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Date : 20050421

Dossier : IMM-2742-04

Référence : 2005 CF 514

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

BEEHROUS PAIANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

APERÇU


[1]                Un contrôle judiciaire n'est pas un appel. L'appréciation des faits par le juge des faits, à moins d'être manifestement déraisonnable, non seulement commande mais doit recevoir la plus grande déférence. À moins que la décision ne soit manifestement déraisonnable, il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, de substituer son appréciation des faits à celle du décideur précédent et d'ainsi renvoyer le dossier à un nouveau décideur en raison de cette différence d'appréciation. Par contre, l'évaluation de l'application de la loi par le juge des faits est soumise à un tout autre examen et fait par conséquent l'objet d'une niveau de déférence moindre de la part de la Cour; c'est toutefois au tribunal spécialisé qu'il appartient d'apprécier les questions factuelles de crédibilité, et ce, sans intervention indue.

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [1] (LIPR) de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié (Commission), laquelle a rejeté, le 19 février 2004, la demande de statut de « réfugié » présentée en vertu de l'article 96 ainsi que la « qualité de personne à protéger » , présentée en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR.   

CONTEXTE

[3]                Le demandeur, M. Beehrous Paiani, citoyen iranien, dit craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa religion, en tant que musulman converti au bouddhisme, et de son appartenance à un groupe social particulier, à savoir les musulmans convertis au bouddhisme.

[4]                La Commission a décrit les faits allégués en ces termes. Jusqu'en 2000 environ, M. Paiani se considérait musulman, la religion que sa famille professe. Le 30 janvier 2000, il a assisté à une session d'un groupe bouddhiste à laquelle un bon ami l'avait invité. Après avoir assisté à une deuxième session, il a commencé lentement à apprécier le bouddhisme et à y croire, constatant qu'il transformait sa vie.


[5]                Après un certain temps, il est devenu membre du groupe, lequel se réunissait secrètement chaque premier et troisième mercredi du mois. Il a commencé à lire des livres sur le bouddhisme. Il discutait de ses croyances avec ses étudiants de tennis sur table et les encourageait à assister aux réunions du groupe. Suite à ses lectures sur le bouddhisme et sa mission, il s'est converti à cette religion.

[6]                Le 25 avril 2003, après être resté coincé dans un embouteillage, M. Paiani s'est présenté en retard à une session devant se tenir à la résidence de l'un des membres du groupe. Il devait apporter des brochures sur Bouddha aux nouveaux membres du groupe. À son arrivée à la résidence du membre, il a aperçu des voitures devant la résidence et s'est caché derrière un mur. Il a aperçu des gardes du Ansar-e-Hezbollah qui sortaient de la demeure accompagnés par les membres du groupe. M. Paiani est rentré précipitamment chez lui et a raconté ce qu'il avait vu à sa famille. Il craignait que, sous la torture des gardes du Hezbollah, les membres du groupe ne révèlent son nom et son adresse. Il s'est donc rendu à Karaj à la résidence d'un ami, Morteza, et y est demeuré pour quelques jours.

[7]                Morteza a appelé l'épouse de M. Paiani qui lui dit que trois gardes du Hezbollah étaient entrés dans leur demeure, avaient cherché son mari partout et avaient aussi menacé sa famille. M. Paiani a conclu que la seule façon de se mettre en sécurité était de quitter le pays. Il a trouvé un agent qui l'a aidé à quitter l'Iran pour la Turquie le 10 mai 2003. M. Paiani est arrivé ensuite à Montréal et y a demandé le statut de réfugié le 13 juin 2003.


DÉCISION CONTESTÉE

[8]                Malgré certains problèmes rencontrés dans l'évaluation des documents d'identité de M. Paiani, la Commission a finalement estimé qu'il avait établi son identité. La Commission a conclu que M. Paiani n'était ni un réfugié ni une personne à protéger parce que son témoignage voulant qu'il soit bouddhiste n'était pas crédible; il y avait des divergences à la fois dans la preuve écrite et le témoignage oral de M. Paiani, notamment en ce qui a trait à sa conversion au bouddhisme, sa paraticipation aux rencontres et son manque de connaissance de la foi bouddhiste.   

