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Date : 20200217


Dossier : T‑10‑19

Référence : 2020 FC 259

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

BRIAN DOYLE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La vue d’ensemble

[1]  Le 11 octobre 2017, alors qu’il travaillait pour l’Office national de l’énergie (l’ONE), le demandeur (M. Doyle) a déposé une plainte pour violence dans son lieu de travail (la plainte) auprès d’Emploi et Développement social Canada, et a demandé qu’une enquête soit tenue conformément à l’article 20.9 de la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86‑304 (le Règlement).

[2]  Dans sa plainte, M. Doyle a précisé que sa démarche visait à [TRADUCTION] « former un appel contre les conclusions, tirées à la suite d’une plainte pour comportement irrespectueux dans le lieu de travail, lesquelles n’ont pas fait état des éléments de violence dans le lieu de travail ». Il a mentionné que sa plainte pour comportement irrespectueux dans le lieu de travail avait été déposée le 24 décembre 2016 conformément à la Politique sur le respect et la prévention de la violence dans le lieu de travail de l’ONE et qu’une décision définitive avait été rendue le 11 septembre 2017.

[3]  Le 20 décembre 2017, le coordonnateur de la santé et de la sécurité au travail de l’ONE a écrit à M. Doyle pour accuser réception de la plainte. L’auteur de la lettre indiquait que, conformément à la partie XX du Règlement, l’étape suivante consistait à nommer une personne compétente chargée d’enquêter sur l’affaire.

[4]  Le 13 mars 2018, les services de la personne compétente ont été retenus pour qu’elle fasse l’enquête prévue au paragraphe 20.9(3) du Règlement. La personne compétente a fait parvenir un rapport préliminaire à M. Doyle le 18 septembre 2018.

[5]  Le rapport final de la personne compétente (le rapport) a été produit le 9 octobre 2018, et M. Doyle l’a reçu le 22 octobre 2018.

[6]  Dans son rapport, la personne compétente a souligné qu’elle avait examiné tous les documents qu’un autre cabinet avait pris en compte dans le cadre d’une enquête antérieure menée conformément à la Politique sur le respect et la prévention de la violence dans le lieu de travail de l’ONE, enquête qui avait donné lieu à un rapport produit le 26 mai 2017.

[7]  Selon sa compréhension, la personne compétente devait examiner les documents et les conclusions de l’enquête antérieure se rapportant à la prévention de la violence en milieu de travail visée à la partie XX du Règlement. Elle devait ensuite, conformément à la partie XX du Règlement, formuler des conclusions et des recommandations, et conclure s’il y avait eu un cas de non-respect de la politique.

[8]  Dans son rapport, la personne compétente a examiné 13 allégations formulées par M. Doyle et conclu qu’il avait effectivement été victime d’un comportement irrespectueux — qui pouvait peut‑être constituer de la discrimination ou du harcèlement —, mais que la situation ne correspondait pas à la définition de violence en milieu de travail.

II.  Les thèses des parties

[9]  Monsieur Doyle, qui agit pour son propre compte, demande le contrôle judiciaire du rapport d’enquête. Il n’est pas satisfait de la qualité de l’enquête ni du rapport d’enquête. Il affirme que le processus ayant mené à la production du rapport était, à plusieurs égards, inéquitable sur le plan procédural.

[10]  Le défendeur reconnaît que le paragraphe 29(4) du Règlement n’a pas été respecté, car l’enquête sur la plainte de M. Doyle faite par la personne compétente n’était pas exhaustive ni n’en a-t-elle permis le règlement complet. Il admet par ailleurs qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, notamment parce que M. Doyle n’a pas été interviewé.

[11]  Monsieur Doyle ne sollicite pas l’annulation du rapport et la tenue d’une nouvelle enquête, mais demande plutôt à la Cour de trancher la plainte à la lumière des éléments de preuve produits. Il affirme qu’il serait incapable de participer à une nouvelle enquête si le rapport devait être annulé. Il ajoute que, selon ce qu’il a vécu, l’enquête elle-même était une forme de violence en milieu de travail.

