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Date : 20200228


Dossier : IMM-5260-19

Référence : 2020 CF 317

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 28 février 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

SAIDA AHMADI

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] en date du 9 août 2019.

[2]  La défenderesse, Saida Ahmadi, est une citoyenne de l’Afghanistan. Elle est arrivée au Canada en 2017 et a demandé l’asile. En novembre 2017, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada a établi un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] à l’encontre de la défenderesse au motif qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la défenderesse était interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Plus particulièrement, l’agent a établi que la défenderesse avait commis hors du Canada un acte qui constitue une infraction visée aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24. L’affaire a été déférée à la Section de l’immigration [la SI] pour fins d’enquête aux termes du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[3]  Le 9 août 2018, la SI a conclu que la défenderesse n’était pas interdite de territoire au sens de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR.

[4]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SI devant la SAI le 29 août 2018.

[5]  Après avoir reçu le dossier d’appel, la SAI a écrit aux parties le 20 novembre 2018 pour leur demander de présenter des observations quant à la question de savoir si l’appel pouvait [traduction] « être instruit sur le fondement de la transcription de l’audience devant la SI ». La SAI a aussi fait savoir que les observations du demandeur devaient être reçues au plus tard le 20 décembre 2018, que la défenderesse avait trois (3) semaines pour présenter une réponse écrite, après quoi, le demandeur disposait de cinq (5) jours pour produire une réponse écrite définitive.

[6]  Le 18 décembre 2018, le demandeur a répondu à la demande de la SAI en faisant savoir que d’autres éléments de preuve de vive voix n’étaient pas nécessaires et que la transcription était suffisante pour trancher l’appel. Dans ses observations en date du 24 janvier 2019, la défenderesse a aussi déclaré qu’elle n’avait pas besoin d’autres témoignages et qu’elle estimait que le dossier d’appel était suffisant pour trancher l’appel. Le demandeur n’a pas répliqué aux observations de la défenderesse.

[7]  Dans une décision en date du 9 août 2019, la SAI a rejeté l’appel du demandeur, souscrivant à la position de la SI voulant que la défenderesse n’était pas interdite de territoire au Canada au sens de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Avant d’examiner les questions de l’admissibilité et de la complicité, la SAI a souligné que le demandeur et la défenderesse avaient tous les deux soutenu « qu’il n’était pas nécessaire d’entendre d’autres témoignages et que le dossier d’appel suffirait comme preuve requise aux fins [de l’]appel ». La SAI a ajouté que, étant donné qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience, elle avait tenu compte « des documents contenus dans le dossier » pour rendre sa décision.

[8]  Le demandeur soutient que la SAI a manqué aux principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale lorsqu’elle a omis de demander aux parties de présenter des observations sur les questions de fond avant de rendre sa décision quant au fond.

II.  Analyse

[9]  Lorsque des questions d’équité procédurale sont soulevées, le rôle de la Cour consiste à décider si la procédure en question est équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 79). L’approche à adopter dans l’examen des questions d’équité procédurale semble ne pas être touchée par la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[10]  J’estime que, dans les circonstances de la présente affaire, la SAI a manqué au droit à l’équité procédurale du demandeur.

[11]  La réponse du demandeur à la SAI montre clairement que celui-ci a pris la demande faite par la SAI comme se rapportant à une question de procédure. Le demandeur a souligné que la défenderesse avait fourni des éléments de preuve au sujet des facteurs qui s’appliquent à l’interdiction de territoire au sens de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR et qu’il avait cru comprendre que le témoignage de la défenderesse figurait dans le dossier d’appel. Le demandeur a précisé que, par conséquent, [traduction] « des témoignages supplémentaires n’étaient pas nécessaires » et a soutenu que [traduction] « la transcription suffisait pour trancher l’appel » devant la SAI. Le demandeur a répété dans sa conclusion que la SAI disposait de [traduction] « la transcription de l’audience, y compris le témoignage de la défenderesse », que la transcription pouvait servir aux fins de l’appel et que l’appel pouvait être instruit sur ces fondements. Les observations du demandeur sont intitulées [traduction] « Observations de l’appelant quant à la procédure » et consistent en six (6) paragraphes, dont deux (2) renvoyant à la demande de la SAI. Dans sa lettre adressée à la SAI à laquelle sont jointes les observations, le demandeur renvoie encore au fait qu’il croyait comprendre que les observations étaient fournies en réponse à la [traduction] « question [de la SAI] concernant la procédure ».

