la question de la responsabilité, car ils n'ont ni présenté de défense ni demandé l'autorisation d'en présenter une. L'omission de présenter une défense équivaut à un aveu de la véracité des allégations de la déclaration. Par ailleurs, les défen deurs ne peuvent omettre de prouver leur droit d'employer les marques de commerce, puis faire valoir que les demanderesses n'ont pas écarté les emplois légitimes possibles des marques de commerces.

[12]Les demanderesses prétendent que le cri tère établi dans l'arrêt Tommy Hilfiger , précité, ne s'applique qu'à la preuve exigée pour la révision de l'exécution d'une ordonnance Anton Piller. De toute manière, s'il est jugé que ce critère s'applique en l'espèce, l'affidavit de Gary Osmond y satisfa it.

[13]Selon les défendeurs, même si la contrefaçon est prouvée, les demanderesses n'ont pas droit à des dommages-intérêts. L'ordonnance Anton Piller englobe une injonction provisoire qui lie la personne à qui elle est signifiée à compter d e la signification. Pour qu'Unetelle injonction puisse être accordée, le demandeur doit établir que, à défaut de l'injonction, il subira un préjudice irréparable dont il ne pourra être indemnisé par des dommages-intérêts. Faute d'une preuve que l'injonctio n n'a pas été respectée, le seul préjudice qu'un demandeur pourrait alléguer serait celui subi avant l'exécution de l'ordonnance. Il est contradictoire de prétendre avoir droit à une injonction parce que l'octroi de dommages-intérêts ne saurait constituer une réparation adéquate puis, une fois l'injonction obtenue, de demander des dommages-intérêts.

[14]De plus, l'ordonnance Anton Piller renouvelable se justifie en pratique par le fait que les vendeurs ambulants échappent aux mesures d'exécut ion auxquelles recourent habituellement les tribunaux. Comme ces personnes ne peuvent être identifiées à l'avance, qu'elles n'exploitent pas leur entreprise dans des locaux fixes et que, si elles possèdent les actifs nécessaires pour payer des dommages-intérêts, il est impossible de les trouver parce qu'elles sont de passage ou qu'elles ont peu d'attaches à un lieu donné. L'ordonnance Anton Piller renouvelable ayant été obtenue sur le fondement de telles considérations, il est inopportun que les demanderess es prétendent ensuite avoir droit à des dommages-intérêts. Enfin, le montant qui est normalement accordé à titre de dommages- intérêts n'a rien à voir avec la perte subie par les demanderesses. Le montant ne varie pas en fonction des biens saisis. Ainsi, p ar exemple, les demanderesses Disney réclament des dommages-intérêts de 6 000 $ par suite de la saisie de trois porte-clés dont la valeur totale ne dépasse probablement pas 15 $.

[15]Les demanderesses affirment que les défendeurs se sont mép ris sur la nature de l'ordonnance Anton Piller. Il s'agit d'une [traduction ] « ordonnance conservatoire provisoire rendue dans le contexte de poursuites civiles existantes ou pendantes opposant des parties privées (et pas seulement en matière de propriété i ntellectuelle) dans le but de permettre la conservation d'éléments de preuve susceptibles par ailleurs d'être obtenus dans le cadre de la communication de documents » . Cette ordonnance vise à protéger les documents et les éléments qui font l'objet d'une pou rsuite lorsqu'il y a une solide preuve prima facie de contrefaçon. En ce qui concerne la question du préjudice irréparable, les demanderesses affirment que notre Cour ne tient pas compte et n'a jamais tenu compte de l'incapacité financière du défendeur de payer d'éventuels dommages-intérêts. Le préjudice irréparable auquel des dommages-intérêts ne peuvent remédier réside dans la perte de clients existants et potentiels.

[16]Les demanderesses allèguent que les trib unaux ont reconnu que les titulaires de droits de propriété intellectuelle se heurtent à des problèmes pratiques. Selon elles, les tribunaux sont disposés à conclure que « si un contrefacteur est informé d'une action en contrefaçon, la marchandise contrefai te sera éparpillée et des démarches seront entreprises pour dissimuler l'identité des fournisseurs, des clients et des complices » . Le fait que les marchandises contrefaites sont vendues dans un commerce plutôt que par un marchand ambulant constitue une dis tinction vide de sens.

[17]Les demanderesses font valoir que la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 et la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 prévoient toutes deux l'octroi de dommages-intérêts (ou la comp tabilisation) et l'octroi d'une injonction, de sorte que l'exclusion mutuelle des recours n'a aucun fondement législatif.

