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Date : 20200121


Dossier : T‑353‑18

Référence : 2020 CF 87

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JANSSEN INC.

demanderesse

et

JANSSEN PHARMACEUTICA N.V.

demanderesse

(défenderesse reconventionnelle)

et

TEVA CANADA LIMITED

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Dans le cadre de l’action sous‑jacente, les demanderesses [collectivement Janssen] demandent une déclaration au titre du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, portant que la défenderesse [Teva] contrefera l’une des revendications 1 à 48 du brevet canadien no 2,655,335 [le brevet 335].

[2]  Janssen prétend que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du produit de palipéridone palmitate proposé par Teva, TEVA‑PALIPERIDONE INJECTION, contreviendra directement ou indirectement aux revendications 1 à 48 du brevet 335.

[3]  Le brevet 335 est inscrit au Registre des brevets et concerne le produit INVEGA SUSTENNAMD de Janssen, un médicament injectable à action prolongée pour le traitement de la schizophrénie et du trouble schizoaffectif.

[4]  Les parties ont présenté un exposé conjoint des questions en litige le 16 septembre 2019. Les questions qui demeurent litigieuses sont les suivantes :

i.  l’interprétation des revendications invoquées du brevet 335;

ii.  la contrefaçon du brevet 335;

iii.  la question de savoir si certaines des revendications invoquées du brevet 335 sont invalides pour cause d’évidence ou d’absence d’objet brevetable (méthode de traitement médical).

II.  Le contexte

[5]  Le 23 août 2019, une conférence de gestion de l’instance a été tenue pour discuter des objections soulevées à l’égard des rapports d’experts, de la qualification des experts et des propositions de rapports d’experts en réplique. Les parties ont présenté des observations sur leurs objections respectives en septembre 2019, mais le procès, qui était initialement censé débuter le 30 septembre 2019, a été reporté au 3 février 2020 par ordonnance de la Cour.

[6]  La Cour a tranché la question de l’admissibilité des rapports en réplique déposés par Teva dans le cadre d’une requête distincte (Janssen Inc. c Teva Canada Limited, 2019 CF 1309). À l’approche de la nouvelle date de procès, la présente ordonnance porte sur les objections des parties à l’égard de la preuve par ouï‑dire et de la qualification des experts.

III.  Les objections à l’égard de la preuve par ouï‑dire

A.  Les objections de Janssen et les réponses de Teva

[7]  Les parties ont échangé une première série de rapports d’experts le 31 mai 2019. Janssen conteste certains paragraphes du rapport d’expert de la Dre Suzanne Allain daté du 21 mai 2019 [le rapport Allain], du rapport d’expert du Dr James Simm daté du 31 mai 2019 [le premier rapport Simm] et du rapport d’expert de M. Glenn Kwon daté du 31 mai 2019 [le rapport Kwon].

[8]  Les parties ont échangé une deuxième série de rapports d’experts le 15 août 2019. Janssen conteste certains paragraphes du rapport d’expert en réponse du Dr James Simm daté du 14 août 2019 [le deuxième rapport Simm] et du rapport d’expert de M. Adil Virani daté du 13 août 2019 [le rapport Virani].

[9]  J’ai examiné les paragraphes contestés des rapports. Voici mes conclusions.

(1)  Les paragraphes 13, 38 et 39 du rapport Allain

[10]  Le paragraphe 13 constitue du ouï‑dire. La Dre Allain affirme avoir été informée par un représentant commercial de Janssen que de nombreux psychiatres prescrivent des doses d’entretien supérieures à 75 mg eq., qui sont administrées aussi fréquemment que toutes les deux semaines. Teva soutient que ce paragraphe vise à appuyer l’opinion que la Dre Allain a formulée dans la section précédente, où elle fait remarquer que [traduction] « la dose d’entretien que je prescris à mes patients résistants au traitement est habituellement de 100 mg eq. ou de 150 mg eq. toutes les deux à quatre semaines ». Le paragraphe 13 n’est pas admissible.

[11]  Le paragraphe 38 ne constitue pas du ouï‑dire. La Dre Allain se contente d’affirmer que les représentants commerciaux lui fournissent des renseignements et des échantillons gratuits. Janssen soutient que ce paragraphe fournit le contexte des déclarations constituant du ouï‑dire faites au paragraphe 39. Indépendamment du paragraphe 39, les renseignements figurant au paragraphe 38 ne sont pas du ouï‑dire.

