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Date: 19980619


Dossier: T-393-98

ENTRE:

     A. LASSONDE INC.

     Demanderesse

     ET

     SUNPAC FOODS LIMITED

     Défenderesse

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

Introduction


[1]      Par sa requête, la demanderesse-défenderesse reconventionnelle ("la demanderesse") cherche à obtenir en vertu de la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) ("les règles") la radiation d'une série de paragraphes -13 au total- de la défense et demande reconventionnelle ("la défense") produite par Sun Pac Foods Limited ( "la défenderesse").


[2]      Subsidiairement, à défaut d'obtenir les radiations recherchées, la demanderesse, en vertu de la règle 181, requiert pour la plupart de ces mêmes paragraphes des précisions supplémentaires.


[3]      Enfin, en tout état de cause, la demanderesse recherche un délai supplémentaire en vertu de la règle 8 pour signifier et déposer sa réponse et défense reconventionnelle. La Cour est également invitée à rendre toute autre ordonnance qu'elle pourrait jugée appropriée dans les circonstances.


[4]      La demanderesse se pourvoit devant cette Cour avec une foi précise quant à l'étendue de ses droits exclusifs dans la marque de commerce FRUITÉ. C'est cette même étendue qui est mise en doute par la défenderesse dans sa défense et plus particulièrement dans les paragraphes attaqués par la demanderesse.


[5]      Cette étendue devra éventuellement être déterminée mais je ne suis pas convaincu que c'est par une requête en radiation que le tout peut se faire. C'est là une question de droit qui se prête mal à une requête telle celle de la demanderesse.


[6]      Tel que mentionné par cette Cour dans l'arrêt Apotex Inc. et al v. Wellcome Foundation Ltd. et al (1996), 68 C.P.R. (3d) 23, en page 41 (F.C.T.D.):

         "In conclusion, I would like to reiterate that striking out pleadings is a draconian measure. The defendants may not have a strong case on some of the issues raised by the plaintiffs in their motion. However, the test in my view is stringent: if there is a scintilla of success in a claim, a Court should not strike it down. As pointed out by counsel for the defendant Apotex, this is not a mini-trial or a summary judgment proceeding where I could have resolved some of the issues. The case law is clear that it has to be beyond doubt. Despite able argument by counsels for the plaintiff Wellcome, I have not been convinced that there is sufficient lack of substance to use this draconian measure, thereby depriving the defendants of their day in Court."                 

         [mon souligné]

Les faits

[7]      Il ressort de la preuve que les deux parties sont en compétition directe dans le commerce des jus de fruits et boissons aux fruits.

[8]      La demanderesse a obtenu un certificat d'enregistrement sous la Loi sur les marques de commerce, 1985, L.R.C. c.T-13 ("la Loi") pour la marque FRUITÉ.

[9]      La défenderesse, elle, détient un certificat sous la Loi pour la marque FRUIT RHAPSODY.

[10]      Le choc s'établie entre les parties en raison du fait que la défenderesse utilise l'expression RHAPSODIE FRUITÉE (mon souligné) à titre d'équivalent en langue française de sa marque FRUIT RHAPSODY.

[11]      Selon la demanderesse, une telle utilisation à titre de marque de commerce viole au sens de l'article 20 de la Loi son droit exclusif à l'emploi de FRUITÉ en relation avec les jus de fruits et boissons aux fruits. Cette même utilisation déprécierait la valeur de l'achalandage associé à ladite marque de commerce (article 22 de la Loi), et exercerait une concurrence déloyale (articles 7b) et 7c) de la Loi).

Critères en matière de radiation et de précisions.

[12]      La possibilité de rechercher la radiation en tout ou en partie d'un acte de procédure dans le cadre d'une action est maintenant prévue à la règle 221. Cette règle est l'équivalent de la règle 419 des Règles de la Cour fédérale. La jurisprudence élaborée sous cette dernière règle est donc applicable à la règle 221.

[13]      Partant, sous l'alinéa 221(1)a) il se doit d'être clair et patent (voir l'arrêt Canada (P.G.) c. Inuit Tapirisat, [1980] 2 R.C.S. 735, page 740) que tout ou partie de la défense de la défenderesse ne révèle aucune cause raisonnable de défense.