[18]En ce qui concerne le montant des dommages-intérêts, la méthode actuelle d'évaluation de ce qu'on appelle des « domm ages-intérêts symboliques minimums » a vu le jour parce que l'ancienne pratique consistant à ordonner un renvoi dans les cas de demandes de jugement par défaut exigeait temps et argent. Le défendeur se présentait rarement, de sorte que le demandeur et la Co ur n'avaient d'autre choix que de chiffrer les dommages-intérêts à partir d'un minimum de données, en l'absence des défendeurs. On a jugé qu'il s'agissait simplement d'un gaspillage de ressources. La méthode actuelle est appliquée depuis 1997 et elle a réc emment été examinée par la Cour dans Oakley, Inc. c. Jane Doe (2000), 8 C.P.R. (4th) 506 (C.F. 1re inst.). Il n'est pas inopportun d'attribuer des dommages-intérêts symboliques lorsque aucun préjudice réel n'est établi.

Preuve de la contrefaçon

[19]La première question soulevée par les défendeurs touche le caractère satisfaisant de la preuve de la contrefaçon. Les demanderesses soutiennent que l'aveu de responsabilité pouvant être déduit de l'omission de produire une défense leur permet de s'acquitter de leur fardeau de preuve:

[traduction] 12. Vu l'absence d'une défense et d'une preuve par affidavit réfutant sur le fond les allégations et la preuve des demanderesses, particulièrement lorsqu'un avocat représente les défendeurs, ces derniers sont réputés avoir reconnu qu'ils offraient en vente et vendaient des marchandises contrefaites en portant sciemment atteinte aux droits d'auteur et aux marques de commerce des demanderesses.

[20]Cette prétention s'appuie sur les propos que j'ai tenus dans une décision antérieure (Viacom Ha! c. Unetelle (2000), 199 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.) [au paragraphe 4]):

Si on adopte comme point de départ la thèse selon laquelle c'est la vente de marchandises contrefaites qui donne naissance à l'obligation de payer des dommages-intérêts et qu'en omettant de comparaître à l'audition de la requête en révision et de se défendre contre la réclamation, les défendeurs sont réputés avoir admis vendre des marchandises contrefaites, des dommages-intérêts d evraient être payés par ceux-ci.

[21]Malheureusement, cette opinion est fondée sur une interprétation erronée des exigences des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106. Dans certains ressorts, les règles de pratique assimilent l'absen ce d'une défense à un aveu de responsabilité et permettent l'inscription du jugement sans preuve étayant les faits allégués. L'exemple qui m'est le plus familier est celui des Règles de la Cour du Banc de la Reine (The Queen's Bench Rules) de la province de la Saskatchewan:

[traduction] 156. L'allégation de fait qui n'est pas niée ou dont un acte de procédure ne précise pas qu'elle n'est pas admise est réputée admise.

[22]Les Règles de la Cour fédérale (1998) adoptent un point de vue différe nt:

184. (1) Les allégations de fait contenues dans un acte de procédure qui ne sont pas admises sont réputées être niées.

[23]Par conséquent, à la Cour fédérale, en l'absence d'une défense, aucune des allégations n'est ad mise et elles doivent toutes être tenues pour niées. Ainsi, les Règles de la Cour fédérale (1998) exigent du demandeur qu'il prouve par affidavit qu'il a droit à la réparation demandée. Voir Chase Manhattan Corp. c. 3133559 Canada Inc. , 2001 CFPI 895; [2001] A.C.F. no 1626 (1re inst.) (QL) où le juge Hugessen énonce comme suit les questions à trancher dans le cadre d'une requête en jugement par défaut [au paragraphe 5]:

Par conséquent, lorsqu'une requête visant à l'obtention d'un jugement par défaut est présentée, la Cour est saisie de deux questions. En premier lieu, le défendeur a-t-il fait défaut et, en second lieu, existe-t-il une preuve à l'appui de la demande?

[24]Il semble donc que, en m'exprimant comme je l'ai fait dans la décision Viacom Ha! , précitée, j'étais davantage fidèle à mes origines de juriste des Prairies qu'au texte des Règles de la Cour fédérale (1998). Les demanderesses ne peuvent avoir gain de cause du simple fait que les défendeurs ont omis de produire une défense.