[12]  La défenderesse soutient que, dans sa réponse à la demande faite par la SAI, elle a fait savoir qu’elle n’avait pas besoin d’autres témoignages, mais aussi qu’elle estimait que le dossier d’appel suffisait pour trancher l’appel interjeté devant la SAI. Elle affirme que, à la lumière de ce commentaire, il incombait au demandeur de produire une réponse informant la SAI que des observations supplémentaires seraient présentées.

[13]  Je ne suis pas convaincue par l’argument de la défenderesse. L’examen des observations formulées par la défenderesse laisse aussi entendre qu’à l’instar du demandeur, elle avait aussi cru comprendre que la demande de la SAI se rapportait à la procédure, et non pas aux questions de fond. Les observations de la défenderesse consistent en deux (2) paragraphes et sont intitulées [traduction] « Observations de la défenderesse quant à la procédure ». S’il est possible que la défenderesse ait cru comprendre que des observations supplémentaires sur les questions de fond n’étaient pas nécessaires, j’estime qu’il n’est pas déraisonnable que le demandeur fût d’avis que la question abordée était celle de savoir si des témoignages de vive voix étaient nécessaires puisque la demande faite par la SAI renvoyait expressément à la transcription de l’audience et que ladite transcription ne contenait pas les observations formulées par les parties, étant donné que les observations avaient été présentées à la SI par écrit.

[14]  Je reconnais qu’il convient de faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la SAI en ce qui concerne le choix de la procédure et que l’article 25 des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, prévoit que la SAI peut demander aux parties de procéder par écrit à condition que cette façon de faire ne leur cause pas d’injustice et qu’il n’est pas nécessaire d’entendre des témoins. Toutefois, la SAI a invité les parties à formuler des observations sur la question de savoir si l’appel pouvait être instruit sur la foi de la transcription de l’audience devant la SI. Elle n’a pas fait savoir que l’appel serait instruit par écrit ou qu’il serait instruit sur la foi du seul dossier d’appel. Après avoir reçu les réponses des parties, la SAI aurait dû informer les parties qu’elle avait l’intention de procéder sur la foi du seul dossier d’appel. Ainsi, le demandeur aurait pu faire connaître à la SAI son intention de produire des observations écrites supplémentaires. À la lumière de l’affirmation de la SAI dans la décision selon laquelle les parties avaient toutes les deux soutenu « qu’il n’était pas nécessaire d’entendre d’autres témoignages et que le dossier d’appel suffirait comme preuve requise aux fins [de l’]appel », je suis convaincue que la SAI a confondu la transcription des éléments de preuve avec le dossier d’appel.

[15]  La Cour a déjà statué que la SAI était tenue de donner aux deux parties l’occasion de présenter des observations et de les informer lorsqu’elle prévoit rendre une décision (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Oganda Tonda, 2018 CF 813 au par. 23; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conteh, 2018 CF 416 aux par. 8 et 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Chen, 2011 CF 514 aux par. 8 et 9). Même si je reconnais que ces affaires sont un peu différentes, j’estime que les principes sous-jacents s’appliquent quand même.

[16]  Dans les circonstances de l’espèce, je conclus qu’il était injuste que la SAI rende une décision (i) sans avoir informé les parties qu’elle procéderait sur la foi du dossier d’appel seulement;(ii) sans leur accorder une occasion valable de présenter des observations supplémentaires sur les questions de fond qu’elle devait trancher, privant ainsi les parties de leur droit d’être entendues. J’estime que ce manquement à l’équité procédurale porte un coup fatal à la décision et justifie l’intervention de la Cour.

[17]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour une nouvelle décision.

[18]  Enfin, les parties conviennent que le demandeur légitime en l’espèce est le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. L’intitulé de l’affaire est modifié en conséquence.

[19]  Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5260-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de la Section d’appel de l’immigration en date du 9 août 2019 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour une nouvelle décision;

  3. L’intitulé de l’affaire est modifié pour remplacer le « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » par le « ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile »;

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour d’avril 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5260-19

INTITULÉ :

Le Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile c SAIDA AHMADI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 février 2020

JUGEMENT et motifs :

la juge ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 28 février 2020

COMPARUTIONS :

Kimberly Sutcliffe

POUR LE DEMANDEUR

Roger Bhatti

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Roger Bhatti

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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