[12]  Le paragraphe 39 constitue du ouï‑dire. La Dre Allain déclare que le représentant de Janssen l’a informée des doses d’entretien que de nombreux psychiatres prescrivent. Comme pour le paragraphe 13, il s’agit de ouï‑dire. Le paragraphe 39 n’est pas admissible.

(2)  Les paragraphes 22, 48 (dernière phrase) et 50 du premier rapport Simm

[13]  Le paragraphe 22 ne constitue pas du ouï‑dire. Les recommandations mentionnées dans ce paragraphe ont été faites directement au Dr Simm et, par conséquent, il en a une connaissance directe. Ces renseignements sont donc fiables. Les déclarations en question ne sont pas présentées pour établir les doses d’attaque et d’entretien recommandées, mais plutôt pour indiquer que les représentants de Janssen ont recommandé ces doses au Dr Simm. Dans la mesure où ces éléments de preuve ont été présentés pour établir ce que Janssen recommande aux médecins par l’intermédiaire de ses représentants, les déclarations faites aux paragraphes 22 et 50 ne font qu’établir les doses recommandées au Dr Simm. Ces éléments de preuve sont admissibles et toute préoccupation quant à leur fiabilité sera prise en compte.

[14]  Le paragraphe 48 (dernière phrase) constitue du ouï‑dire. Le Dr Simm affirme qu’il a entendu dire que certains de ses collègues prescrivent des doses administrées aussi fréquemment que toutes les deux semaines. Cette dernière phrase constitue du ouï‑dire et n’est pas admissible.

[15]  Le paragraphe 50 ne constitue pas du ouï‑dire. Comme pour le paragraphe 22, il s’agit de recommandations faites directement au Dr Simm.

(3)  La note en bas de page 61 au paragraphe 119 du rapport Kwon

[16]  La note en bas de page 61 au paragraphe 119 constitue du ouï‑dire. Le communiqué de presse est une déclaration hors cour, et la note en bas de page semble viser à établir le nombre de professionnels de la santé mentale qui ont participé au congrès. Par conséquent, la déclaration a été présentée pour établir la véracité de son contenu. Teva soutient qu’il s’agit d’une preuve par ouï‑dire acceptable, car elle concerne l’opinion de M. Kwon selon laquelle tous les documents d’antériorité qu’il cite auraient été trouvés par une personne versée dans l’art. Bien qu’il s’agisse de ouï‑dire, je tiendrai compte de toute préoccupation quant au poids à accorder à l’opinion de M. Kwon au sujet des documents d’antériorité qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait trouvés à la date pertinente.

(4)  Le paragraphe 21 (troisième phrase) du deuxième rapport Simm

[17]  Cette phrase constitue du ouï‑dire. Le libellé n’est pas clair, mais la déclaration est faite pour montrer que le Dr Simm a été informé par son hôpital que les doses les plus fréquemment prescrites sont celles de 150 mg eq. et de 100 mg eq. Cet élément de preuve n’est ni nécessaire ni fiable et aurait dû être présenté à partir de la connaissance directe du personnel de l’hôpital.

(5)  Les paragraphes 26 et 27 du rapport Virani

[18]  Le paragraphe 26 constitue du ouï‑dire. Comme l’a fait valoir Janssen, les déclarations visent à établir comment les pharmaciens de l’hôpital de M. Virani répondent aux questions concernant un produit générique. Il s’agit de ouï‑dire; le paragraphe 26 n’est pas admissible.

[19]  Le paragraphe 27 constitue du ouï‑dire. Comme pour le paragraphe 26, les renseignements contestés sont fondés sur les réponses de neuf pharmaciens aux questions sur leur utilisation des produits génériques. Le paragraphe 27 n’est pas admissible.

IV.  Les objections à l’égard des opinions qui dépassent le domaine de compétence de l’expert

A.  Les objections de Teva et les réponses de Janssen

[20]  Comme je l’ai mentionné plus haut, les parties ont échangé une première série de rapports d’experts le 31 mai 2019. Teva conteste les paragraphes 24a) et b), 425, 429, 433 à 437, 446, 476, 477, 479, 482, 484 et 489 à 491 de la déclaration d’expert du Dr Ofer Agid sur la validité, datée du 15 août 2019.