[25]Ce qui m'amène à la question du caractère satisfaisant de la preuve présentée par les demanderesses. Les défendeurs allèguent que les demanderesses n'ont pas satisfait à la norme de preuve énoncée dans la décision Tommy Hilfiger , précitée. Les demanderesses font valoir que cette norme de preuve n'est applicable qu'à la révision de l'exécution d'une ordonnance Anton Piller. Même si, dans l'affaire Tommy Hilfiger , la Cour était saisie d'une requête en révision, la question qu'elle devait tran cher était la même que dans le cadre d'une requête en jugement par défaut: le demandeur a-t-il établi les faits qui lui donneraient droit à la réparation demandée? Il ne sert à rien de qualifier cette preuve de « prima facie » ou d'employer d'autres termes q ui donnent à penser que la norme de preuve applicable n'est pas la preuve selon la probabilitée la plus forte. Le fait est que la preuve qui n'est pas contestée dans le cadre d'une procédure contradictoire constitue toujours une preuve prima facie parce qu'elle peut être réfutée en tout temps par une preuve contraire. C'est la raison pour laquelle un jugement par défaut peut être révisé et qu'il n'a pas le caractère définitif d'un jugement sur le fond. Voir Montres Rolex S.A. c. Canada , [1988] 2 C.F. 39 (1re inst.), à la page 52. Par conséquent, le demandeur doit simplement convaincre le juge, selon la probabilité la plus forte, qu'il a droit à la réparation demandée.

[26]Les demanderesses ont-elles satisfait à la norme applicable en l'espèce? Dans leurs observations, elles s'appuient sur le rapport et les observations de l'avocat joints à l'affidavit de signification. Elles invoquent également l'ordonnance de révision qui, selon elles, doit être considérée comme renfermant une conclusion de contrefaçon puisque, si la contrefaçon n'avait pas été prouvée, il n'y aurait aucun motif de maintenir l'injonction contre les défendeurs. Enfin, les demanderesses invoquent les documents supplémen-taires déposés par M. Osmond, dont j'ai donné le détail p récédemment.

[27]Les modalités actuelles d'exécution d'une ordonnance Anton Piller supposent que les personnes chargées de l'exécution ont l'expertise nécessaire pour identifier les marchandises contrefaites. Cela est logique puisque ces per sonnes doivent être suffisamment familiarisées avec les marques de commerce et la marchandise des demanderesses pour être en mesure d'identifier les biens qui portent atteinte à leurs droits. D'un autre côté, il est inacceptable, sur le plan de la preuve, que la Cour se retrouve dans une situation où elle n'a d'autre choix que de se fier au jugement des personnes qui ont exécuté l'ordonnance. C'est pourtant ce que doit faire la Cour lorsque la seule preuve dont elle est saisie est la déclaration de la perso nne ayant exécuté l'ordonnance selon laquelle les objets saisis sont contrefaits « pour l'une ou plusieurs des raisons suivantes » , suivie d'une liste de conditions qui peuvent s'appliquer ou non aux biens en cause. Bien que les demanderesses soient représen tées par des avocats compétents et intègres, la Cour ne saurait \s'en remettre à leurs seules conclusions en ce qui concerne la contrefaçon. C'est pour cette raison que la Cour a précisé la nature de la preuve exigée pour établir la contrefaçon lors de la présentation de la requête en révision dans l'affaire Tommy Hilfiger , précitée. J'estime qu'aucun motif ne justifie l'application d'une norme de preuve moins stricte dans le cas d'une demande de jugement par défaut que dans celui d'une requête en révision où une preuve de contrefaçon vérifiable s'impose.

[28]Si la norme de preuve n'est pas moins stricte, est-elle aussi non moins rigoureuse? Il est difficile de concevoir qu'une norme de preuve plus stricte doive s'appliquer lorsque la preuve n'est pas contestée. Le critère est le suivant: après avoir examiné la preuve, le juge est-il convaincu, selon la probabilité la plus forte, qu'il y a eu contrefaçon? Appliquer une norme de preuve plus rigoureuse équivaut à exiger du juge qu'il fasse pour le défendeur qu'il a omis de faire pour lui-même.

[29]Le cas échéant, comme les demanderesses ont déjà satisfait à cette norme de preuve pour la requête en révision, doivent-elles y satisfaire de nouveau dans le cadre d'une demande de jugement par défaut? Si la norme demeure la même, à quoi sert-il de présenter la même preuve à un juge différent pour obtenir une nouvelle réponse à la question de savoir si la norme a été respectée? Il n'y a aucun avantage à multiplier les occ asions où les juges saisis de la même preuve peuvent arriver à des conclusions différentes. Cela ne favorise ni la certitude et ni la prévisibilité et sape le respect des ordonnances interlocutoires de la Cour. Par conséquent, le demandeur devrait être en mesure de se fonder sur l'ordonnance de révision pour établir son droit à un jugement par défaut. En d'autres termes, l'ordonnance de révision est une décision judiciaire constatant la contrefaçon et, faute de preuve contraire, ce constat est probant.