QUESTIONS EN LITIGE

[9]                1. La Commission a-t-elle donné au demandeur la possibilité de se faire entendre?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de confronter le demandeur à ses réserves à l'égard de son identité en tant que bouddhiste?

3. La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en ce qui a trait à ses conclusions sur la crédibilité?

ANALYSE

1. La Commission a-t-elle donné au demandeur la possibilité de se faire entendre?

[10]         M. Paiani a soutenu que dix minutes après le début de l'interrogatoire principal par son conseil, le commissaire a interrompu le conseil et l'a avisé qu'il poserait les questions pour le reste de l'audience.


[11]            Ce n'est pas ce que le dossier indique. Il n'y a pas de mention d'une objection quelconque de la part du conseil sur la façon dont l'audience a été menée. Le dossier indique que l'audience a commencé à 13 h 15 et s'est terminée à 17 h 05. La transcription indique qu'à 15 h 15, le conseil de M. Paiani était toujours en train de l'interroger. À ce moment, le conseil a demandé une pause de 10 minutes. Après la pause, qui a eu lieu deux heures après le début de l'audience, le commissaire a indiqué qu'il désirait entendre le témoignage de M. Paiani concernant sa foi bouddhiste. Le commissaire a posé une série de questions sur le bouddhisme et le conseil n'a pas soulevé d'objection. (Dossier du tribunal, p. 248) :

[TRADUCTION]

PRÉSIDENT : Bien, vous en avez mentionné un. Y a-t-il plus d'un Bouddha?

DEMANDEUR : Non.

CONSEIL : Désirez-vous savoir -

PRÉSIDENT : Je vais continuer à poser des questions. Qu'est-ce qu'un karma?

¼

[12]            En fait, lorsque le commissaire eut terminé ses questions, le conseil a indiqué qu'il n'avait pas d'autres questions (Dossier du tribunal, p. 266) :

[TRADUCTION]

PRÉSIDENT : Dans les dix minutes qu'il nous reste, voici ce que suggère que nous fassions, les dix minutes qu'il nous reste aujourd'hui.

CONSEIL : Oui?

PRÉSIDENT : Je suggère que s'il y a des questions que j'ai posées et au sujet desquelles vous aimeriez poser des questions -

CONSEIL : Non, pas vraiment. (Non souligné dans l'original)


[13]            M. Paiani n'a pas démontré de violation de la justice naturelle. Le commissaire avait toute la compétence voulue pour questionner M. Paiani sur sa demande, tel qu'il est dit dans Quiroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2]:

Ni les commissaires de la SPR, ni les juges, ne sont tenus de siéger dans un silence monacal tout au long des instances. Il est plus que légitime de la part d'un commissaire de poser des questions afin d'éclaircir une déposition ou d'aborder des questions qui sont pertinentes quant aux points sur lesquels la SPR est appelée à statuer. Il y a une procédure applicable et le commissaire doit adopter le ton et le comportement indiqués afin de ne pas donner l'impression qu'il a arrêté ses conclusions de manière prématurée.

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de confronter le demandeur à ses réserves à lgard de son identitéen tant que bouddhiste?

[14]            M. Paiani a fait valoir qu'il n'a pas été avisé que son identité en tant que bouddhiste était toujours problématique à la fin de l'audience.

[15]            À de nombreuses reprises tout au long de l'instance, la Commission a bel et bien avisé M. Paiani que l'identité et la crédibilité étaient problématiques. Le commissaire n'a en aucun temps indiqué qu'il acceptait la version de M. Paiani (voir par exemple le dossier du tribunal, p. 214, 235, 261, 263, 266, 267, 272).

[16]            Les problèmes de crédibilité et d'identité ont été confirmés dans les observations postérieures à l'audience (dossier du tribunal, p. 191):

À la fin de l'audience, la Commission, après avoir entendu une preuve orale abondante de la part du demandeur, a reformulé les principales questions litigieuses comme étant: l'identitéet la crédibilité. (Non souligné dans l'original.)