[14]      Par ailleurs, à l'égard de l'application ici des autres alinéas de la règle 221, on requiert que les allégués attaqués soient à ce point intolérables et préjudiciables qu'ils doivent être radiés, en tout ou en partie. Tel que mentionné par le juge Teitelbaum de cette Cour dans l'arrêt Copperhead Brewing Co. Ltd. v. John Labatt Ltd. et al. (1995), 61 C.P.R. (3d) 317, à la page 322:

         ...the jurisprudence is consistent that under Rules 419(1)(b) through (f) it must be established that the pleading is so clearly immaterial, frivolous, embarrassing or abusive that it is obviously forlorn and futile (Burnaby Machine & Mill Equipment Ltd. v. Berglund Industrial Supply Co. Ltd. (1982), 64 C.P.R. (2d) 206 (F.C.T.D.)) and that the court will not strike mere surplus statements where no prejudice flows from them (Pater International Automotive Franchising Inc. v. Mister Mechanic Inc. (1989) 28 C.P.R. (3d) 308, 27 C.I.P.R. 112, [1990] 1 F.C. 237 (T.D.)). As I am not entirely satisfied that the defendants will suffer prejudice if para. 9 is not struck, I will allow para. 9 and Sch. "A" to remain in the amended statement of claim.                 

[15]      Quant aux critères en matière de précisions supplémentaires, la Cour doit se demander si une partie dispose de renseignements suffisants pour comprendre la thèse de la partie adverse et préparer une réponse adéquate, qu'il s'agisse d'une défense ou d'une réponse. (Voir Astra Aktiebolag c. Inflazyme Pharmaceuticals Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 178 (C.F. 1ère inst.), à la page 184.)

[16]      Dans la décision Embee Electronic Agencies Ltd. c. Agence Sherwood Agencies Inc. et al (1979), 43 C.P.R. (2d) 285 (C.F. 1ère inst.), à la page 287, le juge Marceau explique dans quelle mesure la partie défenderesse est en droit d'obtenir, à l'étape des plaidoiries, des détails quant à la preuve de la partie demanderesse:

     À ce stade préliminaire, un défendeur a le droit d'obtenir tous les détails qui lui permettront de mieux saisir la position du demandeur, de savoir sur quoi se fonde l'action contre lui et de comprendre les faits sur lesquels elle s'appuie, afin de pouvoir répondre intelligemment à la déclaration et énoncer correctement les moyens sur lesquels il appuie sa propre défense, mais il n'a pas le droit d'aller plus loin et d'en demander plus.         

     [Non souligné dans l'original.]

Analyse

[17]      Il m'apparaît à la lecture des procédures des parties et des divers documents soumis dans le cadre de la présente requête que la demanderesse dispose présentement de renseignements suffisants pour comprendre la thèse de la défenderesse et pour préparer une réponse intelligente et adéquate à la défense soumise par la défenderesse.

[18]      De façon évidente, la demanderesse n'admet pas la lecture restrictive que fait la défenderesse de ses droits exclusifs dans la marque FRUITÉ. Ce n'est toutefois pas là à mon sens une raison pour forcer la défenderesse à préciser et à justifier davantage une thèse que le procureur de la demanderesse semble très bien saisir. Ce dernier discute et analyse de façon fort détaillée cette thèse dans les prétentions écrites qu'il a soumises au soutien de sa requête.

[19]      Il n'y a donc pas lieu d'ordonner de façon générale que des précisions supplémentaires soient fournies à la demanderesse.

[20]      Quant aux demandes de radiation, on doit comprendre que l'ensemble des paragraphes de la défense qui se voient attaqués partent tous de la même prémisse.

[21]      Cette prémisse consiste pour la défenderesse à alléguer que le certificat d'enregistrement que possède la demanderesse se limite à la marque FRUITÉ ET DESSIN et que la demanderesse de par l'historique passé de cette marque ne peut réclamer de droits dans le mot "fruité" en tant que tel, en tant que simple mot.

[22]      Partant, elle estime que son utilisation de RHAPSODIE FRUITÉE ne touche en rien à la marque FRUITÉ ET DESSIN et que RHAPSODIE FRUITÉE correspond à ce qui est autorisé par le sous-alinéa 20(1)(b)(ii) de la Loi, à savoir:

     20. Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d'une marque de commerce ne peut empêcher une personne:         
         a) ---                 
         b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque de commerce:                 
             (i) ---                         
             (ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,                         
     d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce.         