[30]De façon inhabituelle, la requête en jugement par défaut fait l'objet d'une contestation. Généralement, le droit du demandeur à un jugement est contesté par la défense ou dans une demande d'annulation du jugement par défaut. Dans ce dernier cas, il appartient à la partie requérante d'offrir, entre autres, une véritable défense à la demande. En l'espèce, les défendeurs n'ont présenté aucun élément de preuve, ils se sont contentés de faire valoir l'insuffisance de la preuve des demanderesses. C ompte tenu de ma conclusion selon laquelle les demanderesses peuvent invoquer l'ordonnance de révision, il appartient aux défendeurs d'établir une défense sur le fond. Ainsi, vu l'absence d'une preuve permettant de rejeter la conclusion de contrefaçon inhérente à l'ordonnance de révision, les défendeurs sont liés par cette conclusion. Quant à savoir s'ils pourraient demander la révision du jugement par défaut obtenu dans le cadre de la présente instance en saisissant la Cour d'Unetelle preuve, cette questio n sera tranchée, si besoin est, en temps et lieu.

Droit à des dommages-intérêts

[31]La deuxième question sur laquelle la Cour doit se pencher est de savoir si la saisie des marchandises des défendeurs par les demanderesses et l'injonction i nterdisant le commerce de marchandises contrefaites sont incompatibles avec la demande de dommages-intérêts des demanderesses ou emportent le choix d'une réparation. Il est vrai que l'un des volets du critère applicable en matière d'injonction interlocutoi re est le préjudice irréparable que le refus d'une injonction est susceptible d'infliger au demandeur et auquel des dommages-intérêts ne pourraient remédier. Une fois l'injonction obtenue, sur quel fondement le demandeur peut-il réclamer des dommages-intérêts? Si la raison d'être de l'ordonnance Anton Piller renouvelable est que le défendeur échappe aux mesures traditionnelles ordonnées par la Cour, pourquoi accorder une somme au demandeur si le jugement n'est pas susceptible d'exécution dans les faits?

[32]Ces deux arguments sont essentiellement fondés sur la fin de non-recevoir. Après avoir convaincu la Cour de leur accorder une réparation exceptionnelle basée sur certaines observations quant à l'inefficacité des mesures traditionnelles, les demanderesses peuvent-elles maintenant lui demander ces mêmes réparations dont elles soutenaient que l'inefficacité justifiait l'ordonnance Anton Piller? Cette question est pertinente et la réponse, bien que valable, ne peut être à la hauteur de la logiqu e cartésienne qui sous-tend la question. La réponse se fonde essentiellement sur l'existence d'un droit. La capacité financière du défendeur (ou, en d'autres termes, la capacité du demandeur à se faire payer) ne constitue pas un facteur aux fins de décider si le demandeur a droit ou non à des dommages-intérêts. Les dispositions législatives en matière de droits d'auteur et de marques de commerce prévoient expressément la possibilité d'obtenir les deux réparations:

Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 [paragraphe 34(1) (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20)]

34. (1) En cas de violation d'un droit d'auteur, le titulaire du droit est admis, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, à exercer tous les recours--en vue notamment d'une injonction, de dommages-intérêts, d'une reddition de compte ou d'une remise--que la loi accorde ou peut accorder pour la violation d'un droit.

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 [article 53.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 234)]

53.2 Lorsqu'il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu'un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu'il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d'injonction ou par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, pour l'imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction, exportation ou autrement des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à l a présente loi et de toutes matrices employées à leur égard.

[33]Rien, dans la jurisprudence qui m'a été citée, ne vient étayer la conclusion que ces dispositions doivent être interprétées de façon disjonctive, de sorte que le demandeur puis se demander soit une injonction, soit des dommages-intérêts, mais pas les deux. Bien qu'il soit vrai qu'une injonction ait déjà été refusée au motif que, selon la preuve, les dommages-intérêts constituaient une réparation appropriée (voir par exemple Cutter Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada, Ltd. et al. (1980), 47 C.P.R. (2d) 53 (C.A.F.)), je n'ai recensé aucune décision dans laquelle des dommages-intérêts ont été refusés parce qu'une injonction avait été accordée.