[17]            Au début de l'audience, la Commission a noté que l'identité personnelle et nationale était litigieuse de même que l'adhésion de M. Paiani au bouddhisme de M. Paiani (Dossier du tribunal) Tribunal, p. 215). Le commissaire n'a en aucun temps indiqué que M. Paiani l'avait convaincu qu'il était bouddhiste. Au contraire, le commissaire a fait comprendre au conseil, comme ce dernier l'a dit lui-même, que [TRADUCTION] « pour circonscrire le débat [...] la crédibilité et l'identité, tant personnelle que religieuse » , étaient en cause (Dossier du tribunal, p. 266 et 267) :

[TRADUCTION]

PRÉSIDENT : O.K. Je veux dire, sa position est, tel que je le comprends, qu'il croit être bouddhiste, et qu'il soit bouddhiste ou non, que les personnes qui ont été appréhendées l'impliqueraient, et c'est la raison pour laquelle il est parti, n'est-ce-pas?   

CONSEIL : Tout à fait...

PRÉSIDENT : Exact?

CONSEIL : Oui, c'est ce que je crois. Je renoncerai à son droit à ça pour une seconde. Je crois que nous allons seulement clarifier où nous nous en allons avec ça.

PRÉSIDENT : Bien. Ainsi, la question de son identitébouddhiste est la question de savoir s'il est bouddhiste ou non, pour moi ce n'est pas la question dominante. L'identitédemeure pour moi la question prédominante.

CONSEIL : Je veux dire, je peux - désolé de vous interrompre. Je peux vous présenter mes prétentions sur l'identité maintenant, s'il s'agit là de la question prédominante.

PRÉSIDENT : Bien, en ce qui me concerne, c'est-à -dire, l'identitéest le principal problème et le deuxième problème est la crédibilitépar rapport à l'identité, et l'identitépar rapport à la crédibilité.

CONSEIL : Oui, parce que pour cerner le débat afin de savoir ce que nous faisons, que, pour moi, ce que cela impliquait, en me fondant sur llément objectif en 96 ou 97, était la crédibilité, l'identité, tant personnelle que religieuse.

PRÉSIDENT : Bien.

3. La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en ce qui a trait à ses conclusions sur la crédibilité?


[18]            En conclusion, la Commission a accepté l'identité personnelle et nationale de M. Paiani. La Cour n'a donc pas à analyser les problèmes allégués en ce qui concerne les conclusions de la Commission à ce chapitre.

[19]            Pour ce qui est de la partie de la décision portant sur la crédibilité en ce qui a trait à l'identité de M. Paiani en tant que bouddhiste, la Cour n'interviendrait que si la Commission avait commis une erreur manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[3], Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4, Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)5).

[20]            La Commission était obligée d'énoncer sa conclusion négative quant à la crédibilité en termes clairs et non équivoques (Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)6 ). Cette conclusion aurait dû être appuyée par des exemples de ce qui a conduit la Commission à douter du témoignage de M. Paiani. La Commission a de fait expliqué pourquoi elle doutait que M. Paiani fût bouddhiste, soulignant en particulier des incohérences en ce qui concerne sa conversion au bouddhisme, sa participation aux réunions et donnant des exemples de son ignorance des préceptes élémentaires de la foi bouddhiste. La Cour ne considère pas que les conclusions de la Commission sont manifestement déraisonnables.


CONCLUSION

[21]            Pour ces motifs, la Cour répond aux trois questions par la négative. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question n'est certifiée.

Michel M.J. Shore

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger. L.L.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-2742-04

INTITULÉDE LA CAUSE :                        BEEHROUS PAIANI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           12 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE RENDUS PAR :       Monsieur le juge Shore

DATE:                                                             21 avril 2005

COMPARUTIONS :

Me Robert I. Blanshay                       POUR LE DEMANDEUR

Me Kareena R. Wilding                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS AU DOSSIER :

ROBERT I. BLANSHAY                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto, Ontario

JOHN H. SIMS c.r.                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-ministre de la Justice et

sous-conseil général



[1] L.R. 2001, ch. 27

[2] [2005] A.C.F. n º 338 (C.F.) (QL), au paragraphe 13.

[3] (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), [1993] A.C.F. n º 732 (QL).

4 (2001), 11 Imm. L.R. (3d) 233 (C.F. 1re inst.), [2000] A.C.F. n º 2001 (QL).

5 (1999), 173 F.T.R. 280 C.F. 1re inst.), [2000] A.C.F. n º 2001 (QL).

6 (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.).

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