[23]      Le procureur de la demanderesse argumente quant à lui avec force que puisqu'aucun désistement à l'égard du mot "fruité" n'a été requis par le Registraire selon l'article 35 de la Loi, on doit conclure que l'on a accordé à la demanderesse le droit à l'usage exclusif non seulement du dessin de la marque FRUITÉ mais également à l'égard même du mot FRUITÉ.

[24]      Tel que mentionné précédemment, l'étendue du droit exclusif de la demanderesse demeure la question centrale au mérite. Partant, je ne considère pas que l'on doive ici ordonner la radiation des paragraphes de la défense qui à un titre ou un autre s'attaque à cette étendue. En conséquence, les paragraphes 4, 7, 10, 12, 19, 20(i)(a), 20(ii) et 21(ii) de la défense peuvent demeurer audit texte.

[25]      On doit en conclure au même résultat quant au paragraphe 9 de la défense sur lequel le procureur de la demanderesse n'est pas revenu en plaidoirie écrite ou verbale.

[26]      Quant à l'impact des licences octroyées par la demanderesse, le procureur de cette dernière connaît très bien la situation factuelle de sa cliente à cet égard. Il peut aisément répondre à la défenderesse quant à tout allégué portant sur l'amoindrissement du caractère distinctif de la marque de sa cliente. Il y a en théorie une possibilité qu'en preuve les allégués de la défenderesse puissent porter. En conséquence, les allégués 21(i) et (iii) de la défense peuvent demeurer.

[27]      Quant au paragraphe 20(i) (b), je considère que lorsque lu dans son ensemble ce paragraphe n'est pas fautif quant aux dates qu'il mentionne. Ce paragraphe ne sera pas radié.

[28]      D'autre part, le procureur de la demanderesse soutient que pour être objectif, la défenderesse aurait dû traduire sa marque FRUIT RHAPSODY par l'expression RHAPSODIE DE FRUITS et non par RHAPSODIE FRUITÉE. C'est là à mon sens une question de preuve, voire de preuve d'expertise. Il n'y a donc pas lieu d'ordonner ici la radiation du paragraphe 8 de la défense sur cette base.

[29]      Toujours à l'égard de ce même paragraphe 8 -et on doit inclure ici les paragraphes 11, 16 et 17- ce dernier appert faire référence à l'expression d'utilisation de "bonne foi" et ce, dans le sens que l'on retrouve à la Loi. Encore ici une radiation est écartée. Dans le même ordre d'idées, la détermination de l'usage de RHAPSODIE FRUITÉE en tant que description exacte du genre ou de la qualité des boissons ou en tant qu'adjectif sont encore des questions de preuve qu'il vaut mieux laisser à l'enquête.

[30]      Toutefois, la défenderesse au paragraphe 7 de sa défense -et possiblement au paragraphe 5 de celle-ci- fait référence au fait que RHAPSODIE FRUITÉE est utilisée comme marque de commerce. Un telle affirmation est clairement contraire aux termes de l'alinéa 20 b) de la Loi.

[31]      La défenderesse sera donc requise dans un délai de trente (30) jours de la date de l'ordonnance accompagnant les présents motifs d'amender sa défense et demande reconventionnelle afin d'éliminer toute référence au fait que RHAPSODIE FRUITÉE est utilisée en tant que marque de commerce. C'est là une mesure que je juge appropriée dans les circonstances [voir par. 3, supra].

[32]      La demanderesse aura par ailleurs trente (30) jours suivant la signification de la défense et demande reconventionnelle amendée de la défenderesse pour signifier et déposer sa réponse et défense reconventionnelle.

[33]      Les frais sur la présente requête seront à suivre.

Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 19 juin 1998

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DIVISION


Date: 19980619


Dossier: T-393-98

Entre :

     A. LASSONDE INC.

     Demanderesse

     ET:

     SUNPAC FOODS LIMITED

     Défenderesse

    

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      T-393-98

INTITULÉ DE LA CAUSE:          A. LASSONDE INC.

     Demanderesse

                         ET:

                         SUNPAC FOODS LIMITED

     Défenderesse

LIEU DE L'AUDITION:              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDITION:              le 8 juin 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR PAR ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

     En date du:                  19 juin 1998

COMPARUTIONS:                     

     Me Bruno Barrette              pour la demanderesse

     Me Keri Johnston              pour la défenderesse

     - 2 -      T-393-98

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

     Brouillette Charpentier Fortin              pour la demanderesse

     Montréal, Québec

     Malcom Johnston & Associates              pour la défenderesse

     Toronto (Ontario)

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