[34]Dans la mesure où l'octroi de l'injonction vise le préjudice ultérieur (il a pour but de le prévenir), rien n'empêche la réparation du préjudice antérieur, dont l'existence et l'étendue doivent être établies par les demanderesses. En ce qui concerne l'immunité de ce rtains défendeurs à l'égard des mesures judiciaires traditionnelles, permettre à ceux qui tentent de se soustraire aux conséquences de leurs actes d'échapper à toute responsabilité serait inopportun. Même si les demanderesses paraissent vouloir le beurre e t l'argent du beurre, après réflexion, ce qu'elles préconisent n'est ni injuste ni mal fondé.

Montant des dommages-intérêts

[35]Ce qui m'amène à la troisième question soulevée par les défendeurs, soit le montant des dommages-intérêts. Les d emanderesses réclament des dommages-intérêts en fonction du barème appliqué par la Cour et qui a fait l'objet d'un examen dans Oakley , Inc., précité. Dans des affaires non contestées, la Cour leur a accordé des dommages-intérêts de 3 000 $ dans le cas de vendeurs ambulants et d'exploitants de marchés aux puces, de 6 000 $ dans le cas de ventes effectuées dans des locaux fixes et de 24 000 $ dans le cas de fabricants et de distributeurs.

[36]Les défendeurs contestent ces montants au motif qu'ils n'ont aucun lien avec la quantité ou la valeur des biens saisis. Voici un extrait des observations de l'avocat:

[traduction] 8. Nous avons demandé à la défenderesse de produire les factures attestant l'achat des marchandises contrefaites, mais elle n'a pu le faire. Elle a dit avoir des documents en sa possession, incluant des documents des douanes, prouvant l'importation des marchandises contrefaites. J'ai demandé à obtenir ces documents, mais ils n'ont pas été fournis à ce jour.

9. La défenderesse a confirmé que l'entreprise ne tenait aucun registre précisant la quantité des marchandises similaires contrefaites vendues.

[37]Il est toujours permis au défendeur d'établir l'étendue de son commerce de biens contrefaits et de demander que l' évaluation des dommages-intérêts s'appuie sur les ventes réelles. Cependant, lorsque le vendeur ne tient aucun registre, il ne peut reprocher au demandeur de ne disposer d'aucune preuve de l'étendue du préjudice subi.

[38]En l'absence de registres, on ne peut se fier à la quantité de biens saisis pour établir l'ampleur de l'activité commerciale du défendeur. L'exemple du malheureux contrefacteur qui n'est simplement pas en mesure de déplacer sa marchandise et dont le stock entier est saisi n'appuie pas la conclusion « manifeste » qu'il a causé un préjudice plus grand parce qu'il avait plus de biens en sa possession. Le préjudice imputable à la vente serait nul puisqu'il n'y a pas eu de vente, malgré la quantité de biens saisis . Si le même commerçant avait vendu tout son stock à l'exception d'un t-shirt, la conclusion « manifeste » qu'un préjudice minime a été causé puisqu'un seul t-shirt a été saisi serait également erronée. La preuve du préjudice causé appartiendrait aux acheteu rs. Par conséquent, la quantité de biens saisis n'est pas du tout révélatrice de l'étendue des activités d'un défendeur.

[39]Que démontrent les éléments de preuve dont la Cour est saisie en ce qui concerne le préjudice subi par les demandere sses? Le rapport de l'avocat, ses observations et l'affidavit de Gary Osmond indiquent seulement qu'il est possible de confondre les marchandises vendues par les défendeurs et celles portant les marques de commerce des demanderesses, d'où la contrefaçon. L a description des marchandises auxquelles s'appliquent les marques de commerces figure dans les affidavits présentés à l'appui des demandes d'ordonnances Anton Piller, et la Cour en est saisie en vertu de la règle 363. En ce qui concerne le droit d'auteur, aucun témoignage d'expert permettant de conclure à la violation du droit d'auteur n'a été offert. Aucun élément ne permet à la Cour d'établir une comparaison entre les oeuvres originales des demanderesses et les biens saisis. De plus, la commercialisation trompeuse n'a pas été prouvée puisque aucun élément de preuve n'a établi que les défendeurs ont tenté de faire passer leurs marchandises pour celles des demanderesses. En fait, dans le cas des demanderesses Nintendo, il ressort de la preuve qu'il n'y a pas eu de commercialisation trompeuse.

