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Date : 20001211

Dossier : IMM-2941-99

ENTRE

                                                       SRIVATHY SIVAYOGAN,

LAKSHMAN SIVAYOGAN

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]                Srivathy Sivayogan, âgée de 46 ans, est une Tamoule du Nord du Sri Lanka. Lakshman Sivayogan, son fils, a 12 ans. Tous deux citoyens sri-lankais, ils s'étaient vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention par décision en date du 19 novembre 1997 de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.


[2]                Le 12 décembre 1997, ils ont fait une demande au titre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC), laquelle demande a été suivie d'observations présentées à l'appui par lettre en date du 22 janvier 1998. Le 27 mai 1999, c'est-à-dire 16 mois après, un agent de révision des revendications refusées (ARRR) a conclu qu'ils ne relevaient pas de cette catégorie. Ci-après les motifs pour lesquels j'annule la décision de cet agent.

LES FAITS

[3]                Comme je l'ai déjà mentionné, l'ARRR a été saisi des observations présentées pour le compte des demandeurs par lettre en date du 22 janvier 1998, à savoir que la section du statut de réfugié n'avait pas mis en doute leur crédibilité, que Mme Sivayogan avait été arrêtée à Colombo et que Lakshman Sivayogan a atteint un âge tel qu'il serait en danger. Les demandeurs ont aussi produit des preuves détaillées sur la situation qui régnait à l'époque dans le pays.

[4]                En rejetant leur demande, l'ARRR a pris en compte deux documents postérieurs à la date des observations présentées pour les demandeurs, à savoir le rapport du Département d'État des États-Unis sur la situation des droits de la personne au Sri Lanka en 1998, rendu public en février 1999 (le rapport du Département d'État), et un document intitulé « Sri Lanka : Les possibilités de fuite intérieure : Mise à jour » et compilé en octobre 1998 par la Direction des recherches de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le rapport de la CISR).


[5]                L'ARRR a conclu que les demandeurs étaient en danger dans le Nord du Sri Lanka, mais avaient une possibilité de refuge intérieur à Colombo. Cette constatation était fondée sur ses conclusions sur la situation dans le pays et aussi sur sa conclusion que, les demandeurs ayant pu traverser le pays et ayant été remis en liberté, ils n'étaient pas considérés comme des risques de sécurité et, par conséquent, n'étaient pas eux-mêmes en danger.

LE POINT LITIGIEUX

[6]                Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle judiciaire n'est plus celle de la décision manifestement déraisonnable et que les principes posés par l'arrêt Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.), ne sont plus applicables, mais je conclus du dossier qu'il n'est pas nécessaire d'examiner l'affaire sous cette optique.

[7]                À mon avis, l'ARRR, en s'appuyant sur le rapport du Département d'État et sur celui de la CISR, l'un et l'autre postérieurs aux observations présentées par les demandeurs, sans donner à ceux-ci la possibilité d'y répondre, a manqué à son obligation d'équité envers eux.

ANALYSE

[8]                Dans Mancia susmentionné, paragraphe 27, la Cour d'appel s'est prononcée en ces termes :


[L'équité] exige que l'agent chargé de la révision des revendications refusées divulgue les documents provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays, s'ils sont devenus accessibles et s'il est devenu possible de les consulter après le dépôt des observations du demandeur, à condition qu'ils soient inédits et importants et qu'ils fassent état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d'avoir une incidence sur sa décision.

[9]                Que le défaut par l'agent de divulguer un document constitue ou non un manquement à l'obligation d'équité est dans chaque cas un point de fait. La décision Mancia pose que, dans les cas comme celui qui nous occupe, il faut examiner la décision de l'ARRR pour voir si celui-ci y est parvenu en se fondant sur des éléments d'information nouveaux et importants, contenus dans des documents produits après le dépôt des observations des demandeurs.

[10]            Les conclusions déterminantes tirées par l'ARRR en l'espèce sont comme suit : (i) Colombo était encore dans un état de haute alerte de sécurité en raison des attaques des Tigres de la libération de l'Eelam, ce qui fait que les demandeurs étaient soumis aux vérifications d'identité et d'antécédents et risquaient l'arrestation, ce que les autorités gouvernementales justifiaient au titre de la sécurité mais que les Tamouls considéraient comme une forme de harcèlement; (ii) pour ce qui est du harcèlement, le gouvernement a créé en juillet 1998, à la suite des plaintes en la matière, un comité anti-harcèlement pour s'occuper, 24 heures sur 24, des plaintes de harcèlement contre des agents des services de sécurité; (iii) il ressort des preuves documentaires que les victimes de tortures étaient les Tamouls soupçonnés d'être des rebelles ou collaborateurs de rebelles, ce qui n'était pas le cas des demandeurs; (iv) le gouvernement respectait dans l'ensemble les droits de ses citoyens dans les régions qui ne sont pas affectées par l'insurrection; et (v) la demanderesse avait sa carte d'identité nationale et les deux demandeurs avaient leur certificat de naissance.


