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Date : 20200226

Dossier : IMM-2000-19

Référence : 2020 CF 304

Ottawa (Ontario), le 26 février 2020

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

JOWHANE WESH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Survol

[1]  Mme Jowhane Wesh demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] par laquelle on lui retire son statut de réfugiée au Canada pour s’être à nouveau volontairement réclamée de la protection de son pays de citoyenneté.

[2]  La demanderesse a obtenu le statut de réfugiée en septembre 2006 et est résidente permanente du Canada depuis novembre 2007.

[3]  En août 2007, elle a demandé et obtenu un passeport haïtien valide jusqu’en août 2012, lequel a été par la suite renouvelé jusqu’en août 2017.

[4]  Depuis qu’elle est au Canada, la demanderesse a voyagé en Haïti à au moins 11 reprises pour un total de 255 jours entre 2009 et 2014.

[5]  Lors de l’audience devant la SPR, elle a expliqué qu’elle a dû retourner en Haïti afin de s’occuper de sa mère qui a reçu un diagnostic de cancer en 2011 et en est décédée en janvier 2012. Suite au décès de sa mère, elle a dû y retourner afin de s’occuper de sa succession et de prendre les démarches nécessaires pour demander et obtenir la résidence permanente pour ses fils qui étaient demeurés sous la garde de sa mère.

[6]  En mai 2016, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a présenté une demande de constat de perte d’asile contre la demanderesse, au titre du paragraphe 108(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

II.  Décision contestée

[7]  La SPR a considéré les explications de la demanderesse mais s’est dite d’opinion qu’elles ne justifiaient pas le nombre de visites et la durée des visites, se situant toutes entre deux semaines et un mois.

[8]  La SPR retient surtout le fait que la demanderesse a continué à voyager en Haïti bien après le décès de sa mère et l’obtention de la résidence permanente canadienne pour ses fils. Ces derniers ont obtenu le statut de résidents permanents en 2011, alors que la demanderesse a séjourné en Haïti 15 jours à l’hiver 2012, 42 jours au cours de l’été 2012, 22 jours au cours de l’été 2013 et 18 jours à l’hiver 2014.

[9]  La SPR rejette également la justification de la demanderesse à l’effet qu’elle aurait été induite en erreur par l’avocat qui l’a représentée dans sa demande d’asile et qui lui aurait confirmé que l’obtention d’un passeport haïtien n’était pas de nature à nuire à son statut de réfugiée. La SPR reproche à la demanderesse de n’appuyer son témoignage d’aucune pièce justificative corroborative à cet égard. Elle conclut que la demanderesse n’a pas réussi à renverser, par une preuve claire et convaincante, la présomption voulant que l’obtention d’un passeport confirme la volonté d’un réfugié de se réclamer à nouveau de la protection de son pays (Guide de procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut de réfugiés, HCR/1P/4/FRE/REV.1 UNHCR 1979 Réédité, Genève, janvier 1992, Chapitre III – Clauses de cessation [Guide relatif au statut de réfugié] ).

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[10]  Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes:

  1. La SPR a-t-elle erré en rejetant les explications de la demanderesse?

  2. La SPR devait-elle évaluer le risque de retour en Haïti pour la demanderesse, avant de conclure à la perte de son statut de réfugiée?

[11]  Les parties ne se prononce pas réellement sur le sujet mais il est établi que la norme de contrôle applicable à l’analyse des questions soulevées devant la Cour est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSS 65).

IV.  Analyse

A.  La SPR a-t-elle erré en rejetant les explications de la demanderesse?

[12]  La demanderesse soumet que la SPR a erré en concluant qu’elle s’est volontairement réclamée de la protection diplomatique d’Haïti.

[13]  Le Guide relatif au statut de réfugié renferme des directives quant à l’interprétation de l’expression « se réclamer de nouveau de la protection du pays ».

[14]  La demanderesse réfère d’abord la Cour à son article 119, qui énumère trois conditions à remplir pour pouvoir conclure qu’une personne s’est réclamée de la protection de son pays de citoyenneté :

a) La volonté : le réfugié doit avoir agi volontairement;

b) L’intention : le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité;

c) Le succès de l’action : le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection.

[15]  Elle réfère également la Cour à l’article 125 du Guide relatif au statut de réfugié qui prévoit l’importance pour les tribunaux d’examiner les raisons pour lesquelles un demandeur se sentirait forcé de retourner dans son pays d’origine. La demanderesse note que sans pour autant être exhaustive, la liste des motifs soumis en exemple inclut explicitement le cas d’un proche parent gravement malade. De plus, elle soumet que le fait d’y retourner pour venir en aide à ses enfants mineurs est également un retour qui devrait être considéré non volontaire.

[16]  Dans le cas qui nous occupe, non seulement la demanderesse a-t-elle demandé à deux reprises l’émission d’un passeport haïtien, mais elle a effectivement voyagé en Haïti à plusieurs reprises depuis son arrivée au Canada. Il y a donc plus que la simple présomption que la demanderesse ait voulu se réclamer de la protection de son pays, il y a le fait qu’elle s’est réclamée de la protection de son pays.