[40]La contrefaçon des marques de commerces ayant été établie, comment doit-on déterminer le montant des dommages-intérêts? Voici comment cette question a été abordée dans la décision Aluminum Co. of Canada Ltd. et al. c. Tisco Home Building Products (Ontario) Ltd. et al. (1977), 33 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.), aux pages 163 et 164:

Je pense qu'on peut trouver une bonne base de calcul dans l'ouvrage de Fox intitulé Canadian Law of Trade Marks and Unfa ir Competition, troisième édition. L'auteur y déclare à la page 648:

[traduction] Pour calculer les dommages-intérêts, on considère que le défendeur est responsable de toute perte réellement subie par le demandeur, qui est la conséquence naturelle et dire cte des actes illégaux du défendeur, y compris toute perte de commerce provenant directement ou indirectement de ces actes ou leur étant imputable, qui constituent une atteinte à la réputation, à l'entreprise, à l'achalandage ou au commerce du demandeur. I l faut supprimer du calcul les dommages-intérêts spéculatifs et non prouvés. Le tribunal estimera les dommages sur la même base que le ferait un jury et son estimation pourra tenir compte du préjudice causé à l'achalandage du demandeur, car le tribunal agi ssant comme jury et faisant preuve d'une connaissance normale des affaires et de bon sens, a le droit de considérer qu'il ne peut pas y avoir de commerce trompeur sans que l'achalandage en pâtisse dans une certaine mesure. Les difficultés que le calcul des dommages-intérêts présente ne dispensent pas le tribunal de l'obligation d'y procéder du mieux qu'il peut. Il a le droit de déduire des actes accomplis par les parties, leurs résultats probables. S'il ne peut pas calculer avec exactitude les dommages-intérêts, il doit s'en tenir à l'estimation la plus raisonnable.

[41]Quels sont les éléments de preuve présentés relativement au préjudice subi par les demanderesses? Chacun des dossiers de requête en jugement par défaut renvoie à la preuve par l'affidavit versée au dossier en ce qui concerne le préjudice causé aux demanderesses par la vente et la distribution des marchandises contrefaites. Dans le cas des défenderesses dans l'action Ragdoll, la preuve dit, notamment, ce qui suit:

[traduction] La distribution de marchandises non autorisées ou contrefaites portant la marque des demanderesses porte préjudice à la réputation et à la cote d'estime de celles-ci, compromet leurs programmes d'octroi de licences et diminue les revenus qui, autrement, auraient été générés par la vente de marchandises adidas [sic ] autorisées.

Les demanderesses Disney s'appuient sur la preuve suivante:

[traduction] La vente de marchandises contrefaites peu coûteuses et de qualité inférieure portant la marque DISNEY est extrêmement dommageable aux demanderesses et à la réputation de qualité de leurs marchandises. Elle porte également atteinte aux ventes des détaillants légitimes qui, de bonne foi, ont acheté des marchandises autorisées portan t la marque DISNEY en vue de réaliser des bénéfices honnêtes.

J'estime que la vente de marchandises autorisées [sic ] par des vendeurs ambulants et d'autres personnes portera sérieusement atteinte à la confiance du public envers la marque DISNEY et à la co te d'estime de cette dernière.

Enfin, suivant la preuve contenue dans les documents, les demanderesses Nintendo auraient subi le préjudice suivant:

[traduction] La distribution de marchandises non autorisées ou contrefaites portant la marque des demander esses porte préjudice à la réputation et à la cote d'estime de celles-ci, compromet leurs programmes d'octroi de licences et diminue les revenus qui, autrement, auraient été générés par la vente de marchandises autorisées.

[42]Lorsqu'il est entendu qu'un préjudice a été subi, mais que rien n'établit le montant de la perte, il arrive parfois que des dommages-intérêts symboliques soient accordés. Dans la décision Institut national des appellations d'origine des Vins et Eaux-de-Vie et al. v. Andres Wines Ltd. et al. and two other actions (1987), 60 O.R. (2d) 316 (H.C.), le juge de première instance a tranché la question du montant des dommages-intérêts comme suit [à la page 379]:

[traduction] Comme je l'ai conclu, les défendeurs ont violé les dr oits des demandeurs suivant la Loi de 1933. Si les demandeurs avaient été disposés à admettre que, en l'espèce, les dommages-intérêts devaient se limiter à des dommages-intérêts symboliques, il est clair que j'en aurais fixé le montant à 5 000 $ par demand eur, à l'exclusion de l'I.N.A.O. Ce montant refléterait la violation des droits des demandeurs sans qu'il soit nécessaire de prouver le montant réel des dommages subis. Même si le montant n'avait pas été limité par l'aveu des demandeurs, je serais parvenu au même résultat, soit des dommages-intérêts compensatoires de 5 000 $ par défendeur sur la foi des éléments de preuve présentés, ou de leur absence, relativement aux pertes réelles subies par les demandeurs au chapitre des ventes ou de la réputation.

