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Date : 20000721


Dossier : T-1451-99

OTTAWA (ONTARIO), le 21 juillet 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN


ENTRE :



THOMAS WIHKSNE


demandeur


- et -



LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


défendeur




ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



« W.P. McKeown »


JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 21 juillet 2000

Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.





Date : 20000721


Dossier : T-1451-99

ENTRE :


THOMAS WIHKSNE

demandeur


- et -



LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur





MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN


[1]      Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Commission d'appel des pensions (la Commission) rejetant sa demande d'autorisation d'interjeter appel d'une décision du tribunal de révision (le tribunal) rendue le 28 août 1998. Le tribunal avait conclu que le demandeur n'était pas invalide au sens du paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada (le Régime ou la Loi), L.R.C. (1985), ch. C-8.

[2]      La principale question est de savoir si la Commission a appliqué la bonne norme de contrôle pour statuer sur l'appel. Les questions subsidiaires sont de savoir si le fait que la Commission ait rendu sa décision sans qu'il n'y ait eu d'audience constitue un manquement à l'équité procédurale et si le fait que l'instance devant le tribunal n'ait pas été transcrite ou enregistrée constitue un tel manquement. Aucun des trois membres du tribunal n'a signé la décision du 28 août 1998 et le demandeur prétend que cela constitue une erreur de compétence. En outre, d'autres questions découlant de la preuve médicale ont été soulevées et de nouveaux éléments de preuve ont été invoqués.

Les faits

[3]      Le demandeur est un tuyauteur de 54 ans souffrant de multiples invalidités. Le 10 juin 1995, il a présenté une demande de prestations d'invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada. Le ministère du Développement des Ressources humaines du Canada l'a informé, dans une lettre datée du 6 février 1997, que sa demande de prestations du RPC était rejetée.

[4]      Le 19 février 1997, le demandeur a déposé une demande de reconsidération. Le ministre a demandé, dans une lettre en date du 16 septembre 1997, que le demandeur soit examiné par le Dr Allan Bass, spécialiste de la médecine physique et de réadaptation. Le Dr Bass a déposé un rapport daté du 20 novembre 1997.

[5]      Le ministre a informé le demandeur que sa demande de reconsidération était rejetée. Le rapport du Dr Bass daté du 20 novembre 1997 n'était pas mentionné dans la lettre. Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant le tribunal de révision qui a tenu une audience d'une heure à Vancouver, le 17 juin 1998.

[6]      Dans une décision de trois pages en date du 28 août 1998, le tribunal de révision a rejeté l'appel du demandeur et a confirmé la décision du ministre. Le tribunal commence l'exposé de ses motifs en déclarant, à la première page de sa décision :

         [traduction]
         Une personne n'est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n'est considérée grave, au sens du Régime de pensions du Canada (RPC), que si elle rend la personne à laquelle elle se rapporte régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité n'est prolongée que si elle est déclarée devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès.
[7]      Le tribunal a examiné une partie de la preuve médicale et a conclu :
         [traduction]
         Le tribunal a conclu que l'ensemble de la preuve n'étayait pas la prétention de M. Wihksne selon laquelle il était incapable d'effectuer le genre de travail qui convient à son état. En 1994, il était intéressé à se recycler dans un emploi en informatique, mais il a témoigné qu'il n'avait pas poursuivi dans cette voie. Il n'a pu affirmer qu'il avait tenté de déterminer ce qu'il pouvait faire. Chez lui, il est capable de fonctionner à son propre rythme. Il a dit que même s'il parvenait à trouver un emploi approprié, il n'avait aucun moyen de se rendre au travail car le fait de conduire dans son état constitue un trop grand risque. Ce facteur, en soi, ne le rend pas inapte à travailler.

[8]      Le demandeur a déposé à la Commission une demande d'autorisation d'interjeter appel qui a été rejetée par un commissaire pour les motifs suivants :

         [traduction]
         Le tribunal de révision a examiné tous les éléments de preuve et a dit que « l'ensemble de la preuve n'étayait pas la prétention de M. Wihksne selon laquelle il était incapable d'effectuer le genre de travail qui convient à son état » .
         Il est évident que le tribunal a considéré le témoignage de M. Wihksne. Le poids à accorder à une preuve subjective est déterminé au cas par cas. Je remarque que plusieurs éléments de preuve démontrent qu'il est capable d'effectuer certaines tâches. Il incombe à la personne qui présente une demande de prestations d'en prouver le bien-fondé, et après avoir apprécié la preuve, le tribunal a conclu qu'il ne s'était pas acquitté de cette obligation.
         Les « nouveaux éléments de preuve » déposés avec l'avis d'appel avaient déjà été examinés par le tribunal.
         Aucune erreur n'a été prouvée et l'autorisation est refusée.

