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Date : 20200303


Dossier : IMM‑3640‑19

Référence : 2020 CF 326

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2020

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

VIJAY RAM LOCHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire dans laquelle le demandeur, Vijay Ram Lochan, conteste le caractère raisonnable de la décision par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) a refusé sa demande de visa de résident permanent fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[2]  M. Lochan est un citoyen du Guyana âgé de 60 ans. Il est venu au Canada en mai 2018 et, depuis, il vit chez sa sœur Joyce à Mississauga. Il a présenté une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire environ six mois après son arrivée au Canada.

[3]  La demande de dispense de M. Lochan était principalement fondée sur ses liens familiaux au Canada et sur l’absence correspondante de soutien familial au Guyana. Il a déclaré avoir l’intention de vivre avec sa sœur qui lui offrirait un soutien financier. Selon ses dires, il serait financièrement instable et exposé à un risque personnel s’il devait retourner au Guyana.

[4]  M. Lochan soutient que la décision de l’agent est déraisonnable pour plusieurs motifs.

[5]  Bien que l’agent ait reconnu les relations solides de soutien mutuel entre M. Lochan et ses frères et sœurs (principalement avec sa sœur Joyce), il aurait conclu de façon irrationnelle que cette perte de soutien familial pourrait être compensée par l’achat de services. La phrase contestée est la suivante :

[traduction
Je conviens que le demandeur d’asile a comblé ce vide dans la vie de Joyce et qu’elle est disposée à lui fournir un soutien financier; toutefois, je constate qu’il existe des entreprises et des particuliers qui peuvent fournir des services d’entretien et de soutien à Joyce si elle le désire.

[6]  M. Lochan surestime l’importance de ce passage. Le but de cette observation, bien que maladroite, il faut l’admettre, est seulement d’indiquer que, dans la mesure où M. Lochan aide sa sœur en lui offrant des services d’entretien et de soutien, d’autres personnes peuvent rendre ces services. Cette observation se voulait une réponse à la déclaration de sa sœur qui a affirmé qu’il l’aidait à accomplir des tâches ménagères.

[7]  M. Lochan conteste également la déclaration de l’agent selon laquelle les éléments de preuve présentés étaient insuffisants pour établir que Joyce perdrait sa belle humeur et son attitude positive s’il devait retourner au Guyana et selon laquelle ils pourraient maintenir leur relation par des visites et le recours à la technologie. Encore une fois, M. Lochan donne plus d’importance à cette déclaration qu’il le devrait. L’agent n’a pas laissé entendre que ces options équivalaient à la présence immédiate de M. Lochan, mais seulement qu’il ne serait pas séparé de façon permanente ou complète de sa famille canadienne. La situation de M. Lochan se distingue également des faits examinés dans l’affaire Epstein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1201, 260 A.C.W.S. (3D) 346. Dans cette affaire, la demanderesse, une grand‑mère de 82 ans, « dépend(ait) entièrement de sa famille » qui lui fournissait un toit, de la nourriture et un soutien financier et affectif (paragraphe 15). C’est l’omission du décideur de tenir compte du niveau réel de dépendance qui a été jugé déraisonnable, et non les commentaires supplémentaires sur la possibilité de rester en contact par d’autres moyens.

[8]  M. Lochan affirme que l’agent n’a pas sérieusement tenu compte des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays, lesquels décrivaient les risques auxquels il ferait face au Guyana. Parmi ces risques, mentionnons le risque de criminalité, le manque de protection de l’État, la pauvreté et les mauvais traitements envers les personnes âgées. En particulier, il conteste la déclaration de l’agent selon laquelle il n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir qu’il serait touché négativement par ces risques.

[9]  La préoccupation de l’agent concernant l’absence de preuve liant M. Lochan aux risques généralisés n’était pas inappropriée. La preuve qu’il a présentée était très faible. Il a exprimé des craintes au sujet de la discrimination, du chômage, de la criminalité et de l’itinérance, mais, dans l’ensemble, il n’a fourni aucun détail confirmant qu’il avait vécu de tels problèmes au cours des nombreuses années où il a vécu au Guyana.

[10]  Il n’était pas déraisonnable pour l’agent de s’attende à recevoir des preuves de chômage, de pauvreté, de discrimination et d’itinérance. Au lieu de cela, M. Lochan a déclaré mener [traduction« une vie très simple au Guyana » et être [traduction« capable de subvenir à ses besoins en occupant des petits boulots comme soudeur et employé de la construction ». Bien qu’il ait déclaré qu’il était [traduction« très difficile de gagner sa vie », il n’a signalé aucune période d’itinérance ou de grande pauvreté, et n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il avait fait appel à sa famille canadienne pour le soutenir.

[11]  Il a mentionné un seul cas de victimisation réelle, soit une série de voies de fait liées à une tentative afin de l’expulser. Les coupables auraient été poursuivis et mis à l’amende. Le demandeur n’a toutefois pas indiqué à quel moment ces événements s’étaient produits. Sans plus de détails, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de rejeter l’importance de cette preuve dans l’évaluation des risques futurs.