[12]  Selon le défendeur, l’affaire doit être renvoyée afin de permettre à l’employeur de tenter de régler la situation, conformément au paragraphe 20.9(2) du Règlement. À cette fin, il demande que le rapport soit annulé et que la plainte soit réexaminée conformément aux exigences énoncées aux paragraphes 20.9(2) à (5) du Règlement.

[13]  L’analyse qui suit au sujet de l’intitulé aidera peut‑être à mieux comprendre les raisons qui justifient la réparation qu’il demande.

III.  La question préliminaire au sujet de l’intitulé

[14]  Après l’audience de la présente affaire, mais avant que la Cour rende son jugement, les parties ont été invitées à présenter des observations sur une proposition de la Cour qui visait à modifier l’intitulé de façon à mettre l’ONE hors de cause à titre de défendeur, compte tenu de l’alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

[15]  Le défendeur a accepté la modification proposée.

[16]  Monsieur Doyle a exprimé la préoccupation suivante au sujet de la mise hors de cause de l’ONE à titre de défendeur :

[traduction]

Dans le cadre de ses fonctions en tant que cour d’archives, l’Office national de l’énergie (la Régie de l’énergie du Canada) – un office fédéral –, n’a pas de pouvoirs juridictionnels sur l’application et l’interprétation du Code canadien du travail. Il s’agit d’une responsabilité qui relève du secteur administratif de l’Office national de l’énergie (la Régie de l’énergie du Canada), et ces responsabilités visent à assurer la conformité au sein de l’organisation, tandis que le secteur des opérations est quant à lui chargé d’assurer la conformité au sein des sociétés qu’il réglemente. […] Le rapport de la personne compétente et la lettre de décision de l’ONE ne peuvent pas être considérés comme les conclusions de l’ONE en tant qu’« office fédéral ». Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire ne vise pas l’ordonnance d’un « office fédéral visé par la demande ».

[17]  En ce qui concerne le renvoi de l’affaire en vue d’une nouvelle enquête, M. Doyle se dit aussi convaincu que la personne compétente n’est pas un office fédéral, de sorte qu’il n’y a pas d’office fédéral auquel renvoyer l’affaire.

[18]  Monsieur Doyle a expliqué davantage la nature de sa préoccupation en affirmant que, si l’ONE (devenue depuis la Régie canadienne de l’énergie) est un office fédéral, son [traduction] « argument concernant l’inexistence d’un office fédéral qui peut être saisi du renvoi de la décision ne tient plus, et la Cour devrait renoncer à ses responsabilités concernant le contrôle judiciaire ».

[19]  La préoccupation de M. Doyle concernant la question de savoir s’il existe un office fédéral qui peut être saisi du renvoi de la plainte découle de sa croyance selon laquelle la norme de contrôle applicable au rapport est celle de la décision correcte. D’après ce que je comprends de l’analyse de M. Doyle, si, comme il l’affirme, il n’y a pas d’office fédéral qui peut être saisi du renvoi et si la norme de contrôle est celle de la décision correcte, il revient donc à la Cour de rendre la décision que la personne compétente aurait dû rendre à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait.

IV.  La signification de l’expression « office fédéral » dans la présente affaire

[20]  La Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, donne au paragraphe 2(1) la définition suivante d’office fédéral :

office fédéral Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. (federal board, commission or other tribunal)

federal board, commission or other tribunal means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867. (office fédéral)

[21]  Comme on peut le voir dans les premières lignes, un office fédéral inclut les personnes et les organismes qui exercent des pouvoirs prévus par une loi fédérale. L’ONE était un office fédéral qui exerçait les pouvoirs que lui conférait une loi fédérale, et la Régie canadienne de l’énergie, qui lui succède, a également été créée en vertu d’une loi fédérale, à savoir la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, LC 2019, c 28, art. 10.

[22]  La plainte a été présentée au coordonnateur de la santé et de la sécurité au travail de l’ONE, et l’enquête subséquente de la personne compétente découlait de l’exercice de pouvoirs prévus par une loi fédérale et son règlement d’application.