[43]Les motifs du juge de première instance ont été confirmés par la Cour d'appel d'Ontario dans Institut national des appellations d'origine des vins et eaux-de-vie et al. v. Andres Wines Ltd. (1990), 74 O.R. (2d) 203. Ce qui nous intéresse particulièrement dans cette affaire est l'affirmation du juge de première instance selon laquelle il aurait accordé des dommages-intérêts compensatoires de 5 000 $ sur la foi des éléments de preuve présentés « ou de leur absence » relativement aux pertes rée lles subies par les demandeurs au chapitre des ventes ou de la réputation. Des dommages-intérêts ont également été accordés en l'absence d'une preuve précise du préjudice dans les affaires suivantes: British Columbia Automobile Assn. v. O.P.E.I.U., Local 378 , [2001] 4 W.W.R. 95 (C.S.C.-B.) (2 500 $); Rose et al. c. Fraternité interpro-vinciale des ouvriers en électricité (1984), 1 C.P.R. (3d) 34 (C.F. 1re inst.) (3 500 $); Société pour l'expansion des tissus fins c. Marimac Inc. (1984), 78 C.P.R. (2d) 112 (C.S. Qué.) (25 000 $); Marc-Aurele c. Ducharme (1976), 34 C.P.R. (2d) 155 (C.F. 1re inst.) (3 000 $).

[44]Ces montants n'ont pas nécessairement été accordés à titre de dommages-intérêts symboliques. Dans la décision Société pour l'expansion des tissus fins, précitée, le juge Gomery, de la Cour supérieure du Québec a fait les remarques suivantes avant de statuer sur les dommages-intérêts [à la page 133]:

[traduction] Compte tenu des conclusions auxquelles je suis déjà parve nu, il faut présumer que, au cours des cinq dernières années, des consommateurs canadiens ont acheté des rideaux au défendeur en croyant erronément qu'ils achetaient un tissu fabriqué par la demanderesse. En l'absence de marques de commerce portant à confu sion, ces rideaux auraient normalement été fabriqués à partir de tissus importés au Canada par la demanderesse. La perte de ces ventes a entraîné une perte de profits pour laquelle la demanderesse a le droit d'être indemnisée. Il n'est pas possible d'évalu er précisément cette perte. Il ne serait pas juste de pénaliser la demanderesse parce qu'elle a omis de prouver des faits qui, par leur nature, sont impossibles à prouver. La Cour ne peut justifier son refus d'accorder des dommages-intérêts en invoquant la difficulté d'évaluation. Ainsi que l'a affirmé le juge Dubé dans Marc-Aurele c. Ducharme (1976), 34 C.P.R. (2d) 155, à la page 162:

Il n'est pas nécessaire de prouver des dommages réels avec certitude; en fait, la chose serait impossible en l'espèce. Si la Cour est convaincue qu'il a été porté atteinte à la clientèle et qu'il y a confusion, elle peut présumer en droit l'existence de dommages.

La Cour doit tenir compte du fait que le défendeur a continué de vendre sa marchandise après avoir été avisé form ellement par la demanderesse qu'elle ne tolérerait plus la violation de ses marques de commerce, ainsi que de l'importance des ventes et des profits réalisés par le défendeur au cours de la période de plus de cinq ans qui s'est écoulée depuis, y compris le délai d'obtention d'une décision judiciaire.

Eu égard à l'ensemble des circonstances, la Cour fixe, de façon conservatrice, le montant des dommages-intérêts à 25 000 $.

[45]Le juge de première instance avait manifestement eu l'intention d'accorder les dommages-intérêts compensatoires, et non simplement symboliques. La conclusion que je tire de ces décisions est que, une fois la contrefaçon et le préjudice établis, le demandeur a droit à une évaluation optimale des dommages-intérêts par la C our sans devoir nécessairement se contenter de dommages-intérêts symboliques.