[17]  Même si l’on concluait qu’elle a été induite en erreur par son avocat au moment de demander son premier passeport en 2007, cela n’aurait aucune incidence sur le fait qu’elle est retournée en Haïti tant avant le diagnostic de cancer de sa mère (à au moins 5 reprises), qu’après que ses fils aient obtenu la résidence permanente canadienne (à au moins 4 reprises).

[18]  La demanderesse n’a aucunement contesté la conclusion de fait de la SPR à l’effet que les bulletins scolaires de ses deux fils mineurs démontrent qu’ils sont inscrits dans une école canadienne depuis au moins l’année scolaire 2011-12. Elle n’a donc pas établi que les voyages effectués en Haïti à l’hiver 2012 (15 jours), à l’été 2012 (42 jours), à l’été 2013 (22 jours) et à l’hiver 2014 (18 jours) étaient non volontaires.

[19]  Même si l’on concluait que l’obtention de son premier passeport était non volontaire (puisqu’induite en erreur par son avocat de l’époque) et qu’un certain nombre de voyages effectués en 2011 et 2012 étaient rendus nécessaires par la maladie et le décès de sa mère et par la demande de résidence permanente de ses fils, cela ne serait pas suffisant à mon avis pour conclure au caractère déraisonnable de la décision de la SPR.

[20]  La demanderesse n’a tout simplement pas démontré que tous ses autres voyages en Haïti n’étaient pas volontaires.

[21]  Quant à la question à savoir si la démarche de la demanderesse a porté fruit et si elle a effectivement obtenu la protection d’Haïti, je crois que la réponse se trouve dans le nombre et la durée de ses visites en Haïti depuis qu’on lui a accordé le statut de réfugiée au Canada. Comme il sera question dans l’analyse de la seconde question soulevée par cette demande, la réponse à cette question se trouve également dans le fait que tant devant la SPR que devant la Cour, la demanderesse n’a allégué aucune difficulté rencontrée ou risque encouru lors de ses nombreuses visites en Haïti.

B.  La SPR devait-elle évaluer le risque de retour en Haïti pour la demanderesse, avant de conclure à la perte de son statut de réfugiée?

[22]  La demanderesse plaide que la SPR avait l’obligation, avant de conclure à la perte de son statut, d’examiner le risque auquel elle ferait face advenant son retour en Haïti, ainsi que la capacité et la volonté de l’état haïtien de lui offrir la protection. Elle demande de certifier la question suivante :

Lorsqu’elle est appelée à décider si elle accueille ou non une demande de constat de perte d’asile présentée par le ministre en application de l’alinéa 108(1) a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et fondée sur des actions passées, la Commission peut-elle accueillir 1a demande du ministre sans examiner, lors de l’audience relative à la perte de l’asile, si la personne serait exposée à un risque de persécution à son retour dans son pays de nationalité?

[23]  La demanderesse reconnaît que cette obligation n’émane pas du Guide relatif au statut de réfugié, mais soumet que cela s’inscrit néanmoins dans l’esprit de la protection offerte par la LIPR aux personnes à qui le Canada a reconnu le statut de réfugié.

[24]  D’abord, je suis d’avis qu’il y a une raison pour laquelle le Guide relatif au statut de réfugié ne mentionne aucune analyse de risque ou de protection du pays d’origine au stade de la perte de statut. C’est que ces questions sons imbriquées dans l’analyse des critères à rencontrer pour conclure à la perte de statut, à savoir, la volonté, l’intention et le succès de l’action.

[25]  Par ailleurs dans le cas qui nous occupe, non seulement le fait d’avoir demandé et obtenu deux passeports haïtiens crée-t-il une présomption que la demanderesse s’est réclamée de la protection de son pays, mais le fait qu’elle y soit retournée à d’autant de reprises et pour d’aussi longues périodes tend à démontrer qu’elle n’éprouvait aucune crainte subjective face à un retour.

[26]  Par ailleurs, la demanderesse ne peut reprocher à la SPR de ne pas avoir analyser le risque auquel elle ferait face advenant son retour puisqu’on ne lui a soumis aucune preuve ni aucun argument à cet égard. Le dossier certifié du Tribunal ne contient aucun élément pouvant laisser croire que la demanderesse ferait face à un quelconque risque advenant un retour en Haïti, ni qu’elle aurait rencontré quelque difficulté lors de ses nombreuses visites. Il appert de la transcription de l’audience devant la SPR que la demanderesse n’a invoqué aucun risque et que son avocat n’a aucunement plaidé que cette analyse devait être faite par la SPR.

[27]  Puisque cette question n’était pas devant la SPR, on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’elle la tranche et elle ne saurait être déterminante de la présente demande. Elle ne sera donc pas certifiée.

V.  Conclusion

[28]  Puisqu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que la demanderesse s’est effectivement réclamée de la protection de son pays de citoyenneté, et puisque les motifs de la SPR sont logiques et intelligibles, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[29]  Puisqu’aucune question d’importance générale n’émane des faits de cette affaire, aucune telle question n’est certifiée.



JUGEMENT dans IMM-2000-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

Blanc

« Jocelyne Gagné »

Blanc

Juge en chef adjointe


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2000-19

 

INTITULÉ :

JOWHANE WESH c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 DÉCEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Fernando Belton

 

Pour la demanderesse

 

Sherry Rafai Far

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belton Avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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