[23]  La plainte a été déposée en vertu de la partie II du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 (le Code), qui a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions. En vertu de l’alinéa 125(1)z.16) du Code, l’employeur est tenu de prendre les mesures prévues par les règlements pour prévenir et réprimer la violence dans le lieu de travail. La nomination de la personne compétente, la tenue de l’enquête et la production du rapport sont toutes prévues par le Règlement, pris conformément au paragraphe 157(1) du Code.

[24]  Un courant jurisprudentiel important permet de déterminer, dans une situation donnée, si les faits d’une affaire permettent d’établir qu’ils sont visés par la définition d’un « office fédéral ». La Cour suprême du Canada a défini la portée générale de cette définition dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Telezone Inc., 2010 CSC 62, au paragraphe 3 :

[3]  La définition d’un « office fédéral » figurant dans la LCF est très large : « Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale » (art. 2) ― cette définition exclut certains décideurs, notamment les juges de la Cour canadienne de l’impôt, mais ces exceptions ne sont pas pertinentes en l’espèce. Les décideurs fédéraux visés vont du Premier ministre et des organismes les plus importants jusqu’au garde-frontière et au douanier locaux, et englobent tous ceux qui se situent entre ces deux extrêmes. (Non souligné dans l’original.)

[25]  Compte tenu de tout ce qui précède, je n’hésite pas à conclure que l’ONE — l’employeur de M. Doyle à la date pertinente — est un office fédéral au sens de la Loi sur les Cours fédérales. Par conséquent, l’ONE n’est pas un défendeur visé par l’alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales.

[26]  L’intitulé est modifié de manière à ce que l’Office national de l’énergie soit mis hors de cause à titre de défendeur, et la modification prend effet immédiatement (al. 303(1)a) des Règles des Cours fédérales).

V.  La norme de contrôle applicable

[27]  De façon générale, une affaire qui concerne un manquement à l’équité procédurale est généralement susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[28]  Récemment, la Cour a établi une distinction selon laquelle aucune analyse quant à la norme de contrôle applicable n’est nécessaire lorsqu’il s’agit de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. La question fondamentale consiste à savoir si M. Doyle connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, art. 49, 50 et 56).

[29]  Les deux parties font observer que le processus ayant mené aux recommandations formulées dans le rapport a privé M. Doyle de son droit à l’équité procédurale. Même si la Cour n’est pas liée par l’accord des parties, le dossier sous‑jacent appuie de façon indépendante les observations des deux parties selon lesquelles le processus n’était pas équitable pour M. Doyle.

[30]  Une décision issue d’un processus inéquitable sur le plan procédural étant illégale, il n’est donc pas nécessaire de chercher à savoir si elle était raisonnable à d’autres égards (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, par. 80).

VI.  La question en litige

[31]  La seule question en litige consiste à se demander si la Cour peut faire droit à la demande de M. Doyle de statuer sur sa plainte quant au fond, à la lumière des éléments de preuve dont disposait la personne compétente.

VII.  L’analyse

[32]  Monsieur Doyle a demandé à la Cour d’examiner la preuve au dossier et de statuer sur la plainte. Malheureusement, il cherche à obtenir une réparation que la Cour ne peut pas lui accorder, et ce, pour deux raisons.

[33]  La première raison tient au fait que la Cour n’est pas investie du pouvoir de décider si M. Doyle a été victime de violence dans son lieu de travail. Dans le cadre du Code et du Règlement, le législateur a conféré ce pouvoir à l’employeur de M. Doyle, à savoir l’ONE.

[34]  Plus précisément, l’employeur est tenu, en vertu de l’article 20.9 du Règlement, de faire ce qui suit :

Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86‑304

PARTIE XX

Prévention de la violence dans le lieu de travail

Notification et enquête

[…]

20.9

[…]

(2) Dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dès que possible.

(3) Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication et qui ne révèle pas l’identité de personnes sans leur consentement.

(4) Au terme de son enquête, la personne compétente fournit à l’employeur un rapport écrit contenant ses conclusions et recommandations.