[46]Examinons maintenant le barème des dommages-intérêts que la Cour a appliqué au cours des dernières années. On le dit injuste parce que le montant des dommages- intérêts ne tient pas compte des activités d'un défendeur en particulier. Lorsque les défendeurs ne tiennent aucun registre et que la quantité des biens saisis n'est pas un indicateur fiable de l'ampleur de leurs activités commerciales, il est difficile, p our les demanderesses, de moduler la preuve en fonction du préjudice causé par chacun des défendeurs.

[47]Le fait que le montant soit arbitraire donnerait à penser que les dommages-intérêts sont exemplaires et non pas symboliques ou compensa toires. Les montants en question sont peut-être arbitraires, mais ils découlent de la jurisprudence (voir les décisions précitées). Par ailleurs, le fait que l'évaluation du préjudice comporte une part d'arbitraire ne signifie pas que les dommages-intérêts ne sont pas compensatoires. Par exemple, l'évaluation des dommages-intérêts non pécuniaires a toujours comporté une part d'arbitraire. Les dommages-intérêts payables à la suite d'une blessure à l'oeil sont établis en fonction d'un barème qui est essentiell ement arbitraire (il est impossible de déterminer la valeur d'un oeil), mais ce barème est devenu, par convention, la norme. Les tribunaux ont décidé qu'Untel préjudice justifie généralement l'octroi d'une somme comprise dans une fourchette.

[48]Dans la présente affaire, la Cour est aux prises avec un préjudice pécuniaire. Cela exclut-il le recours au barème des dommages-intérêts établi? Le fait est que, faute de registres comptables détaillés, les demanderesses ne sauraient faire avec une précision mathématique la preuve des pertes qu'elles ont subies. Il serait déplorable de récompenser la suppression des registres comptables en y voyant un obstacle à l'évaluation du préjudice. Lorsque les pratiques commerciales du défendeur et son omission d e produire une défense ont rendu impossible l'évaluation du préjudice, il est plus équitable pour le défendeur d'appliquer le barème établi que d'examiner chaque affaire comme si elle était unique en son genre et de fixer des dommages-intérêts sans se référer à des affaires similaires. La pratique actuelle distingue entre le vendeur dans un marché aux puces, le vendeur ambulant, le détaillant établi à demeure et le fabricant et le distributeur et, dans cette mesure, les cas apparentés sont réglés semblablem ent. Une gradation plus précise peut être envisagée par la Cour au besoin.

[49]L'emploi de l'expression « dommages-intérêts symboliques minimums » est, dans ce contexte, malheureux et trompeur. Le Dictionary of Canadian Law , 2e éd., (Toronto: Carswell, 1995) définit les « dommages-intérêts symboliques » comme suit:

[traduction] . . .[une] expression technique qui signifie que, malgré l'absence de préjudice tangible, vous affirmez, en demandant des dommages-intérêts symbolique s, qu'il y a eu violation d'un droit et que, même si cette violation ne donne pas droit à des dommages-intérêts compensatoires, elle donne tout de même droit à un jugement constatant l'atteinte en question. Mediana (The ) [1900] C.A. 113, à la page 116 (U.K . H.L.) Lord Halsbury L.C.

[50]Si, en l'espèce, l'octroi de dommages-intérêts vise uniquement à confirmer le droit des demanderesses à une indemnité, un montant de 1 $ constitue des « dommages-intérêts symboliques » . Le montant des dom mages-intérêts, particulièrement lorsqu'il y a cumul (octrois multiples visant le même défendeur) comme en l'espèce, ne peut raisonnablement être considéré comme « symbolique » , et encore moins comme « minimum » . De tels montants ne peuvent constituer que des dommages- intérêts compensatoires fixés par convention.

[51]Le système est imparfait, mais ce n'est pas la faute des demanderesses. Le défendeur a toujours la possibilité de contester la demande dirigée contre lui et le montant des dommages- intérêts demandés. Dans ce cas, la Cour établira le montant des dommages-intérêts à partir de la preuve dont elle est saisie. Le défendeur qui a tenu un registre comptable approprié pourrait toutefois demander un renvoi en vue de la fixation des dommages-i ntérêts.

[52]En définitive, les demanderesses ont établi qu'elles avaient droit à la réparation demandée. La Cour ne peut faire droit aux objections des défendeurs. Dans chaque dossier, la Cour condamne conjointement et solidairement les déf endeurs à verser un montant de 6 000 $ plus des dépens de 750 $. Les demanderesses ont également droit au jugement déclaratoire d'usage de même qu'à une injonction permanente contre les défendeurs.



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