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Date : 20041103

Dossier : IMM-7862-03

Référence : 2004 CF 1551

Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                              MAHMUT YILDIZ

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mahmut Yildiz est un citoyen turc âgé de 38 ans. Il a présenté une demande de statut de réfugié au vu d'une crainte fondée de persécution en Turquie aux mains des autorités turques, incluant les forces de sécurité, parce qu'il est Kurde et pour ses opinions politiques présumées. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) a rejeté sa demande.


[2]                À l'audition de sa demande de contrôle judiciaire, l'avocat du demandeur (qui n'est ni l'avocat qui a comparu devant la SPR, ni celui qui a déposé le dossier) a retiré toutes les allégations d'erreurs dans la décision de la SPR, sauf celle d'un manquement à la justice naturelle. La seule question à trancher consiste donc à savoir s'il y a eu manquement à la justice naturelle, au motif que M. Yildiz n'a pas eu l'occasion de présenter son point de vue.

[3]                Il n'est pas utile de raconter ici les divers incidents qu'on dit avoir donné naissance à la revendication de statut de réfugié. Il suffit de rappeler que l'audience a eu lieu le 17 janvier 2003. Dans une lettre datée du 11 juillet 2002, la SPR a précisé que les questions suivantes étaient pertinentes dans le cadre de la demande : la crédibilité; le groupe ethnique/la tribu/le clan; le défaut d'avoir déposé une demande dans un autre pays; le fondement objectif; le responsable de la persécution; la protection; et la question de la discrimination par rapport à la persécution. En début d'audience, la SPR a intimé au demandeur de ne témoigner que pour expliquer les omissions et divergences qui existent entre le récit qu'il a fourni au point d'entrée (PDE) et celui qu'il a fourni par la suite dans son formulaire de renseignements personnels (FRP).

[4]                Les notes au PDE indiquent que la demande est fondée sur des motifs religieux, alors que le FRP la fonde sur l'origine ethnique et les opinions politiques présumées ou réelles. La commissaire de la SPR a informé le demandeur que l'audience ne se poursuivrait que si elle considérait que son témoignage expliquait de façon satisfaisante ses déclarations contradictoires. Sinon, le tribunal lèverait l'audience et rendrait sa décision par écrit.

[5]                On a demandé à M. Yildiz pourquoi il n'avait pas divulgué au PDE son origine ethnique kurde ainsi que les difficultés rattachées à ce fait, alors qu'on l'avait informé du dossier du Canada en matière de droits de la personne et d'accueil de réfugiés. Il a expliqué que les passeurs de clandestins lui avaient conseillé de présenter sa demande au point d'entrée sur la base de sa religion et de ne révéler son origine ethnique kurde aux fonctionnaires qu'après son entrée au Canada. Il ne croyait pas qu'on lui donnerait de mauvais conseils. La SPR a rejeté cette explication et déclaré qu'il incombait au demandeur de raconter toute son histoire au PDE. Elle a ajouté ne pas voir pourquoi il aurait suivi les conseils de passeurs de clandestins, qui sont des transgresseurs de la loi, alors qu'il avait démontré être tout à fait capable de prendre ses propres décisions.

[6]                La commissaire de la SPR a aussi mis en cause certaines des réponses au questionnaire que M. Yildiz avait rempli sans l'aide d'un interprète. En réponse au questionnaire du PDE, il a déclaré exercer la profession de matelot, qu'il n'avait jamais fait son service militaire en Turquie, qu'il n'avait pas de casier judiciaire et qu'il n'avait jamais été incarcéré en Turquie. Suite à plusieurs demandes d'expliquer les divergences entre ses réponses et ses déclarations dans le FRP, il a déclaré qu'il n'avait pas bien compris certaines des questions posées. Même s'il a demandé un interprète à l'audience, la SPR n'était pas convaincue que sa compréhension de l'anglais pouvait expliquer ces divergences.

[7]                Au vu de ces constatations, la SPR a conclu que le FRP contenait des informations dont l'objectif était d'enjoliver la demande pour l'appuyer. Après avoir entendu les prétentions au sujet des incohérences, la SPR a mis fin à l'audience et rejeté la demande.

[8]                L'avocate du défendeur soutient que comme l'avocat de M. Yildiz à l'époque avait consenti à cette procédure, on ne peut maintenant s'y opposer. Un examen de la transcription révèle des commentaires suivants de l'avocat :

[traduction]

Je veux faire un commentaire au sujet de la question de savoir s'il est possible que la commissaire puisse arriver à une décision définitive sans avoir entendu toute la preuve au dossier. C'est une question que je dois soulever [...] Je préférerais ne pas avoir à traiter d'une telle décision à l'étape du contrôle judiciaire, mais plutôt d'essayer de voir s'il n'est pas possible que la commissaire arrive - ou s'il serait équitable pour le demandeur que la commissaire arrive à une décision définitive avant d'avoir entendu toute la preuve.

[9]                Dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 45 Imm. L.R. (2d) 42 (C.F. 1re inst.), la Commission a identifié certaines questions litigieuses qu'elle considérait particulièrement pertinentes à la revendication. Les déclarations du demandeur dans son FRP étaient pertinentes au vu des questions soulevées par la Commission. La Commission a décidé de ne pas tenir compte du FRP et elle n'a pas autorisé l'avocat du demandeur à présenter sa preuve à ce sujet. M. le juge Strayer, alors à la Section de première instance, a conclu que les actions de la Commission constituaient un déni de justice naturelle et il a annulé la décision.


[10]            Dans Papsouev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 48 (C.F. 1re inst.), la Commission a rejeté les demandes présentées par une famille de citoyens russes, au motif que le retard injustifié de présenter leurs demandes de statut de réfugié jetait un doute sérieux sur leurs prétentions d'avoir une crainte fondée de persécution. Après avoir conclu à l'insuffisance des explications pour le retard, le tribunal n'a pas autorisé la famille à présenter une preuve à l'appui des allégations de persécution en Russie. Le juge Rouleau a annulé la décision et déclaré que même si la Commission avait conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles, elle devait quand même examiner la question fondamentale de savoir si oui ou non ils avaient une crainte fondée de persécution en Russie du fait de leur religion.

[11]            Bien que ne portant pas exactement sur la même question, ces décisions sont analogues. Dans sa lettre du 11 juillet 2002, la SPR a précisé les questions qu'elle estimait pertinentes. La commissaire a refusé d'entendre quelques preuves ou prétentions que ce soit, sauf celles liées aux incohérences dont j'ai fait état. La Commission pouvait, bien sûr, conclure que les incohérences mettaient sérieusement en cause la crédibilité de M. Yildiz. Toutefois, nonobstant sa conclusion négative quant à la crédibilité de M. Yildiz, la SPR devait examiner la question de savoir s'il avait une crainte fondée de persécution. Selon moi, son refus d'entendre la preuve à ce sujet constitue une erreur irréparable. M. Yildiz n'a pas eu l'occasion de présenter son point de vue, ce qui constitue un déni de justice naturelle.


[12]            Dans l'arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 18 Imm. L.R. (2d) 239 (C.A.F.), le juge Décary a repris la déclaration voulant que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit.

[13]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différent de la SPR pour réexamen. Les avocats n'ont pas présenté de question à certifier et l'affaire n'en soulève pas.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la question est renvoyée à un tribunal différent de la SPR pour réexamen.

                                                       « Carolyn A. Layden-Stevenson »      

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-7862-03

INTITULÉ :                                                               MAHMUT YILDIZ

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 1er NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 3 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Rezaur Rahman

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Tatiana Sandler

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rezaur Rahman

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


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