[11]            Les preuves documentaires produites après la réception des observations des demandeurs fondaient visiblement la première conclusion quant aux détentions de Tamouls à Colombo jusqu'en 1998. On peut lire ce qui suit dans le rapport du Département d'État des États-Unis :

[TRADUCTION]

Les forces de sécurité continuaient à procéder à la détention et à l'arrestation en masse de Tamouls des deux sexes. Les grandes rafles ont eu lieu à Colombo, dans l'Est et dans la péninsule de Jaffna. Bien qu'il soit impossible de déterminer le nombre exact des arrestations, il y en a eu des milliers. Des centaines de Tamouls ont été arrêtés lors de chaque rafle. La plupart étaient libérés après une vérification d'identité qui pouvait durer plusieurs heures ou plusieurs jours. Les autorités gouvernementales justifiaient ces arrestations par des raisons de sécurité, mais nombre de Tamouls y voyaient une forme de harcèlement. En outre, ceux qui étaient arrêtés, dont la majorité n'avaient rien fait de mal, étaient parfois incarcérés avec des criminels endurcis. Les actions des forces de sécurité ont continué à créer d'autres difficultés pour les Tamouls. Par exemple, à la suite d'une attaque-suicide à la bombe en février à proximité du quartier-général de l'Armée de l'air à Colombo, les forces de sécurité ont fermé trois hôtels garnis, ce qui a mis des centaines de Tamouls dans la rue pendant un certain temps.

[12]            Pour ce qui est de la torture et de la conclusion par l'ARRR que, selon les preuves documentaires, les victimes de tortures étaient des Tamouls soupçonnés d'être des rebelles LTTE ou d'être leurs collaborateurs, le rapport de la CISR semble être à la base de la conclusion que les forces armées recouraient à la torture à deux fins principales : recueillir des renseignements sur les groupements rebelles et intimider la population.

[13]            La conclusion par l'ARRR que le gouvernement respectait dans l'ensemble les droits des citoyens dans les régions qui n'étaient pas affectées par l'insurrection, était aussi visiblement fondée au premier chef sur le rapport du Département d'État des États-Unis.


[14]            Ces conclusions de l'ARRR s'accordent avec le tableau général de la situation des droits de la personne au Sri Lanka, tel qu'il se dégage des documents y relatifs qui sont antérieurs aux observations soumises par les demandeurs. Cependant, j'estime que ses autres conclusions déterminantes étaient inspirées ou influencées par des informations nouvelles et importantes qui faisaient ressortir un changement dans la situation du pays.

[15]            La création par le gouvernement sri-lankais d'un comité anti-harcèlement à l'été 1998, dont fait état le rapport de la CISR, était un événement nouveau et important qui traduisait un changement dans la situation dans le pays, lequel a été pris en compte par l'ARRR.

[16]            Quant à la constatation que la demanderesse avait sa carte d'identité nationale et que les deux demandeurs avaient leur certificat de naissance, le rapport de la CISR notait que tous les gens nés dans le Nord, en particulier les Tamouls, étaient soumis à des interrogatoires serrés aux points de contrôle de sécurité, où « les Tamouls nés dans le Nord ou dans l'Est sont tenus de présenter au contrôle un certificat de la police » . Une seconde source citée confirme que les Tamouls devaient être munis d'un permis de police et étaient fouillés avant d'entrer en ville. Il s'agit là aussi d'une information nouvelle et importante qui aurait pu influencer la décision de l'ARRR.


[17]            À mon avis, ces facteurs primordiaux de la décision de l'ARRR, extraits de documents postérieurs aux observations présentées par les demandeurs, peuvent être qualifiés de faits nouveaux et importants qui traduisent des changements dans la situation du pays, lesquels avaient un rapport étroit avec les observations présentées par les demandeurs au sujet de la possibilité d'un refuge intérieur à Colombo. Le défaut de les en informer et de leur donner la possibilité d'y répondre constituait un manquement à l'obligation d'équité.

[18]            Pour ces motifs, la décision en date du 27 mai 1999 de l'ARRR est annulée et l'affaire renvoyée pour nouvelle instruction par un autre ARRR.

[19]            Les avocats auront sept (7) jours à compter de la réception des présents motifs pour proposer une ou des questions à certifier, et ensuite trois (3) jours pour répondre à toute conclusion de la partie adverse en la matière. Après quoi, la Cour rendra jugement portant annulation de la décision de l'ARRR.

                                    « Eleanor R. Dawson »                  

                                                                                                                                                     Juge                               

Ottawa (Ontario),

le 11 décembre 2000

Traduction certifiée conforme,

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                 IMM-2941-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :    SIVAYOGAN ET AL. c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                    6 JUIN 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :              11 DÉCEMBRE 2000

ONT COMPARU :

M. LORNE WALDMAN                                             POUR LA DEMANDERESSE

MME MARISSA BIELSKI                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JACKMAN, WALDMAN & ASSOCIÉS                   POUR LA DEMANDERESSE

M. MORRIS ROSENBERG                                         POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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