(5) Sur réception du rapport d’enquête, l’employeur :

a) conserve un dossier de celui‑ci;

b) transmet le dossier au comité local ou au représentant, pourvu que les renseignements y figurant ne fassent pas l’objet d’une interdiction légale de communication et qu’ils ne révèlent pas l’identité de personnes sans leur consentement;

c) met en place ou adapte, selon le cas, les mécanismes de contrôle visés au paragraphe 20.6(1) pour éviter que la violence dans le lieu de travail ne se répète.

Canada Occupational Health and Safety Regulations, SOR/86‑304

PART XX

Violence Prevention in the Work Place

Notification and Investigation

[...]

20.9

[...]

(2) If an employer becomes aware of work place violence or alleged work place violence, the employer shall try to resolve the matter with the employee as soon as feasible.

(3) If the matter is unresolved, the employer shall appoint a competent person to investigate the work place violence and provide that person with any relevant information whose disclosure is not prohibited by law and that would not reveal the identity of persons involved without their consent.

(4) The competent person shall investigate the work place violence and at the completion of the investigation provide to the employer a written report with conclusions and recommendations.

(5) The employer shall, on completion of the investigation into the work place violence,

(a) keep a record of the report from the competent person;

(b) provide the work place committee or the health and safety representative, as the case may be, and with the report of the competent person, providing information whose disclosure is not prohibited by law and that would not reveal the identity of persons involved without their consent; and

(c) adapt or implement, as the case may be, controls referred to in subsection 20.6(1) to prevent a recurrence of the work place violence.

[35]  La deuxième raison tient au fait que la Cour fédérale est une cour d’origine législative. Lorsque j’examine une demande de contrôle judiciaire, je peux seulement, en ma qualité de juge de la Cour, exercer les pouvoirs énoncés au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales :

Pouvoirs de la Cour fédérale

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

Powers of Federal Court

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[36]  Dans la présente affaire, la disposition pertinente de la Loi sur les Cours fédérales est l’alinéa 18.1(3)b), qui accorde à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’« annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées » l’affaire faisant l’objet du contrôle.

[37]  Il a déjà été établi que le rapport était issu d’un processus inéquitable sur le plan procédural et qu’en conséquence, il n’est pas valable et doit être annulé. L’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales me confère le pouvoir de renvoyer la plainte pour nouvelle décision, conformément aux instructions que j’estime appropriées. Les parties à un litige demandent souvent à la Cour de donner des instructions au tribunal administratif à qui une affaire est renvoyée afin d’ordonner une issue précise (voir, par exemple, Garshowitz c Canada (Procureur général), 2017 CAF 251, par. 5).

[38]  L’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales me confère le pouvoir, lorsque j’examine une demande de contrôle judiciaire, d’exiger un résultat précis de la part d’une personne ou d’un tribunal au moyen d’un bref de certiorari et un bref de mandamus contre tout « office fédéral » :

Recours extraordinaires : offices fédéraux

18 (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

Extraordinary remedies, federal tribunals

18 (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

[39]  Une telle réparation constitue un « recours extraordinaire ». La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que le pouvoir de forcer un tribunal ou une personne à tirer une conclusion précise est seulement possible « lorsque, selon les faits et le droit, le décideur administratif dispose d’une seule issue légale ou peut tirer une seule conclusion raisonnable, de sorte qu’il serait inutile de renvoyer la décision au décideur pour nouvelle décision » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206, par. 72).

[40]  En l’espèce, j’estime que, selon les faits et le droit, il n’y a pas qu’une seule issue qui soit légale ou il n’y a pas qu’une seule conclusion qui soit raisonnable, notamment parce que M. Doyle conteste les faits énoncés dans le rapport dont il demande le contrôle judiciaire.

[41]  Dans ses observations, M. Doyle a énuméré 17 problèmes liés au rapport. Il affirme, entre autres choses, que la personne compétente a modifié des éléments de preuve, qu’elle n’a pas abordé le point de la suppression ou destruction possible des documents, qu’elle s’est appuyée sur des déclarations contestées et inexactes formulées dans le rapport précédent, et qu’elle n’a pas été en mesure d’appliquer les dispositions législatives pertinentes ou qu’elle a refusé de le faire.