[9]      Je dois d'abord déterminer le degré de retenue judiciaire qui devrait être appliqué lors du contrôle de la décision de la Commission de refuser l'autorisation d'interjeter appel. Comme l'énonce le juge MacKay dans l'affaire Callihoo c. Le procureur général du Canada, [2000] A.C.F. no 612 (1re inst.), au paragraphe 6 :

         En ce qui concerne la norme de la décision correcte, la cour qui réexamine une décision peut l'annuler si elle conclut que la décision est simplement incorrecte. Pour ce qui est de la norme de la décision manifestement déraisonnable, la décision ne peut être annulée que si l'erreur commise par le décideur est tellement déraisonnable qu'elle ne trouve aucun fondement dans la preuve ou dans la loi. Entre ces deux extrêmes, la norme de la décision raisonnable peut être appropriée quand la décision qui fait l'objet du réexamen n'est pas seulement une question de droit, et il suffira que la décision réexaminée soit étayée par des motifs qui peuvent résister à un examen assez poussé.

Le juge MacKay ajoute :

         Le degré de retenue dans une affaire donnée s'évalue en vertu d'une analyse « pragmatique et fonctionnelle » , récemment reformulée dans l'arrêt Pushpanathan, confirmé par l'arrêt Baker.

À mon avis, dans la présente affaire, la norme de contrôle devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter.

[10]      Dans l'affaire Callihoo, précitée, le juge MacKay poursuit en examinant la jurisprudence récente de la Cour relative aux demandes d'autorisation d'interjeter appel à la Commission et conclut que le contrôle judiciaire de ces demandes donne généralement lieu à deux questions :

         1.      la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c'est-à-dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d'être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;
         2.      la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d'appréciation des faits au moment de déterminer s'il s'agit d'une demande ayant des chances sérieuses d'être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n'a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d'accorder l'autorisation.

[11]      Je suis d'avis que la Commission a appliqué le bon critère, c'est-à-dire savoir si la demande avait des chances sérieuses d'être accueillie, et qu'elle n'a pas autrement évalué le bien-fondé de la demande.

[12]      Le demandeur allègue que la présente affaire est semblable à l'affaire Martin c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) (1999), 252 N.R. 141; [1999] F.C.J. no 1972 (C.A.), dans laquelle la Cour a conclu que la Commission avait imposé à l'appelant un fardeau trop élevé lorsqu'elle avait évalué sa demande d'interjeter appel. Dans cette affaire, le juge Malone, J.C.A., a conclu :

         [...] il existe au moins une cause défendable quant à l'interprétation appropriée du sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada selon lequel, pour qu'une invalidité soit grave, le demandeur doit être « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » . Le tribunal de révision, toutefois, a supposé que l'appelant devait prouver qu'il était « incapable d'accomplir tout travail » .

[13]      À la page 3 de sa décision (reproduite à la page 14 du dossier du demandeur), le tribunal utilise un langage semblable quand il déclare :

         [traduction]
         Le tribunal a conclu que l'ensemble de la preuve n'étaye pas la prétention de M. Wihksne selon laquelle il était incapable d'effectuer le genre de travail qui convient à son état.

Toutefois, plus avant dans sa décision, le tribunal a énoncé le critère prévu par le Régime de pensions du Canada :

         [traduction]
         [...] [l'invalidité] rend la personne à laquelle elle se rapporte régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[14]      Dans la présente affaire, même si le commissaire n'a pas utilisé les termes employés dans la loi, il a dit que la décision était fondée sur l'évaluation de la preuve, que la loi était claire, qu'il appartenait au tribunal qui entendait l'affaire d'évaluer la valeur probante de la preuve et qu'il ne s'agissait pas d'une affaire qui avait des chances sérieuses d'être accueillie et dont on pouvait dire que la preuve aurait dû être évaluée autrement.

[15]      Je suis très préoccupé par le fait que le commissaire ait dit que « plusieurs éléments de preuve démontrent qu'il est capable d'effectuer certaines tâches » . Cette phrase est différente de celle utilisée dans la Loi, selon laquelle le demandeur doit être « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » .

[16]      À mon avis, la Commission n'est pas tenue de reprendre les termes exacts de la Loi. Il y a une très grande différence entre dire qu'une personne est « incapable d'effectuer certaines tâches » et dire que cette personne est « incapable d'accomplir tout genre de travail » . Je suis par conséquent convaincu que la Commission a examiné si la demande avait des chances sérieuses d'être accueillie plutôt que d'examiner le bien-fondé de la demande.