[12]  L’agent a évalué de la façon suivante les éléments de preuve relatifs aux difficultés, y compris la documentation sur la situation dans le pays :

[traduction
Dans cette demande, le demandeur d’asile affirme qu’il craint la discrimination et les mauvais traitements en raison de son âge ainsi que le manque d’emplois stables. Le demandeur d’asile affirme qu’il se sent très seul et vulnérable au Guyana, sans famille immédiate, et affirme craindre que, s’il devenait malade, personne ne veillerait sur lui pour s’assurer qu’il va bien. Toutefois, je constate que le demandeur d’asile a 59 ans et qu’il a vécu au Guyana toute sa vie; je trouve donc raisonnable de présumer qu’il a établi un réseau d’amis et de connaissances auquel il pourrait faire appel au besoin s’il devenait malade ou s’il se sentait seul.

Le demandeur d’asile déclare aussi qu’il est difficile de vivre au Guyana après un certain âge, car les personnes âgées deviennent plus vulnérables au vol et aux mauvais traitements. Toutefois, il n’a fourni aucune preuve objective permettant d’établir qu’il serait perçu comme vulnérable et qu’il serait victime de vol qualifié et (ou) de mauvais traitements au Guyana, où il a résidé toute sa vie et où il a travaillé comme manœuvre général.

Le demandeur d’asile a indiqué qu’il s’inquiète de la façon dont il pourra subvenir à ses besoins alors qu’il vieillit puisqu’il ne dispose pas d’épargne ni de rente. Toutefois, il n’a fourni aucun élément de preuve permettant d’établir que l’État n’aide pas les gens dans ces situations ni aucune preuve selon laquelle il ne serait pas en mesure d’occuper un poste de manœuvre général, mais avec une modification des tâches. De plus, je constate que les sœurs du demandeur d’asile ont toutes déclaré qu’elles se souciaient de lui et qu’elles lui fourniraient une aide financière s’il se trouvait au Canada. Par conséquent, j’estime raisonnable de présumer qu’elles seraient tout autant en mesure de fournir une aide financière au demandeur d’asile s’il retournait au Guyana.

Le demandeur d’asile affirme avoir été battu à cinq reprises par des personnes qui souhaitent l’expulser de son appartement et qu’il s’est adressé à la police et à deux tribunaux, à deux reprises, pour régler ces incidents. Je constate que le demandeur d’asile n’a fourni aucun élément de preuve permettant d’établir qu’il était impossible de trouver un colocataire avec qui partager les frais de loyer et qui lui offrirait une compagnie, de sorte que ni l’un ni l’autre ne se sentirait seul et vulnérable, ou permettant d’établir qu’il n’était pas en mesure de trouver un autre endroit où habiter.

Le demandeur d’asile craint de retourner au Guyana où les conditions économiques sont mauvaises, où les personnes âgées sont maltraitées et où la violence est généralisée. Il a présenté des articles relatifs à ces préoccupations. Toutefois, je remarque qu’il s’agit des conditions générales au Guyana, et que le demandeur d’asile n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer qu’il serait victime de tels traitements, qu’il subirait un préjudice ou qu’il serait victime de discrimination en raison de ces facteurs, advenant son retour au Guyana.

Il est vrai que le renvoi du demandeur d’asile au Guyana occasionnerait son lot de difficultés pour lui et ses sœurs, et bien que je convienne que certains secteurs du Guyana sont soumis à des tensions et que la situation n’y est pas toujours favorable, le demandeur d’asile n’a pas quitté le Guyana pendant plus d’un an et il n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer qu’il serait victime de ces tensions ou qu’il serait victime de discrimination pour une raison quelconque, advenant son retour.

[13]  Rien dans cette analyse ne laisse croire que l’agent a négligé ou mal interprété la preuve, telle que présentée. L’agent a reconnu que la vie de M. Lochan au Guyana présenterait certaines difficultés et ne se compare pas favorablement à son expérience au Canada. Néanmoins, l’agent a conclu que la situation n’était pas assez grave ou exceptionnelle pour justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire. En l’absence de preuve du contraire, la conclusion de l’agent selon laquelle M. Lochan pouvait faire appel à des amis au Guyana ou à sa famille canadienne pour obtenir un soutien personnel et financier n’était pas déraisonnable. Il semble que M. Lochan ne souffrait pas de maladie ou de limitations physiques graves et, par conséquent, il était également raisonnable pour l’agent de conclure que, comme par le passé, il se trouverait probablement un emploi. L’agent a également souligné que M. Lochan était parti du Guyana depuis moins d’un an.

[14]  L’agent a aussi tenu compte des avantages que la présence de M. Lochan signifiaient pour Joyce et ses autres frères et sœurs, y compris leurs relations d’interdépendance étroite. Il a été estimé, de manière raisonnable, que ces facteurs étaient en partie atténués par les possibilités de visite et de communication à distance. Il ne s’agissait pas non plus d’une situation où un niveau extrême de dépendance avait été établi.

[15]  Il est indéniable qu’une décision favorable aurait pu être rendue en fonction de la preuve soumise. Toutefois, le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire consiste uniquement à examiner le caractère raisonnable de la décision rendue et non la décision qui aurait pu être rendue. En l’espèce, je ne peux relever aucune lacune susceptible de contrôle dans l’analyse de la preuve de l’agent ou dans sa conclusion. Ce dont se plaint M. Lochan, c’est le poids accordé à la preuve par l’agent pour conclure que la dispense n’était pas justifiée. Il s’agit d’un exercice d’équilibre hautement discrétionnaire qui a été effectué de manière raisonnable.

[16]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[17]  Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3640‑19

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée.

« R. L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de mars 2020

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑3640‑19

 

 

INTITULÉ :

HASSAN EL HOUKMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 12 février 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Barnes

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 3 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Tara McElroy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jocelyn Espejo‑Clarke

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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