[42]  Plus important encore, M. Doyle allègue que la personne compétente a tiré une conclusion erronée [TRADUCTION] « parce qu’elle a dissimulé, altéré ou modifié des éléments de preuve et reformulé un récit qui était faux, un résumé, de [l’autre] rapport d’enquête ».

[43]  Monsieur Doyle me demande d’examiner des éléments de preuve que je ne saurais apprécier en l’absence d’un dossier factuel fiable, en vue de déterminer s’il existe une seule issue raisonnable.

[44]  En outre, comme le dossier certifié du tribunal et le dossier du demandeur contiennent plus de 2 000 pages de documents déposés dans le cadre de la présente demande, tout réexamen exigera vraisemblablement des éléments de preuve supplémentaires afin de concilier les positions contradictoires ou d’obtenir les éléments de preuve manquants. Il n’appartient pas à la Cour de se livrer à un tel exercice dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Je répète que le législateur a confié cette responsabilité à la personne compétente nommée en vertu du Règlement.

VIII.  La conclusion

[45]  L’article 20.9 du Règlement vise à offrir aux employés des moyens pour obtenir réparation lorsqu’ils sont victimes de violence dans leur lieu de travail (Canada (Procureur général) c Alliance de la Fonction publique du Canada, 2015 CAF 273, par. 20). Même s’il a déposé sa plainte initiale le 26 décembre 2016, les deux enquêtes déficientes qui ont été menées n’ont pas encore permis à M. Doyle d’obtenir réparation.

[46]  Monsieur Doyle a clairement fait savoir qu’il voulait, au bout du compte, qu’une décision définitive et claire soit rendue relativement à sa plainte pour violence dans le lieu de travail. Il a affirmé catégoriquement ne pas souhaiter la tenue d’une autre enquête et il estime ne pas pouvoir supporter le stress qui en découlerait.

[47]  Je comprends la position de M. Doyle, mais, pour les motifs que j’ai exposés dans le présent jugement, je conclus que la seule issue qui s’offre à lui dans le cadre d’un contrôle judiciaire est l’annulation du rapport et le renvoi de la plainte pour nouvelle décision.

[48]  Si le processus prévu au paragraphe 20.9(2) ne permet pas d’aboutir à un règlement, il faudra qu’une autre personne compétente soit nommée conformément au paragraphe 20.9(3), et celle-ci sera tenue de mener une nouvelle enquête et de produire un nouveau rapport conformément au paragraphe 20.9(4).

[49]  Toutefois, M. Doyle peut choisir de ne pas participer à l’une ou l’autre des étapes du processus prévu à l’article 20.9 du Règlement, puisqu’il n’a pas d’obligation en ce sens. Il peut choisir de participer à certaines étapes, mais pas à d’autres. La décision est entièrement sienne. Je tiens cependant à préciser que ce qui précède ne signifie pas que M. Doyle peut exiger un processus qui contrevient au Règlement.

[50]  Enfin, durant l’instruction de la présente demande, M. Doyle a demandé s’il pouvait tout simplement retirer sa plainte. À ma connaissance, rien ne l’empêche de le faire s’il estime que c’est dans son intérêt supérieur. Je suppose que le retrait de la plainte risquerait de mettre fin au processus. Dans ce cas, c’est à M. Doyle de prendre ce risque.

[51]  Vu les circonstances de la présente demande, aucuns dépens ne sont adjugés à l’une ou l’autre des parties.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑10‑19

LA COUR STATUE que :

1.  L’intitulé est modifié de façon à mettre l’Office national de l’énergie hors de cause à titre de défendeur, et la modification prend effet immédiatement, conformément à l’alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales et au paragraphe 8 de l’arrêt Hicks c Canada (Procureur général), 2019 CAF 311.

2.  Le rapport est annulé, et une autre personne compétente devra examiner la plainte.

3.  Monsieur Doyle a le droit de retirer sa plainte en tout temps.

4.  Monsieur Doyle a également le droit de participer ou non, à l’une quelconque des étapes ou à toutes les étapes de l’enquête ou du processus, relativement à l’examen de la plainte, entrepris en vertu du Règlement.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour d’avril 2020.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑10‑19

 

INTITULÉ :

BRIAN DOYLE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 17 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Brian Doyle

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Raymond Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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