[17]      Je me pencherai maintenant sur la deuxième question examinée par le juge MacKay dans l'affaire Callihoo, précitée. À mon avis, aucune des questions soulevées par le demandeur ne saurait m'amener à conclure que la Commission a commis une erreur de droit ou une erreur dans l'appréciation des faits lorsqu'elle a tranché la question de savoir si la demande avait des chances sérieuses d'être accueillie.

[18]      Le demandeur a aussi présenté des observations relativement à des preuves médicales soumises à la Commission mais dont ne disposait pas le tribunal de révision. Ces éléments de preuve n'apportent aucun nouveau renseignement pertinent quant à l'état de santé du demandeur. La preuve médicale comprend un rapport ultérieur du Dr Hollis, chirurgien esthétique. Il y a aussi un nouveau document intitulé [traduction] « Feuilles de calcul de la pension - perte fonctionnelle » de la Worker's Compensation Board de la Colombie-Britannique, selon lequel l'invalidité totale du demandeur aux fins de la Worker's Compensation Board de la Colombie-Britannique était passée de 1,79 % à 3,47 %, modification qui a eu pour effet d'augmenter le montant de sa pension de 46 $ par mois. Selon moi, cela n'équivaut pas à un changement important des faits, comme l'énonce le juge Reed dans la décision Kerth c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) (1999), 173 F.T.R. 102; [1999] A.C.F. no 1252 (1re inst.).

[19]      Le Dr Trottershaw, médecin de famille, a produit un nouveau rapport qui n'avait pas été déposé devant le tribunal de révision. Le seul nouveau renseignement contenu dans ce rapport est que le 30 avril 2000, le demandeur a été référé au Dr Kemble, neurologue, afin de subir les tests de conduction nerveuse et l'EMG que le Dr de Champlain avait lui aussi proposés. Toutefois, le rapport indique que [traduction] « Le Dr Kemble a conclu, d'après un examen neurologique et un électrodiagnostic, que l'état neurologique de M. Wihkse était normal » . À mon avis, aucun de ces éléments ne constituait une preuve qui aurait raisonnablement pu faire changer la décision du tribunal de révision.

[20]      Le demandeur a soutenu qu'il y avait eu atteinte à l'équité procédurale en raison du fait qu'il n'y avait pas eu d'audience devant la Commission. À mon avis, l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, énonce clairement qu'il n'est pas nécessaire de tenir une audience. La Cour d'appel fédérale est arrivée au même résultat dans l'arrêt Nuosci c. Canada (Gendarmerie royale du Canada) (1994), 167 N.R. 153; [1994] A.C.F. no 243.

[21]      Le demandeur avait aussi soutenu que la décision était erronée ou nulle parce qu'aucun des trois commissaires ne l'avait signée. En vertu de l'article 82 du Régime des pensions du Canada, le commissaire des tribunaux de révision doit donner un avis de la décision du tribunal et des motifs la justifiant au ministre ainsi qu'aux parties. Cet avis a été donné en l'espèce. Le juge Rothstein est arrivé à une conclusion semblable dans l'affaire Gramaglia c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1384, au paragraphe 10.

[22]      Le demandeur soutient que le tribunal de révision a mal interprété le rapport du Dr Bass lorsqu'il dit, aux pages 2 et 3 de sa décision, que [traduction] « le Dr Bass conclut que M. Wihksne peut travailler mais que son comportement passif et son attitude l'empêcheront vraisemblablement de recommencer à travailler » . Le Dr Bass affirme dans son rapport que [traduction] « présentement, je peux tout au plus recommander que M. Wihske soit considéré comme partiellement invalide, sous réserve que la présente opinion ne devrait pas lui coller cette étiquette avant qu'il n'ait subi l'EMG et une évaluation psychiatrique » . On a soutenu que le Dr Bass avait produit ce rapport à la demande du ministre. Le demandeur a le fardeau de prouver le bien-fondé de sa demande. S'il avait voulu donner suite à ces deux conditions, il aurait pu le faire. Le tribunal de révision, qui a examiné en entier le rapport du Dr Bass pour en arriver à une conclusion, ne s'y serait certainement pas opposé.

[23]      À mon avis, aucun des éléments soulevés par le demandeur ne constitue une erreur de droit ou une erreur dans l'appréciation des faits.

[24]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« W.P. McKeown »

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 21 juillet 2000


Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-1451-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Thomas Wihksne c. Le procureur général du Canada


LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 30 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE de Monsieur le juge McKeown

EN DATE DU :              21 juillet 2000



ONT COMPARU :

M. Craig Paterson                          POUR LE DEMANDEUR
Mme Nathalie Sarault                          POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :         

Paterson & Associés

Vancouver (C.-B.)                          POUR LE DEMANDEUR

                

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                          POUR LE DÉFENDEUR
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