[21]  Bon nombre de ces paragraphes contiennent des déclarations similaires à l’égard des pratiques de prescription des médecins au Canada. Par exemple, au paragraphe 24a), le Dr Agid déclare ce qui suit :

[traduction]

À mon avis, [les pratiques de prescription de la Dre Allain] ne sont pas représentatives des pratiques de prescription de la majorité des médecins à l’égard de la majorité des patients.

[Non souligné dans l’original.]

[22]  Comme Janssen l’a indiqué dans ses observations, Teva a invoqué le même raisonnement pour contester divers paragraphes de la déclaration du Dr Agid sur la validité :

[traduction]

Le Dr Agid ne peut pas savoir ce que la majorité des médecins font lorsqu’ils prescrivent des médicaments; cette déclaration ne peut être que l’opinion du Dr Agid et ce n’est pas une opinion qu’il est habilité à donner.

[23]  Janssen convient que le Dr Agid donne son opinion, mais soutient qu’il s’agit d’une opinion qu’il est habilité à donner compte tenu de ses connaissances spécialisées et de son expérience professionnelle. Teva n’a pas contesté le rapport d’expert initial du Dr Agid dans lequel il a déclaré qu’il est qualifié pour s’exprimer sur les pratiques de prescription des médecins au Canada en ce qui concerne les médicaments antipsychotiques.

[24]  En se fondant sur les divers postes que le Dr Agid occupe, Janssen soutient qu’il est évident qu’il interagit fréquemment avec d’autres psychiatres et professionnels de la santé appelés à traiter la schizophrénie. Pour cette raison, le Dr Agid est bien placé pour apprendre et comprendre les pratiques de prescription de nombreux autres psychiatres et fournisseurs de soins de santé au Canada.

[25]  Je suis prêt à admettre ces paragraphes en preuve, et les préoccupations quant à l’exagération potentielle de la déclaration concernant les pratiques [traduction] « de la majorité des médecins à l’égard de la majorité des patients » seront prises en compte. Cette déclaration devrait peut‑être plutôt être interprétée comme signifiant la majorité des médecins au Canada que le Dr Agid connaît. Compte tenu des qualifications du Dr Agid, il s’agirait de nombreux médecins, mais pas de tous les médecins.

[26]  En plus de contester les opinions qui dépasseraient le domaine de compétence du Dr Agid, Teva soutient que le fait que le Dr Agid s’est décrit comme un [traduction] « leader d’opinion clé » n’est ni utile, ni fondé, et qu’il s’agit d’une déclaration intéressée. Je suis d’accord. En l’absence d’éléments de preuve provenant d’autres membres de la communauté médicale dans le domaine de la schizophrénie, selon lesquels l’opinion du Dr Agid est tenue en plus haute estime que celle d’autres experts, cette déclaration semble viser à donner plus de poids à l’opinion du Dr Agid par rapport à celle d’autres experts. Je n’accorde donc aucun poids à la façon dont le Dr Agid s’est décrit.

V.  Les objections à l’égard de la qualification des experts

A.  Les objections de Teva et les réponses de Janssen

[27]  Teva conteste le fait que le domaine de compétence de M. Barrett Rabinow inclut [traduction] « une expertise quant aux propriétés du pH, à la distribution granulométrique, à la viscosité et à l’isotonicité ».

[28]  Teva soutient que M. Rabinow devrait être qualifié comme suit :

[traduction]

Expert en développement et en fabrication de formulations pharmaceutiques, notamment en ce qui concerne les formulations liquides destinées à l’administration parentérale, ainsi que la préparation et l’utilisation de suspensions et de nanosuspensions dans les formulations et les formes posologiques (y compris les formes posologiques injectables).

[29]  Janssen soutient que, compte tenu des études, de la formation et de l’expérience professionnelle de M. Rabinow, celui‑ci est en mesure de fournir à la Cour des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury » (R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, à la page 23).

[30]  Je suis d’accord pour dire que le pH, la viscosité et l’isotonicité sont des principes fondamentaux de la chimie qui relèvent de l’expertise de M. Rabinow. De même, je conviens que la distribution granulométrique est un concept faisant partie de l’expertise de M. Rabinow étant donné sa vaste expérience dans le domaine des nanosuspensions pharmaceutiques.

[31]  Compte tenu des connaissances spécialisées de M. Rabinow, je suis convaincu que M. Rabinow est qualifié pour fournir une opinion d’expert sur le pH, la distribution granulométrique, la viscosité et l’isotonicité.


ORDONNANCE dans le dossier T‑353‑18

LA COUR ORDONNE :

« Michael D. Manson »

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de février 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.



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